Hommage. « Nous n’apportons pas qu’un panier alimentaire, pas qu’un colis, on apporte aussi du plaisir ». Entretien avec Marko Baliwest.

, par Michel Ribay

La disparition brutale de Marko Baliwest il y a quelques jours a choqué de très nombreux Dionysiens et Dionysiennes. Un hommage lui sera rendu ce vendredi 29 décembre salle de La Légion d’honneur à partir de 17 h. Nous nous étions croisés et rencontrés longuement à l’occasion de cet entretien. Nous avions prévu de nous revoir, de réactualiser celui-ci en prévision d’une série d’articles du Blog sur les acteurs de la solidarité alimentaire à Saint-Denis. Acteur majeur de ce mouvement, Marko Baliwest y rend compte de son activité, de ses particularités et y défend un point de vue hétérodoxe. Nous gardons de nos brèves rencontres et du temps passé lors de cet entretien, fin février 2023, le souvenir d’un homme très chaleureux, pétillant, cultivé, d’un engagement total, aussi sérieux que son sourire, malicieux. Marko Baliwest Solidarité. Respect.

– Le Blog de Saint-Denis – Qu’est ce qui t’as amené à te lancer dans la solidarité alimentaire ? Qu’est ce qui t’as motivé ?
Marko Baliwest – J’ai commencé il y a peu près trois ans au moment du premier confinement. J’étais chez moi. Je ne savais plus quoi faire. Je tournais en rond. Et puis comme j’avais un véhicule utilitaire disponible, un matin je suis parti à Rungis et puis de fil en aiguille, on récupérait, on distribuait, on récupérait, on distribuait comme on pouvait. C’était un peu de la débrouille, de la démerde. Les marchandises étaient plutôt bien, plutôt moins bien. Le plus important c’était de récupérer des choses, éventuellement trier et les distribuer dans la foulée. Petit à petit, c’était le 14 avril 2020 le début et depuis j’ai jamais arrêter. C’était pas une vocation, parce que je faisais ça comme ça pour m’occuper. Et finalement, ça me plaisait et on a continué.

Tu commences donc au moment de la crise sanitaire du Covid. Beaucoup de choses ont émergé dans les quartiers à Saint-Denis face à la situation. Comment tu t’es inscris dans cette dynamique qui s’est développé à Allende, à Pleyel, sur la Saussaie, Floréal, La Courtille. Tu as tissé des liens avec ce mouvement qui s’est fédéré ?
M. B. – Fédération, je ne dirais pas cela. Il y a des mouvements qui se sont mis en place et on les a rejoint petit à petit. L’avantage c’est que si certains pensaient que je n’étais pas dionysien, en fait j’étais un vrai dionysien. Donc le retour à Saint-Denis a été facile et évident. Donc, tout des suite, j’ai pris des contacts avec les quartiers Joliot Curie, SFC, Allende, Duclos Dourdin Fabien, Franc Moisin et tous les jours il y avait un accueil qui était super. Le principe c’était le matin collecte à Rungis et distribution à Saint-Denis et puis de fil en aiguille on s’est fait connaitre et d’autres villes nous sollicitaient. C’étaient des distributions entièrement gratuites qui nécessitaient beaucoup de travail, dès 6h30, fin de la collecte vers 11 heures puis à 14h30 j’étais à Saint-Denis pour la distribution lors des mois d’avril, mai, juin 2020.

