« Nous sommes en train de nous battre pour simplement avoir le droit de distribuer gratuitement des colis d’urgence à des bébés en situation de malnutrition ! ». Entretien avec l’association MaMaMa à qui un nouvel ultimatum vient d’être notifié. Une pétition de soutien est en ligne.

, par Michel Ribay

L’ultimatum fixé par le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin et le président de la SEM Plaine Commune Développement, Stéphane Troussel, a expiré le jeudi 1er septembre. MaMaMa a bien voulu répondre à nos questions. L’association revient sur les besoins auxquels elle répond depuis 2020, sur les difficultés rencontrées et son incompréhension face au changement d’attitude au fil du temps de la part de la collectivité et de la SEM. A la demande d’un délai leur permettant de poursuivre leur activité et trouver de nouveaux locaux, Mathieu Hanotin et Stéphane Troussel répondent à nouveau par un ultimatum. Une demande de rendez-vous vient de leur être adressée par MaMaMa. Entretien.

Une pétition de soutien à MaMaMa est en ligne ici.

– Quelques heures après l’ultimatum qui vous a été fixé au 1er septembre par le maire, Mathieu Hanotin et le président de la SEM, Stéphane Troussel, pour quitter les locaux que vous occupez, quel est l’état d’esprit de votre équipe, des bénévoles ? Où en êtes-vous dans la recherche de locaux, à quelles difficultés, réalités du marché êtes-vous confrontées ?

MaMaMa : Dans un courrier reçu le 1er septembre, soit la date de fin du délai accordé par la Mairie en juillet dernier après la médiatisation de la situation de notre local, on nous annonce un nouvel ultimatum : le 12 septembre prochain. À cette date, si nous n’avons pas “remis les clefs” du local, le tribunal sera saisi par la SEM.

Forcément se retrouver de nouveau face à une échéance si courte c’est une pression supplémentaire pour l’équipe. Nous sommes toutes très affectées par cette situation qui dure depuis de longs mois. D’autant plus que notre priorité est de maintenir nos actions pour les mères précaires et leurs enfants : les rendez-vous individuels pour les mères isolées et les colis que l’on prépare pour 150 centres de santé et PMI (centre de Protection Maternelle et Infantile) et 270 assistantes sociales.

Une mission qui, déjà en temps normal, nécessite un travail acharné qui repose sur une équipe de salariées assez réduite et sur l’investissement incroyable de bénévoles.
Travailler sur ces deux fronts simultanément et dans un contexte aussi tendu c’est donc quasi mission impossible. Et pourtant, c’est ce que nous faisons depuis des mois car nous n’avons jamais suspendu nos actions même cet été, tout en cherchant plus activement encore des solutions et un nouveau local.

Pour une association comme la nôtre, c’est très complexe de trouver un nouveau local.
Souvent, l’offre associative est fragmentée et spécialisée : certaines associations proposent des serviettes hygiéniques, d’autres un vestiaire, d’autres encore des jouets pour les enfants…Or pour les femmes en situation de précarité, en particulier des mères isolées avec de jeunes enfants, c’est très difficile de se déplacer. Notre volonté était d’offrir une réponse globale aux besoins des femmes qui sont accompagnées par MaMaMa, une réponse en un seul lieu.

Cette approche d’ensemble exige donc un lieu suffisamment vaste pour pouvoir tout proposer au même endroit (alimentation, couches, produits d’hygiène et de puériculture, vêtements, poussettes, lits, jouets et livres d’éveil, mais aussi protections périodiques, vestiaire femme, lingerie, etc). Il faut pouvoir entreposer et trier tous les dons que nous collectons auprès d’entreprises et de particuliers, préparer tous les colis, recevoir les familles.

