Les enjeux de la rénovation urbaine dionysienne : rénover un peu, détruire et exclure beaucoup.

, par Jean-Marc Bourquin

Le projet de rénovation urbaine a été lancé en 2015 dans le cadre du NPNRU (Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine), mobilisant une deuxième enveloppe financière de l’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine). Même s’il a été présenté comme un dossier unique, il a dès le départ concerné trois quartiers de la ville, Floréal-La Saussaie-La Courtille, Franc-Moisin et le centre-ville. Ces deux derniers quartiers font l’essentiel du nouveau projet. Pas assez « ambitieux » pour l’ANRU – car ne prévoyant pas de démolitions – le projet pour Floréal-La Saussaie-La Courtille n’a pas été retenu par celle-ci.

L’insistance de l’ex-municipalité de Saint-Denis conduite par Laurent Russier, l’ancien maire, à faire de ce NPNRU un dossier unique concernant trois quartiers aux problématiques très différentes a été comprise comme la volonté de présenter un projet calibré pour répondre aux exigences de l’ANRU, celle-ci exigeant son quota de démolitions. Elles sont dans ce cadre envisagées uniquement à Franc Moisin où elles y sont particulièrement importantes et inexistantes dans les autres quartiers.

A Franc-Moisin. C’est la continuité qui domine

Le projet initial à Franc-Moisin avait déjà pour objectif la refonte du quartier en utilisant deux leviers :

1) Faire passer des rues au cœur de la cité, des rues qui fracturent le quartier, qui isolent les ilots. Même si le discours officiel justifie ces nouvelles voies au nom de la nécessité « d’irrigation en profondeur » ou « d’aération » ou de « désenclavement » du quartier c’est bien autre chose qui est recherché.

2) Mettre fin à l’hégémonie du logement social. 100% de logement social devient un stigmate pour nos aménageurs qui proposent de démolir 477 logements sociaux PLAI et de reconstruire sur place 647 logements neufs dont 423 logements privés (accession sociale, accession libre et locatifs libres) et seulement 224 logements sociaux dont 40% au maximum seront des PLAI.

Dans le dossier déposé à l’ANRU en avril 2019 par l’ex-municipalité on peut lire « Sur ces nouveaux ilots, plus petits, de nouvelles constructions vont pouvoir se développer et diversifier les typologies d’habitat et de statut : individuel, semi-collectif, et collectif, accession, accession sociale, logement social, locatif libre… ». Une façon de reconnaitre que l’on renonce à améliorer le quartier avec ses habitants, à réhabiliter les logements sans démolir, qu’on s’en remet au marché de l’immobilier, à qui on donne accès à un espace d’où il était exclu, et à l’adoption de politiques autoritaires de « peuplement ».

Entre les diverses options étudiées c’est finalement la plus radicale qui a été retenue par Plaine Commune. « Sur Franc-Moisin, l’étude préconise : soit des interventions ponctuelles, aux entrées du quartier en proposant des formes urbaines moins denses, en continuité du tissu pavillonnaire avoisinant, Soit une intervention plus ambitieuse afin de changer radicalement l’image du quartier et pouvoir intervenir sur les ilots centraux en fin de PRU. Le bureau d’étude considère qu’actuellement le marché captera difficilement une clientèle en accession sur les ilots centraux, mais qu’il existe tout de même un potentiel de diversification possible à conditions d’une restructuration lourde du quartier. » (Note d’étape FM/BA COPIL 18/12/ 2017).

L’élection municipale et le Covid ont marqué un coup d’arrêt dans la mise en œuvre du projet qui avait été validé fin 2019. Cependant, dès son élection, le nouveau maire, Mathieu Hanotin, a repris à son compte le projet concernant Franc-Moisin. Il a seulement diminué le nombre de logements à démolir (à la pointe du B7) et déplacé en périphérie les espaces publics. Sur ce sujet, il y a une convergence et continuité de vue entre les deux équipes municipales.

Le Centre-ville. Un peu d’histoire aussi.

En mars 2015, Les habitants de la ZAC Basilique se sont mobilisés suite à la découverte d’un appel d’offre, dans le cadre du nouveau plan ANRU, lancé par Plaine Commune pour une étude de restructuration urbaine concernant le quartier Basilique.

