– Depuis l’ouvrage Sanofi Big Pharma paru en 2013 dont vous étiez l’un des auteurs quels sont les éléments significatifs qui ont marqué le secteur de l’industrie pharmaceutique ?
La situation que nous dénoncions en 2014 d’une Big pharma orientée vers la seule satisfaction des actionnaires a même empiré. Les Big pharma se concentrent sur les axes thérapeutiques les plus rémunérateurs. Ils achètent à prix d’or start-up ou molécules en développement à fort potentiel financier. Le prix des nouveaux médicaments explose (cancérologie, maladies auto-immunes, maladies rares,….)
– Et que s’est-il passé au sein de Sanofi ?
Cette stratégie a été appliquée à la lettre : les axes thérapeutiques potentiellement les moins profitables (maladies infectieuses) ou difficiles par manque de connaissance scientifique fondamentale (maladies neurodégénératives) demandant donc un investissement de long terme, sont abandonnées.
Des sites de recherche ont fermé (8 sur 11 en France) mais aussi des sites de production ou de distribution. Le groupe se désengage de 200 familles de médicaments sur la seule base de la rentabilité car comme ils le disent certains ne font même pas un million d’euros de chiffre d’affaires. Ce sont plus de 3500 postes directs qui ont été supprimés dans le secteur recherche à Sanofi en 12 ans en France soit plus de 50%.
Tout cela alors que Sanofi perçoit chaque année entre 110 et 130 millions d’euros de crédit d’impôt recherche payé par l’ensemble de nos concitoyens.
Sanofi entend concentrer son activité autour de quelques médicaments et dans les vaccins où il lui serait trop difficile éthiquement de se désengager.
– Des grands groupes pharmaceutiques ont à l’occasion de la crise sanitaire du Covid produit leurs vaccins, comment expliquez-vous le retard de Sanofi ?
Sanofi a pris du retard dans les nouvelles technologies vaccinales utilisant notamment l’ARN messager. Sanofi dans les vaccins comme dans la recherche de nouveaux médicaments ne veut investir dans de nouvelles approches que si d’autres laboratoires ont démontré que ces pistes donnaient des résultats, en fait Sanofi est toujours en retard.
La technologie utilisée par Sanofi est plus classique, celle de la protéine recombinante dont Sanofi avait annoncé la totale maîtrise via l’acquisition il y a 3 ans de l’entreprise US Protein Science . Y a-t-il eu des dysfonctionnements entre les Etats-Unis et la France ?
A cela s’ajoute la perte d’expertise et de maîtrise interne qui a conduit à une erreur inexplicable dans l’achat d’un réactif essentiel dans la détermination du niveau de concentration d’antigènes. Sanofi sortira peut-être enfin un vaccin contre la Covid mais pas avant la fin de l’année.
– Comment cette situation est vécue par les équipes, les équipes de chercheurs, les salariés de Sanofi ?
La situation est très mal vécue par les salariés, ils vivent douloureusement cet échec dont ils ne sont en rien responsables. Les annonces de nouvelles suppressions d’emplois dans la recherche pharmaceutique, l’externalisation de plusieurs sites de production, la filialisation de l’activité médecine grand public et l’arrêt de commercialisation de 200 familles de médicaments sur 300 renforcent l’inquiétude. Il n’y a plus que certains cadres supérieurs qui croient en la stratégie de la direction générale.
– Une campagne sur la levée des brevets a été lancée. Cette notion a été reprise au plus haut niveau politique, aux Etats-Unis, relayée aussi en France par E. Macron, quel écho cela a-t-il eu au sein de Sanofi ?
Cette demande de levée du brevet nous l’avons porté au niveau de la CGT Sanofi par voie de tract et d’intervention dans la presse et les médias. Pour nous elle va de pair avec la nécessité de réquisitionner l’outil de production existant permettant d’accroitre les quantités de doses de vaccins alors que les pays du sud n’ont quasiment rien reçu du programma Covax. Nous avons le sentiment que cette revendication est fortement partagée par nombre de salariés de l’entreprise comme au niveau de la population.