Situation inquiétante dans les centres de santé : à quoi joue la direction ?

Un agent de la Ville s’alarme de la situation dans les centres de santé de Saint-Denis. La direction pousse les infirmières des centres de santé vers la sortie, s’inquiète ce professionnel.

A l’heure où les structures de soins innovent pour garder leurs soignants en poste, la direction Santé de la ville Saint Denis pousse les infirmières des centres de santé vers la sortie.
Saint Denis, 110 000 habitants, c’est quatre centres de santé employant divers professionnels de santé dont treize infirmières.

Ces infirmières vous accueillent pour un soin, un pansement, une injection mais ce sont également elles qui, lorsque vous avez un problème de santé imprévu, vous accueillent pour écouter votre demande, évaluer l’urgence et voir avec le médecin généraliste présent quelle serait la solution la plus adaptée à votre situation. Elles sont également un soutien à ces médecins et peuvent intervenir pour réaliser un examen complémentaire demandé comme un électrocardiogramme ou une bandelette urinaire.

Vous l’aurez compris, elles sont un maillon indispensable dans la chaîne de l’équipe du centre de santé et font gagner un précieux temps aux médecins généralistes.
Pourtant se déroule une situation inédite au sein du centre de santé de la rue du Cygne depuis quelques jours : une infirmerie vide, désertée par des infirmières expérimentées et appréciées par leurs collègues et les patients, poussées à bout, ayant décidé de faire des demandes de disponibilités.

Cinq infirmières parties en un an

En un an, cinq infirmières ont quitté le navire ainsi que le cadre infirmier en charge de coordonner les équipes infirmières des quatre sites. Il a d’ailleurs été le premier à partir dans des conditions assez troublantes.

Après avoir sondé quelques professionnels et usagers, nous avons appris que ces départs étaient fortement liés à des pratiques managériales de la direction Santé arrivée en 2019.

Depuis 2020, sous couvert de la crise sanitaire et d’une démarche de restructuration du service infirmier, la direction aurait volontairement accompagné une dégradation des conditions de travail de ces infirmières.

En effet, pendant la crise sanitaire, tout comme tous les professionnels administratifs et médicaux, les infirmières ont été en première ligne de la gestion des suspicions et des cas covid confirmés. Elles ont également été fortement mobilisées pour la réalisation des tests en plus de leur activité de soins habituels puis pour la vaccination anti-covid dans un contexte d’absentéisme récurrent lié à cette même crise. C’est donc dans un contexte de tension d’effectif qu’elles ont continué à réaliser leurs missions.

Conflit avec la direction de la santé

Pourtant, le retour de leur hiérarchie n’a finalement été que manque de considération et mépris.En effet, lorsque les accords du Ségur de santé sont signés durant l’été 2020, c’est tout naturellement qu’elle écrivent en octobre à leur direction afin de demander d’être concernés par la revalorisation salariale prévue pour les soignants.

C’est seulement neuf mois plus tard, en juillet 2021, qu’elles reçoivent une réponse signée du maire transférée par leur direction leur notifiant le refus sous prétexte qu’elles seraient déjà mieux rémunérées que les infirmières hospitalières et que, nous citons, « les carrières territoriales restent donc globalement plus attractives, comme en témoignent l’absence de difficultés à recruter en cas de poste vacant, pour remplacer des agents en congés maternité par exemple ».

Ce courrier arrivera dans un contexte de tension palpable entre la direction et les infirmières. En effet, malgré une crise sanitaire encore bien compliquée à gérer, début 2021, la direction lance une série de groupes de travail ayant pour but une réforme de l’organisation du service infirmier. Entre mars et juin, sont organisées des réunions tous les 15 jours en présentiel ou à distance afin de travailler sur les missions et l’organisation des infirmières mais aussi sur l’évolution du métier infirmier dans les centres de santé. Les infirmières se saisissent de ce temps car elles voient enfin l’opportunité de donner à voir la spécificité et la plus value de leur exercice.

Elles se prêtent au jeu de remplir de nombreux questionnaires et tableaux demandés par la direction. L’une d’entre elles se fait même suivre et observer lors d’une journée de travail par un des membres de la direction qui va la chronométrer pendant certaines de ses tâches. Cette direction aurait-elle une vision archaïque de la performance de ces soignantes qui leur explique pourtant qu’un même pansement peut prendre-cinq ou trente minute selon le niveau complexité de plaie mais surtout selon la situation médicale, psychologique et sociale du patient ?

Le tension monte au fur et à mesure des réunions pendant lesquelles les infirmières s’entendent dire qu’elles sont mal organisées et quelque part responsables de ces tensions d’effectifs notamment pour des demandes de temps partiels pour garde d’enfant.

La conclusion de cette démarche de refonte confirmera la place essentielle des infirmières en centre de santé et il sera évoqué un renforcement de l’équipe par la création d’un poste supplémentaire.

11 infirmiers au lieu de 13 dans les CMS

Sur les quatorze infirmières en poste, trois seront désormais dédiés à une activité Asalee/IPA essentielle également pour accompagner les patients atteints de maladies chroniques.

Onze infirmiers devront désormais faire tourner les quatre infirmeries des CMS contre treize auparavant. On leur demande également de développer des nouveaux projets sur leur temps de travail ; les infirmières comprennent ainsi que leur conditions de travail vont définitivement se dégrader.

Le graal va arriver lorsqu’on va annoncer aux personnels des CMS que leur sera désormais imposé une pause d’une heure à compter d’octobre 2021 car la « journée continue » était un privilège qui leur était réservé contrairement tous les autres agents municipaux et qu’il n’avait plus lieu d’être.

Qu’en est-il de l’ensemble des professionnels de la Ville lorsque les professionnels du CMS accueillent du public et assurent une continuité de service sur une amplitude horaire de 8h30 à 19h30 ainsi que le samedi matin ? N’est-ce pas une structure particulière de la Ville ?

C’est donc logique que ces infirmières, usées par le comportement de cette direction qui leur demandent de faire plus de choses avec moins d’effectifs tout en leur faisant comprendre qu’elles ne méritent pas de revalorisation salariale et qu’elles seraient remplacées facilement si elles décidaient de partir, ont claqué la porte des centres de santé à la recherche d’un endroit qui donne plus de sens à leur profession.

Si les postes étaient si attractifs que cela, l’infirmerie du Cygne serait ouverte. Et la remplaçante arrivée en octobre 2021 n’aurait probablement pas pris le même chemin que ces collègues...

Mathieu Bavoux (pseudonyme), agent en CMS