Le Collectif Projet Insertion Emploi RSA de Plaine Commune dénonce la fermeture d’un service public de 55 agents. Ils expliquent « Etre touchés par un plan social qui ne dit pas son nom et devoir répondre au public angoissé de perdre son RSA ».
Les services PIE (Projet Insertion Emploi), consacrés à l’accompagnement socio-professionnel des allocataires du Revenu de solidarité active (RSA) du 93, fermeront sur le territoire de Plaine Commune le 31 décembre 2022. Le Département a choisi de confier l’accompagnement des personnes allocataires du RSA à des organismes privés sous l’appellation Agence Locale d’Insertion (ALI). Ce sont 55 agents touchés par ce plan social à Plaine Commune et 6000 allocataires du RSA en rupture d’accompagnement. Pourtant, d’autres pistes semblaient possibles et les inquiétudes sont grandes pour la continuité et la qualité d’accompagnement des publics les plus en difficultés. Interrogés par le Blog de Saint-Denis, des agents du service concerné de Plaine Commune ont bien voulu répondre à nos questions.
– En juin dernier, un communiqué du Collectif Projet Insertion Emploi RSA de Plaine Commune annonce la fermeture des services PIE (Projet Insertion Emploi) sur le territoire de Plaine Commune au 31 décembre 2022. Quelles sont les missions assurées par ce service, en direction de quel public ?
Chaque agent du Projet Insertion Emploi-PIE est soumis à une lettre de mission unique. Les taches très larges intègrent le pilotage administratif, financier et pédagogique, de conventions passées entre le département et la commune, le Centre communal d’action sociale (CCAS) ou l’établissement public territorial, le conseil, l’accompagnement sous des formes très diverses du public auquel nous nous adressons, et tout ce qui est du ressort de l’évaluation, la collecte d’informations, les partenariats… Mais nous reviendrons surtout en détail sur le travail d’accompagnement des personnes allocataires du RSA, le cœur de notre activité…
– Votre communiqué met en cause à la fois le département qui ferait appel désormais à des organismes privés pour accompagner les allocataires du RSA et le choix des élus de Plaine Commune de supprimer un service de 55 personnes dédié à l’insertion PIE/RSA. Pouvez-vous expliquer le lien entre ces deux collectivités dans ce domaine ?
Il y a une convention entre le département et Plaine commune pour subventionner les salaires des agents. Le Département avait la charge de l’allocation RSA à verser par la Caisse d’allocations familiales (Caf) - et il avait fait le choix de financer, au début du RMI, un nouveau service insertion : des services gérés par les CCAS des villes ou au niveau des Communautés d’agglomération aujourd’hui Etablissements Publics Territoriaux. Plaine Commune avait décidé il y a 25 ans de créer un service appelé Projet Insertion Emploi (PEI). C’est ce service de 55 conseillers insertion professionnelle qui va aujourd’hui disparaitre.
– Vous évoquez un AMI (Appel à Manifestation d’Intérêt) lancé par le département qui permettait d’autres choix que la suppression de ce service. Quelle aurait pu être l’alternative à Plaine Commune ?
C’est une question intéressante. D’après le cahier des charges des agences locales d’insertion (ALI), Plaine Commune pouvait répondre à l’appel d’offre et se positionner comme chef de file d’une ALI, comme indiqué page 17 : « Sont acceptées les réponses en groupement. Les villes et EPT peuvent participer au groupement ou s’associer sous forme de convention. Les candidatures de structures publiques, seules ou en groupement, sont aussi acceptées. »
Plaine commune a malheureusement fait le choix d’abandonner l’insertion et, deuxième coup dur, ferme en urgence les services. Le Département accordait pourtant deux années pour réaliser une phase de transition comme précisé en page 5 « ce jour, l’offre d’accompagnement socio-professionnel est portée par les Projets Insertion Emploi (PIE). Une phase de transition s’ouvre pour les 2 prochaines années : les PIE sont amenés à laisser la place aux « agences locales d’insertion » sur l’accompagnement socio-professionnel des nouveaux allocataires, au fur et à mesure de l’ouverture des agences, et à se concentrer sur la remobilisation des allocataires du RSA actuellement dans leurs files actives ».
Il serait intéressant de savoir précisément combien d’ALI sont en cours de constitution à cette heure-ci et dans quelle ville.
- La rupture de l’accompagnement de 6000 allocataires avec cette décision pose le problème d’une perte de savoir-faire, de compétences accumulées au fil des ans. Quelles sont vos inquiétudes avec la disparition de cette mission de service public ? Comment cela va-t-il impacter la situation des allocataires des villes de Plaine Commune ?
