Entre les départs d’enseignes nationales, de commerçants sédentaires et d’abonnés de la halle, le déplacement du marché, le recul du chiffre d’affaires, le règlement du marché non respecté, une concurrence déloyale et la suppression d’arrêts de bus en centre-ville, où va le commerce dionysien ?

, par Michel Ribay

Voté au conseil municipal le 19 mai 2022, sans les voix de l’opposition municipale, effectif depuis le 6 septembre 2022, le déplacement du marché de la place Jean Jaurès sur la place du 8 Mai 1945 n’a toujours pas convaincu de sa pertinence commerciale les 87 commerçants qui ont été contraints de s’y installer. Que ce soient les commerçants sédentaires, les abonnés de la halle, de son pourtour, de la place du 8 mai 1945 ou les volants, toutes les familles du commerce dionysien traversent une mauvaise passe qui perdure après la crise du Covid, et pour certains s’amplifie. Tour d’horizon.

Si la Coupe du monde de rugby a pu faire quelque commerçants heureux dans le périmètre du village Rugby où la bière coulant à flots a généré de substantielles rentrées financières, les commerçants exerçant des activités autres que les commerces de bouches et café-restaurants ont beaucoup souffert de la transformation de l’hyper-centre en village dédié aux amateurs du ballon ovale.

Inaccessible certains jours car saturé de supporters, interdit aux promeneurs avec de très jeunes enfants, les poussettes pas plus que les vélos n’étant acceptés dans le périmètre, contraignant de nombreux dionysiens à contourner le village que ce soit pour leurs achats du quotidien ou accéder aux transports, l’hyperactivité artificielle et éphémère du village ne témoigne en rien d’un dynamisme commercial dionysien qui s’étiole.

De multiples fermetures, quelques nouveautés et des commerces fragilisés, précédés… d’une annonce farfelue de l’adjoint au commerce

La situation générale n’incite pas en effet à l’optimisme au vu de ces derniers mois : fermeture d’un fromager rue Gabriel Péri, du Gifi rue de la République, de Marionnaud rue Catulienne, départ d’Hippopotamus Porte de Paris, à cela s’ajoute la perte significative de chiffres d’affaires de commerçants de la rue de la République privés du flux venant de la gare qui se dirigeait vers la place Jean Jaurès, perte durement ressentie sur la portion de la rue allant du croisement des Quatre rues à la Basilique, sans parler de l’activité commerciale exsangue de ceux qui jouxtent la place Jean Jaurès en travaux ou la fermeture récente de Sergent Major toujours au Quatre rues.

Rien de notable non plus dans la galerie commerciale du centre Basilique ou dans la galerie Rosalie. Nombreux rideaux baissés, turn over important entre ouvertures et disparitions.

On note l’ouverture d’une boucherie traditionnelle, Les Barbaresques, rue Gisquet ; Green Market prolonge sa présence au sein de la halle avec un espace place du Caquet où s’est implanté depuis plusieurs années Bao.

Projet initié sous la précédente mandature, la charcuterie, dite traditionelle, Lantier, – où l’on peut y trouver du poisson congelé –, vient d’être récemment inaugurée par le maire et son adjoint au commerce, Rabia Berraï. Le même adjoint annonçait dans la presse en septembre 2022 l’ouverture du marché le mercredi à partir d’octobre 2022 et cela sans tirer les leçons de l’ouverture de la halle le samedi qu’avait tenté son prédécesseur au commerce, Bertrand Revol, et qui s’est révélée très vite un échec.

« Le futur marché se tiendra sur la halle, son pourtour et la place du 8 mai 1945. En pratique, le déplacement concerne 83 commerçants non alimentaires, dix commerçants alimentaires et 58 commerçants non alimentaires du pourtour de la halle à qui il est proposé d’intégrer la place temporairement jusqu’à la fin des travaux. Un marché supplémentaire pourra se tenir le mercredi à partir d’octobre » déclarait l’adjoint au commerce à actu.fr le 20 mai 2022.

Une telle déclaration témoignait d’un optimisme sans limite ou d’un amateurisme confondant. Les deux se nourrissant sans doute l’un l’autre. Déséquilibrer un marché existant en proposant une ouverture fantomatique, fallait le faire. Quoi depuis ?