Ce besoin d’espace est accentué par l’ampleur de nos actions : 70 000 bénéficiaires, dans 9 départements. Au total, nous avons besoin d’au moins 1 200 m2.
L’autre contrainte reste l’accessibilité du lieu : sans proximité avec les transports en commun ni les bénéficiaires ni les bénévoles ne pourront venir de toute l’île-de-France comme c’est le cas actuellement. Les bénéficiaires se déplacent souvent avec des bébés et des poussettes, certaines de nos bénévoles sont en situation de handicap, la facilité d’accès est encore plus cruciale pour elles.

Nous avons pris contact avec de nombreux acteurs, politiques ou du milieux de l’immobilier (SNCF mixité / SNCF immobilier, le cercle des femmes de l’immobilier, des élus de villes d’Ile-de-France) et nous avons visité plusieurs lieux dans le public comme dans le privé. Certains ne correspondaient pas à nos besoins (des parkings souterrains par exemple) mais d’autres sont de véritables pistes, bien qu’encore très fragiles.
Néanmoins, nous sommes effectivement confrontées aux réalités du marché : une association fonctionne avec des subventions ou en remportant des appels à projets. Cet argent est fléché et très majoritairement sur de l’investissement (travaux, projets…).

C’est beaucoup plus compliqué de trouver des fonds pour financer des frais de fonctionnement (salaire et loyer). Alors même qu’une association sans but lucratif comme la nôtre, qui distribue gratuitement des colis à des bébés, est très limitée pour générer des fonds propres.

Mais nous sommes évidemment volontaires pour payer un loyer. Nous irons chercher de l’argent grâce à la générosité du public, de mécènes ou si nous obtenons des subventions de fonctionnement de la part de l’État. Mais c’est complexe car les propriétaires demandent des garanties alors que les potentiels financeurs demandent, eux, un projet déjà bien construit avant d’en valider le financement. Un véritable serpent qui se mord la queue… et donc un vrai frein à nos démarches.

L’autre problème est aussi le grand décalage qui existe entre les différents calendriers : les propriétaires demandent à être payés dès le début de l’occupation du lieu, mais les subventions sont souvent touchées par les associations de longs mois après que celles-ci ont été octroyées.

C’est donc particulièrement difficile de trouver un local dans le privé.

Pour toutes ces raisons, les associations qui font de l’aide alimentaire sont souvent aidées par des mairies. Elles bénéficient de mises à disposition gratuites de locaux ou de loyers adaptés. Par exemple, à Nanterre, la mairie a mis à disposition un grand local à une épicerie solidaire et a même investi 50 000 euros de travaux.

La question est de savoir si on considère l’aide alimentaire comme essentielle. Dans ce cas, il faut que les collectivités et l’État les soutiennent durablement et les accompagnent.

– La situation dans laquelle se trouve l’association est pour beaucoup d’observateurs incompréhensible, vous bénéficiez d’un immense soutien, de toutes parts et au plus haut niveau, y compris ministériel, et dans le même temps vous vous heurtez à une fin de non recevoir des décideurs politiques locaux, comment comprendre cette situation ?

MaMaMa : Nous sommes très démunies quand on nous demande “ Mais au fond, pourquoi veulent-ils vous expulser ? ”. C’est pourtant une question que quasiment tout le monde nous pose quand nous racontons notre situation. La question du “”pourquoi” reste très mystérieuse pour nous car nous n’avons certainement pas toutes les clefs pour comprendre la position des élus.
La situation est quand même assez absurde : nous sommes en train de nous battre pour simplement avoir le droit de distribuer gratuitement des colis d’urgence à des bébés en situation de malnutrition !

– La position des ces deux élus et responsables politiques semblent être inflexibles et un des derniers signes de leur part est l’envoi d’un huissier, de votre côté vous affirmez votre souhait de sortir de ce blocage absurde qui met en danger l’association et vos actions d’utilité publique ? Qu’attendez-vous aujourd’hui pour éviter ce qui serait un immense gâchis, à savoir l’arrêt de votre activité ?

