« Osons lutter contre le racisme et pour l’égalité des droits » reste le mot d’ordre de ces dernières années. Entretien croisé avec Jean Bellanger et Mahfoud (Rahim) Rezigat à l’occasion de la Quinzaine antiraciste et solidaire et de la rencontre du 23 mars à la Bourse du travail sur le thème « La guerre d’Algérie, Le Pen, l’immigration et la Palestine » avec les écrivains et historiens, Alain Ruscio, Gilles Manceron, Henri Pouillot et Fabrice Riceputi

, par La Rédac’

A l’occasion de la 52 ème édition de la Quinzaine antiraciste et solidaire qui se déroule jusqu’au 31 mars, nous avons voulu, avec un entretien croisé, interroger deux acteurs de cette édition. Jean Bellanger, un des fondateurs historiques de la Quinzaine, ancien dirigeant syndicaliste de la CGT et militant acharné de la défense des travailleurs immigrés et Mahfoud (Rahim) Rezigat, jeune militant du FLN en France à la fin des années 50, ancien détenu dans les camps du Larzac (Aveyron), Thol (Ain), rescapé de la répression de la manifestation 17 octobre 1961 à Paris. Ils témoignent chacun à leur manière du contexte des années 1970, de la naissance de cette Quinzaine et de l’actualité de leurs engagements. Ils sont tous deux à l’origine de deux associations, Ensemble, Vivre, Travailler et Coopérer (EVTC) en 1994 pour Jean Bellanger et l’Agence pour la Promotion des Cultures et du Voyage (APCV) en 1991 pour Mahfoud (Rahim) Rezigat.

Le Blog de Saint-Denis – Vous participez à la 52 édition de la quinzaine antiraciste et solidaire, c’est donc en 1972 que la première édition a eu lieu. On est 10 ans après la fin de la guerre d’Algérie, et de nombreux événements très symboliques rendent compte du contexte quand nait cette Quinzaine : en janvier et février 1972 les circulaires Marcellin-Fontanet, interdisent la régularisation de tout étranger entré sur le territoire sans autorisation de travail et sans attestation de logement ; en juillet c’est la loi Pleven, du nom du ministre de la justice à l’époque, « relative à la lutte contre le racisme » créant le délit d’incitation à la haine par des propos ou des écrits tenus en public ; et pourtant en octobre c’est la fondation par Jean-Marie Le Pen du Front national… Quels sont vos souvenirs de cette époque, du contexte, dix ans après la fin du conflit le 19 mars 1962 ? Et de la création de la Quinzaine, que gardez vous en mémoire ?
Mahfoud Rezigat (Rahim) – Dix après la fin de la guerre, j’étais à Nancy travaillant dans les moulins Villegrain et Lorraine Lait membre à la fois de la CGT et également, à l’époque du Secours rouge, engagé contre les actes racistes et dans le soutien aux victimes .

De mon souvenir, dès la connaissance d’un acte raciste ou discriminatoire notamment dans le domaine du logement ou le refus de servir dans un café ou restaurant », le Secours Rouge mobilisait ses membres en dénonçant les coupables sous forme de rassemblements répétés sur place, y compris avec l’occupation du café ou du restaurant, jusqu’à l’arrivée de la police.
Avec d’autres associations des combats ont été menés en solidarité avec les travailleurs notamment ceux du bâtiment. Nous avons créé une Association arabo-française de soutien aux migrants expulsés en plein hiver à Nancy, celle-ci assurait des cours d’alphabétisation et l’appui aux démarches administratives.
En fait arrivé à Paris dans ces années là, j’ai soutenu les événements de mai 1968 étant membre de la commission de la Main d’Oeuvre immigrée de la CGT.
De 1968 à 1978, j’étais un militant actif des Comités Unis Français Immigrés (le slogan Français-Immigrés, même patron, même combat résumait bien notre combat) ayant mené des campagnes de dénonciations ou de protestations contre les licenciements. Et d’autres luttes, notamment à Renault à l’époque de la mort de Pierre Overney, ou sur le soutien aux grèves, la dénonciation des bavures policières ou les agressions à caractère raciste comme l’assasinat de jeunes algériens notamment à Marseille dans les années 70-75.
Cela s’est poursuivi avec le soutien actif à des grèves et diverses mobilisations, celle des foyers Sonacotra en 1970, de Penarroya en 1972, de LIP Besançon (c’était le rêve autogestionnaire que je défendais) en 1973…