Les Projet Insertion Emploi (PIE) (nommés Projet Ville RSA auparavant) étaient au croisement de missions intermédiaires entre le social et le professionnel, positionnés entre le service Social (publics très éloignés de l’emploi) et Pole Emploi (publics plus proches de l’emploi). Historiquement, la création des PIE - une démarche unique dans ce Département au niveau national - est née d’un refus des Assistantes Sociales d’effectuer ce travail d’accompagnement des bénéficiaires du RSA alourdissant de façon conséquente leur travail quotidien, déjà très difficile en Seine-Saint-Denis.
Tous les allocataires du RSA dans le 93 ne bénéficient pas d’un accompagnement, loin s’en faut, alors qu’il y a une obligation. Les Projets Insertion Emploi recevaient les allocataires RSA orientés par le département, tout âge confondu, éloignés de l’emploi par manque de qualification. Les conseillers insertion professionnelle (CIP) réalisaient un accompagnement global et devaient « lever les freins » à l’insertion socio-professionnelle. Cela signifiait s’assurer de l’ouverture et de l’accès aux droits communs, pallier aux obstacles engendrées par la barrière de la langue, la fracture numérique, l’illectronisme, le manque de matériel, la fermeture de nombreuses institutions : agences de proximité de la CAF, CPAM, CNAV, les services fiscaux ou encore les prises de rendez-vous uniquement en ligne pour la Préfecture. Ces démarches multiplient les difficultés et augmentent les délais d’insertion. De la même manière, on ne parle pas du logement pourtant beaucoup des allocataires RSA sont mal logés : hébergement provisoire, appartements onéreux, foyers, hôtels, etc.
En parallèle à ces taches, le conseiller insertion parle avec la personne et l’écoute. Il cherche à lui redonner confiance et à revaloriser son estime de soi, à travailler sur le projet professionnel. Il l’aide à trouver des modes de garde pour les enfants - beaucoup de familles sont monoparentales, à rechercher la formation adéquate.
Le Département se targue aujourd’hui de vouloir mettre en place un accompagnement global mais c’était déjà ce que nous faisions.
Dans ce contexte, c’est un travail éprouvant car il mobilise de nombreuses ressources alors que les obstacles se multiplient au fil des années. Mais les résultats sont là pour qui est devenu chauffeur de taxi, aide soignante, auxiliaire de vie, agent de sécurité, caissier, peintre, agent de logistique, grutier, des métiers essentiels non ?...
Nos inquiétudes portent sur un risque d’accompagnement expéditif pour « faire du chiffre », ou bien l’exclusion de nombreux allocataires éloignés de l’emploi de tout accompagnement socio-professionnel.
- Comment avancer alors ? Comment répondre à cette mission de service public ?
Le Département proclame dans la charte « Personne n’est inemployable ! ». Si les employeurs n’étaient pas dans une recherche de concurrence et de compétitivité, ce discours serait entendable. Mais toutes les personnes allocataires du RSA ne sont pas en mesure de travailler immédiatement, d’emblée… La précarité de certains, la violence subie par d’autres, la santé morale et physique très dégradée, demande parfois un accompagnement de longue durée. C’est là l’inquiétude des conseillers insertion, qui vont recevoir les allocataires RSA qui n’en sont pas au niveau d’une recherche d’emploi mais qui ont un grand besoin d’un accompagnement sur des démarches sociales. Nous nous heurtons à des fins de non-recevoir lorsque nous orientons nos publics vers les services sociaux : manque cruel d’assistantes sociales submergées par les demandes, postes non pourvus ou arrêts maladie non remplacés.
Nous avons de nombreux exemples d’accompagnement sur plusieurs années qui ont abouti à des prises de postes, le temps de régler des modes de garde d’enfants, de faire une formation de remise à niveau, ou linguistique, puis pré-qualifiante, qualifiante, accéder à un emploi et surtout le garder ! Le Département finance tout ou partie des frais de garde lors d’une entrée en formation pour un allocataire du RSA.
Nous craignons en effet que la majeure partie de nos publics, soit 80% du public accompagné (environ 200 personnes par chargé d’insertion) ne retrouve pas l’accompagnement nécessaire au maintien de leurs droits et, en perdant leurs droits, se retrouvent dans des situations catastrophiques.
Les nouvelles agences locales d’insertion (ALI) ont une orientation « Sorties emploi », c’est-à-dire qu’elles vont peut-être accueillir les personnes proches de l’emploi (sans problème linguistique, ni de garde d’enfants) pour éviter de passer du temps sur des problématiques sociales. C’est une hypothèse.
Les suivis des allocataires du RSA en agence locale d’insertion sont de 1 an renouvelable une seule fois, c’est-à-dire 2 ans maximum d’accompagnement, pour être réorienté soit au service social, soit à Pole Emploi.
– Peut-on craindre un traitement inégalitaire des allocataires en fonction des villes ? Quelle conséquence à Saint-Denis ? Les moyens dans les autres villes ? La place d’Objectif Emploi ?
Oui peut être. A Saint-Denis, Objectif Emploi a été rapidement annoncée future agence locale d’insertion qui s’installera à Pleyel. C’est une association qui travaille depuis plus de 20 ans sur la ville, elle connait le public, le territoire et les partenaires.
