I) Protection des élu.es et liberté de la presse. Où va la gauche ? /2) « Qui veut se faire du Rom ? Ce soir » à Wissous-la-Honte. /3) Greenborder à L’Ecran.

, par Michel Ribay

L’actualité offre quelquefois des télescopages qui poussent à penser, vomir, hurler. Pourquoi parler ici, dans un blog qui s’intéresse d’abord à la vie locale, de sujets qui semblent au premier abord éloignés des enjeux locaux ? Parce que rien n’est plus faux que de croire que nous pourrions ici ou là nous abstraire de ce qui fait l’air du temps, de rapports de forces politiques qui dépassent largement nos frontières communales, nationales même. Ainsi ce que Médiapart révèle des propos d’un maire francilien et de ses adjointes nous concernent tous parce que cela insulte la République et la fraternité. Ce qui vient d’être voté à l’Assemblée aussi parce que cela menace notre liberté d’expression et notre égale rapport à la justice ou ce qui s’est passé et se passe encore en Méditerranée, en Manche ou à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, parce qu’il s’agit d’une épouvantable inhumanité.

Protection des élu.es et liberté de la presse.

Au motif de protéger les élu.es de plus en plus en butte à des insultes, menaces, des agressions et actes qui mettent en danger leur intégrité physique et pour certaines leur vie, le législateur a prévu de renforcer les sanctions, leurs protections et leurs moyens de défense. Pour cela il a adopté, le 7 février, une série de mesures lors d’un vote à l’Assemblée nationale.

L’objectif étant de contrecarrer le nombre de faits délictueux ou criminels à leur encontre. On peut le comprendre. Encore faudra-t-il s’interroger sur le pourquoi de cette irruption et graduelle montée de violences à leur égard. Ce qui l’est beaucoup moins c’est qu’au cours du débat, indigent et rapidement expédié, c’est l’esprit de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui est remis en cause, loi s’appliquant à tous les citoyens et donc tous les justiciables.

Un amendement déposé de concert par une sénatrice Les Républicains, Catherine Di Folco, et le groupe socialiste, prévoyait que pour les délits prévus aux articles 31 (diffamation contre un élu ou une personne dépositaire de l’autorité publique) et 33 (injure publique), le délai de prescription serait porté de trois mois à un an. Cette disposition avait été adopté par le Sénat en octobre 2023. Avec cet amendement, les délais, concernant les personnes dépositaires de l’autorité publique se plaignant de diffamation ou victimes d’injures, étaient rallongés. Mais celui-ci a été modifié à l’Assemblée, Violette Spillebout, députée Renaissance, réservant cette disposition aux seuls élus, locaux ou nationaux, ainsi qu’aux candidats à ces mandats.

Pourquoi déjà un délai de trois mois ?

Le délai de trois mois actuellement en vigueur « permet à la presse d’éviter d’être soumise aux aléas judiciaires d’une manière prolongée, indique Maître Christophe Bigot, président de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse – et avocat du Monde. Or, énormément de maires ou de présidents de conseil régional mettent déjà une pression de dingue sur la presse quotidienne régionale ». Le Monde en date du 7 février.

De leur côté, « Le SNJ, le SNJ-CGT, la CFDT-Journalistes et le SGJ-FO, organisations syndicales représentatives de journalistes en France, condamnent avec la plus grande fermeté cette modification d’une des lois les plus protectrices de la liberté d’expression, de la liberté d’informer et d’être informé » et dénonce « le rallongement du délai de prescription mettrait une épée de Damoclès sur le traitement de l’actualité politique avec le risque de voir, durant un an, un élu ou un candidat s’en prendre à un ou une journaliste ou à un éditeur de presse si la suite de son mandat venait à subir les conséquences d’informations délivrée par un organe de presse.
C’est aussi une pression financière supplémentaire mise sur les éditeurs, journalistes et organisations de défense de la profession avec un risque d’inflation des procédures et de leur coût. »

Les élu.es ou candidats à l’être seraient ainsi une catégorie particulière de citoyens non soumis au droit commun en matière d’injure ou de diffamation !

Drôle d’idée qui ne va pas concourir à rapprocher les citoyens de leurs élu.es et combattre ni l’indifférence de plus en plus de citoyens pour se rendre aux urnes ni la montée d’un sentiment de rejet déclinant toutes les variantes possibles du « Tous pourris ». Certes les élus sont des personnages publics plus soumis que d’autres à l’injure ou à la diffamation mais rien ne les contraints à être élu, c’est un choix librement consenti et la loi est là pour les protéger mais ne doit pas pour autant restreindre une autre liberté, celle-ci fondamentale, constitutionnelle : celle de la liberté d’expression et du droit d’informer.

« Sous le couvert de lutte contre la haine qui se déverse sur les réseaux sociaux, objectif légitime dans nos sociétés démocratiques, c’est toute la critique de l’action des élus qui est concernée. » dénonce l’Association des avocats praticiens du droit de la presse dans leur communiqué.

L’association nationale des élus locaux d’opposition (AELO) dénonce aussi cette disposition.

Ou va la gauche ?

