Sofia Boutrih, une story dionysienne

, par Michel Ribay

Sofia Boutrih a depuis longtemps l’habitude de gérer un agenda bien rempli. Depuis la semaine dernière, elle sait qu’il va falloir redoubler d’organisation, de rigueur au fil des jours et des mois. En une semaine, le tempo s’est accéléré et s’écrit désormais sur deux agendas, 2025 et 2026 entrecroisés. Une rencontre, un échange de deux heures, dans un café, à deux pas de la station de métro Front populaire. Tout un symbole pour le portrait de celle qui s’apprête à prendre la direction de la Fête de l’Humanité.

Désignée chef de file pour l’élection municipale de mars 2026 par les adhérents de la section communiste de Saint-Denis, elle va prendre ce lundi 21 octobre ses fonctions de directrice de la fête de l’Humanité, après la proposition que lui a faite Fabien Gay, directeur du journal. Repérée, choisie pour son enthousiasme sans doute, sa rigueur et ses qualités d’organisation.

L’organisation elle connait. D’abord la sienne. Le parti. Qui est devenu son port d’attache en 2015. Elle est aujourd’hui, outre à la section dionysienne, membre de l’exécutif fédéral.

Rien de prévu pourtant pour celle qui n’envisageait pas de faire de la politique, encore moins avec un plan de carrière. Elle se préparait plutôt en 2012, à traverser la Méditerranée pour rejoindre Rabat, après ses premiers diplômes obtenus, – ils se succèdent au fil des années – pour y effectuer un stage à la chambre de commerce. Le projet tombe à l’eau et comme de nombreux jeunes diplômés elle tente sa chance en écrivant partout pour décrocher un stage.

C’est le député Patrick Braouezec qui l’accueille, on est à quelques semaines de la campagne législatives de 2012.

C’est dans ce cadre que Sofia Boutrih découvre les démarches innovantes de démocratie participative menées les années précédentes et une campagne électorale, dure, brutale qui se conclue par la défaite au second tour de Patrick Braouezec face à Mathieu Hanotin.

Une sorte de présage. Rien ne laissait penser en effet que près d’une décennie plus tard, elle ferait face, élue d’opposition depuis juin 2020, au maire de Saint-Denis.

Si la politique consiste à s’emparer d’idées, à les faire siennes, à en produire, à tout le moins les incarner et emporter l’adhésion du plus grand nombre, Sofia Boutrih en avait très tôt quelques dispositions. Délégué de classe au fil des années. Primaire. Collège. Un classique.
Alors si quelque chose l’a conduit à faire de la politique ce n’est pas par hasard, ou sur un coup de tête. C’est la vie, sa vie qui l’a mené là où elle est aujourd’hui.

Retour en arrière. Sa vie, sa famille, sa vie de famille c’est une histoire dionysienne, une histoire d’immigration. Le père, parti de Tafraout dans le sud marocain, arrivé en France, ment sur son âge. 14 ans pour travailler c’est trop jeune. Va pour 16 ans et c’est l’embauche à l’usine, une fonderie à la Courneuve. Les années passent, les enfants naissent.

Sofia Boutrih a deux grand frères. Ce n’est qu’à la naissance du dernier de la famille, son petit frère que la famille peut quitter l’appartement de deux pièces, boulevard Carnot pour enfin prendre un peu d’aise à six dans un quatre pièces à la cité Gabriel Péri, après des années d’attente de ce logement. Social. Autre présage.

Saint-Denis. Seine Saint-Denis. Les files d’attente, avec son père, à la préfecture de Bobigny, pour la carte de séjour elle connait. Les allers-retour entre la cité Péri et le collège Henri Barbusse derrière elle, elle rejoint le lycée qui porte le nom d’un poète communiste, Paul Eluard. Péri, Barbusse, Eluard. On n’échappe pas aux présages surtout quand ils se multiplient.