Un contexte ancien et une situation difficile aggravée par des décisions du Maire

La situation compliquée du commerce dionysien ne date pas plus d’hier qu’elle ne daterait de l’arrivée d’une nouvelle équipe à la tête de la ville en juin 2020.
Obstacles multiples, difficultés récurrentes ou passagères, porte-monnaie des consommateurs moins épais, accès au crédit plus difficile pour des candidats, ce n’est pas avec de grandes intentions (la ville apaisée, équilibrée ou des yakas) qu’on peut avancer.
Personne ne peut, d’un claquement de doigt, s’affranchir de la difficulté pour la collectivité à agir dans un secteur que régit le droit privé. La Foncière commerce créée à cet effet par la précédente municipalité vient d’acquérir 5 cellules commerciales (2700 m2). Reste à les faire vivre dans la durée et déjà en premier lieu trouver des candidats à leur exploitation.

Le commerce faut-il le rappeler procède avant tout de la rencontre – toujours fragile – et souvent concurrentielle d’une offre et d’une attente, d’un prix et des moyens pour y répondre, d’une adéquation entre l’offre et la demande, d’une clientèle et de ses besojns, tout aussi satisfaite et fidèle qu’elle peut être versatile et disparaitre.

Pour autant des choix politiques peuvent freiner la perte de diversité commerciale, l’accélérer, déséquilibrer des situations déjà fragiles, modifier des équilibres incertains voire mettre en péril des activités.

Des locomotives commerciales interagissent entre elles, le marché, Carrefour, la galerie commerciale sont fortement liés. Le devenir de l’un affecte celui de ses voisins. La modification significative du flux des consommateurs n’est pas sans conséquence tout comme une rupture de continuité d’un même espace contigüe « le marché de Saint-Denis » (sa halle, son pourtour et la place Jean Jaurès) ou la disparition d’un accès direct à cet espace comme la suppression des arrêts de bus en centre ville des lignes 153, 253 et 239.

C’est dans ce contexte que le Blog de Saint-Denis a souhaité rencontrer divers acteurs du commerce dionysien et rendre compte de leur situation dans une série d’articles.

Outre les fermetures de commerces évoquées, le fait majeur de l’année écoulée est bien la disparition du marché Place Jean Jaurès. C’est donc par là que nous allons commencer tout en parlant de la situation générale que connait la halle, son pourtour et le devenir de l’activité déplacée place du 8 mai 1945.

Des augmentations imposées au plus mauvais moment pour les commerçants dont certains ont déjà jeté l’éponge et des engagement de la municipalité et du Maire non tenus

Pour les commerçants de la place du 8 mai 1945, après un an d’activité le diagnostic sur l’activité commerciale sort de la bouche de l’un d’entre eux, propos que partage le président du syndicat du marché, Mourad Mekhloufi, « Ça n’a pas pris, ça ne prendra jamais ”. Contrairement aux propos du maire qui pariait sur le temps, sur de nouvelles habitudes qui pourraient se créer et rendraient viables l’activité du marché place du 8 mai 1945, il va falloir convaincre ceux qui y exercent et qui font le constat inverse.

Pour certains c’est déjà fini. Sur 87 commerçants déplacés le 6 septembre 2022, 10 ont déjà jeté l’éponge et au fil du temps ne déballent plus. Certains peu de temps après le déménagement, d’autres plus récemment. Sept abonnés non alimentaires et 3 abonnés alimentaires ont donc renoncé au vu de l’effondrement de leur chiffres d’affaires. Trois autres sont en réflexion et pourraient rejoindre les partants.

Au recul significatif du chiffre d’affaires est venue se greffer l’augmentation substantielle du droit de place décidé par la majorité municipale et appliquée dès mai 2023. Après la séquence Covid et le déplacement, c’est en pleine période d’explosion de l’inflation que la puissance publique impose une augmentation. Le moment n’est-il pas le plus mal choisi ?

N’est-ce pas là une mesure tout à fait inopportune alors que l’activité commerciale a au contraire besoin d’être confortée ?

