Si l’on fait exception de la période estivale cela fait un an qu’une nouvelle équipe est aux commandes de la municipalité de Saint-Denis. Il en est de même à Plaine Commune où siège et c’est une première dans l’histoire du territoire, un président, maire de la plus grande ville.
Si l’esprit de coopérative de villes aurait pu s’accommoder d’une présidence accordée à un maire, cela aurait eu un sens qu’elle soit du ressort d’une des trois plus petites communes du territoire : Stains, Villetaneuse où l’Ile-Saint-Denis. Jacques Poulet, maire de Villetaneuse fut le premier président de la communauté d’agglomération. Ces trois villes représentent une sensibilité politique présente sur le territoire et illustrent chacune les changements issus des élections municipales de juin 2020 : reconduction d’un maire (Stains), changement (Villetaneuse), passage de témoin au sein d’une équipe (L’île Saint-Denis).
Reconduction à Epinay, La Courneuve et Pierrefitte. Changements à Saint-Denis, Aubervilliers et Saint-Ouen. Faisant exception (renouvellement dans la continuité d’une équipe) on aurait pu souhaiter que la présidence soit tenue par le maire de la plus petite commune, L’île-Saint-Denis.
Si la politique consiste à tracer un chemin et faire partager une vision, l’ancien maire de l’Ile-Saint-Denis, Michel Bourgain, ayant été un précurseur et un inlassable artisan des politiques publiques environnementales à Plaine Commune - du plan communautaire de l’environnement à la délégation à l’écologie urbaine - une décision de ce type aurait fait sens pour une assemblée déclarant l’urgence climatique dès son installation.
Mais c’est une autre option qui s’est imposée. En rupture brutale avec ce qui avait prévalu à Plaine Commune. Faire coopérative, mutualiser les ressources, corriger les inégalités territoriales passait aussi par une mise en retrait de la ville centre, de la plus importante des communes au sein de la communauté d’agglomération, établissant une gouvernance où les maires étaient sur un pied d’égalité.
Un choix politique assumé et qui faisait d’ailleurs exception au regard de nombreuses collectivités.
Jouer l’apaisement à Plaine Commune…
A Plaine Commune, à différentes reprises les maires (et quasiment toutes tendances confondues) se sont plaints. Parmi les motifs de mécontentement : l’impréparation des dossiers, la rétention des informations, les mises au pied du mur ou les prises de décisions unilatérales de Mathieu Hanotin, le maire-président, qui prétendait pourtant « redonner du pouvoir aux maires ».
Un an après son élection, tant dans la ville centre qu’au sein de Plaine Commune, la manière de faire, brutale, verticale, à rebours de l’histoire de la construction du territoire et de l’esprit de sa gouvernance, Mathieu Hanotin, en proie aux difficultés et aux premiers signes d’une crise multiforme, tente d’élargir son assise politique.
Ainsi, après un long conflit juridique portant sur un point d’interprétation du Code général des collectivités publiques dont l’issue est favorable à Plaine Commune, le maire-président saisit la possibilité d’élargir l’exécutif (le bureau délibératif) avec 5 nouveaux conseillers délégués.
Calculé sur la base d’une proportionnalité arithmétique issue des élections de juin – et au motif d’une représentation des différents groupes politiques constitués à Plaine Commune – ce sont deux délégués pour le groupe socialiste, un pour le parti communiste, un pour la droite et un Vert qui accèdent ainsi à de nouvelles fonctions exécutives depuis le conseil territorial du 21 septembre.
D’une manière générale, cela a peu de chances d’éteindre la bronca d’une partie des maires à Plaine Commune tant le malaise est profond. La situation actuelle étant maintenue, les ingrédients de conflits récurrents sont toujours présents.
… endiguer le mécontentement à Saint-Denis…
La situation s’avère bien plus singulière dans la ville ou le président est Maire.
En effet, à Saint-Denis, les résultats sont loin d’être probants pour ce qui a fait le cœur de la campagne de « Notre Saint-Denis » : sécurité et propreté.