Les objectifs de cette étude étaient explicites :

« … une étude globale à l’échelle du secteur basilique portant sur la stratégie de déconventionnement… »
« … Cette dernière devra être d’autant plus sécurisée que la commercialisation des logements atypiques de cet îlot risque de s’avérer complexe. »
« …La démarche à proposer visant à réintroduire un marché de la location sur certains ilots par déconventionnement et à réajuster la demande à l’offre, … Elle devra conclure sur les différentes options d’adaptation de l’offre actuelle de logement entre :
• Cession partielle après déconventionnement
• Evolution en PLS voire PLI
• Transformation des grands logements en logements étudiants ou colocation. »

Vouloir supprimer le conventionnement d’un logement HLM c’est se donner la possibilité de sortir les logements du secteur social ou de modifier vers le haut leur typologie, (PLAI → PLUS), avec hausse des loyers.
La mobilisation des habitants du quartier a mis un coup d’arrêt à cette étude et au projet de déconventionnement et/ou de vente des logements.
Le 13 juin 2015, devant une assemblée d’une centaine de locataires Stéphane Peu, Didier Paillard et Laurent Russier ont nié toute volonté de déconventionnement ou de vente des logements sociaux et se sont engagés à ne jamais le faire, ce qui a été le cas.

Un compromis issu de la discussion avec les habitants

Le projet qu’ils ont présenté en avril 2019 à l’ANRU a été un compromis, discuté avec les habitants du quartier, qui maintenait la dalle haute dans sa totalité avec quelques corrections à la marge, qui garantissait la réhabilitation des logements – qui n’en avaient pas connue depuis leurs constructions – et qui ne modifiait pas le statut des logements (logements sociaux PLAI) mais proposait : « Une stratégie d’attribution au logement justifiée par les problématiques inhérentes au patrimoine (taux de refus important, loyers élevés, logements atypiques) » pour – avec un délai de vacance plus long que la moyenne et des travaux plus importants avant la relocation – en modifier la composition sociale par une sélection des demandeurs de logements.

A la différence du projet pour Franc-Moisin, Mathieu Hanotin, une fois élu, a remis en cause celui de l’ancienne municipalité pour le centre-ville. En plus de la non démolition de l’hôtel Campanile, l’aménagement de la place Jean Jaurès – toutes choses décidées sans concertation – il impose la résidentialisation des ilots de la ZAC Basilique, initialement proposée par l’ancienne municipalité mais abandonnée suite à la mobilisation des habitants : suppression des passerelles, suppression de tous les escaliers publics, déménagement de toutes les activités et services publics basées sur la dalle (radiologie, crèche, Objectif emploi, MAM, association Maison Jaune…), revenant ainsi à l’esprit des diagnostics établis en 2015 qui ont prévalu au projet de déconventionnement.

Mathieu Hanotin veut « rendre la dalle aux locataires » ce qui en termes concrets conduit au transfert de la gestion de la dalle de Plaine Commune à Plaine Commune Habitat, les locataires récupérant dans leurs charges les factures d’entretien (les espaces publics devenant des espaces communs de Plaine Commune Habitat).

Notons au passage la capacité d’adaptation du discours qui accompagne ces projets. Dans le projet de l’ex-municipalité les opérateurs (les mêmes que dans le projet de Mathieu Hanotin) parlaient de quartier « introverti », « enclavé », de « forteresse à casser » alors qu’aujourd’hui il n’est plus question que de renforcer le cloisonnement des ilots tandis que la forteresse lève ses ponts levis en supprimant ses passerelles et ses escaliers.

Lors du comité de pilotage de la rénovation du 5 mai 2021 Mathieu Hanotin exprime ainsi sa vision du quartier Basilique :

« …la composition sociale de l’ilot 8 est extrêmement similaire et dans les catégories sociales les plus pauvres qui se regroupent au même endroit »
« Y-a-t-il un enjeu de mixité sociale dans la ville du haut ? Clairement oui ! … Quand on prend tous les ilots on est sur du 100% de logement social. Ce n’est pas normal ! »
« On regarde toutes les options sans en exclure une particulièrement qui pourrait permettre de travailler à une meilleure mixité sociale… Ça doit se faire au sein du bloc du logement social mais on peut regarder d’autres possibilités qui pourraient exister, par exemple PCH travaille à un office foncier territorial, etc… »
« Il y a un écosystème négatif qui se crée autour de ce quartier… [ qui ] est vécu comme l’archétype de l’échec »

Comme à Franc-Moisin il veut modifier la population du quartier Basilique, cette fois sans démolition mais par la résidentialisation, la sélection sociale par le renchérissement du prix à payer pour se loger, la sécurisation des espaces publics, la diversification du commerce et des logements pour répondre à la demande d’une population plus aisée.

