Hommage à Renée Gailhoustet, architecte de l’îlot 8 Basilique à Saint-Denis. Le témoignage du Collectif îlot 8 et celui d’une habitante, Dalila Ven.

, par Michel Ribay

Il y a dix jours, le 9 janvier étaient célébrées les obsèques de Renée Gailhoustet décédée le 4 janvier. Renée Gailhoustet fut l’architecte de l’îlot 8 Basilique à Saint-Denis, et de bien d’autres réalisations architecturales novatrices qui lui ont valu de recevoir de nombreuses distinctions.
Nous débutons une série d’articles en hommage à cette architecte de renom saluée de toutes part sauf ici à Saint-Denis où la municipalité, le maire et président de Plaine Commune Mathieu Hanotin et son équipe ont choisi de se taire. Un silence qui résonne comme une insulte à sa mémoire, à son œuvre, à sa famille. Nous lui rendons hommage en consacrant une série d’articles composée de nombreux témoignages.

En 2022, sa première œuvre, la tour Raspail (96 logements, 6 ateliers d’artistes) à Ivry sur Seine, a été inscrite au Monuments Historiques, Le Liégat (136 logements, ateliers et commerces) à Ivry sur Seine a reçu le Label Architecture Contemporaine Remarquable tout comme La Maladrerie (475 logements, 36 ateliers d’artistes) à Aubervilliers en 2008. Quelque temps avant sa disparition, le 13 octobre dernier, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak lui décernait le prix d’honneur du Grand Prix National d’Architecture, pour l’ensemble de sa carrière, ce prix succédant à la médaille d’honneur de l’Académie d’Architecture décernée en 2018, ainsi que le Grand Prix d’Art de Berlin et le Prix de l’Architecture de la Royal Academy of Arts de Londres.

L’ensemble de ces distinctions témoignent de la reconnaissance de ses pairs, de l’importance de son apport singulier à l’architecture contemporaine, apport tant esthétique que conceptuel dans son approche de l’acte de construire du logement dédié à tous, le logement social.

C’est une des raisons qui ont amené des habitants de l’îlot 8 Basilique à se rendre à ses obsèques pour y témoigner de leur reconnaissance à cette grande dame et de leur attachement à leurs logements, à ce qui en fait l’originalité, tant aux aux principes édictés lors de la réalisation de la ZAC Basilique, qu’au caractère social de leur habitat aujourd’hui menacé par la municipalité conduite par Mathieu Hanotin.

La ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, a fait part de son émotion dans un communiqué soulignant : « D’abord accompagnée de Jean Renaudie, puis seule, elle a mené une réflexion exigeante et prolifique sur l’individualisation de l’habitat social, en refusant la construction standardisée de cette époque. Plutôt que des grands ensembles découpant la ville en de tristes miradors orthogonaux, elle a préféré concevoir des immeubles marqués par la figure du triangle, qui privilégient les échanges entre les habitants, le rapport à l’espace extérieur et la fluidité des circulations. »

La maire d’Aubervilliers, Karine Franclet, l’OPH d’Aubervilliers, le magazine du département de la Seine Saint-Denis, qui sous la plume d’Elsa Dupré titrait le 17 janvier dernier : « René Gailhoustet nous quitte, La Maladrerie vivra ! », la presse professionnelle, généraliste, à l’instar des journaux Le Monde, Le Figaro, Libération ou Ouest France ont fait part de sa disparition en lui rendant hommage.

Du côté de Saint-Denis et de Plaine Commune pas un mot. Rien. Pas un mot du Maire-Président, Mathieu Hanotin. On peut difficilement faire plus inélégant, plus insultant à l’égard de sa mémoire, de son œuvre, de sa famille.

Pas un mot non plus de la première adjointe, Katy Bontinck, en charge de la rénovation urbaine ou de l’adjointe aux droits des femmes, Oriane Filhol, jamais en reste, l’une et l’autre pour mettre en avant leur attachement à la cause féministe, rebaptisant, temporairement, quelques rues des noms de femmes invisibilisées dans l’Histoire ou la salle du conseil municipal, mais muettes quand il s’agit d’une architecte de renom, qui a marqué de son empreinte le paysage, le cœur du centre-ville dionysien. Pas un mot de l’adjointe à la culture et au patrimoine, Nadège Grosbois, pas un mot de Leyla Temel, vice-présidente de Plaine Commune à la stratégie culturelle, au tourisme et au patrimoine.

On le sait il est des silences qui en disent plus que de longs discours. Pourtant que de bruit. Pas un jour ne passe sur les réseaux ou en ville sans une photo, un selfie, un communiqué, un badge arboré au revers des costumes ou de robes à paillettes pour se proclamer Capitale européenne de la Culture mais on détourne le regard à la disparition d’une architecte maintes fois primée.

Ce silence ne dit-il pas votre volonté de rayer de l’histoire les principes architecturaux et urbanistiques auxquels la ministre de la Culture rendait hommage ?

Ce silence ne dit-il pas aussi votre intention de remettre en cause le caractère social de cet ensemble ?

Ce silence, mesdames, votre silence, ne participe-t-il pas de l’invisibilisation des femmes ?

Ce silence ne dit-il pas enfin, vous tous, votre mépris pour ce que disent, vous disent, réunis en Collectif, les habitants de l’îlot 8 ?