C’est en tout cas la conviction de ceux qui ont vu passer leur droit de 280 euros à 360 euros sur la place Jean Jaurès, pour d’autres sur le pourtour de 260 à 340 euros ou 360, d’autres pour de plus petits stands ont vu l’augmentation plus que doublée, certains, au sein de la halle, voyant leur prix passer de 460 à 580 euros tout en constatant une baisse de 40 euros pour un autre.

On se demande à la vue de ces éléments quels sont les critères qui président aux augmentations ? L’application d’une tarification au mètre linéaire était présentée comme plus simple et plus lisible. Ça ne semble pas être le cas au vu des questions que les commerçants se posent.

Quoi qu’ils en soient, les commerçants soulignent que dans d’autres collectivités, suite à un déplacement de leurs activités, les droits de place avaient été suspendus pendant une période. Allez comprendre…

Conforter l’activité nécessiterait aussi de respecter d’autres engagements.

L’adjoint au commerce, Rabia Berraï s’était engagé en juin à mettre par écrit les quelques aménagements réclamés par le syndicat, engagement réitéré par lui-même et d’autres élus en visite sur le marché à la rentrée n’a toujours pas été rempli au moment où nous publions.

Pourtant les commerçants avaient fait une concession de taille puisque ils étaient prêt à renoncer au recours devant le tribunal administratif qu’ils ont engagé, contestant le déménagement, en contrepartie d’une réponse positive à leurs propositions d’améliorations pour leur activité sur la place du 8 mai 1945.

Le maire lui-même, avait pourtant indiqué que tant que le recours était maintenu rien n’était possible. Depuis ce geste du syndicat, c’est silence radio du côte de la municipalité.

Comment qualifier cette politique qui entre annonce farfelue, engagement non tenu et politique de l’autruche sur des dysfonctionnements contraires au règlement du marché ? C’est tout à la fois de la navigation à vue, associée à des coups de pression, le tout teinté d’un peu de mépris permanent.

L’engagement du maire lors du conseil d’avril 2023 de livrer un bilan du déménagement place Jean Jaurès à la rentrée, soit en septembre 2023, n’est toujours pas tenu et n’est pas à l’ordre du jour du conseil du 23 novembre.

Y a t-il une politique commerciale construite, lisible, cohérente, discutée, partagée en direction des commerçants ? Il est permis d’en douter.

Le règlement intérieur du marché transgressé… bien qu’alertée la municipalité regarde ailleurs

Concernant l’activité du marché un règlement intérieur existe. Il proscrit la sous-location des emplacements et fixe très précisément ce que chaque contractant a la permission de vendre. Pour faire simple, un volailler doit vendre de la volaille et non en sus de la viande, produit réservé au boucher qui lui-même doit exclure de son stand la triperie réservée au tripier et ainsi de suite. De la même manière on distingue les fruits exotiques des fruits et légumes traditionnels tout en laissant de la place à ceux qui se feront une spécialité de la vente d’herbes aromatiques.

Ce principe général s’applique aussi aux familles de produits non alimentaires afin d’éviter la loi de la jungle, le bazar généralisé ou chacun vendrait ce que bon lui semble.

Logique. Simple. Chacun constatera que ce principe est transgressé. Pas sûr que cela soit favorable au client, en tout cas cela pénalise en premier lieu les commerçants qui respectent cette règle. Les placiers sous l’autorité du régisseur ont ainsi la possibilité de faire retirer un article vendu non conforme à la famille de produits autorisés.

Malgré les alertes du syndicat des commerçants du marché sur cette transgression des règles, rien n’est entrepris pour la stopper. L’équipe de Mathieu Hanotin et le maire lui-même n’ont pourtant pas été avares de propos concernant le laxisme, le laisser-aller attribués à leurs prédécesseurs…

Le phénomène de la sous-location, très ancien, a pris lui aussi de l’ampleur, bien identifié et assez facilement identifiable car très présent dans une famille de produits, il concerne une vingtaine de stands alimentaires et non alimentaires, cela non plus ne fait pas l’objet d’un coup d’arrêt.

« Vous n‘avez qu’à aller à Stains, il est très bien le marché de Stains » dixit la première adjointe, Katy Bontinck.

