Pouvez-vous décrire en quoi consiste votre travail ?
Laurent : Ce qui est le plus connu dans notre travail est la partie que voit le public :
l’accueil, l’orientation, le conseil, la gestion de la salle (comportements, bruits, conflits)
Mais il y a toute une partie de nos activités qui se font dans les bureaux et en dehors des horaires d’ouverture.
Il y a d’abord ce que l’on appelle le circuit du document. Cela concerne toutes les étapes nécessaire allant du choix des documents à acquérir, jusqu’à la mise en rayon et aux réparations, ou mise au pilon. Dans le cadre de mes fonctions, je ne m’occupe pas actuellement du choix et des acquisitions de document. Par contre, je suis amener à réceptionner les commandes, vérifier et pointer le contenu. Informatiquement, enregistrer les documents dans la base (exemplariser), mettre à jour les notices informatiques (cataloguer).
Enfin physiquement : équiper les documents (couverture, côte, tampons, charnière).
Nos missions consistent aussi à accueillir des groupe scolaires de la maternelle au primaire ou d’autres partenaires et des missions de lectures publiques : en crèche au sein du centre de jour "Zéphyr" dépendant de l’hôpital Delafontaine et accueillant des enfants suivis pour des troubles du spectre autistique.
Une fois par mois également une séance tout public de lecture théâtralisée avec la volonté de faire participer les enfants et parents à celles-ci.
Nous organisons aussi avec les collègues Jeunesse des séances de sensibilisation autour de la lecture à voix haute et la littérature enfantine, pour les professionnels de la crèche "La Marelle" et les assistantes maternelles qui vont au relais assistantes maternelles de Pleyel.
Quelle est la formation que requiert votre métier ?
Laurent : J’ai démarré sans formation spécifique, mais avec une appétence pour la lecture et un désir de contribuer à sa démocratisation. J’ai bénéficié d’une formation sur le tas par les collègues en poste. Une formation autour des auteurs classiques d’albums et de contes jeunesses dans un premier temps, puis des repères sur la littérature jeunesse d’une manière générale.
Une formation rapide aussi concernant les aspects techniques pour équiper les documents et l’utilisation des logiciels informatiques professionnels. Au cours de ma carrière, j’ai pu bénéficier de formations courtes sur la lecture à voix haute, l’utilisation des logiciels professionnels et l’accueil du public (après 15 ans de pratiques)
Quelles sont les compétences attendues et sur un territoire comme Plaine Commune ? Quelles en sont les spécificités ?
Laurent : Depuis mon entrée dans cet univers professionnel en avril 1999, il a beaucoup évolué. Si en 1999, il était demandé d’avoir une connaissance pointue et constamment actualisée de la littérature jeunesse, c’est de moins en moins le cas de nos jours. Nos métiers s’orientent de plus en plus sur des compétences issues du monde de l’animation, du jeu vidéo, de l’informatique avec une prochaine étape comportant la mise à disposition de Fab Lab dans certaines médiathèques. Avec peu de formations spécifiques et une tendance au renvoi vers de l’auto- formation et l’utilisation de "fiches" mode d’emploi pour mener à bien des animations pensées par d’autres. D’une manière générale, les compétences attendues sont l’écoute, la bienveillance, la patience, l’adaptabilité aux différents types de publics, la capacité d’utiliser de tactiques de désescalade en cas de situation de conflits. Il faut savoir gérer des groupes d’enfants et d’adolescents, lire à voix haute, mener des animations diverses, être curieux des questions culturelles, du multimedia, savoir animer des séances de jeux video. Parler plusieurs langues est un plus dans ce métier. Les spécificités d’un territoire comme Plaine Commune varient en fonction des villes et des quartiers.
Dans l’exercice de votre métier qui est une mission de service public quelles difficultés rencontrez vous ?
Laurent : Comme dans beaucoup de services publics, il est demandé de faire toujours plus sans plus de temps et de moyens. Moins de temps pour former, accueillir les nouveaux. Tout va toujours plus vite. On va de plus en plus vers une vision quantitative du métier que vers du qualitatif. Il y a une obsession des chiffres pour rendre visible notre travail aux élus. Il y a une verticalisation de l’organisation du travail, tout en tenant un discours performatif sur les vertus de l’horizontalité avec des groupes de travail réseau mêlant les différents grades mais qui sont une "illusion participative". Cela se traduit trop souvent dans les faits par : "Dis mois ce que tu penses d’un sujet et on t’expliquera pourquoi c’est pas possible" L’organisation du travail est extrêmement contraignante et pathogène avec un manque d’effectifs et des plannings très serrés.
