Conseil municipal du 15 décembre. « Que souhaite vraiment la municipalité pour l’avenir du cinéma l’Ecran ? »

, par Michel Ribay

Le 6 octobre dernier, le conseil municipal a adopté une délibération créant un service public municipal de cinéma. L’intention était et reste louable, et si de nombreuses interrogations se faisaient jour, les termes de la délibération adoptée ce jour-là pouvaient rassurer. Les ambitions affichées étaient clairement explicitées et leurs formulations témoignaient d’une volonté de continuité de la politique de programmation culturelle, d’animation et d’exploitation conduite depuis des années par l’association L’Ecran avec le succès que l’on sait. Le futur service public municipal de cinéma entendait poursuivre sur la même voie et l’amplifier. Dont acte. A la lecture des documents (rapport et annexe) qui seront présentés au conseil municipal le 15 décembre, les interrogations soulevées en octobre se transforment, 3 mois plus tard, en de très vives inquiétudes.

Rappelons les ambitions présentées dans la délibération adoptée le 6 octobre :
La création d’un service public de cinéma permet par ailleurs à la Ville d’affirmer des fortes exigences de service public :
– Promouvoir une programmation proposant une part importante d’œuvres cinématographiques d’Art et Essai figurant sur la liste établie par le CNC ; ces œuvres devant être présentées en Version Originale (VO) ;
– Maintenir le classement Art et Essai assorti de labels d’excellence tels que : « Recherche et découverte », « Patrimoine et Répertoire », « Jeune Public ».

Ces formulations précises affirmaient une volonté de continuité. Restait à préciser le mode de gestion à venir. Et bien que la majorité municipale affirmait n’avoir pas tranché sur le mode de gestion à venir, c’était un secret de Polichinelle qu’elle s’orientait vers le lancement d’une délégation de service public.

Qui dit délégation de service public dit cahier des charges. Il constitue le cadre auquel les postulants doivent se tenir. Libre à eux de définir les moyens, les modalités, la manière de répondre à la commande mais le cadre des principes est lui intangible et donc non négociable. Les réponses de postulants s’en écartant ne peuvent être retenues.

Ainsi, la délibération proposée aux votes des conseillers municipaux détaille les missions du délégataire dans le « Projet de rapport à la commission consultative des services publics locaux » comme suit :
La programmation :
– La programmation visera attractivité et haute qualité artistique avec une part significative de films recommandés Art & Essai, assortie d’un ou plusieurs labels.
– La programmation promouvra la diversité artistique et l’ouverture aux esthétiques contemporaines et historiques, ainsi qu’aux cultures européennes et du monde. Cette diversité sera détaillée dans leur offre par les candidats (nombre minimum de films différents proposé (selon une typologie) et de séances chaque semaine, ainsi que le nombre moyen de films en sortie nationale).

Le contenu du cahier des charges annexé à la délibération soumise au vote jeudi prochain ne reprend donc pas les termes de la délibération adoptée le 6 octobre !

On ne parle plus dans les objectifs de :
– Promouvoir une programmation proposant une part importante d’œuvres cinématographiques d’Art et Essai figurant sur la liste établie par le CNC ; ces œuvres devant être présentées en Version Originale (VO) ;
ni même de :
– Maintenir le classement Art et Essai assorti de labels d’excellence tels que : « Recherche et découverte », « Patrimoine et Répertoire », « Jeune Public ».

La formule introduite permet toutes les interprétations possibles :
« viser attractivité et haute qualité artistique avec une part significative de films recommandés Art et Essai, assortie d’un ou plusieurs labels »

Attractivité, haute qualité artistique, c’est pour le moins flou. On ne parle plus du maintien des 3 labels mais d’un ou plusieurs labels… Et quand c’est flou…

Comment peut-on revenir (et aussi vite !) sur les termes d’une délibération adoptée par le conseil municipal le 6 octobre ?! C’est faire peu de cas du vote des conseillers et jeter le doute sur ce qui était affirmé par la ville comme « de fortes exigences de service public ».

Il n’y a pas 50 manières de lever le doute qu’introduisent les formulations proposées.
Le conseil municipal est une instance délibérative. Il peut donc amender en séance les délibérations soumises au vote ou adopter des amendements qui lui sont soumis préalablement par un ou plusieurs conseillers municipaux. Revenir aux termes de la délibération d’octobre s’impose.

