« Au prétexte de "convergence" de traitement entre Pierrefitte et Saint-Denis, tout en faisant miroiter des augmentations aux collègues de Pierrefitte, on nous annonce, qu’à l’avenir les nouveaux agents de la commune nouvelle ne bénéficieront pas de la bonification indiciaire qui représente aujourd’hui entre 600 et 1500 € par an… ». Entretien avec le secrétaire de la CGT Territoriaux, Raphaël Thomas. 

, par Michel Ribay

Nous avions interrogé Raphaël Thomas, le secrétaire de la section syndicale CGT Territoriaux de la ville en octobre dernier. Depuis, le calendrier du projet de fusion entre la ville de Pierrefitte et Saint-Denis s’accélère avec un vote prévu des conseils municipaux le 30 mai. Les réunions en direction des personnels s’enchainent sans répondre à toutes les interrogations et inquiétudes des agents surtout quand l’harmonisation des rémunérations ou des conditions de travail peut conduire à retenir le moins disant. Entretien.

Le Blog de Saint-Denis – Face à la fusion programmée entre les deux villes, les inquiétudes semblent se renforcer au niveau du personnel, aux suppressions de postes s’ajoute la potentielle perspective d’un nivellement par le bas qui affecterait directement les rémunérations, de quelles informations disposez-vous à ce stade ? Raphaël Thomas – La fusion annoncée, seulement depuis un an, génère de l’inquiétude auprès des collègues des deux villes. C’est légitime. Et on ne peut pas dire que nos employeurs respectifs, à Pierrefitte comme à Saint-Denis, s’emploient, c’est le cas de le dire, à donner des garanties aux différents personnels. Les organisations syndicales des deux communes ont été conviées le 2 février dernier et pas avant, pour une réunion d’information. On nous a vendu le Pérou. On nous a donné, un peu, la parole. Mais aucune réflexion syndicale n’a été retenue. Mais, après, on présente ce rendez-vous comme un temps de "dialogue social". Tu parles !
Ensuite, des réunions dites "sociales de projets » (RSP) s’enchaînent… 4 en 2 mois, pour nous présenter le détail des nouvelles mesures. C’est à ces occasions là qu’on nous dévoile, un peu, les travers de la fusion.
Concrètement parlant, nous sommes bien placés pour faire, dès aujourd’hui, le bilan des postes en moins, même si les données ne nous sont pas toujours accessibles… Des privatisations dans les crèches, les écoles et les équipements sportifs… Des fermetures d’équipements (Maison des parents, ludothèques, espace Jeunesse...)... en sabrant l’expertise des collègues, leurs savoir-faire et le lien qu’elles et ils tissent avec les usager-e-s... Cela s’est fait, ce fait, contre les personnels et la population…
Mais là, au prétexte de "convergence" de traitement entre Pierrefitte et Saint-Denis, tout en faisant miroiter des augmentations aux collègues de Pierrefitte, on nous annonce, qu’à l’avenir les nouveaux agents de la commune nouvelle ne bénéficieront pas de la bonification indiciaire qui représente aujourd’hui entre 600 et 1500 € par an… A Pierrefitte, aujourd’hui il n’y a pas de nouvelle bonification indiciaire (NBI), à Saint-Denis, il l’estime trop favorable ! La bonne blague ! La CGT avait, dès l’annonce de la fusion, évoqué ce risque de nivellement par le bas. La commune nouvelle ce sera des nouveaux agents moins bien rémunérés et aujourd’hui déjà des postes ne sont pas pourvus ! L’attractivité tant recherchée de la commune va laisser à désirer. Si la fusion était motivée par une amélioration des conditions de travail, de rémunération, de moyens pour l’ensembles des agent-e-s municipaux et par l’amélioration du service public de proximité rendu aux populations, pourquoi s’y opposer ? Mais là, c’est flagrant, c’est tout l’inverse et on tente de nous opposer les uns aux autres !

Un comité social territorial (CST) s’est tenu le 28 mars et vous avez fait une déclaration préalable, quelle était votre intention et comment s’est déroulé la réunion du CST ?
R. T. – La CGT ne fait pas de déclaration préalable à tous les CST mais nous essayons néanmoins de contextualiser l’enjeu des séances où devraient se tenir des débats francs et constructifs en proposant un angle de vue plus élargi. Malheureusement, aucun écho ne nous parvient de la part de la municipalité qui nous laisse parler mais qui ne tient compte d’aucune remarque, d’aucun point de vue qui ne va pas dans son sens. Et ce n’est pas nécessairement la CGT qui est ciblée ! Et c’est pourquoi nous dénoncions le pseudo "dialogue social" car cela illustrait les attitudes de la municipalité lors des précédents CST.
L’ensemble des organisations syndicales, ce n’est pas si souvent, avait pourtant réagi unitairement et sereinement aux manques de respect des représentant-e-s du personnel lors des deux derniers CST. Alors, oui, pour la CGT, il était nécessaire de rappeler l’approche "antisocial" du dialogue que le Maire et sa municipalité mettent en oeuvre sur le terrain malgré les beaux discours de façade. C’est factuel et chacun-e pourra prendre le temps de vérifier nos affirmations. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que nous dénonçons ces manières de faire, dignes des potentats du patronat des siècles derniers. "Antisocial, tu perds ton sang froid" comme le dit la chanson ! [1]

