« La pression des conditions de travail, la pression de la hiérarchie, stop, vous allez craquer ! » lance Djamila Bassi, secrétaire du syndicat FO, aux agents de l’enfance et de la vie scolaire

, par Michel Ribay

Il est 11h15 et la salle Marcel Paul de la Bourse du travail continue de se remplir. Ils sont déjà près de 150, certains sont là depuis 10h30, essentiellement des animatrices et animateurs, à attendre le début de l’assemblée générale avec les agents des offices qui tous ensemble se sont déclarés grévistes ce mardi 12 novembre. Par petits groupes les agents de l’enfance ou de la vie scolaire s’installent, se saluent. Le ras le bol est général et la coupe vraiment pleine pour celles et ceux qui ont reconduit le mouvement de grève à l’unanimité.

La grande salle de 400 places Marcel Paul n’est pas pleine à craquer mais la colère et la combativité qui animent les personnes présentes ce mardi 12 novembre est indéniable et réchauffe l’atmosphère – un peu frisquette – de la Bourse du travail. Le tableau qui rend compte de la mobilisation des personnels de ces deux directions est sans appel, sur les 71 écoles de Saint-Denis seules trois seront ouvertes au moment de la pause méridienne.

Le mouvement vient de loin et les motifs de mobilisation sont multiples et expliquent non seulement son aspect massif mais aussi son caractère inédit : la participation conjointe au mouvement des deux services municipaux qui interviennent dans les écoles, le personnel des offices pour les repas et les animatrices et animateurs des accueils de loisirs.

En cause des conditions de travail qui se sont dégradées avec un fonctionnement constant en sous-effectif qui met en danger à la fois les personnels et les enfants dans les structures et une perte de sens des missions, du travail d’animation devenu quasiment impossible sinon très difficile à assurer dans ces conditions.

Des équipes et des enfants en danger

Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette situation que dénoncent les agents. Un seul suffit. Lors des vacances de la Toussaint, la politique de regroupement pratiquée par la municipalité a conduit à « accueillir » au sein de l’école Jules Vallès les effectifs de 5 centres de loisirs.
Outre les enfants de l’école proprement dite, s’y sont retrouvés ceux de Confluence, Jules Guesde, Brise Echalas et de Corbillon soit 280 enfants en moyenne et jusqu’à 300 enfants, conduisant à ce que des agents se retrouvent, seul.e en charge de 50 enfants dans une salle.

Cette situation de regroupement de 5 accueils de loisirs, dont il a été reconnu en interne que les « locaux ne sont pas adaptés au nombre d’enfants accueillis » semble pourtant devoir être reconduite lors de la période des vacances de Noël…

Une situation sans aucun rapport avec les ratios théoriques d’encadrement des enfants déjà détériorés puisqu’ils sont passés depuis mars 2023 de 1 pour 10 à 1 pour 14 pour des enfants de maternelle et de 1 pour 14 à 1 pour 18 en primaire. Une situation explosive donc génératrice de stress, de souffrance au travail, préjudiciable aux enfants et dont de nombreux parents s’inquiètent très fortement. Ils ont d’ailleurs plusieurs fois eux-mêmes alertés la municipalité de cette situation dégradée qui touchent l’ensemble des structures lors des conseils d’écoles. La prise en charge d’enfants porteurs de handicap est aussi extrêmement compliqué dans ces conditions au regard du sous-effectif d’encadrement.

Dans les offices, la situation est aussi difficile, l’augmentation du nombre d’enfants à la restauration scolaire n’a pas entrainé d’effectifs supplémentaires pour assurer les repas, les cadences étant ce qu’elles sont, la pénibilité du travail se fait de plus en plus sentir.

Djamila Bassi a rappelé les moyens d’actions des personnels face à ce genre de situation, que ce soit en alertant le service prévention en mairie, la relation des situations rencontrées dans le registre de sécurité à la DRH, l’utilisation du droit d’alerte et jusqu’au droit de retrait en cas de « danger grave et imminent » qui déclenche obligatoirement une enquête du service Prévention.

D’un accueil de loisirs avec des activités, des projets éducatifs que les agents sont bien en peine de maintenir on est passé peu à peu à de la garderie. A ce sous-effectif structurel, chronique s’ajoute une baisse des moyens, ainsi sur l’ensemble des vacances deux seules sorties en car ont été possibles.

Une précarité croissante, des contrats non signés, des engagements d’embauches non respectés, des titularisations qui tardent

Le déplacement incessant des animatrices et animateurs d’un accueil de loisirs à un autre au gré des manque d’effectifs – sans rien résoudre sur le fond ni même le respect des rations d’encadrement – à combler rend d’autant plus difficile un travail d’animation effectif autour de projet dans la durée. Les conditions de travail fortement dégradées minent l’attractivité de ces postes et rendent d’autant plus difficile le recrutement de nouveaux agents et leur fidélisation. Peu se pressent pour, à titre d’exemple, des contrats de deux heures, en pleine journée pour assurer la pause méridienne.

Le sentiment de la précarité pour ces agents est d’autant plus ressenti que pour bon nombre d’entre eux, contractuels, mensualisés, ils n’ont pas été appelé à signer de contrat de travail depuis septembre. La municipalité de son côté, tout en indiquant qu’elle procède par appel téléphonique des agents à la régularisation de cette situation, indique que le processus administratif des « autorisations d’embauche » suffit ce que conteste la secrétaire du syndicat FO, Djamila Bassi.

