Nous republions ci-dessous notre article du 29 mars.
La rue des Ursulines a pris ces dernières semaines des couleurs. Et c’est l’orange qui domine. Ballons, banderoles tendues, affiches aux fenêtres aux teintes orangées, c’est de cette manière que l’opposition au projet de déploiements d’antennes relais de téléphonie mobile multi-fréquences – dont la 5 G – sur un des bâtiments de la rue se manifeste. L’opérateur de téléphonie mobile – Orange – attendait la décision des copropriétaires. Elle est intervenue mardi 26 mars et Orange a obtenu « gain de cause ». La rue des Ursulines va-t-elle pour autant perdre ses couleurs et les opposants baisser pavillon. Rien n’est moins sûr. D’autant que beaucoup de riverains et de structures accueillant des publics dit « sensibles » ne sont pas informés.
A ce stade, Orange n’a obtenu et de justesse qu’un « mandat donné au conseil syndical et au syndic de finaliser le dossier ». Il faudra donc obtenir un accord définitif de la part des copropriétaires à l’examen du contrat. De justesse car les pour l’ont emporté de 4616 contre 4258. Il s’agit avec ces chiffres de la représentation dans les votes de la réalité patrimoniale. Plus votre appartement est grand plus vous disposez de voix. Si l’on examine en terme de foyers, c’est de justesse car il y a eu quasiment 50% des copropriétaires pour et 50% contre. Le patrimoine a fait sur ce sujet là aussi, comme sur beaucoup d’autres, la différence.
Orange, voulant sans doute assurer le coup, a annoncé en début d’assemblée générale que le montant du revenus estimé pour la copropriété était bonifié de 3000 euros… Voilà pour le mandat.
Revenons aux antennes proprement dite et visualisons le périmètre concerné si celles-ci venaient à être installées. On n’en est pas encore là. Rien n’est encore joué.
Dans le champ d’émissions et dans un rayon de 100 à 150 m plusieurs structures accueillent quotidiennement des milliers de très jeunes enfants, (crèche Petit Prince, maternelle Puy Pensot), des pré-ado, adolescents et jeunes adultes (collège Degeyter, groupe scolaire Jean-Baptiste de la Salle, Fondation d’Auteuil, Conservatoire), de jeunes autistes pris en charge par l’association Le silence des justes, et un centre de Santé, Elsan Livi.
Absents sur la carte sont aussi implantés (points roses) la structure Casado qui reçoit des adolescents, rue Gibault, le Centre Médico Psychologique (CMP) de la rue Franklin ou plus éloignée, à 200 m le centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI) Connoy au 59 rue de la République jouxtant le square Condroyer.
Voilà le contexte. Orange n’en a cure. Cela ne surprendra personne. Compter sur l’opérateur pour informer riverains et structures du déploiement de leurs antennes ici ou ailleurs relève du rêve, du mirage.
En revanche, c’est du ressort de la puissance publique, des prérogatives de la municipalité, du maire. De ce côté, ces derniers jours, la municipalité n’avait toujours pas répondu au courrier adressé par le député Stéphane Peu au maire, Mathieu Hanotin, demandant « la position adoptée par la ville sur l’implantation des antennes relais sur la ville, et sur ce projet de la rue des Ursulines ».
Seul un mail de réponse de Boris Deroose (conseiller municipal délégué à l’innovation numérique) à l’interpellation d’une riveraine – particulièrement concernée car électrosensible – résume aujourd’hui la réaction de la municipalité. La teneur du mail dit tout c’est à dire rien (voir l’échange de courriels dans le portfolio).
Pourtant, le déploiement des antennes relais et particulièrement de la 5G soulève de multiples interrogations.
D’abord celle de la transparence. A moins de concevoir que les opérateurs peuvent s’installer comme ils le veulent, sans aucune contrainte de publicité au sens premier du terme « rendre public » leur activité et au besoin répondre aux interrogations et rendre des comptes. Malgré de nombreux combats des élus et des citoyens cette dimension est loin d’être encore acquise et les avancées conquises ont été partiellement rognées lors du votre de la loi ELAN en 2018.
Pire, une ordonnance prise lors de la crise du Covid permet d’accélérer les procédures et de déroger aux règles de droit commun lors de l’état d’urgence sanitaire pour le déploiement des antennes, levée de l’obligation d’un dossier d’information, levée de l’accord de l’ANFR… C’est dire l’importance accordée au sujet par le pouvoir.
Reste que la responsabilité d’informer en incombe de toute manière en premier ou en dernier lieu aux élus quand le droit commun s’applique. Sur ce point, force est de constater que la municipalité fait l’autruche.
