Conseil territorial du 11 avril. Un rapport de Mathieu Hanotin sur la démocratie locale, maltraitant la démocratie et les citoyens, voté… à l’unanimité !

, par Michel Ribay

Un conseil territorial s’est tenu mardi 11 avril. De nombreux sujets d’importance étaient à l’ordre du jour, très chargé, puisque le conseil territorial du 21 mars avait été annulé sans qu’on en connaisse le motif. Ceux qui ont vu un rapport entre son annulation et le rassemblement à l’appel d’association de locataires devant le siège de Plaine Commune le 21 mars font à coup sûr preuve de mauvais esprit. Le conseil territorial devait discuter Démocratie locale. C’est raté.

A l’occasion de ce conseil, les élu.es ont été accueilli.e.s à la fois par une partie des manifestants déjà présents le 21 mars protestant contre l’augmentation des loyers et des charges par les bailleurs du territoire, ainsi que par des citoyens engagés dans la défense des Jardins ouvriers d’Aubervilliers que la réalisation d’une gare de la SGP et d’une piscine dans le cadre des JOP 2024 continuent de menacer.

Un vœu sur les questions financières, les délibérations concernant les compétences (piscine et stationnement), le Règlement local de publicité intercommunal et la modification du PLUi concernant spécifiquement le devenir d’une partie des Jardins d’Aubervilliers ont suscité les plus nombreux échanges. Nous y reviendrons partiellement dans un prochain article.

Entre provocation et mépris pour les habitants…

Paradoxalement, un rapport n’a suscité aucun débat, pas la moindre intervention à part la présentation du rapport de la part de Mathieu Hanotin, signataire dudit rapport avec une conseillère territoriale de Stains, Nabila Akkouche. Il s’agissait de l’affaire 4, intitulé « Renouvellement de la stratégie démocratie locale - 21 propositions pour changer notre rapport administration/administrés ».

A l’heure de la suppression de six arrêts de bus en centre ville à Saint-Denis et à l’heure d’une fusion Saint-Denis/ Pierrefitte – après le déplacement d’une partie du marché – sans aucun débat préalable, un rapport sur la démocratie locale par le maire-président ne pouvait que surprendre et prendre l’aspect d’une provocation et d’un mépris profond pour les habitants et l’institution qu’il préside.

…et sa propre majorité

On se demande d’ailleurs à l’aune des derniers événements et annonces du maire comment et combien de temps sa majorité municipale va continuer à encaisser et supporter un management aussi autoritaire, vertical et peu soucieux du collectif.
A l’autoritarisme, le maire sait y adjoindre toutes les pressions nécessaires pour faire rentrer dans le rang ceux qui auraient – individuellement – quelques velléités de se rebeller, à moins que la brutalisation à répétition de sa majorité ne finisse par provoquer une levée de boucliers en son sein qui serait salutaire pour la ville et ses habitants.
En tout cas ce n’est pas le rapport sur la Démocratie locale creux et verbeux que le maire-président a présenté qui devrait les rassurer.

La démocratie bafouée et au galop

Un rapport donc qui a recueilli un vote pour unanime. Un vote unanime par défaut.
En effet, on se demande bien comment un tel rapport peut recueillir un tel vote ou plutôt une telle indifférence à son contenu. Les quelques échanges que nous avons pu avoir à son sujet avec quelques conseillers territoriaux dont un vice-président qualifiant tous ce rapport de bla bla expliquent sans doute cela.

Ceux qui en ont pris connaissance ont sans doute jugé qu’il n’avait aucune importance au vu de son contenu, de ses engagements et son devenir. Nous allons y revenir.

Quant à ceux qui auraient eu envie de s’y attarder, d’en faire un début de débat, d’y déceler une avancée quelconque pour une plus grande participation citoyenne à la vie publique ou un rapprochement entre l’administration, les élus et les administrés, ils auront eu bien peu de temps puisque le dossier du conseil a été transmis aux élu.e.s en date du jeudi 5 avril en fin de journée.

