Article actualisé. Rassemblement mercredi 16 avril 14h30 devant l’hôtel de ville. « On sauve nos espaces jeunesse ». Baisse des moyens, management vertical, orientation politique nébuleuse… la politique jeunesse en déshérence et un service en souffrance et en colère

, par Saska Rupert

Nous publions à nouveau en une du blog notre article du 13 décembre 2024 sur la situation au service jeunesse ainsi que le communiqué des organisations syndicales suite à l’annonce de fermetures des espaces jeunesse de Péri, De Geyter et Confluence. Les organisations syndicales CFDT, CGT, FO, SAFTP et SNUTER-FSU ont dénoncé la situation actuelle dans un tract commun intitulé « Non à la casse des services jeunesse à Saint-Denis ». Des préavis de grève ont été déposés par la CGT et FO et un rassemblement devant l’hôtel de ville est appelé par la CGT ce mercredi 16 avril à 14h30, « On sauve nos espaces jeunesse ».

Le service jeunesse semble bien être entré dans la tourmente ces dernières années et singulièrement depuis 2020. Elle n’a cessé de croître et a pris des proportions telles qu’un vent de colère semble bien se lever dans les antennes jeunesse. Celle du centre ville a fermé, celle de Joliot Curie est en travaux, celle de Degeyter a les pieds dans l’eau et un bruit circule sur une possible vente de la Maison de la jeunesse, la Ligne 13. Retour sur l’origine d’un profond malaise.

Le Blog de Saint-Denis publiait le 2 décembre un article sur la souffrance au travail qui s’est installée dans nombre de services depuis le changement de municipalité. Le service jeunesse ne fait pas exception. De multiples causes sont à l’origine du malaise qui s’est installé peu à peu. Pour le comprendre il faut remonter quatre ans en arrière dans les mois qui ont suivi l’arrivée en responsabilité de l’équipe conduite par Mathieu Hanotin.

L’orientation retenue à ce moment là semble bien avoir eu pour premier objectif de supprimer la direction jeunesse en tant que telle. Dans un premier temps, il est envisagé de la fusionner avec le service des sports. Une idée vite abandonnée. Une assez longue période de flottement, d’incertitude quant à l’avenir de cette direction se prolonge jusqu’en septembre 2021 avec l’arrivée d’une nouvelle direction.

L’arrivée du nouveau directeur du service s’ouvre avec la tenue d’un séminaire du 6 au 10 septembre qui, dans la continuité des pratiques précédentes, maintient un cadre de travail collectif, d’élaboration partagée d’un nouveau projet de service associant l’ensemble des acteurs : la direction, les coordinateurs, les directeurs d’antennes, les animateurs.

Le nouveau projet de service est élaboré dans ces conditions et s’il n’a jamais fait l’objet d’une validation formelle il faisait et fait toujours foi malgré l’absence ou l’imprécision d’orientation politique clairement définie hormis prolonger celle déjà portée par l’ancienne municipalité d’une politique jeunesse « Hors les murs », entendre par là une politique jeunesse se déployant aussi au-delà des antennes jeunesse.

La mutualisation comme cheval de Troie, l’externalisation en échec

Des missions sont néanmoins retirés au service jeunesse, confiées à d’autres directions, et celui-ci est scindé en deux entités. Si le service est maintenu, les directeurs d’antennes, les animateurs ont le sentiment d’assister plus ou moins impuissants au démembrement de celui-ci et au détricotage de leur missions. Ils entendent ne pas céder sur un point capital : le refus de toute fermeture d’antennes jeunesse car pour ce faire la municipalité a lancé un cheval de Troie. Il porte un nom : la mutualisation. C’est ainsi que dans les hautes sphères politiques et managériales certains imaginent pouvoir mutualiser les activités du service jeunesse en regroupant par exemple Allende et … le centre-ville !

Démembrer, déposséder le service jeunesse de ses missions, les externaliser semblent être le fil directeur et tenir lieu d’orientation politique. A tel point que c’est l’organisation des séjours lors des vacances scolaires qui est retiré au service et confié à l’UCPA dans le cadre d’une délégation de service public.

Une idée déconnectée de la réalité du terrain et qui fait fi du travail de proximité que réalisent les antennes jeunesse dans la lente construction des séjours avec les jeunes. Elaboration du projet au sein de l’antenne, rencontre avec les parents, départ d’un groupe au sein duquel des liens, des affinités préexistent. Et s’il s’agit de mutualiser ou plus précisément de travailler « hors les murs », de décloisonner, les antennes jeunesse savent faire, les collaborations entre directeurs d’antennes jeunesse et animateurs de différents quartiers existent, se construisent et se concrétisent par des séjours.