Au bout de maintenant presque trois ans, comment cela fonctionne, il y a un modèle celui des épiceries solidaires dans lequel les produits sont achetés, toi quel est ton modèle économique, juridique, personnel ? Associatif, entrepreneurial, bénévolat ou autre ?
M. B. – Déjà, on a mis en place une association de type 1901. L’association a été créé le 6 août 2020, quelque mois après le début. L’association s’appelle Marko Baliwest Solidarité, c’est un nom qu’on a trouvé comme ça et qui va évoluer rapidement car on va changer pour Antigaspillage.org.
Notre association a reçu en mai 2022 l’agrément de l’Etat à l’aide alimentaire qui nous est accordé par la Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement (DRIHL). C’est un sésame, une habilitation qui est une reconnaissance du travail accompli. Notre activité s’appuie sur trois pôles. Ça s’est étoffé petit à petit. Au début c’était des distributions on va dire au tout venant. On a une très grosse activité inter-associative. On collabore avec d’autres associations, des associations qui ne sont pas forcément à Saint-Denis car avec la fin du confinement l’associatif alimentaire s’est dans une grande mesure, on va dire, un peu dilué. On collabore donc avec de grosses associations. On donne, on reçoit. On donne souvent. Le deuxième pôle ce sont les maraudes qui a été le gros de notre activité en 2021. On a servi à peu près 45 000 bénéficiaires en 2021, avec une présence quasi quotidienne à Paris, place de la République. Et un troisième pôle qui a pris un essor considérable depuis 2022 et notamment depuis le printemps et qu’on a renforcé à l’automne, qu’on a appelé au départ le panier solidaire et qu’on appelle le panier Antigaspi, qui a pris une importance très forte dans nos activités puisqu’on propose aujourd’hui à Saint-Denis trois paniers par semaine, le lundi, le mercredi et le samedi. On touche environ 180 familles par semaine.
Les paniers sont gratuits en revanche dans notre modèle économique, puisque nous n’avons aucune aide, nous ne bénéficions d’aucune subvention, il y a une participation aux frais de ces paniers. Initialement elle était de trois euros, on est passé à quatre et aujourd’hui on est à cinq euros. Elle n’évoluera pas. Elle restera à cinq euros.
Ces paniers sont richement dotés. On ne va pas parler de la valeur commerciale des paniers mais en général le coefficient par rapport à la participation aux frais se situe entre dix et quinze. On peut vraiment parler de solidarité. Les cinq euros de frais nous permettent de financer les frais de fonctionnement, carburant entre autres. Par exemple demain je vais à 100 km de Paris pour collecter des marchandises qui ne sont pas pour notre association mais qui seront redistribuées à d’autres associations qui font des maraudes. Quand les personnes versent une participation de cinq euros ils savent que cela permet de financer les différentes activités de l’association et ils en tirent une certaine fierté, ils sont contents de participer à cet élan de solidarité. C’est la seule source de financement que nous avons. Evidemment les perspectives sont tout autre puisque nous sommes sollicités par les services de la DRIHL pour mettre en place des budgets de fonctionnements dans les hôtels sociaux du 93.
La particularité de notre association c’est que nous ne demandons rien. Notre modèle est basé sur l’anti gaspillage alimentaire. Donnée très importante puisqu’on l’estime en France à plusieurs milliards d’euros (16 milliards d’euros. NDLR). Il y a un double aspect dans notre activité, d’abord on participe à l’antigaspillage et nous faisons de l’aide alimentaire sans que cela ne nécessite des ressources de fonds publics et cela j’y tiens et je pense que c’est l’avenir.

Avec qui travaillez-vous comme grandes associations ? Et en interne vous êtes combien ?
M. B. – Au début j’ai collaboré avec les Restos du cœur mais je collabore surtout beaucoup avec une association qui s’appelle La Chorba, située boulevard Poniatowski à Paris dans le 12ème arrondissement, à ne pas confondre avec l’association La Chorba pour tous. C’est une association qui a 50 salariés. Une association qui délivre sur la Porte de la Villette, où je me rends très souvent, entre 600 et 700 repas par jour. Elle livre aussi sur demande de la mairie de Paris, 200 repas le soir à l’hôtel de ville, elle fait des maraudes, des distributions de colis un samedi sur deux, entre 500 et 600 colis, j’y étais la semaine dernière pour apporter ma pierre à l’édifice. Une autre association, très très importante, Alteralia avec laquelle je collabore qui intervient sur de l’alimentaire et de l’hébergement. Je travaille aussi avec de plus petites associations qui sont dans le périmètre de réception des surplus dont je dispose, basées à Bondy, à Saint-Ouen.
Je suis aidé sur les sites de distributions des paniers antigaspi par une très belle équipe de bénévoles.

Comment les produits distribués sont sélectionnés ? D’où proviennent-ils ? Comment cela se passe avec la grande distribution ? Ce sont des produits qui sortent du circuit de commercialisation pour des questions de dates ?
M. B. – Alors, il y a en effet des dates de péremption qui est un terme générique qui veut pas dire grand chose. Alors plusieurs choses : tous les termes sont bien répertoriés par la Direction générale de la répression des fraudes et de la concurrence. Les dates existent, elles sont bien réglementées, il y a les DLC, date limite de consommation, les DDL, date de durabilité minimum, les DCR, date de consommation recommandée, et sur ces trois gros types de dates, on a des recommandations ou des législations que nous respectons systématiquement.
Sur les DLC, on fait pas mal de frais avec des partenaires très sérieux qui respectent le cycle de frais. En fait, par choix commercial les distributeurs, alors qu’ils pourraient les vendre, arrivés près de la date, les retirent et font un geste de solidarité. C’est là où notre association intervient auprès de ses partenaires, par exemple Monoprix, une enseigne très sérieuse qui respecte très très bien les cycles de dates. Il peut y avoir des erreurs parfois mais c’est ce qu’on appelle les erreurs de grand nombre car on récupère beaucoup.
On des partenaires avec lesquelles on noue des relations très proches, on fait des sushis avec Kumo avec qui on a des projets de développements importants. Et puis on a différents partenaires ponctuels ou durables qui nous fournissent pas mal de choses. Le travail paie puisque le téléphone sonne tous les jours, ça peut être via un contact de l’Armée du Salut, une association qui nous confie une ramasse. On a participé à de très grosses opérations à l’exemple de celle de la SNCF qui l’année dernière avait reçu l’ordre de fermer ses wagons-restaurants du jour au lendemain. Du coup, on a évacué 17 000 pièces en quatre jours de denrées vendues dans les trains.