Les élu.es avaient donc 4 jours pour consulter celui-ci. Le dossier complet fait, tenez-vous bien, 822 pages. Beaucoup d’annexes, de documents mais ce seul rapport fait 13 pages.
Celui sur le PLUi, comporte 102 pages dont 50 constituant le rapport de la commissaire enquêtrice, essentiel pour appréhender le sujet et voter en toute connaissance de cause.
Les autres rapports sont à l’avenant évoluant entre 10 et 20 pages, pour d’autres bien plus.

Bref, sans aller jusqu’à consulter pour ne pas dire lire avec attention 822 pages, 4 jours étaient laissés aux élu.e.s pour au moins 200 pages sur lesquelles ils engageraient leur vote au conseil territorial.

Misère donc des conditions d’exercice de la démocratie représentative et de la démocratie.

Ceux qui voient une discordance entre cette manière de procéder et la volonté affichée de « Renouvellement de la stratégie démocratie locale » font du mauvais esprit.
Ceux qui qualifieront cette manière de procéder, au regard des belles et nobles intentions du rapport, de « foutage de g… » auront tout simplement raison.

Il n’agit pas dans ce rapport sur la Démocratie locale de changer la loi, le conseil territorial n’en a pas le pouvoir.

Pour autant s’inspirant, on l’espère, de l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui stipule que : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation », les rapporteurs peuvent donner une place, « une juste place », comme il est dit dans le rapport, à la possibilité de concourir personnellement – ou d’une manière collective, la libre association des citoyens étant un droit constitutionnel depuis 1971 – à l’élaboration des politiques publiques intercommunales.

Comment ? C’est là que ça se corse.

Le rapport sur la démocratie locale, une novlangue managériale

« Depuis janvier 2022, l’exécutif a souhaité donner une nouvelle dynamique à la participation des citoyens du territoire dans la construction des politiques publiques intercommunales. Rompant avec l’instance traditionnelle du Conseil de développement, la structure souhaite désormais diversifier et moderniser les manières d’impliquer les citoyens dans son action. » lit-on en introduction.

On l’a compris, il s’agit d’être innovant, de ne pas verser dans la tradition, voire le traditionalisme d’où la suppression d’une « instance traditionnelle » comme le Conseil de développement, soupçonné peut-être de tenir ses séances en latin et en robe de bure. Commençons donc par supprimer ce qui existe et qui a par le passé fait la preuve d’un travail conséquent.

Pas moins de 56 contributions ont été élaborées depuis 2004, notamment sur des documents de planification (PLUI, SCOT, PLH, PLD, ...), le budget et la gestion de l’espace public par l’« instance traditionnelle », le conseil de développement. (On reviendra sur le sujet, et à l’occasion on peut consulter dans le portfolio l’avis du Conseil de développement sur le Plan Local de Déplacement)

C’est là, avec sa suppression une manière de s’inscrire dans les pas macronistes du ministre Sébastien Lecornu prévoyant en tant que ministre délégué en charge des collectivités territoriales, dans la loi Engagement et proximité de décembre 2019, de supprimer cette instance ou du moins de ne la rendre obligatoire qu’à partir d’un seuil de 50 000 habitants pour les intercommunalités. Cela avait été dénoncé avec force. (Voir dans le portfolio)

Un conseil de développement traditionnel supprimé en janvier 2022, dont l’animation avait été confiée à celui qui est désormais le directeur de la communication de la ville de Saint-Denis, après avoir été le rédacteur en chef de feu Le Journal de Saint-Denis. Certains y voient le résultat d’un service commandé, d’autres se contentent de penser que décidément cette personne porte la poisse. In fine, le résultat est le même.

Quels outils de participation, de regards citoyens sur les projets et l’action de Plaine Commune ?

