Epilogue pour le « service public municipal de cinéma ». L’Association L’Ecran sauve le cinéma d’Art et d’Essai. L’équipe actuelle continue de faire vivre L’Ecran

, par Michel Ribay

Le prochain conseil municipal du 8 juin devrait adopter une délibération qui confie, dans le cadre d’une délégation de service public, l’exploitation de L’Ecran à… l’association L’Écran qui avait fait acte de candidature au moment de l’appel d’offres. Forte de son expérience fondée sur le travail d’une équipe, de son expertise des enjeux du secteur et des liens tissés avec d’autres acteurs culturels du territoire, elle était d’emblée en capacité de faire la différence avec d’autres potentiels postulants. Potentiels, car aucun autre candidat n’a voulu tenter l’aventure culturelle d’une activité qui ne rime pas avec rentabilité.

Voilà donc l’épilogue de cette affaire. Annoncée en octobre dernier, la volonté de la municipalité de prendre la main sur le cinéma L’Ecran, – après le lancement d’un appel d’offres débattu en décembre au conseil municipal –, se conclue par la reconduction de l’équipe en place. Face au cahier des charges de la municipalité, dont certains attendus et pré-requis implicites ou explicites ne manquaient pas d’inquiéter les usagers et la présidente, l’association L’Ecran a su dans ce contexte par ses propositions sauver l’essentiel.

L’essentiel. En recul par rapport au nombre de films classés Art et Essai dépassant 80% dans ses dernières programmations, L’Ecran programmera un minimum de 70% de films classés Art et Essai. La programmation en version originale restera la règle. Les labels sont préservés.

Face à la pression, il a fallu lâcher un peu de lest. La municipalité mue essentiellement par sa volonté de réduire son engagement financier de soutien à L’Ecran s’entête dès le début à imposer des pistes de nouvelles recettes pour L’Ecran. Le combo snacking/Pop corn ET écrans publicitaires a les faveurs du Maire et de son équipe bien que les professionnels de la profession, comme pourrait dire le regretté Jean-Luc Godard, ont depuis longtemps expliqué que ce genre de recettes outre qu’elles sont totalement marginales sinon ridicules – nous ne sommes pas dans un multiplex à 6 salles – marque une forme de rupture avec l’esprit initial, le souffle et les braises qui animent L’Ecran depuis ses débuts.

Il y aura donc aussi une offre de restauration à L’Ecran, l’association L’Ecran y pourvoiera via un partenaire. Lot de consolation, elle sera de qualité et on l’espère cantonnée à l’accueil.

Disons-le tout de suite, les bruits de succion d’esquimaux glacés, le crunch-crunch des cornets ou autres bruits transformant ce lieu de transports collectifs – le cinéma, Jean-Luc encore – en salon, comme à la maison, fera fuir les cinéphiles qui n’ont envie ni de supporter les miettes et taches éventuelles sur les fauteuils ni l’altération de la bande son.

Le crunch crunch ou le crissement du packaging aluminium/plastique au moment où les doigts plongent dans le sachet pour saisir friandises sucrés ou salés est incompatible avec le cinéma. Que ce soit avec L’avventura, Les Affranchis (à revoir le 7 juin), Shining (le 9) ou Interstellar (le 10). Ni même avec La Grande Bouffe !

Il fallait le dire. C’est fait.

Quant à la publicité, il semble bien que nous allons y avoir droit. Le maire est convaincu que celle-ci « participe à la mise en ambiance avant le film » comme il l’a déclaré en conseil municipal.
C’est vrai, voir – pour ne prendre que des films récents – La Conférence de Matti Geschonneck sans qu’il soit précédé d’une page de publicité tonitruante rendrait le propos du réalisateur moins convaincant. Une reprise de L.627 de Bertrand Tavernier sans un clin d’oeil au matériel le plus performant équipant dorénavant la police manquerait de relief et Le Festin de Babette de Gabriel Axel sans un spot Kentucky Fried Chicken, insipide.

« La publicité participe à la mise en ambiance… ». Comment peut-on asséner de telles énormités ?

On attendra donc de pied ferme la publicité – qu’on annonce plus locale –, il n’est pas sûr que la mise en ambiance lors de sa diffusion corresponde à celle évoquée par le maire.

On va s’en tenir là car l’ambiance commence à virer vinaigre, version agacement, énervement.

Merci à l’équipe d’avoir sauver notre cinéma – et de continuer à préserver à l’avenir –, les fauteuils, la programmation, les festivals, la VO et la BO du brunch crunch crunch au bénéfice des dialogues, de la musique, des silences, du rêve. On découvrira aussi d’autres partenariats à venir proposés par l’équipe.

Dorénavant, moins doté dans le droit fil d’autres lieux et rendez-vous culturels dionysiens qui ont vu leurs subventions rognées, en délégation de service public, L’Ecran versera une redevance annuelle fixe à la ville et une partie variable selon résultats.

Tout ça pour ça ! Quel cinéma !

PS : On lira avec attention l’article intitulé Si, si, le cinéma français fait bien face à une offensive néolibérale de Mathias Thépot, paru le 31 mai, sur Médiapart.

Il souligne que : « la fréquentation des salles de cinéma qui, si elle remonte ces derniers mois, est encore loin d’avoir retrouvé ses niveaux d’avant la crise sanitaire. Le dernier bilan du CNC 2022, publié il y a quelques jours, fait état d’un nombre d’entrées encore inférieur de... 26,9 % par rapport à la moyenne des années 2017-2019.

Plus préoccupant, cette baisse affecte davantage les films d’« art et d’essai », en opposition aux films à gros budget. Ils ne représentaient plus que 21,5 % des entrées en 2022, contre 28,3 % en 2019, et 23,5 % en moyenne ces dix dernières années. Mécaniquement, ce sont les petits exploitants de salles de cinéma – qui misent moins que les grands complexes sur les blockbusters américains et les comédies françaises grand public – qui se retrouvent le plus en difficulté. »

S’agissant des aides publiques, Mathias Thépot rapporte des propos du député macroniste Guillaume Kasbarian : « Il est peut-être temps d’arrêter de distribuer autant d’aides à ceux qui n’ont aucune conscience de ce qu’ils coûtent aux contribuables ».

On craint que cet état d’esprit infuse les cerveaux du quatrième étage de l’hôtel de ville et en particulier celui du maire qui, l’air de rien, lors de ses interventions lors du débat de décembre 2022 au conseil municipal, faisait, mezzo voce, écho à cette manière de penser, face aux questions et interrogations de l’opposition, en évoquant dans un continuum « l’équilibre de la délégation de service public, l’économie des subventions, l’utilité de la concurrence » et accusait l’opposition de penser que : « pour qu’un film soit bien, il faut que personne n’ait envie de le regarder » !

Parler rentabilité en rognant les budgets culturels et opposer culture populaire et création n’ont-elles pas toujours été les deux mamelles du populisme ?

La polémique créée à l’occasion des déclarations de la lauréate de la dernière Palme d’or du festival de Cannes, Justine Triet, l’a encore amplement démontré.