Jean Bellanger – En décembre 1972, le bulletin n°316 de ’’Droit et liberté’’ rend compte de cette première initiative qui se tient du 22 octobre au 5 novembre 1972. A ce moment nous sommes encore sous le choc de cette guerre coloniale d’Algérie qui a laissé beaucoup de traces et de traumatismes. A cette première Quinzaine, on programme le film ’’Élise ou la vraie vie’’ de Michel Drach, d’après le livre homonyme de Claire Etcherelli paru en 1967. On y raconte qu’il est possible de s’aimer même après cette guerre qui a laissé des traces...

Du marché de Saint-Denis au théâtre Gérard Philipe ... jusqu’à la Bourse du travail (alors rue Suger) on se mobilise... 20 000 tracs sont distribués à l’occasion de cette première Quinzaine.
’’ Étrange étrangers’’ le film de Marcel Trillat et Frédéric Variot est projeté. C’est un film tourné dans les bidonvilles d’Aubervilliers et de Nanterre, qui va à la rencontre d’immigrés d’origines portugaise et africaine. Un film qui dénonce la politique alors suivie à l’époque par la France en matière d’immigration. Une époque où un drame est encore dans les mémoires. Un drame qui va connaître un retentissement national, à la fois politique et médiatique : dans la nuit du 31 décembre 1969 au 1er janvier 1970, cinq travailleurs africains meurent asphyxiés dans un foyer à Aubervilliers.

On projette aussi « O Salto », de Christian De Chalonge, sur le passage des Pyrénées par les immigrés portugais. Antonio, un menuisier miséreux décide de quitter son pays, le Portugal déchiré par la guerre coloniale. Sans passeport, il traverse l’Espagne pour la France dans les pires conditions. A cette occasion des jeunes portugais expliquent aussi pourquoi ils sont venus en France.
Léon Gani, jeune historien présente de son côté son livre ’’Syndicats et Travailleurs immigrés’’ édité aux Éditions Sociales.

Le meeting final au Théatre Gérard Philipe (TGP), après les prestations musicales de Paco Ibanez et Luis Cilia, donne le ton : ’’Poursuivre ensemble’’ ce message est affirmé avec force par Charles Palant, vice-président du MRAP, par les syndicats, par les immigrés et par le maire adjoint communiste de Saint-Denis, Maurice Manoël qui s’engage politiquement avec force : ’’Nous exigeons’’ répète-il plusieurs fois.

– Une vague importante de xénophobie, d’agressions, de meurtres racistes ont lieu à cette période. Et le climat est tel que, 10 ans après la fin de la guerre d’Algérie, c’est la création à Saint-Denis de la première Brigade Anti-Criminalité par un préfet, celui de la Seine-Saint-Denis sur le modèle de la Brigade nord-africaine [1]. Comme ancien jeune militant du FNL que peux-tu dire de cette période ? A quel moment es-tu arrivé à Saint-Denis ? La Quinzaine, sa création était-ce aussi une réaction à ce « racisme d’atmosphère » pour reprendre une expression contemporaine ? Comment ce combat s’est-il exprimé au départ et au fil du temps ?
Mahfoud Rezigat (Rahim) – Je suis arrivé à Saint-Denis dans les années 1980, je n’ai pas connu cette période à Saint-Denis. C’est le 21 mars 1991 que l’Association de Promotion des Cultures et du voyage (APCV) dont l’objectif est la mise en relation des diverses cultures pour Mieux Vivre ensemble avec nos diversités a été créée.
Avec plusieurs convictions et objectifs :
 la culture comme moyen de rencontre pour lutter contre les formes de racisme et de discriminations et pour l’Egalité des droits
 La reconnaissance de l’esclavage, des colonisations notamment celle de l’Algérie, la reconnaissance de la participation des combattants étrangers notamment les tirailleurs et les soldats des ex-colonies.
C’est devant le constat de la montée des actes racistes et discriminatoires que l’APCV a rejoint le Collectif de la Quinzaine antiraciste et solidaire dans les années 2000 pour participer à ces actions diversifiées et collectives et pour renforcer les liens de mixité culturelle.
Aujourd’hui je constate que l’intégration sans perdre son identité a échoué, laissant place à un repli communautaire et même "blanc" selon mes échanges avec des militants ou de simples citoyens.
Ce sont en majorité les Algériens qui sont victimes du racisme et du rejet, la guerre y est pour beaucoup. Elle existe toujours dans les esprits des nostalgiques de l’Algérie française. Aujourd’hui le racisme est banalisé et s’exprime à l’égard des immigrés et des franco-étrangers. Cela ne peut que renforcer les idées de droite et d’extrême droite encouragées par la loi Darmanin. 
Les associations du Collectif de la quinzaine antiraciste et solidaire font modestement front aux idées racistes comme d’autres associations engagées sur le terrain du Vivre ensemble, avec toutes nos diversités.

