Au cœur de la ruche MaMaMa avec Cindy, Clara, Abibatou, Paul et Héloïse.

, par Michel Ribay

On encense souvent et plus que de raison les sagas d’entrepreneurs mûs par une volonté farouche de défricher des sentiers inconnus, d’innover là où la force de l’habitude primait. Des sagas nées de rien sauf de la conviction, d’un désir, de faire bouger les choses ou d’occuper un terrain vierge.
Des réussites nées de pas grand chose mais d’un bricolage de génie, de beaucoup de nuits blanches quand d’autres, assurés d’une position dominante somnolent en journée. D’autres entrepreneurs tirent leur légitimité d’un terrain délaissé. Refuser une injustice, atténuer une souffrance, soulager des maux auxquels personne n’avait pris soin de répondre. Un angle mort en sorte dans lequel des jeunes femmes souvent en précarité, isolées avec un tout petit, étaient souvent condamnées à l’invisibilité. C’est la raison d’être de MaMaMa. Reportage.

L’association MaMaMa est bien d’une trempe particulière. De la trempe d’entrepreneuses à bousculer le désordre établi. Mais pas de celles qui raisonnent et parlent start-up nation première langue, business plan ou retour sur investissement. Non. Ni virtuoses d’Excel ou communicantes option Powerpoint mais des convaincues, des enragées de l’engagement, des entrepreneuses du soin.

Au départ elles sont trois. Marielle, Magali, Marguerite. MaMaMa. Ça sonne comme les trois coups au théâtre. Pour attirer l’attention. C’est la raison de ces trois coups. Mais là ce n’est pas un rôle. C’est la vie. La vraie. Belle mais cruelle, au temps du Covid virulent.

C’est le moment où Marielle, Magali, Marguerite, bénévoles, suivent quotidiennement, au téléphone, des femmes touchées par le virus. Malades, seules et isolées, inquiètes et épuisées des mères se privent de repas pour ne pas priver de couches leur nourrisson. Un bébé pour lequel quelquefois elles n’ont rien. Ou si peu.
MaMaMa. Une onomatopée qui dit bien quel est leur public. Elle dit aussi les premiers mots sinon un des premiers, le premier, le mot de l’attachement.

Blédina, MAM Baby et les autres

MaMaMa. Au départ elles sont donc trois. Trois femmes, aidées de Aïcha, médecin bénévole, pédiatre de l’AP-HP, puis 10, bénévoles, en rencontrent 100 autres, en accueillent 1000, 1000 que multiplie 7, que multiplie 10 et au fil du temps, de confinement en confinement, d’une crise à l’autre, c’est 70000 femmes et enfants bénéficiaires.

Sans chichi, sans selfie, juste des colis. Beaucoup de colis.
Et les dons affluent. De la part de noms qui parlent : Pampers, Blédina... et beaucoup d’autres. Connus ou anonymes.

Aujourd’hui, rue de la Métallurgie, à Saint-Denis, MaMaMa, et cela depuis 30 mois, c’est une ruche. Des salarié.e.s, des bénévoles. Des femmes, beaucoup de femmes et quelques hommes. Ça butine dans les palettes, ça trie, ça stocke, ça étiquète, ça plie, ça compte, ça range, ça distribue. Et puis ça prospecte, ça anticipe, ça fourmille d’idées, de projets. On y reviendra.

1 mois, 6 mois, 1 an, les colis se forment selon les âges, les besoins. On a les mains dans les colis mais la tête dans les étoiles, les yeux qui brillent, le sourire aux lèvres des femmes accueillies, les pleurs ou les rires d’un ou deux enfants présents.