Hormis ce point capital, d’autres éléments sont aussi une source de grandes inquiétudes :

1) La diffusion possible de spots publicitaires
Parmi les recettes envisagées, une nouveauté est introduite :
« La rémunération du Délégataire consiste en le droit d’exploiter l’équipement, à ses risques et périls, 
selon les conditions et modalités qui seront prévues dans le contrat.
Elle est décomposée comme suit :
– Les recettes de toute nature perçues auprès des usagers et utilisateurs.
– Les recettes des activités commerciales complémentaires
– Les recettes publicitaires
– Les subventions qui pourraient être versées par la Collectivité soit pour compenser les 
obligations de service public qui seront définies dans le contrat, soit afin de contribuer à 
l’équilibre du service dans les conditions fixées par l’article 2251-4 du CGCT.
– Les subventions issues d’autres institutions »

L’introduction de tunnels de publicités commerciales ouvrant chaque séance apparait non seulement comme peu compatible avec une mission de service public assignée à L’Ecran et est de plus contradictoire avec la volonté affichée par ailleurs d’augmenter le nombre de séances. L’addition des temps dédiés à la publicité se cumulant obère très vite dans une journée d’exploitation la possibilité d’accroitre dans la programmation une séance ou un film supplémentaire.

Le conseil municipal peut aussi écarter ce risque, cette nouveauté en rupture avec l’esprit de L’Ecran et contraire aux valeurs du service public. Imagine-t-on à l’intérieur du centre administratif des panneaux publicitaires vantant qui une marque de voiture, qui une agence de voyages, qui une boisson énergisante ou tout autre produit d’entreprises privées ? Pourquoi un service public municipal de cinéma infligerait-il cela aux spectateurs ?

2) La politique tarifaire
Concernant les tarifs le même document indique :
La grille actuellement en vigueur fait office de base de référence pour les propositions tarifaires, les candidats pouvant toutefois proposer des évolutions mesurées et justifiées.
Les « évolutions mesurées et justifiées » ne sont pas encadrées. Quel est le pourcentage de variation acceptable ?
5 %, 10 %, 15% d’évolution mesurée et justifiée. Où est le curseur de la mesure ?

Là aussi, le conseil municipal peut préciser ses souhaits en conformité avec son ambition affichée et adoptée dans la délibération du 6 octobre : « Assurer une politique tarifaire accessible ».

3) Une consultation menée tambour battant préjudiciable au bon déroulement de la procédure pour le choix du délégataire
Le même document fait état du déroulement de la procédure :
Le calendrier de procédure prévisionnel est le suivant : 

– Décembre 2022 : délibération du conseil municipal sur le principe de la DSP. 

– Décembre 2022 : réalisation des mesures de publicité permettant aux entreprises intéressées de se porter candidates et de déposer une offre. 

– Janvier à Avril 2023 : procédure de consultation, y compris négociations 

– Juin 2023 : délibération du conseil municipal sur le choix du candidat et le contrat, notification 

– Démarrage de l’exploitation du cinéma en septembre 2023

La ville a fait part de son souhait, de son attachement même à ce que l’Association L’Ecran puisse elle-même répondre à la consultation mais le calendrier interroge.

Comment l’association L’Ecran, comment les personnes, les équipes en charge de l’exploitation en cours du cinéma, en pleine préparation d’un Festival, peuvent-elles dans un temps si court travailler leur offre, l’affiner, y compris dans un contexte où de grandes incertitudes pèsent sur le secteur.
– Construire un prévisionnel alors que l’année 2019, exceptionnelle en terme de fréquentation des salles, tient lieu de référence et qu’on est loin de retrouver les niveaux de fréquentation pré-Covid et que de nouvelles habitudes ont émergé chez les spectateurs ?
– Etablir un prévisionnel sans visibilité sur les impacts des importants travaux prévus dans le cadre du Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine tant pour la destruction du socle de l’hôtel Campanile que sur la place du Caquet (nuisances sonores, cheminements, accessibilité…) ?

N’est-il pas plus conforme aux intentions affichées de la ville, à l’importance de donner du temps au temps, de revoir ce calendrier, d’adopter un décalage ne serait-ce que de 3 mois afin d’assurer les meilleures conditions de réponses et d’égalité de tous les postulants potentiels ?
Là encore, le conseil municipal est souverain.

Tous ces points doivent être éclaircis, tranchés le jeudi 15 décembre. Ils sont essentiels. Ils vont déterminer la nature des réponses des postulants à cette DSP. Ils vont déterminer la nature du service public municipal de cinéma. L’âme de L’écran est bien en jeu.

Revenir aux termes exacts de la délibération du 6 octobre est un enjeu crucial. Préciser les autres points aussi. Toute autre option signerait le renoncement aux ambitions affichées, le reniement, l’annulation de la délibération adoptée par le conseil.

Les spectateurs de l’Ecran, les amoureux du cinéma, les professionnels du secteur, tous ceux qui de séance en séance ou de festival en festival ont pris le chemin à Saint-Denis de cette salle obscure, hier attenante au TGP à celles de la place du Caquet aujourd’hui, auront les yeux braqués sur le conseil municipal du 15 décembre.

Ils veulent encore croire, comme le souhaitait la présidente de l’association L’Ecran, Chantal Chatelain, dans un entretien publié sur ce blog le 6 octobre dernier, que « nous continuerons à avoir un cinéma de qualité, avec une équipe de qualité comme actuellement ».