Une demi-étape vient d’être franchi, il en reste d’autres :
1. La maîtrise du terrain d’implantation (juste un mandat à ce stade)
2. La fourniture d’un dossier d’information en Mairie (DIM) destiné à l’information de la commune et du public,
3. La délivrance préalable d’un accord de l’ANFR,
4. La délivrance d’une autorisation d’urbanisme.
Concernant l’autorisation d’urbanisme il revient à la municipalité de l’accorder ou de la refuser, ce choix déterminant sa volonté d’accompagner les citoyens, riverains, structures et d’établir "le fameux rapport de force" vis à vis des opérateurs dont parlait Boris Deroose lors d’une intervention en conseil municipal en réponse à une interpellation à propos de la 5G de la conseillère municipale d’opposition Zaïa Boughilas, depuis démissionnaire.
Ce discours a été tenu il y a plus de 3 ans en janvier 2021. Depuis…
Même si, in fine, l’opérateur peut gagner au tribunal administratif un refus donne une indication de la position politique de la municipalité et permet d’accompagner la mobilisation.
L’impact environnemental et énergétique des technologiques numériques dont la 5G. C’est un débat, là aussi à moins de penser que la consommation énergétique des technologies n’a d’incidence sur le quotidien et l’avenir.
Si l’on devait résumer cette interrogation légitime, les propos de Matthieu Auzanneau, Directeur général de The Shift Project cerne bien l’enjeu : « « Si l’on veut être sérieux avec les objectifs de transition énergétique, il est indispensable de prendre en compte l’impact du numérique, qui est en croissance exponentielle. Cette analyse montre que c’est possible. »
Le rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique » (2018) le démontre. Il y est recommandé de rendre la transition numérique compatible avec les impératifs climatiques et les contraintes sur les ressources naturelles et énergétiques. La sobriété numérique consiste à prioriser l’allocation des ressources en fonction des usages, afin de se conformer aux limites planétaires, tout en préservant les apports sociétaux les plus précieux des technologies numériques.
Comment Boris Deroose, conseiller municipal à l’innovation numérique et par ailleurs directeur général de l’Agence pour le climat de Plaine Commune (ALEC) pourrait ne pas être sensible à cette dimension ?
Enfin, les questions sanitaires que ces technologies posent. Et les questions de l’indépendance des chercheurs et spécialistes appelés à se prononcer. Sur ce sujet là aussi toutes les interrogations sont légitimes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle un organisme comme l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a été saisi (saisine n° 2019-SA-0006 du 09.01.2019 intitulée "Saisine relative à l’exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication « 5G » et aux effets sanitaires associés". par le Directeur Général de la Prévention des Risques (Ministère de la transition écologique), par le Directeur Général de la Santé (Ministère des solidarités et de la santé), et par le Directeur Général des Entreprises (Ministère de l’économie, des finances et de la relance), avec copie de la saisine à l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep).
Normal. Ce qui l’est moins c’est qu’avant les conclusions de l’ANSES, le déploiement était déjà intervenu.
Tout dernièrement un courrier, en début d’année 2024, adressé au premier ministre revient sur des négociations relatives au projet de règlement européen Gigabit Infrastructure Act.
Dans ce courrier la question sanitaire est soulignée dans ces termes : "A l’heure à laquelle le Chef de l’État s’inquiète de la montée de l’infertilité, il est utile de préciser que l’exposition aux radiofréquences est évoquée par l’ANSES en matière d’infertilité masculine. Un rapport de 2021 mené à l’initiative du comité de l’avenir de la science et de la technologie du Parlement européen (STOA) qualifie même le risque de certain. De son côté, le Conseil de la santé des Pays-Bas dans son rapport « 5G et Santé » de 2020, conclut à des effets possibles sur la fertilité féminine (déroulement de la grossesse, malformations congénitales et développement précoce), le comportement, mais également le sang, la neurodégénération, la barrière hémato-encéphalique, l’expression des gènes dans le cerveau, la neurotransmission,... risques non identifiés par l’ANSES dans ses précédentes expertises."
Nous ne nous prononcerons pas ici sur la dangerosité ou l’innocuité des radiofréquences – dont la plus récente, la 5G – cela dépasse de très loin nos compétences, nous nous bornons à souligner que le débat est légitime, que des faits établis par des autorités scientifiques interrogent et qu’en ce sens, un principe, inscrit dans notre Constitution, celui de précaution, est sans doute à mettre en œuvre.
Un principe qui rejoint la conclusion du courrier précité, partisan de la mise en place : "d’une réelle politique de sobriété numérique et électromagnétique, de lutte contre la surexposition aux écrans, notamment des plus jeunes, un rééquilibrage des politiques de déploiement pour plus de transparence et de concertation au niveau local (élus et population concernés), de prévention et de prise en charge digne de l’hypersensibilité électromagnétique."
Voilà pour le contexte national et européen. Reste maintenant à savoir ce que la municipalité va prendre comme position.
Quant à la mobilisation, elle continue.