Là c’est pour une PMI, Franc Moisin ou les Moulins Gémeaux, parmi les cinq structures dionysiennes qui viennent de passer commande et sont d’habitude approvisionnées en vélo-cargo. Là, c’est une assistante sociale qui vient chercher le colis confectionné par Cindy, quelquefois complété, ajusté aux besoins de la famille. Les gestes sont précis. Ce n’est pas la première fois. Un camion vient livrer plusieurs tonnes de dons, la grande porte est ouverte.
Le vent s’engouffre mais de toute façon ici le froid on s’y est habitué enfin pas tout à fait. On fait avec, mais on ne comprend toujours pas pourquoi les femmes avec leur petits, accueillis ici sur rendez-vous, n’ont pas droit à ce minimum de confort, de réconfort. Les bénévoles comme les salariés aimeraient bien aussi ne pas avoir à travailler emmitouflés, pieds et mains gelés, port du bonnet conseillé.

« Les livraisons en vélo-cargo sont stoppées »

Ça butine de partout mais ce n’est pas du bricolage ni de l’à-peu-près. On renseigne le logiciel qui permet à l’une de savoir ce qui sort, à l’autre de prévoir la réception et la place nécessaire à un futur arrivage, à une autre de relancer un partenaire.
Du lait 6 mois va manquer, les couches 1 an, ça va on est tranquille, question petits pots ça arrive demain. Un logiciel qu’utilise le Secours Populaire Paris. Ici on butine mais on butine pro. Fiche de commande normée. Les procédures intégrées. 30 mois qu’elles s’y collent.

9h 30, la journée commence pour Cindy, bénévole, qui est référente Pôle social et PMI et est en passe de rejoindre la structure comme salariée. Elle gère donc les commandes des PMI, les commandes des assistantes sociales. Nom de la structure, nom de la bénéficiaire, de l’enfant, son âge. Les besoins répertoriés sous forme de pictogrammes pour permettre au plus grand nombre de confectionner les colis. Le logiciel est renseigné. Il faut préparer les colis. Routine. Pas tout à fait car aujourd’hui encore Cindy peste. Les livraisons en direction des PMI de Saint-Denis qu’elle faisait elle-même en vélo-cargo sont stoppées depuis plusieurs jours. Les pneus du vélo-cargo ont été lacérés à coup de couteaux. Cindy n’en dit pas plus. On s’est compris, à demi-mot.*

Référente pôle social et PMI ça veut dire 150 centres de Protection Maternelle et Infantile en Ile de France Paris compris et 221 assistantes sociales référencées en 2022 à suivre.
Le local utilisé est vaste mais amputé d’un espace hier totalement encombré de matériel hétéroclite et aujourd’hui quasi vide, entouré de barrières, une porte extérieure est condamnée par du matériel de chantier, de BTP. Des motos et d’autres objets barre l’accès à un local. Plus loin un groupe électrogène trône sur une palette. Plus de 200 m2 sont vide de tout objet.

Tout cet espace serait d’un grand secours pour Paul. Paul c’est un des hommes de la ruche. Lui son rôle c’est de jongler. Avec l’espace justement. Les tonnages, le stock, les flux, les circulations c’est son domaine. En master Management des opérations et processus logistique à l’école Isteli, il est ici en alternance Et plutôt que dans une grande entreprise de logistique ou tout est déjà bien segmenté, ici il doit faire office de couteau suisse. Une formation épreuve du feu qui lui permettra de parer à tout problème par la suite. MaMaMa c’est aussi une école de formation incomparable.

 « T’as pas de bureau, c’est pas chauffé,… c’est compliqué »

Clara rime avec partenariat. Les partenariats c’est sa mission. Elle vient de Sciences- Po Bordeaux, master Coopération internationale et développement. Salariée, sa mission elle la décline sous trois formes. D’abord Duo. Un programme qui vise à créer, susciter, développer du lien entre un.e bénévole de MaMaMa et une bénéficiaire. 43% des femmes accueillies à l’association se sentent isolées. Et plus de 75% d’entre elles n’ont pas de solution de garde, tous modes confondus. L’accueil à MaMaMa est donc déjà pour une très grande majorité d’entre elles la première pierre de construction de lien social. On comprend là l’importance capitale d’offrir un accueil individualisé, préparé, suivi. Des rencontres qui, selon les cas, peuvent prendre de trente minutes à deux heures.