L’UCPA a un fonctionnement autre, l’objectif est de parvenir à réunir un nombre de jeunes permettant leurs départs. Un séjour ne se construit plus en proximité, au sein de l’antenne jeunesse. Les jeunes doivent s’inscrire au centre administratif. Des séjours prévus sont ainsi annulés faute de participants.
Si les équipes du service jeunesse faisaient de leur côté partir près de 300 jeunes chaque été, l’UCPA n’encadre en tout et pour tout que 80 jeunes. L’externalisation de cette mission prend fin. La mission d’organisation des séjours réintègre au bout d’un an le service jeunesse.

Pour autant aucun bilan n’est tiré de cette séquence. L’affaiblissement des missions de service public se solde par un échec pour ceux qui l’ont conçu dont les jeunes et les familles font les frais à l’été 2021.

Fermeture de l’antenne jeunesse du centre-ville, départs des directions, vacances de postes répétées

Dans la même séquence se prépare la fermeture de l’antenne jeunesse du centre ville, rue Jean-Jaurès. Une décision qui de par sa nature toute politique doit être tue, dissimulée tant l’incompréhension, l’opposition, la colère, qu’elle peut susciter de la part des agents du service jeunesse ou des habitants peut être vive.

L’annonce doit en être parfaitement maitrisée mais l’information va fuiter. Cette séquence prend fin précédée du départ du directeur qui, arrivé en septembre 2021, quitte la collectivité en mai 2022. Les vacances achevées, la fermeture de l’antenne du centre-ville est effective début septembre 2022.

Ce n’est qu’en novembre 2022, après une longue vacance de direction de plusieurs mois qu’une nouvelle direction prend les rênes du service. Elle sera de coute durée puisque c’est par un mail en date du 9 janvier 2023 que la personne recrutée quitte la collectivité.

Une nouvelle vacance de direction s’installe, elle ne sera comblée que 8 mois plus tard avec l’arrivée d’un nouveau directeur.

Si les causes de dysfonctionnements, de mal-être au travail peuvent être multiples, un élément sert d’indicateur : le turnover au sein d’un service ou celui de sa direction. Le service jeunesse ne fait pas plus exception.

Et si un manque d’effectifs ou de moyens est facilement identifiable, quantifiable et génère de la souffrance au travail, la remise en cause de missions auparavant dévolues à un service, des réorganisations brutales, l’absence de visibilité à moyen terme sur le devenir d‘un service fragilisent et déstabilisent les personnels, affectent les conditions de travail et pèsent au quotidien.

Ces éléments sont d’autant plus difficilement vécus quand il se double d’un management dont l’exercice strictement vertical tourne le dos à un cadre de travail collectif habituel et s’affranchit d’un cadre régi par des usages et des règles.

Un management déstabilisant ; un mode d’organisation déstabilisé ; des réflexes qui se perdent. Un cocktail défaillant. Malgré un process éprouvé depuis plusieurs années – intégrant des systèmes d’alertes – concernant la déclaration préalable obligatoire auprès des autorités de tutelle des séjours auxquelles participent des jeunes, deux ne sont pas déclarés dans les temps. Une situation qui conduit – une première dans le service –, à une mise en demeure, en juillet dernier, de la part du préfet de la Seine Saint-Denis au nom du Service départemental à la Jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES).

Des moyens réduits de moitié, un fonctionnement délétère

Par ailleurs, les moyens disponibles sont restreints. Chaque antenne jeunesse dispose pour fonctionner de trois agents permanents, un directeur et deux animateurs. S’y adjoignent des animateurs vacataires pour lesquels un volume horaire de vacations est alloué à l’ensemble des structures.

Ce volume horaire de vacations est passé de 1640 à 800 heures. Comment dans ces conditions assurer toute l’année pleinement une politique en direction de la jeunesse dans une ville où les besoins sont immenses. 800 heures ne permettent que de faire face aux congés des permanents.

Une ville jeune sans moyens adéquats pour la jeunesse, est-ce viable quand on sait que 45 % de la population dionysienne se situe dans la tranche d’âge de 0 à 29 ans et qu’ils sont plus de 10 000 a être âgés de 11 à 17 ans.

L’exercice des missions devient de plus en plus difficile. Des bons de commande permettant le bon déroulement des missions sont signés au dernier moment. Les recrutements ne font pas l’objet de publicité en interne privant des agents de possibilité de postuler au titre de la mobilité.

