« Comment peut-on imaginer imposer des hausses mensuelles de charges de 50, 100, 150, 200 euros sans casse ? ».

, par Michel Ribay

Mercredi 9 février près de 150 personnes manifestaient à 17 H30 devant le siège de Plaine Commune Habitat (PCH) contre les hausses de loyer et les appels de charges dont ils ont pris connaissance à la réception de leur dernière quittance. Ils répondaient à l’appel lancé par le DAL (Droit au Logement), le collectif des habitants de Franc Moisin et la CNL (Confédération Nationale du Logement). Le soir même un conseil d’administration de PCH se réunissait. Les associations de locataires ont obtenu d’être reçus par la direction lundi 14 février.
Entretien avec Jean-Marc Bourquin, locataire de PCH et représentant du DAL au Conseil d’administration de PCH.

Qu’est-ce qui motive la mobilisation des locataires ?
La régularisation des charges se fait normalement en fin du 2ème trimestre. Mais le bailleur, prévoyant la hausse du coût de l’énergie et son impact sur les charges des locataires, a anticipé le calcul du niveau des provisions appelées. Il espère ainsi amortir le choc auprès des locataires. Il y arrive partiellement. La moitié des cités n’ont pas de modification du niveau des provisions. Par contre l’autre moitié est confrontée à des hausses qui peuvent aller jusqu’à 150 %. Des locataires découvrent leurs quittances avec 50, 80, 100, 200 euros de hausses mensuelles. Insupportable, alors que les prix sont repartis à la hausse (2,9% pour 2021) au contraire des revenus qui ne suivent pas.
Une hausse en cache une autre. Le même mois s’applique la hausse des loyers de 1,5 % pour l’année 2022. Le niveau de cette augmentation est imposé par la convention signée par le bailleur avec la CGLLS (Caisse de Garantie du Logement Locatif Social), organisme d’Etat qui est là pour aider financièrement ceux qui sont dans le rouge. Les ponctions du gouvernement sur les fonds propres des bailleurs en ont mis plus d’un en difficulté. PCH entre autres est obligé d’en passer par là. Le soutien de la CGLLS n’est pas sans contreparties. PCH s’est engagé à augmenter ses loyers de 1,5% par an jusqu’en 2025. Mine de rien sur un loyer de 500 euros, ça donne 530 euros au bout de 5 ans. Ce n’est pas rien. Déjà les réactions étaient négatives quand l’annonce des 1,5% a été votée mais avec la hausse des provisions de charges là, c’est le coup de grâce.

Au-delà du communiqué commun du Dal, de la CNL et du Collectif d’habitants du Franc Moisin, l’ensemble des associations de locataires sur la ville et de collectifs liés à la question du logement semble en voie de se rassembler avec les mêmes exigences. Est-ce nouveau ?
Oui et c’est une première. En général chaque association défend son pré carré contre les autres associations pour le plus grand plaisir du bailleur qui compte les points. Le choc subi et la réaction des locataires est suffisamment importante cette fois-ci pour permettre cette unité. C’est d’autant plus remarquable qu’on est dans une année électorale puisque se tiendra en décembre l’élection des représentants de locataires.

Ces hausses concernent-elles l’ensemble des bailleurs présents sur le territoire ?
Tous les bailleurs sont touchés. Par les ponctions de l’Etat, par les hausses des coûts de l’énergie. Après les bailleurs n’ont pas la même politique de gestion tant sur le plan financier que sur le plan social. Cela peut aller de l’absence de réaction du bailleur, ce qui va se conclure par la présentation brutale de la facture aux locataires, à une anticipation sur les provisions, ce que fait PCH, pour amortir le choc. L’intervention des bailleurs en direction du Gouvernement est des plus faible. Globalement ils se contentent de reporter les hausses sur les locataires.

Comment organisez-vous la coordination entre les locataires de différents bailleurs ? PCH, Logirep, Antin ou d’autres ?
Il n’y a pas de coordination entre les locataires des différents bailleurs et sur ce plan tout reste à faire. Elle ne se fait pour le moment qu’à l’intérieur des associations nationales. C’est une question décisive si les locataires veulent sérieusement peser sur les choix qui sont faits.

Il y a d’énormes variations quant à l’évolution des charges estimées entre différents sites du patrimoine de PCH ? A quoi cela est-il dû ? Avez-vous des éléments de réponse de la part de PCH ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette interrogation, PCH doit donner plus d’explications sur les documents transmis aux associations jeudi dernier. Le bailleur joue sur les provisions de charges générales, d’eau, de chauffage… il peut baisser les provisions de charges générales pour compenser les hausses de provisions sur le chauffage. De plus toutes les cités ne sont pas chauffées de la même façon (gaz ou pas) et les contrats d’énergie peuvent être passés à des moments et à des conditions différentes. La Courneuve a acheté du gaz garanti à un prix constant pour 3 ans par exemple. Enfin si les provisions sur un site étaient déjà élevées elles peuvent suffire à compenser la hausse aujourd’hui, mais tôt ou tard elle sera sensible et se traduira par le non remboursement de l’excédent des versements sur lequel de nombreux locataires comptent avant les vacances.

