Covid 19 et quartiers populaires. Retour sur la politique de l’Agence Régionale de Santé au plus fort de la crise sanitaire.

, par Michel Ribay

Après les articles consacrés à la situation de l’hôpital public avec l’entretien avec Yasmina Kettal, infirmière à Delafontaine, le retard du groupe Sanofi pour la production d’un vaccin avec Thierry Bodin, militant CGT chez Sanofi et l’impact du Covid dans un service de gériatrie de l’hôpital Bichat avec Manuel Sanchez, praticien hospitalier, nous poursuivons notre dossier consacré à la crise sanitaire.
Entretien avec Luc Ginot, directeur de la santé publique à l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de -France qui revient sur la manière dont l’ARS a traité la crise sanitaire lors de sa phase la plus aigüe et les premiers enseignements à en tirer en particulier face aux inégalités de santé.

Nous poursuivrons dans les mois qui viennent cette série d’article sur la crise et le système de santé avec une pluralité de points de vue et de témoignages d’acteurs du secteur.

Dans votre article intitulé « Quartiers populaires et Covid 19 » qui tire les premiers enseignements de la crise du Covid, vous soulignez que pour l’Agence Régionale de Santé-Île-de-France, les inégalités de santé en Île-de-France ne constituaient pas une découverte, et que le Projet Régional de Santé était structuré autour de cet enjeu. Pouvez-vous redéfinir rapidement quels étaient les éléments, les déterminants d’inégalité identifiés dans ce Plan Régional de Santé ?

Luc Ginot : Le PRS part d’un double constat : d’une part, la principale caractéristique de la santé des franciliens, c’est les inégalités : inégalités de mortalité, de morbidité, d’espérance de vie, de consommation de soins. Ces inégalités sont violentes, et ne doivent pas être masquées par le globalement bon niveau des indicateurs de santé de la région. Et d’autre part, le mécanisme essentiel de ces inégalités de santé, ce n’est pas l’offre de soins (même si les écarts entre territoires de ce point de vue joue au rôle) , ce sont les déterminants sociaux environnementaux, et particulièrement ceux liés à la pauvreté : conditions de logement, d’éducation, d’emploi, d’accès aux droits, etc…

De ce point de vue, le constat du PRS s’inscrit dans les connaissances scientifiques actuelles – et notamment celles produites par l’OMS Europe : si on veut réduire les inégalités de santé, il faut d’abord envisager la question des déterminants socio-environnementaux. J’ajoute deux points majeurs en Ile-de-France : le rôle du logement et de l’habitat dans la santé : non seulement le logement insalubre, mais aussi le logement surpeuplé, mal chauffé, dégradé ; et les phénomènes très forts de concentration urbaine de la pauvreté et de la richesse, qui conduisent à des écarts d’indicateurs de santé spectaculaires entre communes : c’est bien la caractérisation sociale des territoires qui crée les inégalités de santé que l’on mesure. Un excellent exemple est celui de l’incidence du diabète, dont la carte est superposable à celle du niveau de vie des habitants des communes.

Tout ceci n’est cependant pas sans lien avec le système de soins et de santé. Je soulignerai deux aspects à cet égard : d’une part, l’offre de soins, mais aussi de prévention, est souvent déficitaire dans les territoires aux plus forts besoins, venant ainsi aggraver les inégalités structurelles. Et d’autre part, le système de santé doit en permanence s’adapter à cette situation. C’est-à-dire qu’il doit se rendre accessible aux plus éloignés socialement ou géographiquement, qu’il doit tenter de réduire les obstacles dans l’accès, et enfin qu’il doit être capable d’intégrer le rôle des déterminants de santé. Les professionnels savent parfaitement qu’on ne traite pas le diabète, pour continuer mon exemple, de la même manière chez une employée de ménage aux horaires décalés ou chez un cadre supérieur en entreprise.

C’est à partir de ce constat que le PRS a été conçu permettant de répondre à ces principales logiques.

La crise sanitaire a entrainé lors de la première vague et cela a été souligné à de multiples reprises une surmortalité en particulier en Seine Saint-Denis, comment l’ARS a-t-elle réagi en termes de dispositifs spécifiques ?