Comment vous assurez la chaine de froid ? Vous avez le matériel ou vous assurez les distributions sur un temps très très court ?
M. B. – Je gère le frais à 100%. Les denrées sont stockées en chambre froide jusqu’au moment de leur distribution. Là on va recevoir un véhicule frigorifique de très bonne qualité puisqu’on a été lauréat de l’appel à projet de la Fondation Monoprix et à ce titre la Fondation a financé le véhicule. Par ailleurs nous travaillons uniquement en flux tendu, ce que j’avais indiqué à la DRHIL. On collecte, on charge, on distribue. Il n’y a jamais de stockage. Tout est distribué dans un temps extrêmement court. La rupture est quasiment inexistante.

Le périmètre d’activité de l’association dépasse largement Saint-Denis, en ramasse, en distribution ?
M. B. – Les ramasses se font à l’opportunité, s’il faut aller loin on va aller loin. D’une manière générale c’est Paris et la petite couronne, à 90%. Dans les magasins, c’est quasiment des magasins parisiens. Sino cela se fait sur 15 ou 20 km de Paris. Le mardi et le jeudi, c’est mes jours de congés. C’est des jours de grosses ramasses. Chez des logisticiens. Pour la distributions, on a à peu près 180 paniers Antigaspi par semaine divisés sur trois distributions. On pourrait faire plus mais par choix, je préfère avoir des paniers richement dotés en quantité et en qualité.

D’où viennent les bénéficiaires ?
M. B. – On ne demande pas l’adresse aux bénéficiaires. On a beaucoup d’habitués. Le point de distribution est rue Guy Môquet à Saint-Denis. On pense qu’un bénéficiaire sur deux ne vit pas à Saint-Denis. On a digitalisé la réservation des paniers et l’on sait à l’avance combien de paniers on doit servir. On a toujours un petit quota de non réservés. On est de fait de plus en plus connu et des gens viennent des villes avoisinantes, certaines familles viennent de très loin car elles ont besoin de ces paniers. Il y a des gens qui viennent régulièrement, d’autres ponctuellement. Notre raison d’être est qu’il y a un besoin.
Nous travaillons, avec probablement le soutien de la Fondation Monoprix, pour étendre ces paniers à des publics très sensibles : étudiants très précaires, des femmes seules ou des personnes ayant de très grandes difficultés. Nous avons toutes les semaines des personnes qui nous font savoir qu’elles ne peuvent payer la participation aux frais. Elles sont pris en charge par l’association et dans la limite de quota convenable nous servons ces personnes, je tenais à le dire. On reste dans la solidarité alimentaire. Nous ne faisons pas de commerce. Il n’y a pas d’inflation sur la participation fixée à l’avance pour pouvoir survivre. Je dis bien survivre, pas vivre.

Ces paniers permettent quoi ? D’assurer une partie significative des besoins alimentaires d’une famille de quatre personnes par exemple ?
M. B. – On ne fait pas de l’aide de produits de première nécessité. Ce qui veut dire que quand une personne vient chercher un panier, on essaie d’abord de donner du plaisir. Le plaisir qu’on peut apporter avec certains produits est aussi important que la quantité qu’on peut apporter. Les personnes ont la possibilité de prendre deux paniers. Evidemment une personne seule prendra un panier qui pourra lui suffire pour 3 ou 4 jours. Une famille aussi de quatre personnes avec deux paniers. Notre particularité, c’est que nous connaissons les bénéficiaires. Et les paniers sont adaptés à chacun, selon les spécificités et les quantités. Nous faisons également des distinctions selon les régimes alimentaires, halal, personnes malades, porc, sans porc. Tout cela sont des critères qu’on respecte systématiquement. Donc on ne se situe pas sur des panières qu’on appelle des paniers de subsistance. En fait ces paniers… ce sont nos courses.
La notion de plaisir est extrêmement importante. Nous travaillons à 90% avec Monoprix qui souhaite nous accompagner encore plus. J’ai des relations avec des magasins, des relations de très grande proximité que ce soit avec les équipes ou les directions, il y a un échange, un retour sur ce qu’on fait qui nous motive et nous permet d’avoir les quantités de produits et toujours de qualité.