Et les habitants dans tout ça ?

Celles et ceux qui sont directement concernés par la rénovation urbaine ? Celles et ceux à qui on dit qu’ils/elles sont de trop, qu’ils/elles sont un problème ?

A Franc Moisin…

Mathieu Hanotin dans une vidéo à l’intention des habitants de Franc Moisin pendant sa campagne électorale avait déclaré que les habitant de la cité avaient été maltraités par l’ancienne équipe. Mais qu’a-t-il fait de mieux ? Rien. Sinon pire ?

Pas de Maison des Projets (pourtant faisant partie du règlement de l’ANRU ; il serait question d’un bus itinérant), pas de possibilité de suivi par les associations de locataires des déménagements, du respect des critères inclus dans la charte de relogement, des lieux des logements proposés. Refus d’indemnisation des habitants pour le préjudice subi, aucune information donnée sur les conditions de réhabilitation des logements et sur les hausses des loyers pourtant déjà planifiées pour 2026 et 2027.

… et au centre-ville

En parallèle à l’élaboration du projet présenté par l’ex-municipalité, le collectif de l’ilot 8, en 2018, a fait sa propre enquête auprès des habitants : « Quelle rénovation voulons-nous ? ».
885 réponses à partir de 102 questionnaires recueillis sur 164 logements sollicités. Des réponses qui portaient essentiellement sur les logements mais aussi sur les parties communes des immeubles, sur la dalle et sur le quartier. Cette enquête exprimait clairement le refus d’une résidentialisation.

Aujourd’hui, le projet de Mathieu Hanotin balaie les résultats de l’enquête et la mobilisation des habitants. La nouvelle équipe municipale considère qu’elle est légitime à imposer son projet parce qu’elle a été élue. D’ailleurs les quelques réunions qui se sont tenues entre le conseil citoyen, le collectif de l’ilot 8 et la ville viennent toujours a postériori des décisions prises. Le dossier a été déposé à l’ANRU en juillet 2021, mais il n’y a pas eu depuis la moindre réunion publique d’information malgré les engagements pris. Par contre la municipalité a largement communiqué par voie de presse sur son projet, une façon de mettre tout le monde au pied du mur.

De son côté, Le collectif de l’ilot 8 a lancé une pétition après la tenue du comité de pilotage de l’ANRU en mai 2021 : « Nous ne voulons pas la rénovation de l’ilot 8 prévue par la municipalité. Nous voulons une rénovation au service de tous les habitants.es ».
Elle a déjà recueilli près d’une centaine de signatures de locataires de l’ilot. Elle affirme un désaccord profond avec les choix municipaux. Elle dénonce la volonté de changement de la population que porte le projet. Elle dénonce cette sélection sociale au profit des plus aisés et revendique une rénovation au service de tous les habitants du quartier.

Si les deux municipalités partagent la même vision de transformation de la ville, ce qui fait la caractéristique de l’équipe de Mathieu Hanotin c’est son refus catégorique de toute forme de dialogue avec la population et la volonté d’accélérer à tout prix le processus de gentrification.

Pourquoi prendre la peine d’informer, de concerter, de discuter, de mobiliser une population dont on ne veut pas, dont on souhaite qu’elle aille ailleurs ? Une population à qui la municipalité envoie des signes de son exclusion comme le déplacement du marché, la disparition des commerces bon marché, l’ouverture de commerces de bouche haut de gamme dans la galerie marchande ou d’un restaurant gastronomique dans la halle du marché ?

Les mois et les années à venir seront porteurs de cette confrontation.

Jean-Marc Bourquin est représentant des locataires pour le DAL à PCH et membre du collectif ilot 8 ZAC Basilique

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