La première chose qu’il faut dire, et qu’on ne soulignera jamais assez, c’est que l’alerte initiale a été lancée par l’ARS Ile-de-France. Plus exactement, par notre délégation de Seine-St-Denis, qui constatait rapidement une surmortalité majeure. Immédiatement, le Directeur Général, Aurélien Rousseau, commandait une étude à l’Observatoire régional de Santé, en pleine crise. Cette étude, la première en France sur le sujet, a permis de mesurer l’ampleur de ce qui se passait, et a été ensuite suivie par d’autres, commandée par l’Agence puis par des équipes de recherche dans un deuxième temps. Mais j’insiste là-dessus : c’est bien notre préoccupation ancienne, et notre engagement sur ce sujet des inégalités, qui nous ont conduit à nous en inquiéter dès les premiers signes.

Au-delà de la compréhension et de l’alerte, plusieurs mesures ont été prises. D’abord, une régulation régionale très puissante des lits de réanimation et de soins critiques a été mise en place. Alors même qu’il y a moins de lits de réanimation dans le Nord de la région (95, 93,77) que dans le centre ou l’Ouest, les patients de ces territoires ont eu le même accès à la réanimation que les autres, à travers la mobilisation régionale des établissements publics, mais aussi privés, de façon très organisée. Là encore, j’insiste : si l’on est arrivé à ce résultat, ce n’est pas par une « main invisible », mais bien par un effort colossal de l’Agence et de ses partenaires, tout au long de la crise, 7 jours sur 7, et jusque tard chaque nuit.

Ensuite, le choix a été fait d’adapter, à chaque étape, les moyens aux besoins de la population des territoires, donc à la réalité épidémiologique. Par exemple, les barnums de dépistage que nous avons « inventés » dès le mois de mai pour enrayer la diffusion du virus ont été placés prioritairement, bien sûr avec l’accord des élus, dans des villes et des quartiers populaires. Le programme « CovidStopEnsemble », qui a formé plus de 1400 personnes à la prévention de l’épidémie, a été ciblé sur les quartiers et groupes sociaux les plus exposés. Il en va évidemment de même pour la vaccination : lorsque la vaccination a été lancée, le 93 et le 95 ont été surdotés. Et surtout, dès le début des difficultés apparues, nous avons mis en place ou soutenu des actions d’aller-vers ou de sensibilisation. L’exemple le plus spectaculaire est celui du centre de la CPAM à Bobigny, qui a appelé des milliers de personnes âgées non vaccinées pour leur proposer un RV. Des centaines de ces actions dites « d’aller-vers » ont été initiées par l’Agence, l’Assurance-Maladie, et leurs partenaires – collectivités locales et associations, centres de vaccination : que ces actions d’aller-vers concernent des quartiers populaires ou des personnes très précaires (hébergées, à la rue, etc…)

Nous avons souvent eu l’occasion de le dire : nous avons essayé, expérimenté, avec des succès et des échecs. Mais s’il est une chose certaine, c’est que dès le début, nous avons eu cette obsession de faire face à la violence des inégalités, et que c’est une détermination qui a traversé, et traverse toujours plus, chacun des collaborateurs de l’Agence.

A l’occasion de la crise sanitaire cela vous amené à repenser, redéfinir et préciser la nature du terme générique de « quartiers populaires » qui recouvrent des réalités différenciées. Comment avez-vous réévaluez cette dénomination ? Pouvez-vous les illustrer concrètement afin que cela soit perceptible, reconnaissable pour les dionysiens ?

