Depuis samedi, la recherche des responsables de ce fiasco bat son plein. Les premiers désignés par le ministre de l’intérieur sont les supporters anglais responsables à ses yeux de tout ce chaos. Pas un mot bien entendu sur les responsabilités croisées de l’organisateur l’UEFA, la FFF, le Stade de France, la Préfecture de Police de Paris, la Préfecture du 93, soit le dispositif mis en place pour l’accueil des 80 000 spectateurs et encore moins bien entendu sur le mode d’intervention des forces de police sur le terrain.
Les images, les témoignages recueillis, le travail des journalistes, quand ils n’ont pas été empêché pour certains de filmer, convergent sur un point : la gestion policière de l’événement est dans la droite ligne de ce que nous avons connu lors des manifestations qui se sont déroulées contre la loi travail jusqu’à la répression du mouvement des gilets jaunes.
Charges violentes, matraquages, gazages lacrymogènes à tout va, en direction de personnes non menaçantes, à hauteur de visage, personnes frappées à terre (à 0,36 mn) par un agent de la police municipale de la brigade GSI. Les images en témoignent.
Dans cette gestion de l’événement qui relève du maintien de l’ordre la police municipale n’est donc pas en reste. Présente sur le terrain au stade de France. A pied, en vélo, équipé de véhicules.
Munis de chiens, la police charge (est-ce la municipale ?).
Là, il n’y a pas de doute, c’est bien la brigade cynophile de la police municipale de Saint-Denis (à 1mn 18 d’une video de la presse espagnole).
Que vient faire la police municipale dans de tels événements alors que les textes qui régissent son domaine d’intervention l’interdisent.
L’interdiction faite à la police municipale de se voir confier des missions de maintien de l’ordre ne figure pas au code général des collectivités territoriales mais dans l’annexe de l’article L512-4 du Code de la sécurité intérieure (CSI) relatif aux conventions de coordination de police municipale.
Dans le préambule des modèles de convention de coordination doit figurer la précision suivante : « En aucun cas il ne peut être confié à la police municipale de mission de maintien de l’ordre. »
La circulaire du 20 juillet 2011 (NOR IOCD1119121C) avait pour titre « Interdiction de maintien de l’ordre aux agents de police municipale ».
Elle rappelait aux communes que les polices municipales sont chargées de la prévention et de la surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques (actuel article L.511-1 du code de la sécurité intérieure), ainsi que le risque de mise en cause pénale et civile des élus en cas de missions confiées aux agents, qui dépasseraient ce cadre.
L’annexe du décret n° 2012-2 du 2 janvier 2012 relatif aux conventions types de coordination entre police municipale et police nationale précise aussi qu’« en aucun cas il ne peut être confié à la police municipale des missions de maintien de l’ordre ».
Les termes de l’article L 2212-5 du Code général des collectivités territoriales précise que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques », à savoir la surveillance du bon ordre qui est une action de police administrative, préventive, relevant des pouvoirs du maire, mission habituelle de l’agent de police municipale, applicable dans les endroits de rassemblements tels que les foires, marchés, à l’exclusion des manifestations particulières dans lesquelles un risque de trouble à l’ordre public est prévisible.
On y est. Pourquoi aurait-on mobilisé autant de forces de police pour cet événement sinon parce qu’on savait qu’un « risque de trouble à l’ordre public est prévisible ».
Les conditions dans lesquels on peut déroger à la loi – qui interdit à la police municipale des tâches de maintien de l’ordre – sont prévues explicitement dans l’article L.2215-1 4° du CGCT.
Il y est indiqué que la police municipale est assurée par le maire, toutefois :
L’alinéa 4 précise :
« En cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d’entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l’usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu’à ce que l’atteinte à l’ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. »
1) A-t-on constaté que « les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police » ?
2° Un arrêté motivé a-t-il été pris par le préfet ?
Ces questions sont loin d’être anodines car outre les questions de droit, elles interrogent les missions de la police municipale, sa formation à ce type d’intervention, les risques que cela fait peser sur les agents et sur les citoyens.
A faire intervenir la police municipale aux côtés de la police nationale dans des opérations de maintien de l’ordre, c’est tabler sur « la formation sur le tas » et caler les modes d’interventions de la police municipale sur l’espace public sur celle de la police nationale et en l’occurrence sur les pires en la matière.
Pire, c’est conduire la police municipale à se croire compétente, légitime à faire, à mimer « du maintien de l’ordre ». A mimer surtout quand cela n’a pas lieu d’être.
Violences, charges illégales, avec des chiens, c’est bien n’est ce pas, ce qui s’est passé le 6 février à la gare de Saint-Denis.
A poursuivre dans cette voie que le droit, la législation interrogent, on peut nourrir de grandes craintes pour l’avenir.