MaMaMa : Nous avons un nouveau sursis de 12 jours, ce n’est pas suffisant pour trouver un nouveau local vu les contraintes dont on a parlé. Mais cela sera peut-être suffisant pour convaincre les élus de renoncer à cette expulsion qui signerait la fin de l’association et surtout de ses activités à destination de milliers de femmes et de bébés en grande difficulté. Nous avons envoyé un courrier à Stéphane Troussel et à Mathieu Hanotin pour leur demander rendez-vous. Nous espérons qu’ils accepteront de nous rencontrer, pour avoir au moins l’opportunité de leur présenter nos arguments.

Nous ne les avons vus qu’une seule fois, il y a longtemps. Stéphane Troussel est venu visiter l’association en décembre 2020, Mathieu Hanotin en février 2021.
Ils avaient chacun souligné l’importance de nos actions pour le territoire et affirmé leur volonté de nous accompagner dans le développement de notre association. Mathieu Hanotin parlait d’une ‘’ONG locale en formation” que la mairie se devait de soutenir car elle répondait à un besoin essentiel, l’aide alimentaire pour nourrissons, qui était jusque là un angle mort de la solidarité.

Comme ce local qui a été mis à notre disposition est voué à être détruit dans quelques années dans le cadre d’un projet d’aménagement urbain, Mathieu Hanotin s’était engagé à nous proposer d’autres locaux afin qu’on puisse construire sur le long terme. Il avait déjà “deux ou trois lieux en tête” et ses services allaient très vite nous les faire visiter.

Et surtout, il nous a assurées qu’il ne nous demanderait jamais de loyer, même si nous parvenions à trouver suffisamment de mécènes car “cet argent doit servir à la solidarité et pas à payer un loyer, sinon ça serait un scandale”. Ce sont ses propres mots. Nous étions sur un petit nuage ce jour-là !

Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme annoncé. La mairie ne nous a jamais proposé d’autre local, et quelques mois plus tard, juste avant Noël, nous avons appris que la SEM allait désormais nous demander 18 000 euros par mois à partir du 1er janvier. Notre loyer passait donc brutalement de zéro à 216 000 euros par an. Le choc était rude. Nous étions abattues mais dès le lendemain, nous avons contacté toutes les collectivités et les fondations susceptibles de nous aider à financer ce loyer. Les cabinets d’Anne Hidalgo, de Léa Filoche, la Fondation Dessine-moi une enfance, le département de Seine-Saint-Denis, par exemple, se sont mobilisés alors qu’on était en plein milieu des vacances de Noël.

Mais toutes les réponses qu’on recevait se ressemblaient : ce montant était astronomique, voire punitif.

D’autres pensaient que c’était une erreur, que forcément la mairie et la SEM allaient réfléchir et nous proposer un loyer raisonnable et adapté, semblable à celui que des collectivités exigent d’associations dans le champ de l’aide alimentaire comme la nôtre.
Mais personne ne voulait participer à financer un tel montant qui “n’a pas de sens” vu la situation.

C’était d’ailleurs, par une cruelle ironie, les propres mots qu’avait utilisé Mathieu Hanotin quand il s’était engagé à ne pas nous demander de payer un loyer car “ça n’aurait pas de sens”.

Nous avons tenté de négocier avec la SEM, il nous a été répondu qu’on devait “travailler notre business model”... Or distribuer des colis alimentaires pour bébés en situation de malnutrition, forcément, ce n’est pas un ”business” très rentable.

Depuis, nous avons tout essayé pour trouver une solution, de très nombreuses personnes se sont mobilisées, ont appelé Mathieu Hanotin ou Stéphane Troussel, mais nous sommes face à un mur.

Il nous faut donc trouver un nouveau local, mais tout l’enjeu est de pouvoir continuer d’exercer nos activités entretemps. C’est-à-dire rester dans notre local actuel, tant que de nouvelles perspectives ne se sont pas concrétisées.