Je n’aborderai le sujet qu’en termes de santé publique, bien sûr. Ce qui est certain c’est que si l’on veut réduire l’impact des déterminants sociaux sur la santé, il faut aller au-delà des approches génériques, des appellations (et des injonctions !). Prenons un exemple : le lien entre habitat et santé passe par des mécanismes différents selon qu’on est en habitat insalubre, avec des risques de saturnisme, dans un logement où l’on est hébergé chez une autre famille, dans une passoire thermique, dans une cité en cours de démolition, que l’on a un risque d’expulsion… Tout cela « fait » ou « défait » la santé : il y a de nombreux mécanismes, qu’il faut donc comprendre au plus concret. Il y a aussi des logiques protectrices de santé : dans de nombreux quartiers d’habitat social, au plus fort du confinement, on a vu des entraides alimentaires, des productions de masques, de la vigilance auprès des voisins, qui ont constitué ce que j’appelle parfois une autodéfense populaire contre l’épidémie, soutenu souvent par les collectivités locales.

Concernant la gestion de la première vague et le rôle de l’ARS, l’Agence, les Agences ont-elles été consultées lors de la mise en place des mesures de freinage, le confinement, le couvre-feu ? Avez-vous joué un rôle de « lanceurs d’alertes » sur l’impact inégalitaire des mesures prises ?

Ce qui est inégalitaire, avant tout, c’est l’épidémie. Ne refaisons pas l’histoire : face à une situation sanitaire sans précédent récent par sa violence, et aussi sa violence sociale, il aurait été scandaleux de ne pas agir. Il aurait même été scandaleux de tarder à agir. On voit trop actuellement de ces relectures, qui portent critique en oubliant ce qu’était en mars-avril 2020 l’urgence, la montée des décès, le système de santé dont nul ne savait s’il allait tenir, les week-end et les nuits à essayer de faire face et d’organiser, avec cette angoisse que nous avions de voir les plus fragiles payer davantage encore le prix de l’épidémie.

S’agissant du confinement, à l’évidence il a eu des effets inégalitaires, notamment chez les enfants, les adolescents, et les travailleurs peu qualifiés. C’est même pour cela que depuis, tout est fait pour empêcher un nouveau recours à ce dispositif. Ces effets sont apparus rapidement, et nous avons tenté d’en réduire les impacts. Par exemple, en maintenant des dispositifs tels que l’accès à l’IVG, qui aurait pu être sérieusement fragilisé. Nous avons en urgence renforcé tout le système de soutien psychologique, en renforçant les consultations de plusieurs secteurs publics, en finançant des lignes téléphoniques pour les étudiants, les professionnels de santé, ou simplement les habitants : des choses considérables ont été montées dans l’urgence. Nous avons aussi édité un petit document pour aider les familles demeurant en habitat insalubre, les rassurer sur le devenir de leurs plaintes, les conseiller pour la santé des enfants, et j’ai d’ailleurs le regret que ce guide n’ait pas été davantage utilisé et diffusé par les professionnels et les partenaires.

Finalement le rôle de l’Agence est d’abord de faire, de faire au plus concret, en s’adaptant, en inventant des réponses, et en travaillant avec d’autres. Soyons clairs : nous ne sommes pas parvenus à tout réussir, nous avons essuyé des échecs. Un exemple d’échec est notre organisation de dépistages proposés aux personnels des centres commerciaux, lors de la 2° vague ; à l’inverse, les résultats ont été bien plus favorables lorsque nous avons mis en place un accès à la vaccination pour les livreurs à vélo parisiens, population qui est à la fois exposée et mal protégée. Mais, succès ou échecs, notre détermination à agir auprès des personnes moins favorisées, et avec elles, a été permanente.

Vous semblez pointer l’absence de données, d’études, à l’opposé de ce qui existe dans le monde anglo-saxon, portant sur des facteurs liés à l’origine ethnique, à l’impact de la ségrégation, du racisme dans les déterminants d’inégalité de santé et d’accès au système de soins ? A ce titre et en vue d’une politique de réduction des inégalités l’ARS serait-elle favorable à la possibilité de produire des données statistiques liées à l’origine ?

