Disparu, il y a deux ans jour pour jour, de très nombreux témoignages ont paru rendant hommage à son engagement, à ses combats. Des témoignages, d’organisations politiques du monde entier, de militant.e.s croisé.e.s au fil des années, anonymes ou de personnalités politiques. Nous en avons retenu deux en écho à la situation politique et à l’indéfectible engagement internationaliste d’Alain Krivine et du mouvement auquel il a appartenu.
Pendant plusieurs décennies, quand j’arrivais a Paris, une des toutes premières choses que je faisais, parfois directement de l’aéroport, c’était d’aller au local de la Ligue, et de rencontrer Alain. S’il était midi, il m’amenait au petit resto de l’impasse Guéménée et plus tard à sa cantine de Montreuil, où je devais faire mon rapport sur la situation en Israël/Palestine. Comme il se doit pour l’internationaliste qu’il était, son soutien à la Palestine était inconditionnel, mais l’essentiel de ses questions portait non pas sur le contexte politique mais plutôt sur notre stratégie de construction de l’organisation, nos politiques d’alliances, et en particulier nos relations avec le parti communiste local. Car Alain était avant tout un homme d’organisation. C’était aussi un politique révolutionnaire français : de tous les camarades de la Ligue communiste que j’ai connuEs il n’avait pas son pareil pour comprendre la politique locale et les composantes de la gauche hexagonale et leurs tactiques. […]
Quand Alain a été élu au Parlement européen, il a été, avec Luiza Morgantini, notre relais auprès des institutions européennes, toujours prêt à se mettre à la disposition des copains souvent à la recherche de financements. Je ne crois pas qu’Alain se sentait à l’aise dans les méandres de la politique européenne, et c’est avec un certain soulagement qu’il a retrouvé son petit bureau du local de Montreuil.
Comme tout dirigeant digne de ce nom, Alain a su former une nouvelle génération de militants et surtout leur passer les rênes. Leur action sera entre autres≠ l’héritage de notre camarade Alain.
Michel Warschawski, écrivain et journaliste, cofondateur et président du Centre d’information alternative de Jérusalem, ancien dirigeant de la Ligue Communiste Révolutionnaire Marxiste israélienne, engagé contre l’occupation et la colonisation et partisan d’un Etat binational.
Une des principales caractéristiques de la longue et digne vie d’Alain Krivine a été sa fidélité aux convictions, incroyablement ferme et exceptionnellement rare à notre époque. Il y a vingt ans, lorsque j’ai rencontré Alain pour la première fois à Moscou, il était déjà une légende vivante. Pour moi et mes amis, jeunes militants de gauche, le rencontrer était une véritable rencontre avec l’histoire. Ce que nous n’avions lu que dans les livres auparavant – 1968 français, le mouvement de libération en Algérie, les mobilisations contre la guerre au Vietnam – est devenu pour nous de la chair et du sang, marquant une continuité politique dont nous pouvons être fiers. Cette rencontre avec Alain aboutit plus tard à la création du groupe russe de la IVe Internationale.
Au cours des années qui ont suivi, Alain est resté en contact permanent avec nous, se rendant à de nombreuses reprises en Russie pour soutenir les campagnes de solidarité et les grèves des travailleurs. Il a visité de nombreuses régions de notre pays, et a très bien compris les conditions des gens ordinaires et les risques de la lutte politique. Et il est resté un optimiste historique, tout en conservant un « pessimisme de l’esprit ».
Alain nous a raconté que sa propre formation de marxiste anti-stalinien a également commencé à Moscou, lorsqu’en 1957, alors membre de la Jeunesse communiste française, il a participé au festival de la jeunesse et des étudiants. Alors, ses yeux vifs ont rapidement saisi le fossé entre le tableau rose de la réalité soviétique que les maîtres du festival tentaient de peindre et la réalité de la pauvreté et de l’absence de droits élémentaires de la classe ouvrière en Union soviétique. Après son retour d’URSS, il rompt rapidement avec le Parti communiste français et rejoint le mouvement trotskyste. Cette honnêteté envers soi-même, ce refus de choisir entre les « camps » en compromettant ses principes politiques, reste pleinement d’actualité. La mort d’Alain est survenue pendant les jours tragiques de l’invasion impérialiste criminelle de l’Ukraine par les troupes russes. C’est une période d’épreuve pour tous ceux qui sont prêts à embrasser la bannière qu’Alain Krivine a portée pendant plus d’un demi-siècle.
Ilya Budraitskis, militant russe de la IVe Internationale
En mars 2021 un hommage à lire ici lui était rendu sur le Blog de Saint-Denis.