Une grande partie du patrimoine de PCH est relié au réseau de chaleur du territoire, le Smirec (Syndicat mixte des réseaux d’énergie calorifique). En tant que représentant de locataires et à ce titre membre du Smirec quelles sont les mesures que celui-ci a pris pour faire face aux augmentations prévisibles et connues depuis le début du dernier trimestre de l’année 2020 ?
Le Smirec n’a pas pris de mesures particulières pour amortir la hausse. Je ne sais pas s’il peut faire quelque chose en dehors de gérer le réseau de chaleur. On a été alerté sur les hausses à venir en décembre 2021. Ils ont fait état d’une alerte de la FNCCR (Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies) faite en janvier 2022 sur la crise de l’énergie et d’un courrier d’Amorce (l’association nationale des collectivités, des associations et des entreprises pour la gestion des réseaux de chaleur, de l’énergie, et des déchets) à la ministre de la transition écologique. Problème le courrier en question n’était pas envoyé à la date du 8 février 2022. Le bailleur s’est adressé aussi à l’AORIF (L’association régionale Hlm Ile-de-France) pour qu’une stratégie commune soit élaborée entre les bailleurs. Bref bien peu de chose face au coup de massue que reçoive les locataires avec leur quittance.

Le communiqué du Dal, de la CNL et du Collectif d’habitants du Franc Moisin évoque des augmentations de provisions de charges allant jusqu’à 250 euros mensuels. Combien de foyers sont concernés ?
D’après le tableau présenté par PCH aux associations de locataires il apparait que la moitié des sites du bailleur sont concernés par des hausses des provisions, essentiellement sur le chauffage et l’eau chaude. Franc Moisin 91%, Marcel Cachin 84%, ZAC Bel Air 153% pour ne citer que les plus fortes hausses de provisions annoncées. Le bailleur ne nous a pas communiqué de valeurs absolues ce qui rend difficile la vision d’ensemble. En tous les retours que nous avons témoignent de la stupeur, de l’angoisse, de la colère qu’a généré la réception du courrier du bailleur. Les agences ont été submergées de coup de téléphone et de demande de rendez-vous. La mobilisation débute donc et elle va grossir.

Ne risque-t-on pas d’assister à un effondrement économique de ménages déjà en très grande fragilité qui va les conduire à des arbitrages financiers impossibles ? Concernant PCH, en tant que membre du CA de PCH, les difficultés à venir ont-elles été discutées au CA, des mesures spécifiques envisagées ?
La vision d’ensemble est difficile, mais c’est clair que beaucoup de locataires sont touchés. Après la crise sanitaire et la crise sociale qui l’a suivi voici venu la crise de la reprise. Les salaires n’augmentent pas et les augmentations s’affolent. Comment peut-on imaginer imposer des hausses mensuelles de charges de 50, 100, 150, 200 euros sans casse ? J’ai vu une locataire qui avait une hausse de ses provisions mensuelles de plus de 100 euros alors qu’elle a déjà un plan d’apurement de sa dette d’eau de 50 euros ! Cette situation tend à se généraliser.
Suite au Covid, le bailleur a été contraint de mettre en place un plan d’aide aux locataires de 200 000 euros. Aujourd’hui le bailleur doit apporter des réponses qui aident les locataires et non pas qui les enfoncent. Et même si c’est une question nationale il doit répondre à la demande de blocage du prix des charges et des loyers. Hier il y avait 150 personnes devant le siège du bailleur, ce qui est tout à fait exceptionnel. La manifestation n’est pas une habitude et il faut que la colère soit grande pour un tel résultat. Le bailleur a proposé de recevoir une délégation. Elle sera reçue lundi 14 février à 17h30. Mais la mobilisation ne fait que commencer.
Le Conseil d’administration de PCH qui s’est tenu au même moment n’a pas jugé bon de modifier son ordre du jour qui était consacré à la nomination du nouveau directeur général. La mobilisation doit s’amplifier, s’étendre à tout PCH mais aussi gagner les autres bailleurs qui n’échapperont pas aux fortes hausses de l’énergie et à ses conséquences pour leurs locataires. Cette bataille fait partie intégrante de celle plus générale sur le pouvoir d’achat.

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