Alors que le confinement a nui aux élèves des milieux défavorisés et que les inégalités scolaires se sont creusées entre les élèves relevant de l’Éducation prioritaire et les autres, aucun plan d’envergure n’est proposé pour la rentrée : le non-remplacement des enseignants reste entier, les contractuels sont surreprésentés, et aucun moyen supplémentaire n’est à l’ordre du jour.
Des collégiens ayant manqué des dizaines d’heures de cours dans des disciplines fondamentales ; des élèves de primaire restés sans enseignant pendant plusieurs semaines consécutives ; des élèves de CP privés du bénéfice des classes dédoublées ; des élèves de maternelle ayant vu défiler jusqu’à dix remplaçants dans l’année et qui se rendent le matin à l’école la boule au ventre (1)… L’année scolaire qui s’achève en Seine-Saint-Denis a été particulièrement chaotique du fait de l’incapacité de l’Etat à assurer de manière efficace le remplacement des enseignants absents. Ici, l’Etat a rajouté de la discontinuité dans la scolarité d’élèves déjà fortement impactées par la crise sanitaire.
Dès l’été, les associations de parents d’élèves et les syndicats d’enseignants avaient pourtant anticipé la gravité de la situation à venir. Nous-même – sociologues et parents d’élèves – avions contribué à alerter, dans une tribune publiée mi-novembre, sur le sous-calibrage des moyens alloués pour faire face aux effets de la crise sanitaire. Nous dénoncions alors le fait que, chaque jour, plusieurs centaines d’élèves de Saint-Denis se retrouvaient privés de remplaçants, contraints d’être dispatchés dans des classes de tous niveaux, ou tout simplement invités à rester chez eux.
En off, le recteur de l’Académie de Créteil n’avait pas manqué de nous manifester son mécontentement de voir paraître une telle tribune. « C’est ce genre de papier qui nourrit la peur des parents de scolariser leurs enfants dans le public et qui les jette dans les bras du privé… », nous avait-il expliqué en substance, tentant un acrobatique retournement de responsabilités.
Il faut dire que le recteur est enclin à cacher la misère sous le tapis… Les chiffres des absences non remplacées dans le 93 ne sont jamais ébruités. A défaut d’accéder facilement à ces données sensibles, la FCPE 93 demande chaque semaine aux parents d’élèves de son réseau de remplir des formulaires destinés à faire remonter au recteur les chiffres des absences non remplacées…
Une situation ubuesque !
Cacher la misère sous le tapis
Face à la catastrophe annoncée, le recteur a bien recruté en urgence quelques centaines de contractuels au cours de l’année, mais on n’écope pas un bateau qui prend l’eau depuis plusieurs années avec une grosse cuillère… En effet, le problème des absences non remplacées n’est pas né avec la crise sanitaire : il est ancien et structurel. Dès 2014, les associations et collectifs de parents d’élèves en ont fait une cause prioritaire, estimant qu’un enfant scolarisé en Seine-Saint-Denis perd tout au long de sa scolarité l’équivalent d’un an de scolarité. En 2018, le rapport d’information des parlementaires Cornut-Gentille et Kokouendo a fustigé à son tour l’exclusion scolaire vécue par les élèves de notre territoire du fait du non-remplacement des enseignants. Les auteurs indiquaient par exemple que le taux de suppléance dans le 1er degré, était alors à peine au-dessus des 50 %, quand il était à presque à 80 % en moyenne dans l’Hexagone.
Dans le contexte de la crise sanitaire, un nouveau cap a été franchi. A Saint-Denis, Épinay ou encore Romainville, dans un certain nombre d’écoles, ce sont des animateurs de centre de loisirs qui prennent désormais en charge les classes en cas d’absence des enseignants. Si l’Education nationale parle d’un dispositif « exceptionnel », rien ne garantit que le recours aux animateurs ne soit pas reconduit hors contexte de crise.
Les carences de l’État dans le 93 et, plus largement, dans l’académie de Créteil, ne se bornent évidemment pas à la question du non-remplacement des enseignants : les contractuels, soit des enseignants en CDD non formés au métier, y sont surreprésentés ; les personnels essentiels que constituent les médecins, infirmières, psychologues scolaires y font cruellement défaut ; enfin, plusieurs centaines d’AESH manquent à l’appel pour accompagner les enfants en situation de handicap.
Une dépense éducative moindre en Seine-Saint-Denis
Que prévoit l’Etat pour la rentrée 2021-2022 dans le 93 ? Aucun plan d’envergure permettant de régler le problème du non-remplacement des enseignants et de garantir aux élèves une certaine continuité. Aucun plan inédit pour faire face aux conséquences éducatives de la crise sanitaire dans notre département. Pourtant, comme le montrent les enquêtes de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), le confinement a nui aux élèves des milieux défavorisés et les inégalités scolaires se sont creusées entre les élèves relevant de l’Éducation prioritaire et les autres. Les mesures de dédoublement des effectifs dans les petites classes, qui avaient été décidées avant la crise, risquent de ne pas porter leurs fruits dans un contexte aussi dégradé.
Le simple rattrapage des moyens alloués aux élèves de notre territoire n’est pas non plus à l’ordre du jour car, rappelons-le, la dépense éducative par élève y est moindre que dans des départements où la population est plus aisée.
Fermeture des classes
En revanche, l’Éducation nationale ferme de très nombreuses classes (environ 270) poursuivant sa politique de gestion comptable. On se rappelle que l’année dernière, le ministre Jean-Michel Blanquer, en bon élève du gouvernement, avait préféré rendre 200 millions d’euros (l’équivalent de plus de 4 000 postes d’enseignants) à Bercy plutôt que renforcer les moyens de l’Éducation dans un contexte de crise sanitaire.
A Saint-Denis, qui accueille sur son territoire l’école publique de la Légion d’honneur, l’inégal traitement des enfants de la République est criant. A quelques mètres d’écart, une école qui offre le meilleur à quelques-uns, et des conditions de scolarisation inacceptables au plus grand nombre.