Michel Quarez, in memoriam. Sueur-Sang-Sperme.

, par Michel Ribay

En ce jour de grisaille, nous republions notre article en hommage à Michel Quarez disparu, il y a déjà deux ans, le 9 décembre 2021. Notre interrogation du 9 décembre 2021 reste d’actualité : « Souhaitons qu’un hommage à la hauteur de son talent lui soit rendu par la ville de Saint-Denis… au Musée d’art et d’histoire… à la salle de la Légion d’Honneur …par le Fonds Régional d’Art Contemporain, le département… Expositions… Rétrospective… Il le mérite grandement. »

Jeudi 24 février. Jour sombre. Jour noir. Jour de mort. A quelques heures de Paris, à Caen, se terminera le 26 février l’exposition consacrée à Michel Quarez.
Immense coloriste, affichiste, peintre, cette exposition est l’occasion de confronter notre regard à la puissance d’une peinture engagée, profondément attachée par ses sujets et son geste esthétique à l’affirmation de la joie, du désir, de la vie.

La place de Michel Quarez dans l’histoire du graphisme est déjà documentée dans des ouvrages de référence. L’ouvrage de Michel Wlassikoff, Histoire du graphisme en France, 1500-2020, Arts décoratifs, UCAD, lui rend hommage.

On connait à Saint-Denis son travail d’affichiste, on reconnaît sa patte entre toutes des années 80 à ses derniers travaux , on connaît moins sa participation aux affiches produites au cours des événements de mai 1968, un travail collectif, réalisé dans l’urgence, sans signataire identifié.

On connaît moins aussi son travail lié à l’apparition des outils numériques, ordinateur Macintosh et palette graphique.

Un ouvrage assez rare intitulé Erreur de système/Système error en rend, en partie, compte comme l’ouvrage assez complet, sans être une monographie, intitulé tout simplement Michel Quarez, édité par Paris Bibliothèques.
Erreur de système/Système error a été édité par Design à la Maison du Livre, de l’Image et du son à Villeurbanne à l’occasion de l’exposition Erreur de système en 1991.
Il est préfacé par Ruedi Baur, graphiste et créateur de police de caractères et sa couverture est signée de Michel Quarez.
Cinq graphistes européens témoignent de leur rapport à l’ordinateur et comment l’apparition de cet outil a modifié, influencé leurs travaux.

Si les intervenants s’attachent à répondre assez longuement aux questions posées on reconnaitra dans la brièveté des réponses de Michel Quarez son caractère tranché, son refus du bavardage qu’il soit écrit ou visuel.

Nous reproduisons ici l’intégralité de l’échange, dès la deuxième réponse le ton est donné.
– Depuis quand travaillez-vous sur ordinateur ?
Une dizaine d’années.
– Comment en avez-vous acquis la maîtrise ?
Je ne maîtrise rien !
– Quelle est votre formation professionnelle ?
Beaux-arts, Arts Déco, peintre affichiste.
– Quelles raisons vous ont conduit à travailler sur ordinateur ?
L’envie.

Et Michel Quarez de poursuivre :
« Je ne suis pas un fondu de l’ordinateur. Peut-être même, m’y suis-je intéressé en 1980 pour miner une approche que je trouve totalitaire. Pour un peintre, c’est le moment du faire où tout se passe.
Trop souvent, l’expression dessinée sur ordinateur est la simple vérification d’un concept. Et dans ce matériau sans résistance, le corps, sueur-sang-sperme, s’incarne peu.
Lisse, froide, glacée, une perfection close gomme les tensions, erreurs, repentirs du work-in-progress, cette corde raide passionnante entre misère et miracle.
Un seul code, celui, photographique, mis au point à la Renaissance, (camera oscura), pour dupliquer le réel. Evacués, Malevitch et les espaces relatifs du cubisme. J’aime les images de simulation des scientifiques. J’y aime le primat de la fonction, la recherche de la dynamique à l’origine des formes.
Mais enfin, mon meilleur ordinateur, c’est moi, et quand je peins, c’est dans mon corps que je cherche la dynamique de mes formes. »

Michel Quarez, novembre 1991.

« C’est dans mon corps que je cherche la dynamique de mes formes. »

Un écho à ce que Maurice Merleau-Ponty notait dans son ouvrage L’œil et l’esprit  :
« Le peintre "apporte son corps", dit Valéry. Et, en effet, on ne voit pas comment un Esprit pourrait peindre. C’est en prêtant son corps au monde que le peintre change le monde en peinture. Pour comprendre ces transsubstantiations, il faut retrouver le corps opérant et actuel, celui qui n’est pas un morceau d’espace, un faisceau de fonctions, qui est un entrelacs de vision et de mouvement. »

Une peinture incarnée, du geste, rétinienne aussi d’abord, et on ne peut qu’être frappé, – bien que le travail diffère totalement – de la même maîtrise formelle, réfléchie, sensible (instinctive in fine au fil du temps ?) de la couleur qu’on trouve théorisée et mis en scène dans les œuvres de Josef Albers.

« Sueur-Sang-Sperme. »
Sentir, jouir. Affirmer la vie. Et pour le peintre, voir d’abord.

« Voir n’est point commun. La vision est la conquête de la vie. On voit toujours plus ou moins comme on est. Le monde est plein d’aveugles aux yeux ouverts sous une taie ; en tout spectacle, c’est leur cornée qu’ils contemplent, et leur taie grise qu’ils saisissent. »
André Suarès, Le voyage du condottière

Il reste 2 jours pour retrouver la vue. C’est à Caen, au Palais Ducal, jusqu’au 26 février.

Dans le portfolio, quelques œuvres qu’on peut admirer au Palais ducal. La première n’y est pas exposée mais elle est d’actualité.
La couverture de Erreur de système/Système error est aussi reproduite.
Signalons à l’occasion de l’exposition au Palais ducal de multiples carnets de dessin de Michel Quarez, tous aussi remarquables les uns que les autres.

Les témoignages en mémoire de Michel Quarez sont à lire sur ce blog ici.

Notre article du 9 décembre 2021.