« En Seine-Saint-Denis, l’absence de moyens met en danger nos élèves et les personnels », un entretien avec Maud Valegeas, membre de SUD Education, enseignante au collège Elsa Triolet. Une réunion au ministère… sans la ministre et sans résultat, les conseillers rencontrés renvoient l’intersyndicale vers Matignon

, par La Rédac’

Le mouvement pour un plan d’urgence se poursuit en Seine-Saint-Denis. Débuté le 26 février, il entamera à partir de lundi sa quatrième semaine avec un temps fort, la mobilisation dans la fonction publique le 19 mars. Le Blog de Saint-Denis a interrogé Maud Valegeas, membre de SUD Education, enseignante au collège Elsa Triolet au sortir de la réunion parents d’élèves-personnels qui s’est tenue à la Bourse du travail jeudi 14 mars. Elle faisait partie de la délégation de l’intersyndicale qui devait être reçue par la ministre de l’Education ce vendredi 15 mars. Elle en relate le déroulé très inquiétant : une ministre absente ainsi que la direction de son cabinet et des interlocuteurs qui disent ne pouvoir rien faire. Entretien.

Le Blog de Saint-Denis – Depuis la rentrée du 26 février la ville de Saint-Denis, le département de la Seine-Saint-Denis connait une mobilisation des enseignants des maternelles aux lycées, qu’est ce qui motive ce mouvement ?
Maud Valegeas – Depuis longtemps, on revendique des moyens spécifiques pour le 93. Avec SUD, il y a quelques années, on avait lancé une campagne pour un plan d’urgence puis une campagne pour le passage de toutes les REP en REP+. Ces dernières années, la situation s’est beaucoup dégradée, les syndicats ont lancé une consultation des écoles, collèges et lycées, pour chiffrer les besoins. Les résultats parlent d’eux-mêmes : l’état du service public d’éducation dans le 93 est déplorable et les collègues sont confrontés à des situations invivables. 
Les propos dénigrants et le mépris d’Oudéa-Castéra envers l’école publique et la réforme « Choc des savoirs » avec la mise en œuvre de groupe de niveau pour trier les élèves ont mis le feu aux poudres. 

Quelles sont les principales revendications ?
M. V. – On revendique un plan d’urgence pour le 93 avec des moyens humains : 5200 enseignant·es, 175 CPE, 650 AED, 320 assistant·es pédagogiques, 2200 AESH, de vrais pôles médico-sociaux et des moyens financiers pour rénover le bâti, largement insalubre : : 2/3 des
écoles en mauvais état, 1/3 infestées de nuisibles, 50% des établissements sous-chauffés, avec une mauvaise isolation, des fuites.... On estime ce plan d’urgence à 358 millions d’euros. Et bien sûr, on demande l’abandon de la réforme dite du "Choc des savoirs". 

En quoi la Seine-Saint-Denis est-elle illustratrice de la situation de l’éducation nationale aujourd’hui ?  
M. V. – La Seine-Saint-Denis concentre les difficultés et elle ne bénéficie pas de plus de moyens. L’état de l’éducation au niveau national est inquiétant, néanmoins en Seine-Saint-Denis, l’absence de moyens met en danger nos élèves et les personnels. Les élèves ne bénéficient ni d’un vrai accompagnement ni médical, ni social, ni scolaire. La situation dans le 93 illustre le manque de concertation et de démocratie à l’oeuvre. Le gouvernement refuse d’entendre les besoins des personnels.

Concrètement les conditions de travail, aujourd’hui pour vous enseignante en collège à Saint-Denis, quelles sont-elles ?
M. V. – Concrètement, ça veut dire que souvent j’arrête mon cours parce qu’il y a des cafards dans ma salle de classe, ça veut dire que j’ai passé plusieurs hivers dans une salle non chauffée. ça veut dire que le store de ma salle est tombée il y a deux ans, il s’est détaché et n’a jamais été remplacé, depuis c’est intenable en été et dès qu’il y a un peu de soleil je ne peux pas utiliser le vidéoprojecteur et faire la partie "histoire des arts" du programme puisque je ne peux rien projeter. 
Les élèves sont trop nombreux dans les classes pour pouvoir les aider et on passe notre temps à faire de la "discipline" plutôt que d’enseigner. Quand je suis arrivée il y a 9 ans dans le département, on avait davantage d’heures en demi groupes, depuis on nous a enlevé nos heures et c’est plus difficile de travailler. 
De plus, le manque de personnels de Vie scolaire génère beaucoup de violences et un défaut de surveillance. 
Pendant longtemps dans mon collège, il n’y avait pas de papier dans les toilettes des élèves sous prétexte que les élèves jouent avec le papier. Il suffirait qu’un·e surveillant·e surveille cet espace pour que cela n’arrive pas, néanmoins il n’y a pas assez de surveillant·es pour cette tâche. Pourtant est-ce que vous imaginez ne pas avoir de papier toilettes ? 

