Le Blog de Saint-Denis – Le débat d’orientation budgétaire de la commune de Pierrefitte s’est déroulé jeudi 21 décembre. Il précède ce qui pourrait être le dernier budget d’une commune souveraine si, comme le veut le maire, Michel Fourcade, votre collectivité se dissout au sein d’une commune nouvelle avec la ville de Saint-Denis au 1er janvier 2025. Votre conseil municipal a aussi débattu du rapport de la Cour des comptes, qui 10 ans après une premier rapport assorti de nombreuses recommandations, pointe encore de nombreux dysfonctionnements au regard du Code général des collectivités territoriales.
Que retenez-vous d’essentiel de ces deux débats intimement liés ?
Romain Potel – Tout d’abord une contradiction : d’un côté, un adjoint aux Finances qui dit que, comparativement à 2020, la situation s’améliore pour les finances de la ville, ce qui est globalement vrai : la ville maitrise enfin sa masse salariale, les procédures de commande publique se mettent enfin en place, fin des investissements ruineux de « prestige » - renoncement à récupérer un bassin nordique des JO qui coûtait plus du double qu’un bassin neuf – et donc réduction tendancielle de l’endettement. D’un autre côté, le Maire qui se résigne à ce que Pierrefitte soit et reste une commune structurellement pauvre et qui ne voit que son projet de fusion avec St-Denis comme planche de salut pour offrir à la population les services publics et les équipements qu’elle est en droit d’attendre.
Toutefois j’analyse cette contradiction ainsi : le Maire dirige la ville depuis 2008 et s’est enfermé dans de mauvaises habitudes, clientélistes notamment : dépenses sans compter pour satisfaire son électorat, utilisation de moyens municipaux à des fins privées ( son véhicule de service et sa carte essence ) , embauches de personnel au « fils de l’eau » ( dixit la CRC )… le niveau de l’eau montant à l’approche des élections… Le Maire a pris conscience grâce au rapport de la CRC, qu’il a reçu en mars 2023, de l’échec de sa gouvernance. Depuis, il ne jure plus que par son projet de « commune nouvelle ». Son adjoint aux finances, bien qu’étant militant et même élu de longue date, était jusqu’à cette mandature réduit à un rôle de second couteau. Il a pris à cœur sa délégation et a incontestablement participé à un assainissement des pratiques depuis 2020. Il est aussi un des rares élus de la majorité à prendre en compte les remarques de l’opposition. N’ayant de réelles responsabilités municipales que depuis peu, il a un regard différent de celui du Maire sur les finances de la ville. Il voit le verre à moitié plein quand le Maire se résigne à anticiper un verre vide. Outre cette contradiction, ces débats ont définitivement mis en lumière l’absence de projet global, de vision pour notre ville.
Fourcade gère « au fil de l’eau ». Il pense en termes d’équipements, de services publics, de sécurité. Mais pas de projet de vie partagé. Il a maintenant adopté le jargon technocratique d’Hanotin ( ville apaisée et résiliente, continuum de sécurité…) mais pour mieux masquer le vide derrière les mots. Pour exemple : il multiplie depuis 3 ans les permis de construire pour des logements étudiants (favorisés par de l’incitation fiscale ) sans avoir anticipé les conséquences en termes d’infrastructures, notamment si ces logements, comme cela arrive déjà ailleurs, sont occupés par des familles précaires.
– Quels sont les priorités et les perspectives auxquelles la ville de Pierrefitte devrait se consacrer et au regard du rapport de la CRC, la perte de souveraineté communale au profit d’une commune nouvelle – qui n’est encore qu’un projet – peut-elle apporter un début de solution ?
Romain Potel – La priorité est de recréer un lien social, donc un lien qui libère et émancipe, au sein de la ville. Les émeutes de juin-juillet ont montré que nombre de jeunes n’ont pour horizon qu’un modèle d’ultra consumérisme. Ré-ouvrir le champ des possibles. Par la culture. Par un travail pour une éducation nationale de qualité, un réel travail coordonné d’éducation populaire au sein des quartiers. Y compris à destination d’adultes, surtout précaires pour lesquels il faut aussi viser l’émancipation et la sortie de l’assistanat (utilisé par le maire à des fins clientélistes). Il faut viser un « rééquilibrage sociologique » de la ville. Conserver les classes moyennes est aujourd’hui difficile : écoles, surtout collèges, qui effraient les parents, saleté de la ville… Il y a des pistes, souvent peu coûteuses mais qui demandent aux élus de réellement mouiller la chemise sur le terrain. Surtout, il faut dégager des marges de manœuvres financières.
Conformément aux recommandations de la CRC, il faut réduire la masse salariale – il y a objectivement trop d’agents par rapport au service fourni, les mauvaises conditions de travail des agents, dont les inégalités de traitement participent, coûtent à la ville – et optimiser les procédures de dépense publique – trop d’argent gaspillé en achats coûteux hors marché ou non anticipés. D’une manière générale, il faut réduire le train de vie de la commune (communication, moyens dédiés aux élus, véhicules de service, réceptions et fêtes…). Plutôt que de baser une politique sur un budget , difficile à boucler de surcroît, faire reposer émerger un projet partagé, porté par des bonnes volontés – il y en a – qui permettent aux habitants de la ville de se la réapproprier. Aux antipodes donc du projet de fusion qui est un projet issu de la seule volonté des 2 maires et qui n’a que des objectifs matériels en ligne de mire. Un projet de fusion qui réduit encore plus les habitants à des consommateurs de services publics, les privant par là-même de devenir acteurs de leur commune.
– L’article 72 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle de mars 2003 indique : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Compte-tenu des nombreuses différences entre Saint-Denis et Pierrefitte, de leur taille et poids politique respectif – Mathieu Hanotin cumulant par ailleurs les fonctions de maire et de président de l’EPT –, ne serait-ce pas finalement, avec la création de cette commune nouvelle, une sorte de mise sous tutelle qui ne dit pas son nom pour les Pierrefittois au terme d’un processus où près de 150 000 habitants, qu’ils soient Dionysiens ou Pierrefittois, ne sont amenés à se prononcer sur l’avenir de leur ville ?
Romain Potel – C’est indéniablement une mise sous tutelle de Pierrefitte. L’obstination de Fourcade à parler de Commune déléguée, ce qui est une coquille vide le montre très bien. Fourcade tient à garder l’emballage pour tenter de cacher que le contenu est vide. Plus aucune décision ne sera prise à Pierrefitte pour Pierrefitte. Les décisions seront prises, au mieux, à la lumière de l’intérêt général de la nouvelle St-Denis. Mais c’est aussi, et surtout, un moyen d’étouffer encore plus la démocratie locale. Il y a hélas déjà peu d’acteurs locaux, c’est à dire de personnes qui se sentent suffisamment en empathie avec leur commune pour s’y investir, dans la vie associative ou politique. Augmenter la taille de la commune accentuera cette désaffection des habitants pour la vie locale. On retrouve l’idée que certains politiciens, nos deux maires notamment, ne veulent pas de citoyens… ils veulent des consommateurs, si possible serviles ou du moins qui leur soient redevables quand les élections approcheront. C’est leur projet !
On peut lire ici la réaction de Yohan Sales Salada, conseiller municipal La France Insoumise.