Jean Bellanger – Nous pouvons mesurer à travers les quelques 30 à 40 affiches qui sont exposées dans le hall de la Bourse du travail l’engagement de notre ville et de ses forces vives. Ces affiches sont toujours accompagnées des noms des associations qui soutiennent ou agissent. Dans ce cadre, c’est avec l’appui de plus de 20 associations, syndicats et le ’’soutien’’ de partis politiques et toujours avec l’aide discrète mais efficace de la municipalité de Saint Denis sauf ... depuis ces dernières années. Quelques exemples années après années mais vous êtes invités à aller toutes les découvrir sur place à la Bourse du Travail.

1997– Michel Quarez, l’artiste populaire de Saint-Denis nous propose avec la ballade de son bonhomme fétiche de participer aux différentes initiatives proposées.
2007 – Ensemble pour l’égalité de tous les droits :
Logement, Régularisation, Codéveloppement, Solidarité , Formation
2008 et 2009 – La Coopérationinternationale. Le centre de documentation et de formation en construction à Serenaty région de Kayes au Mali avec Evtc et Mareguemou
2012 – ’’40 ans de lutte contre le racisme’’ à St Denis. 22 associations soutiennent l’initiative et participent.
2015 – Saint-Denis lutte contre le racisme.Le buste de ’’Marianne’’ souligne l’engagement républicain de la Nation. L’association Yallah et le Panorama des cinéma du Maghreb et du Moyen-Orient participent avec 22 associations de St Denis.
2016 – l’Humanité doit ’’faire face aux migrations’’. Contre le mépris pour les naufragés de la part de l’Europe et des pays dits d’accueil. 23 associations participent et soutiennent ...
2018 – L’article 1er de la Constitution des droits de l’homme (1948) est à l’affiche de la 46ème édition. L’éditorial signé de la Ligue des droits de l’homme rappelle le 70ème anniversaire de cette déclaration universelle. 16 associations participent.
2019 – les jeunes ’’issus de l’immigration’’ les associations dit de villageois sont bien présentes en France pour soutenir le développement durable. A Saint-Denis, il existe plus de 150 associations de villageois
2022, 2023, 2024 – "Osons lutter contre le racisme et pour l’égalité des droits" reste le mot d’ordre de ces dernières années.

Association de Promotion des Cultures et du voyage (APCV).

Ensemble, Vivre, Travailler et Coopérer (EVTC)

SAMEDI 23 MARS DE 14H00 A 19H00 - RENCONTRES ET ECHANGES SUR LE THEME DE « LA GUERRE D’ALGERIE, LE PEN, L’IMMIGRATION ET LA PALESTINE » (MRAP, LDH, APCV)
SALLE LOUISE MICHEL – BOURSE DU TRAVAIL (9-11 rue Genin)
Avec la participation de Rahim Rezigat, ancien jeune militant du FLN en France, ainsi que des historiens et écrivains, Alain Ruscio, Gilles Manceron, Henri Pouillot et Fabrice Riceputi.

Du 15 au 31 mars c’est la 52ème édition de la quinzaine « Saint-Denis antiraciste et solidaire ». Tout le programme à découvrir.

Notes

[1*Dès les années 1930, une police des colonisés en métropole est créée en France, la Brigade nord-africaine (BNA). Cette brigade procède à des opérations de fichage massives et à des rafles dans les « quartiers musulmans » de Paris. En 1953, elle est remplacée par la Brigade des Agressions et Violences (BAV) afin de réprimer la « criminalité » des colonisés puis pour combattre le FLN. La BAC est étendue à d’autres villes en 1974, se substituant aux Brigades spéciales de nuit (BSN). Ses agents ont fait leurs classes dans les colonies et importent les « méthodes » de la guerre d’Algérie.