Précaires, titulaires, directrices et directeurs d’accueil de loisirs, toutes et tous connaissent une dégradation de leurs conditions de travail. Un accroissement des taches qui sont confiées aux directions chargés en plus de constituer les dossiers d’embauches alors que c’est une mission de la direction RH qui n’est plus en capacité de l’assurer au vu du sous-effectif du service RH. (Le Blog de Saint-Denis reviendra très prochainement sur cette situation générale au sein de la collectivité).

Le manque de considération prend des formes multiples, ainsi lors de « La fête de l’Enfant », les animatrices, animateurs, directrices et directeurs étaient conduits à effectuer des taches de manutention, d’installation, de rangement des infrastructures, taches pourtant dévolues au personnel du Centre Technique Municipal dont c’est la responsabilité au vu des compétences requises. Cela a cessé suite à l’intervention du syndicat FO.

Le manque de considération des responsabilités qu’assument aussi les directions d’accueils de loisirs se traduit par des rémunérations très inférieures à celles qui étaient octroyées auparavant aux directions d’écoles qui assuraient le temps dit « d’aide aux leçons ». Les directions d’écoles étaient rémunérés mensuellement 300 euros pour cela, les directions d’accueil de loisirs perçoivent actuellement 50 euros. Une revalorisation à hauteur de 150 euros a été demandée.

Des directrices et directeurs sur lesquels la hiérarchie rejettent la responsabilité d’une « mauvaise gestion des effectifs ». Pour les vacances d’été, les prévisions d’effectifs d’animateurs nécessaires intègrent le recours à des ponctuels, ces prévisions sont validées par leurs responsables hiérarchiques (qui assurent la coordination de plusieurs sites) pourtant il s’avère que ces ponctuels peuvent être renvoyés au denier moment au mépris de l’engagement contracté à leur égard.

La revendication du paiement des engagements pris à l’égard de ces ponctuels fait partie des exigences portées lors d’une réunion qui a eu lieu avec la direction générale vendredi dernier et pour lesquelles le syndicat attend un relevé de décisions de la municipalité.

La municipalité qui de son côté attend sans doute de voir l’ampleur du mouvement et sa ténacité pour fixer le curseur des sujets sur lesquels elle sera amener à céder. Attribuer le repas gratuit aux animateurs de la pause méridienne ne devrait pas poser trop de problèmes. En revanche, les points durs autour des effectifs, de l’augmentation de la prime mensuelle au titre de la pénibilité ou de congés supplémentaires devraient être plus ardus à résoudre. Tout comme les demandes de titularisation. L’ampleur de la mobilisation unitaire inédite des agents et le soutien le plus large compteront.

Derrière tout cela c’est bien entendu la volonté de la municipalité actuelle de réaliser des économies de fonctionnement au détriment du personnel et des missions de service public qui se joue.

Des politiques menées à la tête du client, la culpabilisation des agents

En matière de formation des personnels le manque de transparence, de lisibilité dans les choix effectués a été souligné. Sur quels critères les demandes de formations sont attribuées ? Comment se fait-il que des formations demandées par des titulaires, refusées pour manque de place sont pourtant attribuées à des contractuels ?

De même pour les choix concernant le personnel de direction nommé ainsi que les adjoints. Pour Djamila Bassi, il faut « Faire cesser ce genre de management » ainsi qu’une forme de « loyauté » qui consiste à renoncer à des droits, à des congés pour ne pas mettre en difficulté les collègues déjà soumis au sous-effectif chronique.
Les directions accordant des congés se voit même reprocher par leur hiérarchie de contribuer à créer des situations de sous-effectif ! Djamila Bassi résumait la situation actuelle de la sorte en s’écriant : « Les syndicats se battent pour du plus, là on en est réduit à demander le respect de nos droits ! » après avoir dénoncé la situation que connaissent certains gardiens d’école assumant l’ouverture et la fermeture de l’établissement en violation du droit en terme de temps de travail consécutif dans une même journée.

Et maintenant, agir et vite

Ce conflit éclate maintenant, à quelques jours de la création officielle de la commune nouvelle au 1er janvier 2025. Personne ne se fait d’illusion sur les changements qui pourraient intervenir dans les mois à venir avec l’ouverture de la campagne électorale. Peu de probabilité que des décisions du maire ne viennent heurter de front les personnels. « Après, dans le cadre d’un deuxième mandat… » de Mathieu Hanotin, Djamila Bassi l’a souligné à plusieurs reprises « Rien n’est garanti ».

Le mouvement ne devrait pas faiblir toute la semaine. Il a reçu le soutien des parents d’élèves. Ceux-ci ont rencontré l’élue en charge, Leyla Temel, jeudi dernier, et d’après nos informations, celle-ci minimisant des problèmes pourtant structurels et récurrents, cela ne s’est pas très bien passé. Qui s’en étonnera ?

L’élue, tout comme le maire et la direction générale, vont-ils enfin prendre la mesure de la situation et répondrent aux revendications ou vont-ils parier sur l’essoufflement d’un mouvement qui coûte très cher à des salarié.e.s aux très faibles rémunérations ? Un mouvement avait déjà alerté fortement en mai 2023 sur la situation à l’enfance.

Le pire, pour les agents, les enfants, les parents, serait d’être confrontés de la part de l’élue, de l’administration à une approche similaire aux propos tenus s’agissant des graves désordres intervenus à l’école Le Rouillon ces derniers mois : « Y a pas urgence ».