Votre déclaration préalable évoque donc ces fameuses réunions social de projet (RSP) lieu d’expression du "dialogue social" mis en place, qu’en est-il ?
R. T. – Ces réunions, encore une fois dites, sociales de projets sont l’occasion de glaner quelques informations qui transpirent ici ou là mais en aucun cas de faire avancer la cause des agent-e-s et des usager-e-s. Pour s’en convaincre, nous attendons des exemples concrets. La CGT, malgré sa bonne volonté, n’en trouve pas. Mais elle reste dans l’attente d’une contre démonstration. Normalement, telles qu’elles sont présentées, les RSP (émanation de la municipalité sans obligation légale) doivent préparer les CST qui sont obligatoirement saisis pour tous les aspects qui concernent l’organisation du travail. Mais, force est de constater que chaque remarque, chaque proposition, chaque réflexion formulées en RSP par les représentant-e-s du personnel n’ont aucune traduction en CST.
Le pire, c’est que le CST, instance réglementaire, obligatoire mais consultative, fonctionne de la même façon. Lorsque l’ensemble des représentant-e-s du personnel vote contre un dossier, il doit être à nouveau présenté en seconde lecture. C’est réglementaire. Au deuxième vote, il n’y a plus cette obligation. mais l’esprit de la loi est bien de profiter de cette nouvelle lecture pour améliorer le dossier car si l’ensemble des représentant-e-s du personnel vote contre, on peut légitiment se poser la question de sa pertinence, surtout si, comme à Saint-Denis, nous avons 7 organisations syndicales différentes mais unanimes !
Bah non, à Saint-Denis, on passe par "49-3 " sans autre forme de procès et en restant droit dans ses bottes comme un certain Juppé à l’époque  ! Et on nous ressert la ritournelle du "dialogue social"... non mais franchement !

Le pilotage des services semble très erratique, on entend parler de réorganisation sur réorganisation, en particulier au sein de la Direction des Bâtiments et de l’Architecture…
R. T. – La CGT a dénoncé régulièrement les "réorganisations" à tout va sans analyse de la situation, sans diagnostic, sans prise en compte de l’expertise des collègues, sans concertation. Elle dénonce aujourd’hui encore les "réorgs de réorgs". Cela concerne l’ensemble des directions et services de la ville. On nous présente cela sous divers vocables.
Pour le dossier relatif à la DBA, l’intitulé était « modification organisationnelle », énième euphémisme après ajustement, mise à jour ou évolution. C’est en effet la 3ème voire la 4ème réorganisation, en seulement 4 ans ! Ajouté à cela un turnover important à la DBA avec 3 directeurs en peu de temps, on comprend bien que le climat n’est pas à la sérénité dans cette direction maltraitée.
Et là, pour le coup, nous sommes formels, l’ensemble des collègues n’a absolument pas été associé à la réflexion. Parlons-en de la réflexion, quelle évaluation depuis le 16 mars 2023, date de la dernière "réorg" avec une année largement perturbée par l’incendie du centre administratif ? Aucune. Les postes vacants sont éclairants du malaise qui règne à la DBA. Sur l’ancien périmètre de ce service c’est 19 postes vacants sur 30.

Des pratiques de management sont aussi dénoncées… un communiqué du Snuter-FSU alerte sur la situation au sein d’un service, celui de la prévention de la délinquance …
R. T. – Les camarades du Snuter ont raison de dénoncer les pratiques de certain-e-s encadrant-e-s qui se font jour ici ou là. C’est manifestement le cas à la direction de la prévention. Au sein d’une organisation, si on recherche l’efficacité voire l’efficience, pour parler comme un bon libéral, ou si on souhaite que chacun-e soit considéré-e et reconnu-e, pour parler davantage CGT, il convient d’associer les parties prenantes. Dans les entreprises, comme dans les services publics, les acteurs ce sont les salarié-e-s. Comment faire sans elles et eux ? Sans leur expertise, leur mémoire, leurs solidarités. La municipalité aurait sans doute intérêt à faire avec les agent-e-s sans chercher à les opposer. Pourtant, nous sommes au regret de constater qu’elle cherche à infuser des relations de travail qui mènent à la confrontation. Celle-ci est portée par quelques chefaillon-ne-s et elle s’inscrit dans une conception d’ensemble du New Management Public. A ce sujet, rappelons nous l’article publié en janvier 2022 dans le journal de la CGT des territoriaux de la ville de Saint-Denis. [2]