Quelles sont les principales revendications de votre part qui permettrait de mieux répondre à votre mission ?
Laurent : La création de postes supplémentaires et prendre du temps pour repenser l’organisation du travail et nos missions en réelle concertation avec les agents. Moins d’heures de service au public pour les agents de catégories C et plus de temps accordé à la formation, à l’autoformation collective, aux transmissions de savoirs et de pratiques entre collègues. Moins de projets tombant d’en haut et une réelle horizontalité dans l’organisation du travail ainsi qu’une grande autonomie dans l’organisation du travail individuel et collectif.
Gildo : Nous demandons aussi :
· de limiter la multiplication d’événement en soirée
· la limitation à 50% du nombre des vacataires parmi les agents à l’accueil du public : création de postes statutaires pour que l’accueil du public soit assuré au minimum par 50% d’agents sur postes permanent.
· la prévention des agressions sur les agents des médiathèques ainsi que l’accompagnement des victimes.
· une meilleure ergonomie des postes de travail
· de revoir les marchés publics concernant l’entretien des médiathèques (poussières, déchets alimentaires...)
· le maintien du role des médiathèques de promotion du livre et de la lecture et du budget des documents imprimés (livres et journaux)
· l’arrêt du benchmarking qui organise la mise en concurrence des équipes sur leurs résultats en termes de nombres d’animations et d’usagers avec comme enjeu la répartition des budgets d’actions culturelles
· la mise en place de discussion/échanges autour de l’évolution de notre métier
· de réorienter la politique d’acquisition qui a fait l’impasse sur les documents dits pour public motivé (Bac +2 et au-delà) :
Les acquisitions de documents ont été centralisées et nous réclamons un bilan de cette réorganisation des acquisitions car nous constatons qu’il y a une problématique de communication entre les équipes en charge de l’accueil du public et de la médiation culturelle et les acquéreurs qui choisissent les documents (pas ou peu de retours aux demandes et questions formulées de part et d’autre, documents parfois non adaptés à l’équipement et des besoins non satisfaits, des pertes de productivité, parfois des conflits et un profond mal être au travail). Nous souhaitons revenir à un choix des acquisitions au sein des équipements, par les agents qui ont la connaissance du public et du fonds existant, qui accueillent et conseillent le public et assurent la promotion des documents, notamment au travers d’animations. Nous souhaitons une meilleure communication entre les équipes et les groupes d’acquéreurs et faire évoluer les groupes acquéreurs en groupes de veille et d’expertise documentaire proposant des listes de nouveautés
Comment a surgi ce projet de la municipalité d’ouverture des médiathèques le dimanche ?
Laurent : C’était dans le programme de la campagne municipale de Mathieu Hanotin.
Ce projet semble succéder à une étude, un "benchmarking" sur le fonctionnement des médiathèques, conduite par un cabinet de consultant KPMG sollicitée par la collectivité ?
Laurent : Non, il était dans le programme du président pour les municipales. Ensuite, le choix a été fait par le nouvel exécutif d’enrichir un cabinet extérieur (comme pour la mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique) pour aller vite et au forceps. Au détriment de la concertation et d’un dialogue social constructif.
Comment cela s’est-il passé ? Les agents ont-ils été consultés ?
Laurent : Très rapidement. Des groupes de travail professionnels ont été constitués. Qui devaient réfléchir uniquement sur les horaires d’ouverture des médiathèque le dimanche sans embauche supplémentaire, avec l’échéance du mois de septembre 2021 non négociable pour la mise en oeuvre.
Les syndicats ont-ils été interrogés ?
Laurent : Non juste informés et très partiellement.
Connaissez vous le coût de cette « étude » ?
Laurent : Non, mais nous sommes curieux de savoir à quel montant se monte le gâchis d’argent public.
Ce projet « mené au pas de course » va modifier l’organisation de travail et la vie des agents. Pouvez-vous en lister les principaux effets qui selon vous vont dégrader le service rendu et la vie personnelle des agents ?