Si certains en doutaient encore, ils auront désormais compris.

Et que dire, pour finir, du silence de l’adjoint à l’urbanisme et président de Plaine Commune Habitat, le bailleur des lieux, Adrien Delacroix ? Ah si, une seconde avec un clic pour retweeter l’annonce du décès. Pas un mot personnel. Rien.

Maire et présidents réunis, disposent de moyens financiers conséquents pour rénover, améliorer, faire pousser, entretenir ce patrimoine. Faites donc mais sans trahir les intentions initiales.

La mémoire vivante de Renée Gailhoustet est aujourd’hui incarnée par les résidents, par celles et ceux qui, au cœur de cet ouvrage remarquable, travaillent, cuisinent, dorment ou veillent sur leurs enfants ou petits enfants, chantonnent, arrosent une plante en saluant leurs voisins, se battent aussi pour rester là et visent, encore, du haut de leurs jardins suspendus, un monde meilleur.

Renée Gailhoustet était de cette veine là. Née à Oran, elle s’est éteinte à 93 ans à Ivry, là où elle vivait, au cœur d’une de ses réalisations, Le Liégat.
Michel Ribay

L’hommage du Collectif de l’îlot 8

Le collectif de l’îlot 8 de Saint-Denis tenait à être présent aujourd’hui. Nous habitons l’îlot 8, une véritable expérience architecturale réalisée par Renée Gailhoustet. L’îlot 8 est cet imposant et iconoclaste ilot de béton à deux pas de la Basilique de Saint-Denis, il constitue un projet architectural révolutionnaire sous-tendu par une volonté politique forte qui porte haut la place du logement social. Nos logements interpellent, questionnent et c’est tant mieux.

Le projet architectural est fort en idée de partage, de rencontres, les espaces publics sont sur dalle, les zones commerciales et de services se mêlent aux habitations et terrasses. Une vision architecturale bien loin des préoccupations de contrôle social qui prévalent dans les conceptions
actuelles.

La patte de Renée Gailhoustet s’est immiscée dans notre quotidien, notre
intimité, transformant profondément notre façon d’habiter nos logements et d’appréhender notre quartier. Ainsi chacun-e ,nous éprouvons un lien particulier avec Renée Gailhoustet et cela n’est pas commun, d’habitude on connaît peu son architecte. Certain-e-s entretiennent un lien plus ténu quand d’autres ont eu la chance de la croiser davantage mais tou-te-s nous éprouvons cette proximité singulière avec celle qui nous accompagne indéfectiblement dans l’usage quotidien de nos logements.

Renée Gailhoustet nous laisse un patrimoine précieux, depuis de nombreuses années nous le défendons et tenons fermement à conserver l’esprit du projet. Nous sommes attaché-e-s au projet architectural tel qu’il est aujourd’hui et nous nous opposerons à toute tentative de dévoiement et
en premier lieu à la résidentialisation qui vise à dénaturer le projet et se fait sans la concertation des habitant-es.
Le Collectif de l’îlot 8

Renée Gailhoustet, une œuvre du peintre Nicolas Bouchi-Lamontagne.

Hommage d’une habitante, Dalila Ven.

Madame,
Il y a plus de 25 ans que j’habite l’îlot 8 à Saint-Denis.
Il est peu de dire ma stupéfaction et mon plaisir lorsque j’ai accédé à cet appartement que je n’ai plus quitté depuis.
Pouvoir accéder dans le cadre d’un HLM, à un duplex, atypique dans sa forme et sa conception et bénéficier de terrasses végétalisées en plein centre-ville me semblait un rêve qui ne pouvait m’être destiné. Cela reste pourtant mon quotidien depuis plus de 25 ans. Et il s’agit de l’une de vos réalisations.
Par bonheur, il m’a été donné de pouvoir vous exprimer ma reconnaissance et mon admiration.

En effet, vous m’avez fait l’honneur et le plaisir de venir chez moi, le 16 octobre 2015, dans le cadre d’un documentaire réalisé par Audrey Espinasse de la production La Toile Blanche qui s’intitulait « Les logements sociaux de la couronne rouge » ; je garde de cette journée un souvenir ému et ô combien enrichissant.
Il y a eu aussi ma visite chez vous avec l’ancien directeur de Plaine Commune Habitat. 
Nous avons échanger sur les similitudes de nos deux appartements et j’ai ainsi pu constater que locataire de l’immeuble HLM que vous avez conçu, vous alliez jusqu’au bout de vos idées et de vos ambitions.
Vous avez su concrétiser dans votre travail vos conceptions d’architecte, de femmes et de citoyenne. 
Votre souci constant d’égalité sociale et de dignité ont permis à des milliers de familles de s’épanouir dans un environnement adapté, ouvert et chaleureux.
J’ai eu donc l’avantage souvent d’échanger avec vous par téléphone sur plusieurs de ces sujets, pendant de long moment.
Merci à la grande architecte, féministe et à la si bonne personne que vous avez su rester.
C’est avec affection et une très grande tristesse que je tenais à vous exprimer ces quelques mots.
Il nous revient aujourd’hui de préserver et développer vos principes pour un habitat moderne et profondément humain.
Dalila Ven

© Valérie Sadoun.