Le débat est ancien, connu, et on en voit bien la complexité. Le système social et politique français, notre histoire républicaine, ne sont pas les mêmes que les contextes britanniques ou nord-américains. Nous disposons déjà d’informations non négligeables, et dont il faut tirer toutes les conséquences : les personnes nées à l’étranger ont eu une mortalité deux fois plus forte que les personnes nées en France. En soi, cette information est majeure. Mais on pense parfois que cette situation est uniquement liée au fait que nos concitoyens d’origine étrangère sont moins bien logés, ont des emplois plus exposés, moins bien rémunérés, ont un accès à la prévention moins facile : c’est incontestable, et cela explique très probablement la majeure partie de la surmortalité qui les frappe. Mais on mesure mal en France le rôle spécifique des discriminations, des ségrégations, du racisme ressenti. Or les études étrangères montrent que ces phénomènes sont des facteurs de risque pour la santé « en eux-mêmes », c’est-à-dire en sus des autres.

Il est indispensable que nous puissions disposer d’une compréhension adaptée au contexte français : non pas pour masquer ou nier la dimension sociale qui est le socle des inégalités, mais pour mieux adapter l’intervention de promotion de la santé en « rendant compte » de ce que vivent les personnes concernées. Je ne sais pas si cela passe par le système statistique : c’est une question qui relève d’une discussion politique, citoyenne. Mais on peut améliorer les connaissances par des approches autres, relevant des sciences humaines et sociales par exemple. En tout cas, nous sommes partie prenante d’un débat public sur le lien entre les mécanismes de ségrégation et la santé publique.

Dans les conclusions que vous tirez de la crise sanitaire et ses corrélations avec les inégalités de santé vous insistez au moins sur deux éléments : la nécessité d’une approche politique de la promotion de la santé qui pourrait s’incarner dans une « démarche de santé urbaine » et la nécessité de dépasser l’idée– je vous cite « que ce n’est pas par le système de soins que l’on modifiera en France les inégalités de santé, en tout cas pas pour l’essentiel ». Pouvez-vous préciser ces deux éléments et pour le deuxième point comment articuler ce point de vue au regard du constat de la situation de l’hôpital public ?

Ce que nous exprimons dans plusieurs articles, c’est la conséquence de ce que j’exposais plus haut : bien sûr il est nécessaire et urgent de corriger les inégalités liées à l’histoire du système de soins ; c’est pour cela par exemple que le volet santé du plan Seine-St-Denis prévoit un renforcement très important des moyens pour les PASS du département ; c’est pour cela aussi que nous avions avant la crise proposé de concentrer la moitié d’un dispositif innovant en addictologie, les « microstructures », sur ce département. De façon générale d’ailleurs, la mesure 27 du Ségur de la Santé, mais aussi tout le volet « soins » de notre PRS s’inscrit dans cette logique.

Mais si l’on veut réduire les inégalités de santé, il faut d’abord s’attaquer à ce qui les crée : un abord politique de la promotion de la santé, c’est finalement deux choses : interroger toutes les politiques publiques à l’aune de la santé. Et aussi réfléchir une politique de promotion de la santé qui fasse coalition entre différents acteurs. Je citerai deux exemples : nous savons qu’un sujet majeur en Ile-de-France est celui des femmes enceintes et avec nouveau-nés sans logement. Cela concerne des milliers de femmes chaque année. Nous travaillons à articuler des dispositifs d’hébergement, des dispositifs de prise en charge médicale, sociale : la démarche intègre à la fois les dispositifs d’hébergement et de logement, les acteurs sociaux, et les maternités.

Un autre exemple dans le champ du COVID : depuis quelques semaines, les bailleurs sociaux se mobilisent, à la demande de l’ARS, pour faciliter la vaccination de leurs locataires, en les informant, en travaillant avec nous pour l’accès aux barnums, etc…, on a bien une logique de coalition importante.

De ce point de vue, des choses majeures ont bougé pendant la crise : des dizaines d’acteurs nouveaux (des syndicats, des bailleurs sociaux, des associations locales ou régionales) se sont engagées dans le champ de la promotion de la santé : c’est devenu un objet partagé par beaucoup, discuté de façon citoyenne, et c’est un acquis considérable, qu’il nous faut prolonger. Le rôle des politiques (élus, parlementaires) doit devenir encore plus important dans le débat sur le devenir de la promotion de la santé, et on a besoin d’un débat public aussi intense que celui qui existe sur l’hôpital ou la densité médicale.

