La situation de l’hôpital public est connue. Elle a été mis dramatiquement en lumière lors de la crise sanitaire du Covid. Système de tarification à l’acte, austérité budgétaire, fermetures de lits et d’établissements de proximité, rémunérations faibles des personnels, corps des médecins dont les rémunérations varient selon l’origine géographique du diplôme, services d’urgences embolisés dans les déserts médicaux, autant d’éléments qui, quatre ans après l’éclatement de la pandémie, ne sont pas réglés.
A cela s’ajoute la crainte, la nécessité de devoir faire face à une situation de crise majeure – tous les scenarii doivent être envisagés, attentats multiples de grande ampleur et de tout type, mouvements de foule occasionnant des centaines de blessés, résurgence ou survenue d’une nouvelle pandémie… – ce qui nécessite de renforcer les équipes, les moyens, ou, entre autres, comme cela est le cas, installer un poste avancé du service d’urgences de l’hôpital Delafontaine à Casanova, à Porte de Paris, au plus près des sites du Stade de France et du centre nautique.
Outre les urgences, ce sont de nombreux services qui voient leurs « objectifs capacitaires » renforcés en comparaison à l’été 2023. Ce sont 73 lits supplémentaires requis dans différents services, des effectifs supplémentaires dans les plateaux techniques et les blocs opératoires et une ligne du SMUR (Service Mobile d’Urgence et de Réanimation) que gère le SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente).
Ces moyens sont bien sûr liée à une enveloppe budgétaire qui a été accordée – à titre exceptionnelle et non reconductible – comme le précise le courrier de l’Agence Régionale de Santé (ARS) au directeur de l’hôpital Delafontaine. Cette enveloppe a aussi pour fonction de pourvoir au versement d’un complément exceptionnel de rémunération dit « prime JOP » annoncée précédemment par un courrier du ministère en date du 30 avril précisant les conditions d’attribution, les montants. Ceux-ci variant fortement de 2500 euros attribués aux médecins à 800 euros pour les agents de catégorie C en passant par 1200 euros pour les agents de catégorie A et 1000 euros pour les agents de catégorie B.
L’attribution et le calcul de la prime soumis à des fluctuations et moins favorable que pour la fonction publique d’Etat.
Une prime forfaitaire pour les hospitaliers selon les catégories professionnelles à comparer avec celle uniforme accordée à d’autres agents, ceux de la fonction publique d’Etat, en l’occurence les fonctionnaires rattachés au ministère de l’intérieur qui bénéficient d’une prime de 1000 à 1900 euros.
Une prime de 1 000 euros versée à tous les agents. Un montant porté à 1 600 euros dans les départements accueillant une épreuve olympique et à 1 900 euros pour les policiers mobilisés en Île-de-France assortie d’une indemnité de 50 euros par nuit (pour les missions de plus de quatre nuits) ainsi que des mesures pour faciliter les gardes d’enfants.
La menace des syndicats de police de manifester sous les fenêtres de Bercy et de perturber les cérémonies avait conduit le premier ministre Gabriel Attal et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, dès le 24 avril, à confirmer aux organisations syndicales le versement de ces primes.
On le voit il s’agit bien d’un traitement différent selon qu’on ressort de la fonction publique hospitalière ou d’Etat. L’Etat cajole plus ou moins ses agents.
La continuité des soins serait-elle moins importante que celle la sécurité publique ? L’implication, le dévouement des soignants particulièrement mis en lumière au moment de la crise sanitaire aurait du conduire les autorités à réviser leur grille d’appréciation en la matière.
Cette différence de traitement a pris un cours particulièrement révélateur puisqu’il fut question un moment d’abandonner des primes différenciées selon les catégories pour y substituer une prime de 23 euros par jour pour tous les agents. Le calcul fut rapidement effectué et à enveloppe constante, à titre d’exemple une infirmière voyait sa prime passer de 1200 euros à 160 euros !
Un tollé général, et le service des urgences vent debout, conduisaient la direction de l’hôpital à réaffirmer que les modalités annoncées dans le courrier initial du 30 avril seraient appliquées.
Dans la même séquence, les syndicats SUD et FO déposaient un préavis de grève afin que les brancardiers initialement exclus puissent avoir droit à la prime. Ce que la direction acceptait.
Quoiqu’il en soit on sait que plusieurs services seront exclus de cette prime comme la maternité, la gériatrie, les soins palliatifs, la pédopsychiatrie et les services administratifs ne dépendant pas des services retenus dans le courrier de l’ARS.