Nos soutiens dans la recherche de ce nouveau bâtiment sont très déterminés, nous sommes donc assez confiantes. Mais cela peut prendre du temps.

C’est justement cela que nous demandons à Mathieu Hanotin et Stéphane Troussel : nous offrir ce temps. S’ils refusent, c’est la fin de MaMaMa et de tout ce qui aura été accompli en deux ans.

– Si vous aviez un appel à lancer aujourd’hui, au regard des besoins des mères, des parents isolés dans le besoin, des nourrissons et jeunes enfants que votre association a révélé quel serait-il ?

MaMaMa : Si nous avions un appel à lancer aujourd’hui ce serait assez simple : en France, en 2022, des bébés souffrent de malnutrition et le problème s’aggrave continuellement. Il est essentiel d’en parler et nécessaire d’agir.

Depuis 2020, 100 000 bébés supplémentaires dépendent de l’aide alimentaire en France.
Les causes sont multiples : les produits destinés aux nourrissons sont chers (couches et lait infantile, matériel de puériculture…) et les denrées ne sont pas substituables. C’est-à-dire, au contraire d’un adulte qui peut manger aussi bien des pâtes que des légumes ou, un enfant de moins de 4 mois doit boire exclusivement du lait maternel ou du lait infantile 1er âge. Si ce n’est pas le cas, cela peut avoir des conséquences dramatiques sur son développement. Or certains bébés que nous accueillons sont parfois nourris avec des biberons remplis d’eau de cuisson de riz, quand leurs mères n’ont plus rien.
C’est un véritable enjeu de santé publique.

– Dans ce contexte inquiétant et incertain, un dernier mot, une bonne nouvelle peut-être, quelque chose qui vous met du baume au cœur pour poursuivre votre engagement ?

MaMaMa : Il y a des milliers de choses qui nous redonnent de l’espoir et de la confiance pour poursuivre… et clairement, sans cela, nous ne pourrions pas tenir face aux multiples pressions qui s’exercent sur nous. La situation est très violente.
D’abord, évidemment il y a les parcours de toutes les femmes qui sont passées par l’association, comme bénévoles, comme bénéficiaires ou parfois même les deux et qui ont évolué, grandi, pris confiance en elles et qui sont si fortes aujourd’hui.

Puis, cela peut paraître plus superficiel, les messages de soutien sur les réseaux sociaux nous aident aussi. Hier par exemple, sur Twitter, un certain Christophe nous envoyait un “ gros big up pour le travail de dingue ” et nous disait “ Vraiment, mesdames, continuez, vous pouvez être fières sur 3 générations ” ! On avoue que celui-là nous a bien ému…

Aussi, on critique souvent les célébrités de soutenir artificiellement des causes pour leur image, mais Léa Salamé, qui a partagé notre vidéo d’alerte et notre communiqué de presse avec la Fondation des Femmes, connaît et soutient MaMaMa depuis plus d’un an. Elle avait pris le temps de nous rendre visite, de venir faire des dons mais surtout d’écouter et de comprendre les situations et donc les besoins spécifiques des mères isolées. Elle a aussi collecté des fonds pour MaMaMa en participant à une émission de Nagui, qui nous a, lui aussi, apporté un soutien immense.

Nous sommes aussi touchées par tous les partenaires associatifs qui nous apportent une aide précieuse, par toutes les personnes fantastiques qui nous accompagnent dans cette étrange aventure, par le soutien indéfectible de la Fondation des Femmes et celui d’élu·e·s qui se mobilisent pour nous malgré la situation.

Mais ce qui nous donne le plus de force et de courage, c’est voir un collectif comme le nôtre : des femmes qui se soutiennent, s’épaulent dans les difficultés mais savent aussi partager, malgré l’adversité, des moments de joie véritable, quand des rires de femmes et de bébés résonnent tous les jours dans l’entrepôt.