Pourquoi est-elle là Clara ? C’est simple. Elle désirait travailler dans une association féministe. Le mot de sororité sort de sa bouche avec naturel, comme une évidence. Et puis, elle a tout de suite eu confiance, rassurée par son premier entretien avec Magali qui n’y va pas par quatre chemins. « Tu n’as pas de bureau attitré, il n’y a pas de chauffage, on a un gros problème sur le local, on est en conflit avec la ville ... c’est compliqué, voilà ».

Pour Clara, cette transparence qu’elle n’avait jamais rencontrée auparavant a emporté sa décision.

Pas de blabla, un entretien cash, direct. Depuis Clara butine partenariat avec le mouvement associatif et des grands groupes Manutan, Allianz, L’Oréal, Akineo, Microsoft.
Des collectes internes ont lieu au sein des entreprises. Et les salariés peuvent consacrer directement du temps à la solidarité au titre des actions de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE).

Microsoft, justement aujourd’hui, mercredi 7 décembre, c’est huit salariés du géant informatique qui, lors de la journée de solidarité, sont là. MaMaMa les accueille. Présentation découverte, échanges et puis les huit salariés se mettent à confectionner les colis. Un grand espace est réservé à cela. Basé sur un modèle à reproduire les mises en sac s’effectuent aisément.

A côté de Clara qui fait part de son plaisir à travailler ici, à côté d’elle dans ce qui fait office d’espace partagé ou chacun/chacune passe prendre ou livrer une information, Abibatou, son PC sur les genoux. Elle est toute nouvelle. Depuis un mois elle s’occupe de la gestion administrative et financière de l’association. Elle a toujours exercé ses compétences dans le milieu associatif et se réjouit de savoir que derrière les chiffres qu’elle transmet au cabinet d’expert comptable de l’association il y a d’abord de la solidarité.

Une ingénieure et Traducteurs sans frontières

Demain, à la suite de Microsoft, ils seront vingt-cinq. 25 collaborateurs de Mediawan, un des principaux studios européens indépendants, qui prendront la relève. C’est Paul qui les encadrera. En attendant, Paul se dit qu’il ne faut pas qu’il oublie d’aller chercher les sapins de Noël aujourd’hui, car demain ce sera trop compliqué.

Et puis chez MaMaMa, ça prospecte, ça anticipe, ça fourmille d’idées concrètes, de projets mis en forme. Innovants, inédits. Des entrepreneuses.

Héloïse est ingénieure. Elle vient de Bretagne. De Rennes. Une double formation spécialisée en agro-alimentaire et en nutrition. Elle a plus d’une corde à son arc car elle avait une fonction RH chez MaMaMa pour laquelle, sollicitée, elle donne encore volontiers son avis.
A ce jour elle a quasiment bouclé deux projets dont elle a la charge.

Le premier consiste à réaliser des courtes video pour populariser des messages de santé publique en direction des publics éloignés de ces enjeux. En 10 langues pour commencer. L’objectif est de couvrir 30 idiomes. Les scripts sont écrits, les actrices recrutées, des pro ou des bénévoles ...de MaMaMa. Traducteurs sans frontières a apporté ses compétences. Il reste à mettre en boite tout cela en y associant des animations. Elle n’avait pas de connaissances en videos ou en créations d’animations mais bon, la conduite de projet pour une ingénieure, ça le fait.

Le deuxième projet, encore plus ambitieux mais au cœur de sa formation, est lui aussi bien avancé à part un petit détail qui bloque tout...

Vous êtes curieux de savoir de quoi il s’agit. C’est à découvrir dans un prochain article.

* Le 25 novembre, l’association MaMaMa a par mail alerté l’ensemble des élus dionysiens et le président de la SEM, Stéphane Troussel, d’événements survenus sur le site où elle exerce ses actions de solidarité. Dénonçant des violences et intimidations à son encontre, l’association indiquait dans l’objet de son mail : Demande urgente de protection. SOS !

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