Depuis la liquidation du conseil de développent ? Rien. Et voilà qu’on nous présente la nouveauté, l’innovation : « Le renouvellement de la stratégie démocratie locale et ses 21 propositions ».
21 propositions, c’est pas rien, ça vous ancre vraiment – de façon subliminale – dans le 21ème siècle, une sorte d’Agenda 21 de la démocratie tournant définitivement le dos au haut moyen-âge et à son conseil de développement qui exhale le papier moisi, la botte de foin et le crottin de cheval.

Entrons donc dans l’ère progressive –progressiste – de la participation citoyenne de la « prise de température » jusqu’au « dialogue territorial » en positionnant Plaine Commune dans la course pour être « leader de l’innovation démocratique », « contribuer à l’émergence d’une conscience citoyenne » permettant de « garantir le bon traitement des sollicitations des citoyens et assurer systématiquement une réponse rapide, pertinente et agréable. »

C’est bien sûr cela la participation citoyenne : le citoyen sollicite et on lui apporte rapidement une réponse qui, ça va de soi – est pertinente – et de surcroit agréable.

En pharmacologie le panel des outils est diversifié : après « la prise de température » du citoyen on peut administrer l’antalgique pour atténuer la douleur d’une décision brutale, l’anxiolytique en support d’un traitement au long cours pour le citoyen inquiet d’une ou plusieurs mesures. Le recours au barbiturique peut aussi s’avérer utile. En cas de citoyen un peu trop sollicitateur, rétif ou résistant pour lequel il s’agit d’endormir rapidement l’ardeur revendicative le sédatif s’impose.

Le rapport entend mettre à l’honneur des « communautés d’usagers » !

Comment, par exemple, la « communauté d’usagers des lignes de bus 153, 239 et 253 » va-t-elle être traitée ?

Le maire-président semble avoir choisi la trithérapie : calmer, enfumer, endormir.
Premier temps, rapidement on promet des navettes, deuxième temps on ne supprime pas des arrêts de bus, on les déplace, troisième temps pour ceux qui n’auraient pas bien compris la nuance ils sont convoqués en visioconférence le 18 avril.

Le mensonge en traitement de fond. La visioconférence pour… la proximité. Une communauté d’usagers atomisée sur zoom.

Un rapport qui souhaite faire émerger des « communautés d’usagers » avec une visée si utilitariste qu’elle ne peut que nous interroger sur la véritable finalité de cette intention et son réel rapport avec la démocratie.

Citons le rapport :

« Ces communautés d’usagers pourraient alors produire des retours d’expérience pertinents et informés sur nos services publics, de manière à favoriser leur amélioration continue, et challenger notre administration vers des services publics plus innovants. Ce travail devrait également inclure la réponse aux sollicitations des habitants de manière à produire systématiquement une réponse agréable, efficace, rapide et pertinente.

Enfin, l’émergence de ces groupes d’usagers pourrait également permettre de renforcer la transmission de l’information sur le service public, pour en développer l’appropriation par les habitants, et en renforcer la compréhension. In fine, ces échanges seraient notamment utiles à désamorcer en amont des situations de tensions inutiles, à rétablir un sentiment de confiance et plus généralement à créer un sentiment collectif et la fierté d’appartenance au territoire. »

Les usagers eux ont pris les choses en main, collectivement, en allant au-devant des autres usagers. Ils ont pratiqué ce dont la majorité municipale nous rebat les oreilles avec son « aller vers ».

Et bien les usagers « en allant vers les usagers » ont formé à ce jour une communauté de plus de 4000 pétitionnaires qui contestent la décision du maire-président de suppression de six arrêts de bus.

Ils ont en cela utilisé un droit d’expression, de protestation depuis fort longtemps utilisé pour lequel le rapport entend dans sa proposition n° 13 :
« Initier une réflexion prospective sur différents sujets d’innovation démocratique. La mission démocratie locale pourrait continuer de proposer des réflexions prospectives sur une série de sujets par des notes d’intention à destination de la direction générale, de la Présidence et des élus. Voici une proposition de liste de sujets :
– Dispositif d’interpellation intercommunal par pétition
– Faciliter le recours du tirage au sort à l’échelle du territoire pour les acteurs publics institutionnels 

– Replacer les outils numériques au service de la démocratie locale
– Rendre ludique pour inciter l’engagement ».

