Mercredi 8 décembre, place Victor Hugo devant la Basilique, place des cafés, des festivités et des luttes locales. Pendant que des ouvriers installent le plancher de la patinoire, d’autres battent le pavé devant l’Hôtel de Ville. Une soixantaine de personnes sous les bannières de la CGT, FO93, SNUter. « Ça coûte cher une patinoire, tu m’étonnes qu’ils veuillent virer des gens à la Mairie », plaisante une femme agent d’entretien pour une école primaire.
Cette fin d’année 2021 a un goût amer pour celles qui, comme elle, pourraient perdre leur emploi prochainement. Il y a un mois, des employé.e.s des services éducation et sport ont eu le déplaisir d’apprendre que leur travail pour un service public de la ville allait être confié à une entreprise externe. À moins d’être réemployé.e.s par celle-ci, ces agent.e.s d’entretien non titularisé.e.s [1] devront trouver du travail ailleurs.
Un "plan social" sans aucun dialogue social
Les syndicats ayant appelé à la grève générale depuis le 30 novembre [2] dénoncent « un vaste plan social de départ et de licenciement ». En substance, ils reprochent à Mathieu Hanotin, élu à la mairie depuis juin 2020, d’appliquer avec trop de zèle la loi du 6 août 2019 dite de transformation de la fonction publique, qui va dans le sens de davantage de "mobilité’’ et qui propose ’’d’accompagner les transitions professionnelles des agents publics’’, pour paraphraser le titre de l’article IV. « L’an dernier, ils s’en sont pris à nos horaires en nous imposant les 1607 heures annuelles, sauf que moi j’ai toujours beaucoup travaillé. On a l’amour du service public, mais on a de moins en moins d’avantages à travailler là dedans », explique Kevin, la trentaine, agent titulaire qui est venu faire le pied de grue avec sa fille. « J’ai pris sur mes congés pour venir », explique ce dionysien pur jus, qui a grandi cité Floréal. « J’ai une gamine de trois ans, un crédit. On avait une pseudo sécurité de l’emploi avant, mais maintenant c’est fini », argumente le jeune père de famille. Bien qu’il ne soit pas employé dans les services touchés par la privatisation des postes, Kevin ne se sent pas à l’abri de subir le même sort que ses collègues. « Ils commencent par l’éducation et les sports, c’est pas pour rien. Ce sont les plus gros services. Ce n’est qu’un commencement », explique une représentante syndicale FO.
Au cours de ces deux jours de mobilisation, on ne croise pas d’élus de ces deux services [3]. Mercredi, en réponse à l’entrée d’agents des services des sports dans le centre administratif, la police est convoquée pour contenir une action pourtant pacifique [4]. Des représentants syndicaux racontent leurs difficultés à construire un dialogue social autour de ces réformes avec les élus de la majorité qui les renvoient au services administratifs. « Comme si ce n’était pas un problème de politique ! » s’insurge un représentant du personnel. « Les syndicats n’ont qu’un rôle consultatif. Si on vote contre, ils sont obligés de reporter d’une semaine, c’est tout. Mais ça nous laisse le temps d’organiser la lutte », nous explique-t-on plus tard pour justifier le boycott pur et dur du Comité Technique Paritaire au cours des trois journées de mobilisation, notamment par la CGT, FSU et SUD.
Un rassemblement de femmes précaires
Sur le parvis ou devant le centre administratif, beaucoup de femmes. Démoralisées par ce qui vient de leur tomber dessus, elles ne cachent pas leur colère ou leurs angoisses. Pour celles dont le contrat est précaire (contractuels, vacataires, qui sont légion dans la fonction publique), les conséquences sociales de cette privatisation de poste pourraient être désastreuses.
« Nous les titulaires on est moins impacté.e.s. Mais pour les contractuels c’est pire. Il y a des gens qui ont fait une carrière, qui sont là depuis des années et qui on un crédit à rembourser », explique Sabrina femme de ménage depuis une vingtaine d’années pour la ville, et habitante de Saint-Denis depuis l’enfance, quartier Allende. La voix douce, les mains gelées, Sabrina explique qu’elle a appris à s’exprimer avec le temps, à se faire entendre, ce qui n’est pas le cas de toutes ces collègues : « Pour certaines, c’est plus difficile de dire ce qui ne va pas ». « On a peur de se faire virer si on prend des congés en cas de Covid. Certaines ont eu des cancers, elles y réfléchissent à deux fois avant de risquer d’attraper le Covid », renchérit Aline, femme de ménage vacataire depuis 2015. Plusieurs personnes interrogées constatent, sans juger, des cas d’absentéisme chez leurs consoeurs qui peuvent s’expliquer par beaucoup de choses, dont la pénibilité de leur emploi.
Une sortie du secteur public redoutée
Malgré tout, la Fonction publique territoriale est perçue par ces femmes occupant des emplois précaires et pénibles comme un moindre mal par rapport au privé. Aline explique d’ailleurs ne pas être pressée de sortir du public : « On est pas mieux considérées dans le privé, au contraire ».
Fatiguées, usées, leur corps est leur seule force de travail. La crainte du déclassement ne vient pas de nulle part, même quand on a la volonté de se réorienter. Au fil d’une carrière de femme de ménage, les opportunités de se former sont rares : « C’est difficile de prendre du temps pour se former quand on est en sous-effectif », argumente Sabrina, qui a peur qu’on lui propose un autre type d’emploi, encore plus pénible si son poste est dispatché ailleurs. Elle pourrait même perdre sa place à terme.
D’après des sources syndicales et des témoignages d’agents, des emplois titularisés pourraient disparaître discrètement, suite à un reclassement ou à une déclaration d’inaptitude. Sale temps pour les précaires non qualifiés. Pourtant depuis deux jours, c’est pas l’énergie qui manque alors que les festivités d’hiver s’annoncent. « Ils m’ont parlé de secrétariat , sauf que c’est pas ma cam’ », lance Nora, qu’on croise un peu plus loin. « Je suis femme de ménage, et fière de l’être ! Vos enfants rentreront le soir avec des chaussettes noires ! »., clame-t-elle, en rappelant que les agents territoriaux connaîtrons toujours mieux leur métier qu’une entreprise privée, et qu’ils sont un lien précieux entre une ville et ses habitants.
Alix Rampazzo
Sources et personnes sollicitées :
– Des agents de la ville mobilisés et rencontrés devant l’Hôtel de Ville et le centre administratif lundi 6 et mercredi 8 décembre 2021
– Des représentants des syndicats FO, CGT, FSU. Ils n’ont pas relu cet article.
–Monsieur Shems Elkhalfaoui, élu aux sports et Madame Leyla Temel, élue à l’éducation et Monsieur Yannick Caillet, élu au personnel ont été sollicités par mail (depuis le 8 décembre pour les premiers, le 9 pour le dernier), sans réponse de leur part pour le moment.