Laurent : Pour les agents cela va entrainé un planning professionnel compliqué avec des périodes hautes et courtes de temps de travail ne permettant pas de s’inscrire dans des activités sportives, culturelles, artistiques sur l’année, plus de fatigue avec l’alternance de rythme et encore plus de difficultés pour avoir du temps de travail collectifs sur des projets en interne ou avec des partenaires, pour l’émulation entre collègues, pour aborder les problématiques de vie d’équipe, de relations avec certains publics en cas de difficulté. C’est une rupture de confiance avec notre employeur et une partie de la direction en raison de la réduction du nombre de jours de congés et de la manière dont le travail du dimanche est mis en œuvre. Cela entraine une perte de motivation et d’importants départs de personnel vers d’autres collectivité. Ce qui est déjà en cours. Quand vous avez du personnel maltraité, démotivé, et un cadre de travail qui se dégrade, vous ne pouvez pas maintenir bien longtemps un service public de qualité. Mais ce ne semble pas être l’objectif depuis quelque temps. Seul compte l’objectif d’ouvrir le plus possible les équipements sans se soucier du pourquoi, des conditions d’ouverture et des capacités du personnel pour le faire.
On peut concevoir qu’un projet mené en concertation avec les agents puisse entrainer de grands changements à mettre en œuvre pour répondre à une mission de service public mais là, au-delà de l’opposition au travail du dimanche, vous contestez l’intérêt même de ce projet pour les habitants. Pouvez-vous développer ce point ?
Laurent : Nous ne sommes pas persuadés que ce soit une demande du public. Mais c’est principalement un enjeu électoraliste à destination d’un certain électorat sur un territoire ou une minorité de citoyens votent encore et font les majorités électorales. Au détriment du reste de la population. C’est un grigri électoral que de vouloir ouvrir les médiathèques dans ces conditions.
Pour rappel, comme il est hors de question de se donner les moyens d’ouvrir l’ensemble des médiathèques le dimanche - y compris, pourquoi pas à tour de rôle - le projet ne porte que sur l’ouverture des médiathèques de centre ville.
Pour se faire, comme le personnel des médiathèques de quartier devront venir travailler le dimanche dans les médiathèques de centre-ville, la collectivité décide de fermer les médiathèques de quartier le jeudi. Et comme cela fait trop de perte d’horaires d’ouverture de ces médiathèque, on ouvre sur des créneaux ou le public n’est pas disponible (début d’après-midi ou matinée) pour augmenter artificiellement le volume horaire des ouvertures de médiathèques. Y compris sur des temps qui étaient réservés au travail avec les partenaires scolaires ou autres. Ainsi on nous demande de les recevoir dans des conditions dégradées avec d’autres publics présents dans l’établissement.
La collectivité prétend répondre aux besoins de certaines catégories, les étudiants par exemple, pour justifier son projet ? Que répondez-vous à cela ?
Laurent : Pour les étudiants, nous n’avons plus les fonds qui peuvent leur être utiles pour travailler. Nous les avions avant le transfert à Plaine Commune, mais l’évolution des critères d’acquisition ces dernières années s’est fait au détriment de ce public. Car « nous ne sommes pas des bibliothèques universitaires et n’avons pas vocation à pallier leurs manque d’acquisition ». Actuellement on nous dit que les étudiants « c’est de nos espaces de travail et de la WI FI dont ils ont besoin ».
Les besoins évoqués ne seraient-ils pas mieux remplis par les bibliothèques universitaires présentes sur le territoire avec Paris VIII et Paris XIII ?
Laurent : La réponse est dans la question, mais il faudrait qu’elles soient ouvertes le dimanche. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La bibliothèque du campus Condorcet est ouverte 7/7, 24/24. Combien de temps va t-elle tenir le rythme ?
Lors du rassemblement il n’y avait que des drapeaux CGT, y a t-il d’autres syndicats ? Lesquels ? Font-ils partie du mouvement ? Ont-ils appelé à la grève ce jour ?
Laurent : Force Ouvrière, Sud et la CFDT ne participent pas au mouvement et n’ont pas appelé à la grève.
Nous publions la position de la CFDT- Interco 93 Plaine Commune :
"Nous avons conscience que l’ouverture du dimanche bouscule l’environnement personnel et familial des collègues qui travaillent en médiathèque.
Le syndicat CFDT a obtenu une sujétion de 100€ net par dimanche travaillé, nous avons été entendus par les élu.e.s. En revanche notre demande de travail du dimanche sur la base du volontariat n’a malheureusement pas été retenue.
Nous vous invitons à nous transmettre vos revendications avant le prochain Comité Technique du 9 juillet, par mail afin que nous puissions faire le point sur les actions à mettre en œuvre et de porter votre voix".
Interrogé, le secrétaire général de Force Ouvrière Plaine Commune, Gérard Bouetel fait part de l’opposition du syndicat au travail du dimanche. Concernant ce projet d’ouverture des médiathèques le dimanche le syndicat demande une expérimentation sur deux ans, l’unique recours à du volontariat pour les agents et une prime de 100 euros net par dimanche travaillé.