Elle enchaine. Une classe prépa. ENS Cachan. Une licence en droit. Un bachelor en Relations Internationales. Un master en politique de la ville. Six mois à Barcelone au sein de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) la confronte à toute la complexité de construction des politiques locales, après un an passé au sein de l’Ecole de la Rénovation Urbaine à traiter nombre de sujets dont celui de l’émergence des conseils citoyens.
A son retour de Catalogne, elle rejoint un bailleur social, Plaine Commune Habitat, où en charge des politiques d’innovation sociale, elle crée, entre autres, le Club des locataires. Elle est aussi, à mi-temps, collaboratrice du député Stéphane Peu.

Collaboratrice parlementaire. Un travail d’équipe qui malgré la lourde charge de responsabilités, cadencé au quotidien, forge et mature l’expérience politique. Avec le recul nécessaire, les temps de réflexion indispensables pour contrecarrer le burn out possible de la machine parlementaire.
En 2020, elle quitte contrainte et à regret Plaine Commune Habitat et s’investit à plein temps dans sa mission de collaboratrice parlementaire. Elle est élue en juin. C’est une première, après une candidature aux Régionales en 2015 où elle est à 26 ans la benjamine de la liste conduite en Seine-Saint-Denis par Clémentine Autain.

Ce lundi 21 octobre, après deux ans passés dans un cabinet de conseil et l’obtention d’une certification en analyse financière à HEC, elle prend la tête d’une équipe de plusieurs personnes qui au fil de l’année, à l’approche de la fête, atteint la taille d’une importante PME. Avec trois dates en ligne de mire en septembre 2025 sur son agenda. Les 12, 13 et 14 septembre 2025 ce sera la 90ème édition de la fête de l’Humanité.

Jeune femme, trentenaire, à la barre d’un événement d’ampleur dont la première édition date de 1930, Sofia Boutrih a la ferme intention d’y imprimer sa marque. Plus de débats. Plus de culture. Plus d’échanges. Amplifier le succès de l’édition 2024 du plus grand événement populaire de chaque rentrée qui jusqu’en 2021 se déroulait historiquement à La Courneuve et depuis au Plessis-Paté dans l’Essonne.

Son agenda 2025 ne supplante pas celui de 2026, année qui bat la cadence, donne le tempo. Le compte à rebours s’égrène. Un programme, une méthode, une vision à partager pour Saint-Denis d’ici là. Pour cela elle a fait le choix d’une démarche collective qui, à son image et à celle de son parcours, comporte déjà beaucoup de trentenaires dionysiens engagés, déjà expérimentés.

2025, 2026. C’est pour Sofia Boutrih, son en même temps. Le grand bain dans lequel elle a plongé il y a longtemps. Elle connait ses envies, ses atouts. On lui reconnait ses qualités comme elle se méfie de ses défauts. Désignant elle même son impatience, elle sait qu’aller trop vite peut lui jouer des tours. Ses proches, ses soutiens seront là pour le lui rappeler, l’alerter si besoin. Sans complaisance mais avec bienveillance.

Pour 2025, ils lui souhaitent le meilleur. Un demi-million de personnes et plus à la prochaine fête de l’Huma.

Pour 2026 le meilleur aussi. Ce sera aux Dionysiennes, aux Dionysiens, « commune nouvelle » ou vieille cité rebelle de désigner celles et ceux qui, ensemble, s’attacheront, s’attachent déjà à imaginer Saint-Denis demain.

Alors, comme on dit, à Tafraout, à Saint-Denis, Yalla et même pas peur !

Sofia Boutrih en 7 dates.
5 avril 1989. Naissance à Saint-Denis.
2012. Stage auprès du député Patrick Braouezec, puis chargée de mission au cabinet du président de Plaine Commune.
Décembre 2015. Candidate benjamine sur la liste des élections régionales.
Août 2018. Collaboratrice parlementaire du député Stéphane Peu.
Juin 2020. Elue conseillère municipale et territoriale.
Mars 2021. Candidate aux élections départementales.
Octobre 2024. Désignée chef de file du parti communiste pour l’élection municipale de mars 2026. Prend ses fonctions de directrice de la fête de l’Humanité.