"Un projet de territoire à 10 ans" discuté ce soir… sans les habitants !

, par Sophie Rigard et Michel Ribay

Le saviez-vous ? Le nouveau « projet de territoire » de Plaine Commune, document qui fixe les orientations politiques de développement du territoire sur les 10 années à venir, serait discuté ce soir en conseil de territoire. La lecture des documents fait l’effet d’une douche froide.

En réalité, il y a peu de chance que vous le sachiez et ça n’est malheureusement pas très étonnant tant ce document s’est élaboré en chambre sans aucune concertation des habitants. Il y a eu des échanges ville par ville en janvier/février, des ateliers techniques au niveau des directeurs généraux des services et directeurs adjoints en mars, des échanges avec les cabinets des villes en mai pour la préparation du plan détaillé et un objectif d’adoption avant l’été 2022. Pouf, en 6 mois c’est plié.

Les enjeux sont pourtant nombreux et de taille. Quel modèle de développement économique à l’aune de la crise écologique et de la réalité des conditions socio-économiques des habitants ? Quelle ambition pour les services publics (santé, éducation, justice) ? Quelles politiques concernant le logement et la qualité urbaine ? Quelle place trouver au sein de la métropole du Grand Paris ? Comment s’appuyer sur les aménités existantes du territoire et les développer ? Comment résoudre les fractures urbaines qui marquent le territoire ? Comment réduire le développement inégal du territoire, l’accès aux services urbains entre le nord et le sud du territoire ? Comment construire la transition écologique avec les acteurs du territoire ? Avec quels outils démocratiques ?

Sur ces enjeux ? A peu près le néant. La lecture du document fait l’effet d’une douche froide.

Est clairement explicitée la volonté d’orienter le développement économique du territoire vers l’hôtellerie. Partant du constat de l’atomisation de l’offre hôtelière en Ile-de-France et du caractère stratégique de sa position géographique (entre Roissy et Paris), il est question de faire de Plaine commune un territoire de destination visité par les amateurs de culture, de loisirs, de patrimoine, par le tourisme d’affaire. L’ensemble du document ne s’enquiquine pas avec de l’exhaustivité et du détail, par contre l’orientation sur l’hôtellerie est agrémentée d’éléments censés enthousiasmer le lecteur au vu du ratio : de 0,1 à 1 emploi par chambre d’hôtel.

Nous reviendrons sur tous ces points dans des articles de décryptage plus complets.

En somme, l’ambiance générale est condensée sur un slide de powerpoint joint où il est question de “contradictions à résoudre”. Bel euphémisme…quelles sont ces fameuses contradictions ? Il semblerait qu’il y ait eu des débats sur la sémantique territoire populaire, victime et territoire attirant. Il est question d’une difficulté à faire émerger des axes forts et consensuels sur le volet développement économique et d’un antagonisme entre deux pans différents du projet politique : attractivité internationale / résilience locale. La contradiction du discours centre / périphérie clôture cette petite liste de contradictions.

Tout est bien résumé :

– territoire populaire, victime vs. territoire attirant : Ce projet de territoire semble bien conçu davantage pour attirer de nouvelles populations à Plaine Commune que pour ses habitants actuels. Partir des besoins des habitants et s’intéresser aux causes de la stigmatisation de ce territoire ne font pas partie du programme.

– difficulté à faire émerger des axes forts et consensuels sur le volet développement économique : Si une carence en offre hôtelière et services annexes est identifiée sur le nord de Paris, en faire un vecteur de spécialisation du territoire est une autre affaire. D’autant que “l’attractivité” recherchée en la matière a de grandes chances de se concentrer au sud du territoire au plus près de la capitale. A ce titre il ne s’agit pas d’un projet de territoire et l’on peut se demander si un fort biais dionysien n’a pas grandement influencé l’orientation qui est proposée…

– contradiction du discours centre / périphérie : Le discours consistant à présenter Plaine Commune comme une centralité à part entière au sein de la métropole sonne creux. Le projet présenté conduirait à spécialiser le territoire sur une fonction hôtelière : ne serait-ce pas une nouvelle servitude vis-à-vis de Paris ?

– antagonisme entre deux pans différents du projet politique : attractivité internationale / résilience locale : L’idée d’une réconciliation entre attractivité internationale et résilience locale est un mirage, celui du “tourisme durable”. Tourisme, loisirs, offre hôtelière, sur l’axe Roissy-Paris ne serait-ce pas le retour par la bande du modèle Disneyland et de l’esprit de feu Europacity ?

Le territoire de Plaine Commune a de nombreux atouts. Lui assigner aujourd’hui un avenir si étroit qui mènerait ses 440 000 habitants dans une impasse n’est pas acceptable. Alors que tout le monde (ou presque !) s’accorde sur la profonde crise démocratique qui touche nos sociétés, sur la défiance croissante des citoyens envers les représentants politiques, comment peut-on élaborer un projet de territoire sans aucun échange avec les premiers concernés ?

C’est sans doute là le plus grave symptôme d’un divorce profond. Le pire serait de s’y résoudre.