Avec une gamme de produits diversifiés en terme nutritionnel ?
M. B. – Les paniers démarrent avec du pain, brioche pour le petit-déjeuner. Le lundi on est richement doté en fruits et légumes. Hier on a fait un spécial agrumes, clémentines, oranges, citrons et des pommes en quantité ajustée aux familles. Des artichauts, des choux-fleurs, des concombres. Viande, salades, on sert aussi du poisson en ce moment de grande qualité. Ainsi que les crèmes, les fromages, laitages, jus d’orange, desserts. On a des denrées permanentes comme les œufs bio par exemple. En fait on fait une collecte globale qu’on redistribue.

Il y a une grande enseigne à Saint-Denis, Carrefour, Leclerc à Villetaneuse, Auchan à Epinay, vous avez des contacts avec ces enseignes ?
M. B. – Le temps est notre arme la plus précieuse et nous ne pouvons pas tout faire. Je ne travaille pas du tout avec Carrefour. Qui sait, peut-être un jour nous serons sollicités. Nos réseaux qui grandissent tous les jours nous suffisent pour l’instant mais évidemment gérer c’est prévoir, donc on prévoit. Sur notre site on a mis une veille pour les donateurs. On fait une grosse campagne se sensibilisation en direction des donateurs via notre site antigaspillage.org. On est assez bien référencé sur Google.
En fait, on distribue à Saint-Denis, en banlieue mais la totalité de nos produits est récupéré dans les beaux-quartiers, c’est notre particularité. On est plutôt sur des enseignes qui n’ont pas l’obligation de générer de la vente de dates courtes puisqu’ils ont suffisamment de chiffres d’affaires sur de la vente au prix fort. On préfère travailler dans ces conditions là qui nous permettent de distribuer des produits de qualité.

Les motivations des donateurs ? Une démarche de solidarité ? Des bénéfices en terme d’image pour les distributeurs ? En terme d’avantages fiscaux ?
M. B. – Pour un donateur, il y a plusieurs avantages à collaborer avec une association. D’abord ce qui a été mis en place il y a plusieurs années mais qui perd un peu de son sens, la défiscalisation du don, un dispositif un peu lourd qui se fait après la descente du résultat fiscal donc pour l’entreprise en terme de trésorerie elle n’y voit pas grand chose.
A ce sujet j’ai été reçu par un sénateur des Vosges qui va proposer une grande loi sur l’antigaspillage et avec lequel j’ai abordé cet aspect fiscal et je lui faisait remarquer, remarque prise très au sérieux, que le don aux associations pourrait devenir une charge et non pas une déduction fiscale, ce qui est totalement différent et encouragera encore plus les entreprises.
En second lieu, depuis la crise sanitaire du Covid qui a mis en lumière un certain nombre de difficultés, des entreprises ont pris conscience que jeter est devenu totalement dépassé et la responsabilité sociétale des entreprises devient une priorité en terme d’image, on a des interlocuteurs qui sont beaucoup plus sensible à ce domaine d’activité.
Troisièmement, on est dans une société de surconsommation et ces sur-stocks ils existent, ils sont réels et à un moment donné il faut les traiter. Les associations qui viennent récupérer des quantités importantes permettent aux entreprises d’éviter des charges de destruction. Notre partenaire Coca-Cola nous envoie tous les quatre mois un semi-remorque car il ne commercialise pas des boissons à des dates inférieures à trois mois, donc nous on récupère les dates à trois mois. Détruire ces quantités serait une charge colossale.

Je reviens un peu en arrière tu parlais des mardi et jeudi qui sont tes jours de congés, est-ce que je dois en conclure que tu ne fais pas que cela et que tu as une autre activité ?
M. B. – Rires… Non, j’ai que ça en fait. C’est à dire que l’engagement dans mon association correspond à l’intégralité de mes activités. Mais comme les activités se distinguent en trois pôles et que les paniers antigaspi ont pris le dessus sur les autres, je m’accorde le mardi et le jeudi pour me reposer, souffler un peu mais quand le téléphone sonne on y va. Et le téléphone sonne tous les mardis et tous les jeudis.