Des agents aujourd’hui évoquent par ailleurs des problématiques qu’ils qualifient de harcèlement.

De multiples sujets à traiter et de tous ordres restent en souffrance dans l’activité du service. En témoigne une très longue liste de points dont seule une partie a été abordée lors d’une réunion qui s’est tenue le lundi 2 décembre, (ce jour-là les animateurs sont pourtant de repos), une nouvelle réunion est convoquée le mercredi 4 dans l’après-midi pour le vendredi 7 au matin pour travailler entre autres sur le projet de service qui, contrairement à l’usage, n’a pas été en amont (re)travaillé collectivement.

Une réunion convoquée bien que ce jour là, 8 directeurs d’antennes étaient en congés. Sur les 5 présents le vendredi, 4 se sont déclarés grévistes ne pouvant accepter cette façon de travailler.

La réunion s’est tenue, une seule antenne jeunesse étant représentée et seuls 2 agents coordinateurs auprès de la direction étaient présents. Ce service rassemble pourtant 54 agents.

Les raisons d’un turnover et d’un service en souffrance ?

Un premier directeur possiblement victime à la rupture de son contrat d’un conflit de loyauté entre ses mandants politiques et les équipes dont il avait la charge ?

Une deuxième directrice qui, identifiant sans doute très vite le hiatus entre les missions qui lui sont assignées au regard du contexte, des besoins, des moyens alloués, du faible portage politique, n’a pas souhaité « poursuivre l’expérience » ?

Autant de questions qu’on ne peut rétrospectivement s’empêcher de poser.

Un directeur enfin, en difficulté, tentant d’appliquer aujourd’hui et coûte que coûte la feuille de route politique qui lui est hiérarchiquement fixée, celle-ci se révélant irréaliste, hors sol et à rebours des besoins ?

C’est dans ce contexte que la colère gronde. Volonté ancienne de démembrer le service qui a laissé des traces, moyens en chute libre, management problématique, sans compter une absence de portage politique, l’élue référente, Katy Bontinck, cumulant les délégations santé, logement, lutte contre l’habitat indigne, rénovation urbaine, tout en étant vice-présidente de Plaine Commune, conseillère métropolitaine, 1ère adjointe et donc accessoirement en charge de l’adolescence, tout cela ne peut que nourrir dysfonctionnements, mal-être au travail et incertitudes pour l’avenir.

La politique jeunesse se doit d’être aussi exigeante qu’elle n’est pas simple à conduire.

Répondre aux attentes sans emprunter la pente la plus facile, celle qui consiste à épouser au plus près certaines attentes des jeunes eux-mêmes, façonnées par une forme de consumérisme. Eviter dans le même temps un surplomb moralisateur et construire une politique émancipatrice qui passe aussi par l’expression de la liberté et des plaisirs juvéniles ne dépend pas de recettes toutes faites.

Il faut d’abord écouter les jeunes, leurs aspirations, laisser place à leurs envies, leurs délires, comme à la manifestation de leurs dégoûts, leur mal être quelquefois, bien souvent leurs inquiétudes tout en maintenant un cadre stable et rassurant de repères.

Renoncement, abandon… La Maison de la jeunesse promise à la vente ?

Un bruit de couloir circule. La municipalité envisagerait de vendre la Maison de la jeunesse. L’emblématique Ligne 13 a marqué l’histoire dionysienne, sa politique jeunesse et culturelle.

Elle est une enclave – publique – enserrée par une institution – privée –, le groupe scolaire catholique sous contrat Jean-Baptiste de la Salle. Le patrimoine immobilier, au sein duquel s’exerce l’activité d’enseignement a fait l’objet d’une vente pour 4,2 millions d’euros en décembre 2022.

A l’heure où de nombreuses collectivités vont être confrontées aux politiques d’austérité, certaines peuvent envisager de se départir de leur patrimoine afin de se donner quelques très éphémères et illusoires marges de manœuvres. Rentrer du cash – un tout petit peu – , mais après ? Au détriment de quoi, de qui ? Au bénéfice de quoi, de qui ?

Est-ce l’intention de la municipalité ? Jean-Baptiste de la Salle entendrait-il s’agrandir ? Aurait-il besoin de s’agrandir puisque selon nos informations, à l’avenir, les conditions financières d’accès à ce groupe scolaire privé seraient revues et entraineraient potentiellement un effectif à la hausse ? Ou autre chose ?

Serait-ce là un signe supplémentaire à venir d’une politique jeunesse marqué du signe du démantèlement, du renoncement, de l’abandon ?

La rumeur court. Le maire va-t-il la démentir ?