On a beaucoup parlé à l’occasion du Ségur de la santé des moyens pour l’hôpital, vous identifiez une mesure, la mesure 27 passée selon vous un peu inaperçue mais qui vous semble essentielle. De quoi s’agit-il ?

La mesure 27 prévoit plusieurs points, mais j’en citerai deux : d’une part, en matière d’inégalités de santé, il nous est demandé de mettre en place une structure régionale de pilotage des stratégies de réduction de ces inégalités, mais surtout nous disposons de moyens pour des programmes qui permettent de travailler autour de ce que nous appelons les déterminants de santé. En Ile-de-France, nous avons choisi 3 priorités cette année : le lien entre logement, habitat, et santé ; le lien entre emploi précaire, crainte de perte d’emploi, et santé ; et le lien entre ségrégation, discriminations, et santé : vous voyez que nous tirons les conclusions de la crise.

Mais la mesure 27 nous a également permis de mobiliser des moyens considérables pour aller vers les plus démunis, ceux qui restent souvent en marge du système de soins. Nous avons en IdF par exemple créé 6 PASS mobiles, renforcé 26 PASS hospitalières, renforcé pour 1,7 millions d’euros les équipes mobiles psy-précarité, etc… Et nous allons à la rentrée créer un vaste dispositif médico-social d’équipes équipées pour aller vers les personnes hébergées, celles à la rue, celles dans les accueils de jour, pour améliorer leur prise en charge sanitaire. C’est quelque chose de souvent moins visible, mais c’est fondamental pour l’équité en santé

Parmi les inégalités vous pointiez particulièrement à l’occasion du confinement et de la deuxième et troisième vague la question des revenus, la crainte de la perte de ressources, d’emploi ce qui a conduit les plus fragiles financièrement à considérer le « dépistage et l’isolement comme des risques pour l’économie familiale ». Aujourd’hui cette dimension économique s’est déplacée autour de l’entrée en vigueur du passe sanitaire ou de la vaccination obligatoire, l’ARS a-t-elle une position sur ces deux sujets d’actualité ?

Je le redis : tout faire pour vacciner ceux qui sont les moins favorisés, tout faire pour dépister vite et permettre d’enrayer les chaines de contamination, tout faire pour protéger les plus fragiles, c’est la seule ligne qui vaille. Ce sont ceux là qui payent le prix fort de l’épidémie, dans leur travail ou leur famille. Ce sont ceux-là qui sont victimes des fake news et des positions complotistes. Ce sont ceux-là qui, s’ils sont exposés au virus, accèderont plus tard que d’autres au système de santé. Pour cela, il faut expliquer, convaincre, aller à la rencontre.

Notre travail, c’est à la fois d’organiser les coopérations, de soutenir les acteurs locaux et régionaux, de veiller à ce que chacun ait accès au vaccin et aux tests sans aucun obstacle. Nos équipes travaillent actuellement, avec les collectivités locales et les professionnels de santé, à permettre la vaccination sans rendez-vous, en soirée, le week-end, pour que chacun puisse y avoir accès. Le passe sanitaire a du sens parce que ce travail de facilitation de l’accès se mène sans relâche.

Dans un article intitulé « Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé » cinq chercheurs appartenant à diverses institutions académiques critiquent très fortement les réponses d’ordre universel et généralisées pour faire face à la crise du Covid (confinement et mesures de freinages) et leurs effets délétères sur les populations et en particulier les plus jeunes. Ils insistent sur une approche qui semble être la vôtre en particulier quand ils écrivent : « La santé procède d’un processus d’empowerment, c’est- à-dire de capacitation des individus et des groupes à agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés. »

Ils poursuivent : « En privilégiant une approche biomédicale où il s’agit de supprimer ou contenir un virus plutôt que d’étudier sa rencontre avec une population faisant système, les professionnels de la prévention et promotion de la santé, les chercheurs en sciences humaines et sociales ainsi que les citoyens ont été exclus. »