En fait les mardi et jeudi, tu n’es pas vraiment en congés mais d’astreinte …
M. B. – Voilà, on peut dire ça comme ça.

Pour sortir du champ d’activités de ton association, quel est ton regard sur les autres pratiques existantes à Saint-Denis de solidarité alimentaire ? Il y a une association située au croisement de la rue de la Légion d’honneur et de la rue des Boucheries qui a eu quelques difficultés avec la municipalité, j’avais eu quelques échanges avec eux pour cerner les raisons du conflit, ils sont toujours là et en activité. Il y a aussi une politique municipale de mise en place d’épiceries sociales, solidaires, il y en a une au Franc Moisin. Toi, quel est ton diagnostic ou plutôt ton point de vue sur ce qui se fait à Saint-Denis, comment tu te situes dans ce contexte ?
M. B. – Je suis au courant bien entendu de ce qui se passe à Saint-Denis. Beaucoup d’informations me parviennent et que je ne traite pas parce que cela ne m’intéresse pas. Tu as parlé de l’association rue des Boucheries, je connais la personne qui s’en occupe, ça fait très longtemps que je ne l’ai pas vu. C’est vrai que je n’ai pas le temps d’y aller. J’ai pas grand chose à dire.
Concernant les épiceries sociales sur Saint-Denis, il y en a une à Franc Moisin qui fonctionne depuis des années sur un modèle qui est ce qu’il est. Et puis il y en a des nouvelles qui ouvrent sous l’impulsion de la municipalité.
C’est plutôt là où j’aurais quelque chose à dire. Je pense que l’injection de fonds publics dans ces domaines d’activité est une gravissime erreur qui va aboutir à un échec. En fait, on ne devrait même pas songer à investir de l’argent public dans ce genre d’initiative. Pourquoi ?
Parce qu’en fait l’aide alimentaire doit se faire au flux de l’activité économique du pays. C’est une activité économique très intense, très importante. J’ai toujours été opposé au traitement social de tous les problèmes qui puissent exister en France. Tout à l’heure, j’évoquais les Restos du cœur, les Restos du cœur quand on regarde leur bilan, 40% de leur fonctionnement provient de fonds publics. C’est une exception car c’est une grande association mais sur les épiceries sociales on peut monter à 80, 90% qui sont des ratios en dehors de tout critère de gestion. C’est mon point de vue sans accuser personne mais je pense qu’on devrait largement encourager des initiatives privées car l’économie française permet, surtout avec cette prise de conscience sur l’anti gaspillage, de largement pallier au déficit d’aide alimentaire qu’on peut rencontrer dans certaines villes et à Saint-Denis, c’est colossal. Les épiceries sociales telles qu’elles sont créées je pense que ce sont des modèles du passé et qui à mon sens ne correspondront pas aux demandes nouvelles des bénéficiaires.

Donc tu considères que le gisement existe largement dans le secteur privé, que ce n’est pas la peine de flécher des fonds publics sur cette activité, mais l’activité de ton association c’est une forme de traitement social de la pauvreté, de la précarité ?
M. B. – Rires. On peut faire dire aux mots ce qu’on veut. Pour moi le traitement social c’est l’injection de fonds publics sans contrepartie. Nous nos bénéficiaires ont une grande contrepartie, déjà il se déplacent, ils viennent, ils attendent, ils patientent et puis ils nous apportent une très grande joie et puis ces moments de distribution sont des moments de grande convivialité. Je ne sais pas si vous avez fait la queue aux Restos du cœur ou dans une épicerie sociale, c’est profondément humiliant pour beaucoup, beaucoup de bénéficiaires. C’est pas des moments de convivialité, c’est pas des moments de plaisir, nous notre maître mot c’est le plaisir.
Nous n’apportons pas qu’un panier alimentaire, pas qu’un colis, on apporte aussi du plaisir. Alors j’y suis peut-être pour quelque chose parce que je connais bien les bénéficiaires, on a toujours une touche d’humour mais je considère que la vie ce n’est pas que manger, il y a aussi beaucoup d’autres choses. Plusieurs centaines de bénéficiaires de l’association, pour certains je connais leur situation et quand vous avez des bénéficiaires qui vous disent qu’ils ont retrouvé le sourire, qui sont contents de venir, qui rencontrent du monde, ce lien social, pour nous le plus gros du travail a été fait. Le reste, c’est notre job mais ce n’est absolument pas un traitement social, c’est je dirais… un traitement humain de la précarité, voilà.

Un traitement social du plaisir …
M. B. – Je suis parfaitement d’accord avec cette formule.