L’article de Mediapart révèle aussi les positions convergentes d’un député Renaissance Didier Paris, s’opposant en commission à l’introduction de cet article et celles de Raquel Garrido (LFI) et Philippe Gosselin (LR). La députée Naïma Moutchou (Horizons, majorité présidentielle) qui présidait la séance a indiqué que son groupe soutiendrait « le retour au droit commun », considérant notamment que « la loi de 1881 est une construction fragile qui doit être préservée ».

En effet, la loi de 1881 est partie constitutive de la liberté d’expression car la liberté de la presse est considérée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) comme une composante de la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme). La première proclamation de la liberté d’expression date de 1776, date à laquelle les Etats-Unis adoptent leur Constitution. En France, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 reprendra ce droit fondamental, qui relève de valeurs aussi bien laïques que démocratiques.

Des positionnements surprenants par ailleurs car c’est ainsi qu’à gauche, c’est un député communiste Sébastien Jumel qui vient en renfort de la proposition de Violette Spillebout, députée Renaissance et qui vote pour l’adoption du texte. De même, si le groupe Insoumis a voté contre la loi se refusant à alourdir les peines encourus par les justiciables il proposait d’allonger lui aussi le délai à un an mais pour tous, le groupe écologiste proposant même trois ans.

On ne fera pas de faux procès aux journalistes qui défendent le droit d’informer.
Notons au passage que dans un quasi silence la Grande-Bretagne s’apprête à extrader le journaliste australien Julian Assange vers les Etats-Unis, persécuté depuis bientôt 14 ans par Washington et certains de ses alliés pour avoir notamment révélé, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, des crimes de guerre commis en Irak et Afghanistan par l’armée états-unienne. Des rassemblements sont prévus partout en France le 20 février à l’appel entre autres de la Ligue des Droits de l’homme.

Pas de faux procès non plus à l’Association des avocats praticiens du droit de la presse pour un prétendu laxisme à l’égard de ceux qui contreviennent à la loi puisque cette association a pris fermement position pour rétablir la possibilité d’identifier les internautes auteurs de délits d’injure et de diffamation dans son communiqué du 4 octobre 2023.

C’est bien la liberté de la presse qu’ils défendent et non les auteurs de délits.Toute la gauche ferait bien de s’inspirer de cette position de principe.

La rapporteuse du texte, Violette Spillebout, a annoncé qu’elle auditionnera, fin février, les avocats, les syndicats de journalistes et un représentant de l’Alliance de la presse d’information générale avant la Commission mixte paritaire, « pour entendre leur point de vue et l’intégrer dans les arbitrages qui s’y feront ».

De leur côté l’Intersyndicale des syndicats de journalistes saisira le Conseil constitutionnel si la loi venait à être adoptée dans ces termes.

A classer dans la rubrique Boussole.

Wissous-la-honte.

Si toute la presse s’est emparée du sujet débattu à l’Assemblée c’est dans le cadre de ses enquêtes que Médiapart révèle lui les propos tenus par le maire de la commune de Wissous, petite commune francilienne, Florian Gallant, qui propose à ses adjoints d’aller expulser une famille Rom via un groupe WhatsApp avec la forme suivante : « Qui veut se faire du Rom ? Ce soir ». Réponses de ses adjointes : « Désolée, je ne suis pas encore rentrée » indique Corinne Guyot, déléguée à la vie associative. « Où ? Vous avez besoin d’aide ? » s’enquiert plus tard Catherine Rochard, adjointe à la santé.

Le maire, indique plus tard « Là ça va, on attend les pompiers » et précise en légende d’une photo attestant de la réussite de son objectif : « On a géré avec Françoise ».

On vous laisse deviner qui est Françoise. S’il s’agit de l’adjointe à la solidarité dont le prénom est Françoise nous sommes rassurés.

On en est là à Wissous.

Ce Monsieur, cet élu, ce maire fait-il déjà l’objet par le parquet d’une procédure judiciaire pour :
– Incitation à la haine en raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ?
– Incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination ?

L’incitation lue ou entendue que par quelques personnes liées entre elles sur un réseau social restreint à quelques amis ou lors d’une réunion professionnelle, est considérée comme privée et n’est passible que d’une contravention à hauteur maximum de 1500 euros. Le procureur peut aussi mettre en place des mesures alternatives aux poursuites comme un stage de citoyenneté.

Voilà ce que prévoit le droit commun. Et donc aussi pour un élu de la République. Cette histoire n’a bien sûr aucun rapport avec les propos précédents concernant le droit commun en matière de liberté de la presse.

A classer dans la rubrique A vomir.

Greenborder. Cette semaine au cinéma L’Ecran.

A ne rater sous aucun prétexte. Ce film n’a bien sûr aucun rapport avec les propos précédents concernant Wissous, son maire et ses adjointes. Wissous-la-Honte n’est pas à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. C’est en Essonne.

A classer dans dans la rubrique Insoutenable.

Pour le reste et quelle que soit l’issue du texte sur la loi de 1881, Le Blog de Saint-Denis poursuivra son travail avec persévérance, rigueur et impertinence. La satire y a place, la moquerie bien méritée aussi, sans injure ni diffamation. Qu’on se le dise.

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