Pour autant, un rapprochement entre le nombre de services évoqués dans le courrier du 22 mai pour percevoir la prime et les « objectifs capacitaires » assignés montre que l’enveloppe accordée par l’ARS est insuffisante. Il manquerait près de 500 000 euros pour couvrir les engagements pris auprès du personnel. Il va donc falloir abonder cet enveloppe sous-dotée à l’image du budget général accordé à l’hôpital Delafontaine lui aussi sous-doté puisqu’à l’issue de l’année 2023 le déficit avoisine les 20 millions d’euros. Situation que connaissent beaucoup d’établissements puisque les trente-deux centres hospitaliers universitaires (CHU) français atteignent un déficit cumulé de 1,2 milliard d’euros pour la même période, trois fois supérieur à 2022.
Continuité des soins et accès des agents à l’hôpital Delafontaine
Dans un article du Monde en date du 12 juillet sous la signature de Camille Stromboni intitulé « Santé : avec les Jeux olympiques, l’offre de soins en Ile-de-France sous les projecteurs » la direction de l’ARS interrogée sur la continuité des soins se voulait rassurante et déclarait à propos des patients : « Certains devront prendre un QR code, nous avons bien conscience que cela va générer un inconfort, avec un possible allongement des temps de trajet, mais tous les hôpitaux resteront accessibles ».
Avec l’impossibilité d’emprunter la sortie numéro 3 de l’autoroute A1 dans le sens Province-Paris qui est une voie réservée JO on se demande si cette déclaration ne s’applique pas en fait déjà aux soignants, aux agents de l’hôpital Delafontaine qui depuis sont en difficulté pour rejoindre leur lieu de travail.
Temps de parcours allongé, fatigue accrue, difficulté du relais entre les équipes, dépense supplémentaire, autant d’élément qui sans remettre en question la continuité des soins participent de la dégradation des conditions de travail et d’exercice des soignants.
Les réseaux sociaux s’en sont fait l’écho, la presse aussi dont Le Parisien. Selon nos informations, la direction de l’hôpital n’en n’était pas informée et a fait part de son mécontentement.
L’Etat doit revenir à la raison.
Selon nos informations c’est à fin avril que la décision de qualifier cette sortie de voie réservée aux JO a été prise lors d’une réunion sous l’égide du préfet de Seine-Saint-Denis, Jacques Witkowski et du préfet Serge Boulanger, qui en responsabilité opérationnelle – au titre de secrétaire général de la zone de défense de Paris – veille sur la sûreté des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour Paris et sa proximité.
Une décision qui a pour but de faciliter la sortie de l’autoroute des navettes estampillées JO mais… au détriment des usagers et des agents de Delafontaine – une majorité d’entre eux viennent du nord (Val d’Oise, Oise, département du 77…) et cela sur une longue période puisqu’elle s’étend sans interruption du 15 juillet au 9 septembre.
Les syndicats ont interpellé le ministère de la fonction publique sur le sujet. Au vu de la profusion des moyens utilisés pour les JO, il sera difficile de comprendre que l’Etat ne puisse rapidement revoir cette décision qui pénalise ceux qui sont en première ligne pour assurer leur mission de service public et la continuité des soins dans les meilleures conditions.
Les plus technophiles avanceront le recours à l’identification des plaques minéralogiques. Les plus pragmatiques l’annulation sur justificatif d’amendes (indues) infligées aux agents de Delafontaine.
A trois jours de la cérémonie d’ouverture, il n’est pas trop tard pour revenir à la raison.
A l’heure où nous publions, ce mardi 23 juillet à 17h, à en croire sa page Facebook, le président du conseil de surveillance de l’hôpital Delafontaine, Mathieu Hanotin, semble plutôt mobilisé par la présence de Snoop Dogg comme porteur de la flamme olympique à Saint-Denis que du sort des agents de Delafontaine.
Article actualisé mercredi 24 juillet à 9 h. Dans un article de Mediapart sous la plume de Névil Gagnepain, Mathias Wargon qui dirige le service des urgences de l’hôpital précise ses craintes concernant l’impact possible des manifestations liées au JO et y exprime son agacement : « Notre principale inquiétude, c’est surtout les grosses célébrations, les fêtes, l’alcool. Au parc Georges-Valbon, il va y avoir des concerts avec 10 000 personnes. À la Maltournée, à Saint-Denis, il y aura une scène avec une capacité de 3 000 personnes également. Et ça, je l’apprends au dernier moment, ce n’est pas normal. »