Comment, depuis notre entretien d’octobre 2023, les choses ont évolué au niveau des organisations syndicales et entre elles, va-t-on vers un rapprochement des positions, des actions communes voire des listes communes lors des prochaines élections ?
R. T. – Cela dépend... Manifestement, nous arrivons à nous retrouver ensemble pour dénoncer certaines manières d’agir de notre employeur. Après, nous sommes toutes et tous imprégné-e-s de nos histoires et de nos valeurs. Parfois, nous pouvons nous retrouver sur des sujets essentiels comme le principe de la retraite par répartition et défiler ensemble l’an dernier pour la retraite à 60 ans à taux plein pour toutes et tous qui prend en compte les pénibilités. Mais localement, parfois, nous pouvons également marquer nos différences d’approche, de conception, de stratégie, de modalités d’action... et nous singulariser. Pourtant, la plupart des organisations syndicales affiche leur volonté d’unité. Les collègues l’attendent. Lors des derniers CST, nous avons pu nous accorder sur quelques dossiers dans l’intérêt des personnels et des populations. Est-ce pour autant qu’il y aura qu’une seule liste syndicale aux prochaines élections professionnelles ?
Concernant la fusion acquisition, par exemple, nous travaillions à une réaction unitaire contre, tant il est vrai que nous considérons qu’elle se réalisera contre les personnels et la population. Il n’est pas impossible que nous arrivions là mais il nous faudra l’adhésion des collègues et mettre sans doute de coté nos éventuels ressentiments. Car la lutte, c’est aussi des histoires de personne !
Quoi qu’il en soit, la CGT restera partie prenante et favorable à l’unité syndicale dans l’intérêt des collègues et du service public de proximité.

Une réunion s’est tenue le jeudi 4 avril. D’abord pouvez-vous nous en préciser la nature, les objectifs et à l’issue de celle-ci quelles informations, peut-on retenir ?
R. T. – Depuis début février 2024, les organisations syndicales des 2 villes sont conviées à des temps de « travail » dans des délais très courts où nous sont présentés les contours de la fusion-acquisition pour les personnels. Jeudi 4 avril avait donc lieu une énième réunion sur les rémunérations… à cette occasion, on nous a vendu des augmentations de salaires pour les collègues de Pierrefitte en oubliant de leur dire qu’il ne faudrait plus être malade pour pouvoir toucher sa prime annuelle… Bref, cela ressemble davantage à du SAV du projet qu’à des espaces de dialogue social. Dès lors que nous demandons des précisions, on nous répond qu’il ne faut pas s’inquiéter et que cela va venir !

Au vu de l’ensemble de ce contexte, quelles sont les perspectives pour les organisations syndicales, les maires déroulent leur projet de fusion, l’emploi public, les rémunérations, les conditions de travail vont en être affectées, que comptez-vous faire  ?
R. T. – Parallèlement, ce même jeudi, nous avions une intersyndicale pour caler une AG des personnels des agent-e-s des villes de Pierrefitte et Saint-Denis programmée après les congés du printemps où enfin (!), la parole sera donnée aux premières personnes concernées, c’est-à-dire celles et ceux qui font le service public de proximité…
Des Comités sociaux Territoriaux dans chacune des villes doivent se tenir le 16 mai pour présenter l’ensemble des changements qui concerneront les collègues en cas de fusion. Nous aurons alors peut-être une vision d’ensemble mais comme souvent nous n’aurons pas les détails et on minorera les difficultés. Il est important que les personnels puissent se faire entendre d’ici-là et durant les séances.

Une votation citoyenne en ligne a été lancée par une association Stop Fusion Pierrefitte-Saint-Denis ! Allez-vous appeler le personnel, vos adhérents à y participer ?
R. T. – Pour ce qui est de la CGT, notre opposition à la fusion-acquisition est claire et dès la première heure. Alors évidemment, en tant qu’actrice majeure sur le territoire, la CGT des territoriaux des 2 villes mais également des unions locales, se saisissent de chacune des occasions qui contribue à exprimer son avis et nous avons déjà appelé à participer à la votation citoyenne qui vient d’être mise en ligne cette semaine.

Notes

[1Voir le communiqué dans lequel la CGT demande la tenue d’une F3SCT (anciennement CHSCT – comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) et d’une RSP (Réunion Social de Projet).

[2Nouvelle espèce à Saint-Denis : le Planneur !
Animal à sang froid, le planneur (concept initié par la sociologue du travail et des organisations Marie-Anne Dujarier dans Management désincarné, enquête sur les nouveaux cadres du travail, 2015), organise le travail des autres… mais depuis son burlingue sans tenir compte de l’expertise de terrain des collègues et cadres de proximité, sans faire confiance à l’intelligence collective, sans scrupule ni compte à rendre !
Sous-tendu par le fameux TINA (There Is No Alternative) de Margaret Thatcher, l’action du planneur vise à « optimiser » la performance grâce à la mise en place de dispositifs, en silo, impersonnels… sur la base de données dites « objectives » car budgétaires !
Eloigné de la réalité des usager.e.s et des agent.e.s, le planneur saisit l’activité vue d’avion, en plan… d’où son nom. Il travaille sur son ordi pour écrire des process ou des tableaux de suivi et anime des réunions toute la journée, à distance si possible ! Cela garantit sa déresponsabilisation se cachant derrière son devoir de réserve ! Surtout, comme tout bon mercenaire, il ne verra pas les effets de ses décisions car il sera déjà parti sévir ailleurs !
Il n’est pas impossible d’en avoir croisé quelques spécimens à Saint-Denis !