– Et pour les personnels comment cela se passe-t-il, nous sommes à trois mois de l’échéance de la disparition de ce service qui concerne 55 personnes ? Comment cela est-il géré ?
Ça se passe mal. Peut-être bien mieux pour ceux qui ont pu rebondir sur une autre collectivité ou une formation professionnelle ? Mais l’annonce en janvier a été brutale. La cellule d’accompagnement ressemble à une caisse d’enregistrement, avec quelques propositions de poste en médiathèque ou aux ressources humaines. Le Département a organisé un forum de l’emploi à Saint-Ouen pour présenter ses services.
« Personne ne devrait rester sur le bord du chemin » disait M. Fremiot, le Directeur général des services de Plaine Commune en janvier. Pourtant, à la fin mars 2022, les CDD ne sont pas prolongés. Sur certaines villes, il ne reste qu’un seul conseiller insertion qui reçoit tout le public. Dans le même temps, de janvier à juin, le département envoyait des courriers menaçant de suspension du RSA si les allocataires n’étaient pas reçus dans les 15 jours suivants.
Imaginez être en plein plan social qui ne dit pas son nom - nous avions sincèrement du mal à croire ce qui nous arrivait - et devoir répondre au public angoissé de perdre son allocation RSA.
Dès janvier il y a eu une « urgence à fermer les services Projet Insertion Emploi ». On ne savait pas qui prenait cette décision, nous n’avons jamais rencontré le président, Mathieu Hanotin, qui ne s’est pas manifesté auprès de nous. Plaine commune, via les directeurs, annonçait en réunion « fermeture en juin, puis septembre, puis décembre 2022, c’est le département qui décide…. » alors que nous avons demandé avec les syndicats et le collectif des Projet Insertion Emploi le pourquoi de cette urgence puisque la convention avec le département courre jusqu’en décembre 2023. Pas de réponse, malgré l’insistance des syndicats et du collectif auprès de l’élu à l’insertion. Pas de réponse. Nous n’avons d’ailleurs eu aucun compte-rendu des réunions …
– Comment interprétez-vous cette décision politique de suppression de ce service de la part du Président de Plaine Commune ? N’est-ce pas paradoxal au moment où il y a toute une communication autour de l’enjeu d’accès à un emploi lié au JOP 2024 de se démunir de cet outil d’accompagnement des publics les plus éloignés de l’emploi ?
Pour « nettoyer » le territoire de la précarité qui n’est pas belle à voir aux yeux des pays qui viendront aux JO..
Ce qui est paradoxal c’est de se séparer d’un personnel connaissant bien le public et motivé à travailler sur le territoire de Plaine Commune tandis que les services sociaux ne reçoivent plus aucune candidature de travailleur social…
– Le président de Plaine Commune et maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, faisait part dans la presse il y a quelque temps de son objectif d’augmenter la part de catégories socioprofessionnelles supérieures sur la ville de Saint-Denis qu’il trouve trop faible (6%). Ce choix politique semble bien conduire à hiérarchiser les priorités dans les politiques publiques. L’accompagnement des allocataires du RSA avec un service public dédié depuis 25 ans semble donc passer au second plan ? Qu’en pensez-vous ?
Les services publics sont à l’abandon - la santé, l’éducation… - alors l’insertion c’est encore moins important. Je regrette que des élus de gauche aient encore l’illusion de croire que tout demandeur d’emploi soit compatible avec toute offre d’emploi. Ca ne tient pas. Il est essentiel de comprendre l’importance de l’accompagnement d’un individu en souffrance matérielle et en souffrance psychique. L’accompagnement ce n’est pas faire à la place de, mais faire avec pour aboutir à un résultat et un projet.
C’est une approche individuelle pour aider à répondre à des besoins vitaux (versement RSA, refaire sa carte de séjour, logement…) et c’est un travail de restauration psychologique de la personne. L’accompagnement est long avant de retrouver la confiance en soi et l’énergie de faire, quand une personne a vécu plusieurs échecs dans sa vie et parfois des drames. Le métier des conseillers insertion tel que nous l’avons exercé sur le territoire de Plaine Commune est à la fois une approche sociale, psychologique, d’orientation professionnelle et administrative avec, ces dernières années, des résultats extraordinaires parfois au bout de 5 ans. Les témoignages et les remerciements des personnes sont touchants. L’accompagnement c’est tout et c’est rien, c’est être avec la personne, l’écouter, la conseiller, faire pour elle et surtout lui apprendre à faire, l’encourager, la recadrer, débriefer, construire, redonner de l’espoir, de la confiance en soi et les autres...
Je pense qu’il aurait été constructif de se concerter avec la base, de réfléchir ensemble au projet de retour à l’emploi, de consolider les services Projet Insertion Emploi avec des partenaires extérieurs et du personnel supplémentaire plutôt que de tout démolir.