Est-ce qu’on se rend bien compte du caractère prospectif de ces innovations démocratiques : un dispositif d’interpellation intercommunal par pétition ? C’est énorme.

Alors devant tant d’audace démocratique pourquoi dirons certains n’y a t-il pas eu ne serait qu’un dialogue avec les citoyens sur ce sujet ?

Le rapport y apporte une réponse en page 4 :
« Concernant le recours au dialogue citoyen, il est tout d’abord proposé que la question de l’opportunité d’un dialogue soit systématiquement posée au moment du lancement d’un projet, de l’élaboration d’un document stratégique, ou la création d’un nouveau service public. Cependant, si la question de l’opportunité se pose, l’organisation effective d’un dialogue citoyen ne doit pas pour autant être systématique. En effet, il est tout à fait possible, pour des raisons de calendrier, de contexte particulier et d’objectifs politiques, que la démarche de dialogue ne soit pas pertinente, et donc écartée. La question devrait cependant être sérieusement évaluée systématiquement et la réponse clairement justifiée. »

Etre juge et partie, juger soi-même de l’opportunité ou pas du dialogue avec les citoyens voilà une conception de la démocratie locale très éclairante.

Nous vous laissons découvrir la nature du rapport (voir dans le portfolio).

Si telle mesure, en particulier celles qui pourraient rapprocher l’administration des administrés ou telle autre peuvent avoir quelque utilité, l’esprit qui anime l’ensemble du rapport, le surplomb accordée à la démocratie dite représentative vis à vis des citoyens, la propension à dire plutôt que faire et l’évitement des questions qui fâchent ruinent toute possibilité de faire autrement, de donner un sens réel à la démocratie locale.

En d’autres temps – en mai 2018 – l’actuel directeur adjoint du cabinet du maire, Nicolas Matyjasik, pourfendait la nature d’une politique, celle d’Emmanuel Macron la qualifiant de « Politique sans valeurs » dans une tribune de Libération.

On souscrit pleinement à son diagnostic dont nous retenons ces extraits :
« Depuis le début du quinquennat, chaque action de l’exécutif est soutenue par une monstration de la modernité, évoquée de manière quasi religieuse : « Un devoir d’efficacité », « un langage de vérité ».

« Toutes ces formes actuelles de mesure, d’évaluation, de gouvernementalité participent à un mouvement d’expropriation de la pensée, une confiscation de la décision des citoyens. Le politique se met en capacité de créer un espace qu’il domine et mesure, via des indicateurs. Pas de place pour le débat, la contradiction, la production d’un sens et d’une finalité. On exécute un acte par soumission à l’automatisme des procédures, il n’y a pas de pire menace pour une démocratie. »

Manifestement, cette manière de faire, cette gouvernementalité a infusé jusque dans les collectivités, ici même elle s’y déploie insidieusement ou ouvertement revendiquée par le premier magistrat : « J’assume », « Faire plus avec moins », « La bonne organisation, c’est celle qui marche »…

Démocratie locale ? Représentativité ? Légitimité ? Pour qui ?

Le maire-président (et sa majorité) devraient donc s’interroger sur une donnée factuelle et son sens politique. Il n’aura fallu que quelques semaines pour que plus de 4000 citoyen.nes (cela augmente chaque jour) signent les pétitions, issues de quatre quartiers, exigeant le maintien des six arrêts de bus en cœur de ville.

Cela représente, Monsieur le maire-président, à l’heure où nous écrivons, près de la moitié des 8604 voix qui se sont portées, au terme de vos deux années de campagne, sur votre nom le 28 juin 2020.

Ce n’est qu’un début, les pétitions se poursuivent et toutes et tous sont appelé.e.s ce mardi 18 avril à « aller vers » le parvis de la mairie, à 18h. En nombre, représentatifs et résolus à se faire entendre. Démocratiquement. Légitimement.