On assiste en fait ces derniers mois à un double mouvement, celui qui a consisté à supprimer un organisme paritaire (réunissant commerçants et municipalité) chargé de réguler l’activité du marché pour concentrer tous les pouvoirs entre les mains du maire et dans le même temps une sorte de démission de la puissance publique, pire, comme le souligne un commerçant : « Des commerçants livrés à eux-mêmes et des règles, que la municipalité a édictées et qu’elle ne fait pas respecter ».

Dans ce contexte certains commerçants, heureusement très minoritaires, se prêtent y compris à vanter leurs produits présentés comme issus d’une filière qui leur est étrangère. Tromperie sur la marchandise, publicité mensongère, concurrence déloyale…

Tout cela ne peut que désespérer ceux qui respectent les règles. Un désespoir, un ras le bol qui peut et pourrait conduire certains à renoncer à poursuivre.

Cela est très inquiétant. Rien ne semble être entrepris pour redresser la barre.

On annonce en tout cas et pour des raisons diverses le départ de la halle d’un charcutier, d’un tripier (déjà effectif), d’un boucher et à terme du seul fromager en place désirant partir en retraite et en attente d’un repreneur…

Les échanges entre la municipalité, le maire lui-même et les habitants lors des réunions de quartiers qui ont suivi la suppression des arrêts de bus ne sont pas plus rassurantes pour la suite. La locomotive commerciale qu’est le marché est rentrée dans une période mouvementée. Pour en sortir cela demande une vision claire et un objectif : celui du redressement.

Les propos tenus par la première adjointe, Katy Bontinck, en réponse à un habitant se plaignant de ne pouvoir rejoindre en bus le centre ville sont peu rassurants pour le commerce dionysien : « Vous n‘avez qu’à aller à Stains, il est très bien le marché de Stains ».

Est-ce avec cet état d’esprit que pourront émerger les voies d’un début de renaissance du commerce dionysien.

A moins, comme le soulignait un commerçant, que tout ceci ne participe du projet du Maire qui consiste à modifier la composition sociologique de la population dionysienne.

Pour ce commerçant, il n’y a que deux solutions pour y parvenir : la hausse continue des prix du logement contraignant les plus modestes à s’éloigner – la tendance est en cours et c’est à la demande du Maire que les prix de vente ont explosé sur le village olympique – ou ne plus offrir aux plus modestes l’accès à des produits en rapport avec leurs revenus, chasser, faire disparaitre d’une manière ou d’une autre certains commerces – (déplacer une partie du marché ,) – participeraient donc de ce projet.

La conjonction de ces deux aspects plus les difficultés d’accès des quartiers excentrés au centre-ville auraient un effet démultiplicateur.

On ne prêtera pas tant de "machiavélisme" à l’équipe en place mais cette lecture n’est pas dénuée de tout fondement.

Rien n’a remplacé la braderie annuelle se déroulant en centre-ville. Beaucoup de critiques étaient fondées à son égard. La disparition – déjà ancienne – de "la brocante du jeudi", rendez-vous de chineurs, qui connaissait un certain succès et se déroulait place Jean-Jaurès pourrait-elle revenir place du 8 mai 1945 ? En tout état de cause, si les animations commerciales de la MCA ne faisaient pas l’unanimité, rien, absolument rien, n’est venu les remplacer.

Hors du centre-ville, notons au passage que l’ouverture d’un commerce au cœur du quartier Pleyel se fait toujours attendre. La coque commerciale adressée sur Anatole France et le boulevard de la Libération est livrée depuis maintenant plus de trois ans et un véritable imbroglio technico-juridique repousse aux calendes grecques l’ouverture d’un supermarché d’une enseigne nationale candidate et engagée. Un article du Parisien, daté du 10 août 2022, est encore placardé en devanture du futur "Intermarché" et annonçait une "réunion décisive" pour la fin du même mois à l’initiative de la ville.

Alors, pour sortir de ces sombres perspectives la municipalité doit répondre à une question et tirer un premier bilan sans complaisance de son action : quelle est la stratégie qu’elle entend mettre en œuvre pour échapper à cette spirale – accélérée – du déclin du commerce dionysien et reconnaitre que ses propres décisions y contribuent ?

Cela devient urgent.