La situation des familles Rroms expulsées le 15 mai, suite aux arrêtés du maire que le Tribunal administratif a suspendus le 17, n’est toujours pas réglée. Saint-Denis, Paris, le département de la Seine-Saint-Denis et l’Etat tentent d’esquiver leur responsabilités à l’égard d’une douzaine de familles. Une semaine dionysienne entre expulsion et commémoration…

, par Michel Ribay

Après la suspension de l’arrêté d’expulsion concernant un terrain appartenant au département de la Seine-Saint-Denis, le tribunal administratif de Montreuil a suspendu l’arrêté concernant un terrain appartenant à la ville de Paris. La ville de Saint-Denis et les propriétaires des terrains avaient jusqu’au 22 mai à minuit pour réexaminer la situation et « restituer dans leurs droits fondamentaux » les familles qui en avaient été privés par cette expulsion.

Les arrêtés du maire de Saint-Denis et leur exécution faisaient fi de précédentes décisions de justice. L’une en février 2024 accordant un délai aux familles jusqu’au 27 juillet pour le terrain du département, l’autre en avril 2024 déboutant la ville de Paris de sa demande d’expulsion du terrain lui appartenant.

Une réunion regroupant les trois collectivités et les services de l’Etat s’est tenue le 22 mai au matin. Elle n’a débouché sur rien qui soit à la hauteur de la situation. Cette réunion n’a conduit qu’au rappel des propositions initiales d’hébergement pour un nombre extrêmement limité de personnes et cela uniquement pour 48 h.

A ce stade les collectivités n’entendent répondre qu’aux requérants des référé-liberté et non aux conséquences réelles des arrêtés exécutés pour la douzaine de familles fragilisées par l’expulsion.

Restituer les personnes dans « leurs droit fondamentaux » ne peut ni se limiter ni à des propositions d’hébergement pour 48 h ni se limiter aux seuls requérants de la procédure, c’est pourtant la position qu’adoptent les collectivités et l’Etat.

Ce 23 mai, Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, le département de la Seine-Saint-Denis représenté par Oriane Filhol, élue départementale et communale à la lutte contre les discriminations, en l’absence de son président Stéphane Troussel, l’Etat, en la personne du sous-préfet ont rendu hommage aux victimes de l’esclavage colonial au nom des droits fondamentaux des personnes, des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de combat contre le racisme.

Serge Romana, du CM 98, a rappelé dans son intervention, ce 23 mai, qu’il a fallu un combat de 20 ans des descendants d’esclaves pour que soit reconnu la nécessité de leur rendre un hommage au nom de la Nation, au nom des valeurs de la République.

Comment se livrer à cet hommage le 23 mai, et ignorer le 22 mai les préjugés, le racisme, les discriminations qui s’exercent en direction aujourd’hui de citoyens européens parce que Rroms ?

Comment esquiver cette question ? Bien que dans un autre contexte, dans d’autres circonstances et d’une tout autre ampleur, les communautés Rroms n’ont-elles pas fait l’objet elles-aussi d’une mise en esclavage, précisément sur le sol européen, entité politique aujourd’hui au sein de laquelle nous sommes appelés à voter le 9 juin ? Leur esclavage, une exposition, à l’initiative de La voix des Rroms, qui s’est tenue à la Bourse du travail de Saint-Denis, en témoignait encore il y a quelque jours, comme Aferim, le film diffusé le 12 mai à L’Ecran, le "service public municipal de cinéma".

Comment ne pas voir dans cet "en même temps" qui consiste à accueillir sur le parvis de la Basilique, le 18 mai, la "Fête de l’insurrection gitane " tout en restant sourd et inflexible, après les expulsions, à la détresse des familles, des enfants, scolarisés dans les écoles et collèges de la ville, une immense hypocrisie ?

Comment justifier que trois collectivités, outre les moyens conséquents dont elles disposent, dirigées par des représentants politiques se réclamant de combats progressistes, de valeurs universelles, peuvent détourner le regard ; renoncer à des valeurs élémentaires d’assistance à des personnes discriminées sur notre sol, en Europe ?

Comment justifier de ne pas consacrer des moyens, en exigeant que l’Etat contribue pour une douzaine de familles. Des associations, adossées aux collectivités, savent faire. Elles l’ont déjà prouvé par le passé à Saint-Denis.

Les représentants politiques de ces collectivités entendent « Réveiller l’Europe ». Réveillez-vous ici et maintenant. A défaut, épousant les préjugés, la facilité, le sens du vent, vous contribuez à nourrir le vent mauvais qui mène au pire, en Europe et souffle fort dans notre pays.

D’ci quelques jours, le 30 mai, le maire de Saint-Denis s’apprête à faire délibérer le conseil municipal pour créer une commune nouvelle de 150 000 habitants dont il dit qu’elle serait plus forte, qu’elle disposerait de plus de moyens, qu’elle saurait faire entendre plus fortement sa voix, ses exigences.

Alors ? Saint-Denis, 110 000… 150 000 habitants. Une douzaine de familles, monsieur le Maire. Douze.

Ne rien faire est injustifiable. Aucune argutie juridique dont la ville ou d’autres voudraient se prévaloir ou la doctrine de l’Etat, se contentant de quelques nuitées offertes ici ou là, ne peuvent justifier l’injustifiable.

La responsabilité politique d’Anne Hidalgo, de Mathieu Hanotin et Stéphane Troussel est entière. Comme celle de l’Etat au regard de ses propres obligations.

Assumez-la. « Réveillez-vous ! »