Au cœur de leur analyse ils mettent en avant le concept de syndémie : « Les politiques publiques ont mobilisé, sans toujours efficacité, les outils classiques de la réponse aux phénomènes épidémiques aigus : dépister, isoler et, désormais, vacciner. Mais la COVID-19 n’est pas qu’une épidémie, c’est une syndémie. Elle est asymptomatique ou peu grave pour une très large majorité de la population et ne s’aggrave qu’à la rencontre d’autres facteurs de vulnérabilité, notamment la combinaison de l’âge, de la morbidité et des conditions sociales. Elle a des effets socialement stratifiés et certaines populations, du fait de leurs conditions de vie, d’emploi et de logement, sont particulièrement vulnérables. En cela, les mesures universelles n’ont quasiment jamais été adaptées aux singularités des différents contextes, qu’elles soient géographiques, culturelles, politiques, etc. ».

Que pensez-vous de cette approche, de cette analyse ? Aurait-on pu articuler une réponse tenant compte de nature particulière de l’événement : épidémie/pandémie et syndémie ?

Je ne peux pas laisser dire que les citoyens, les chercheurs, les acteurs de la promotion de la santé aient été exclus. Trois dates : courant février 2020, alors que le virus était identifié comme originaire de Chine, et que certains parlent encore de grippette, l’Agence signe un texte de mobilisation et de lutte contre la stigmatisation avec les principales associations de la communauté chinoise. Peu de temps après, nous mettons en œuvre une stratégie en direction des personnes hébergées et à la rue, avec des associations et des gestionnaires, qui aboutira aux premières équipes mobiles en direction de ces personnes, équipes mobiles qui d’ailleurs ont embarqué nombre de volontaires issus de toutes origines ; puis nous créons avec la Préfecture de Région les premiers centres d’accueil pour les personnes en hébergement collectif ou à la rue qui sont porteuses du virus.

Et à l’automne 2020, nous lançons le programme CovisStopensemble, qui mobilise des dizaines d’associations, grandes ou petites. J’ajoute que la lettre du DG de l’ARS, en février 2021, aux acteurs de la société civile, a eu un écho très important. Je ne parle pas des innombrables documents traduits, des permanences téléphoniques de réponse aux questions, etc…

Alors, si nous avions à refaire ce parcours, sans doute le referions nous autrement, en ayant appris. Sans doute, au début de l’épidémie, n’avons-nous pas été assez attentifs aux mouvements spontanés dans les quartiers, que nous aurions pu mieux soutenir, au-delà du travail avec les élus et les associations. Sans doute aurions nous pu mieux associer les chercheurs en sciences humaines.

Mais – je le dis avec une grande simplicité : qu’il s’agisse de la phase aigüe de la crise ou de ses suites, de la première à la quatrième vague, jamais nous n’avons refusé ou négligé une proposition d’appui, d’explication, d’aide à la compréhension et à l’action. Parce que, je le redis encore, nous avions cette angoisse de coller au terrain, cette détermination à ne pas laisser s’accroitre des écarts que nous avions repérés très tôt.

L’obligation mise en place à partir du 9 août, validée par le Conseil constitutionnel, de la production d’un passe sanitaire pour accéder aux structures de soins (en dehors des situations d’urgence) n’est-il pas un obstacle supplémentaire aux objectifs que s’assigne l’ARS en matière de lutte contre les inégalités qui va accroitre les difficultés d’une population défavorisée, éloignée du soin, qui y renoncera ou y renonce déjà ?

La circulaire du 11 août est parfaitement claire : aucun obstacle aux soins ne soit résulter de la mise en œuvre du PASS sanitaire. L’ensemble des dispositifs de soins aux enfants, mais aussi les dépistages et vaccination, l’IVG, l’accès à la maternité sont dispensés de passe. Et les consignes données aux établissements de santé et médicosociaux redisent clairement que le passe ne doit jamais conduire à un retard aux soins utiles. Cela dit, cela nécessite aussi un immense travail d’explication, le maintien de tests facilement accessibles, etc… je rappelle que les tests, aujourd’hui, sont pris en charge à 100% y compris sans ordonnance et y compris pour les personnes n’ayant pas d’assurance maladie.