Cette situation semble mettre l’ensemble des acteurs de la communauté éducative en souffrance ? Les enseignants, les parents, les personnels, les élèves ?
M. V. – Bien sûr ! tout le monde est maltraité : les élèves, les personnels, les parents ! 
Le problème avec les élèves, c’est qu’ils ont toujours connu ça, et ils se sont habitués pour beaucoup à être maltraités. 
Dans les collèges, il y a beaucoup de profs en début de carrière, ils ne connaissent rien d’autre et au début ils pensent que c’est normal de galérer autant pour avoir du papier pour imprimer leurs cours, des marqueurs... mais ce n’est pas normal !

Comment s’organise les liens avec les parents d’élèves ? Leur implication n’est-elle pas essentielle pour gagner ?
M. V. – On avait déjà des liens avec les parents d’élèves mais cette mobilisation les renforce. Leur mobilisation est essentielle mais il faut trouver des modalités d’action qui leur conviennent. Ils ont beaucoup de contraintes. 

On est surpris par le peu de soutien de la municipalité dionysienne au mouvement, un communiqué dix jours après le début du mouvement, pas d’appel aux parents, pas de présence d’élu.e.s dans les assemblées générales…
M. V. – Ça c’est sûr ! par ailleurs les représentant·e.s de la mairie ne sont souvent pas des soutiens pour les personnels et les élèves dans les instances comme le Conseil d’administration. Ils sont souvent en défense de l’employeur. On regrette le manque de soutien et l’absence de considération pour les jeunes de Saint Denis. 

Vous allez rencontrer la ministre demain vendredi 15 mars, pour lui dire quoi ? 
M. V. – Nous allons lui dire que nous voulons un plan d’urgence pour le 93 et l’arrêt des mesures Choc des savoirs. Nous voulons qu’elle apporte des réponses concrètes. 

Hier encore, le premier ministre Gabriel Attal, éphémère ministre de l’éducation a affirmé que « les groupes de niveaux seraient la règle et la classe l’exception ». Pourquoi cette décision vous apparait comme contraire aux intérêts des élèves ? A votre mission ?
M. V. – Les groupes de niveau sont décriées par la recherche scientifique. Ils ne permettent pas d’élever le niveau général mais ont plutôt pour effet d’enfermer les élèves dans leurs difficultés. De plus, la mise en place de ces groupes aspirent tous les moyens : les autres disciplines sont dépouillées de leurs moyens. Enfin, il n’y a pas de moyens pour mettre en place cette réforme

La liberté pédagogique semble être remise en question, on parle d’un manuel unique en primaire et dans le même temps le gouvernement parle d’autonomie des établissements. Que vous inspire cette conception qui allie uniformité dans les classes et concurrence des établissements ?
M. V. – On a le sentiment qu’il y a un cadrage idéologique très fort avec beaucoup de pression sur les enseignant·es pour qu’ils et elles renoncent à leur capacité d’adapter les supports aux élèves. Le ministère veut imposer sa méthode. Par contre, quand il s’agit de gérer la pénurie de moyens, là le ministère laisse les personnels se débrouiller. 

Quelles sont les perspectives du mouvement ? Avez-vous un message à faire passer à vos collègues ? Aux parents d’élèves ? A qui d’autre ?
M. V. – je dirai à mes collègues de ne jamais renoncer ! et aux parents d’élèves de rejoindre la mobilisation ! Nous nous battons pour leurs enfants, pour l’école publique. Si la ministre ne nous entend pas, alors nous irons taper à Matignon et nous allons continuer à mobiliser les parents au plus près du terrain.

Interrogée vendredi 15 au soir sur la rencontre prévue entre la ministre et l’intersyndicale Maud Valegeas nous en a fait part en ces termes :
Nous avons été reçu par la conseillère sociale, le conseiller parlementaire et par l’inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’Education nationale (IA-DASEN) représentant le rectorat à l’échelon départemental, Mr Chaleix, en l’absence de la ministre Nicole Belloubet et de son directeur de cabinet, les seuls pourtant habilités à apporter des réponses politiques. Ce qui est assez inquiétant.
Le plan d’urgence a été exposé avec beaucoup de précisions, très argumenté et chiffré démontrant l’existence de revendications très construites à laquelle la conseillère sociale, bien que reconnaissant l’ampleur du mouvement, a opposé l’absence de moyens pour y répondre.
Aucun arbitrage n’étant possible en faveur de ce plan d’autant que « la Seine-Saint-Denis était déjà un département mieux doté que les autres » ! Un propos inacceptable pour l’intersyndicale, nous savons au regard des conditions de travail, que cela est faux et ce qui est particulièrement inquiétant c’est que nos interlocuteurs nous disent : « Il n’y a plus d’argent, on doit faire des coupes budgétaires, ça va être très difficile, on ne sait pas où prendre, nous n’avons pas la main, il faut demander à Matignon ».
Cela pose vraiment question. On se demande qui pilote en fait, est-ce que c’est Matignon ou le ministère de l’Education nationale ?
Pour l’intersyndicale c’est clair, il faut aller chercher des réponses où les décisions se prennent, à Matignon, jeudi 19 lors de la manifestation, pour obtenir le Plan d’urgence puisque le ministère de l’Education nationale est incapable de répondre à la moindre demande.

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