Beaucoup de dionysiens se plaignent, ne serait-ce que du peu de réponses voire de l’absence de réponse de la municipalité aux diverses interpellations qui lui sont adressées.
Le résultat des élections départementales a montré aussi combien, a contrario de ce que l’on constate en général, il n’y a pas eu de franche confirmation par les électeurs du changement opéré en juin 2020. Une défaite dans le canton nord et une centaine de voix séparant les candidats sur le canton sud, rien de triomphal donc.
Affaiblie au sortir des départementales, une crise éclate au sein de la majorité autour de trois adjoints et du président du groupe « Notre Saint-Denis ». Brahim Chikhi, alors adjoint au personnel communal et aux finances, est évincé de la majorité. Le retour au bercail des « frondeurs » passé, c’est le renvoi du directeur de cabinet, totalement discrédité après avoir qualifié une dionysienne voilée de « chauve-souris », qui vient conclure l’épisode de crise estivale.
C’est dans ce contexte qu’est donc intervenu la semaine dernière cet élargissement de l’exécutif de Plaine Commune.
… et choisir son candidat.
Si, à ce stade, peu d’enseignements politiques de cette initiative peuvent être tirés concernant l’échiquier politique à Plaine Commune, on remarquera néanmoins un élément plus singulier concernant Saint-Denis.
Présente dans plusieurs villes, constituée en groupe à Plaine Commune, la sensibilité écologiste (qui dépasse les seuls membres d’EELV) voit à cette occasion sa représentativité s’accroître avec un poste de conseiller territorial délégué. Le maire-président, grand prince, (soulignant à l’occasion de la délibération une entorse à la stricte proportionnalité) permet à ce groupe d’obtenir un siège revenant initialement au parti socialiste.
Restait la question de savoir quel élu(e)serait bénéficiaire de tant de générosité et d’un désintéressement si rare en politique. Un choix qui avait vocation à être tranché, après discussion, au sein du groupe (écologiste).
Que nenni. Car directement intéressé (et ne s’en cachant pas) par l’élargissement de sa base politique municipale, le maire-président avait fait savoir qu’il – entendait, suggérait, préconisait, soutenait, insistait, exigeait même – que ce soit un élu de Saint-Denis. Élu qui lui-même entendait, suggérait, préconisait, soutenait, insistait, exigeait même – que ce soit lui, que cela ne pouvait être que lui, comme l’entendait, le suggérait, le préconisait, le soutenait, l’exigeait le Maire-président qui in fine obtenait satisfaction.
La boucle est bouclée. Un 14ème conseiller délégué est élu. Puisé où ? Sur les bancs de l’opposition au sein du conseil municipal dionysien, pardi.
Et Mathieu Hanotin, rayonnant au conseil territorial, indique qu’il souhaitait vivement que la délégation confiée « puisse être portée par un élu en particulier » et se déclare « heureux connaissant les valeurs et les convictions sur le sujet » de l’impétrant et affirme pour finir « qu’il est sûr que nous aurons une collaboration non seulement efficace mais heureuse, j’en suis sûr ».
Convergence d’intérêt pour aujourd’hui et demain. Arrangement très concerté. Ne dit-on pas qui se ressemble s’assemble.
« Valeurs et convictions » ? Du côté de l’équipe de Mathieu Hanotin, parmi ses plus proches, il n’est pas sûr que cette vision soit partagée concernant les « dépositaires du logo EELV à Saint-Denis ».
Un nouveau membre de l’exécutif de Plaine Commune puisé dans les rangs de l’opposition. Assurément singulier non ?
On peut prendre des libertés arithmétiques avec la proportionnalité mais le bilan de ce premier acte n’est pas à somme nulle et le résultat sans équivoque : Politicard : 1. Ecologie : 0.
On ne doute pas un instant que cette affaire va ravir beaucoup de militants, d’associatifs, de dionysiens en particulier ceux qui se sont investis dans le combat environnemental contre les nuisances de l’autoroute A1 et les fractures urbaines.
On reviendra sur le scénario de l’enfouissement de l’A1 initialement porté de longue date par les associations, soutenu par le territoire et la ville et enterré sans débat par le maire-président.
En attendant, sans être devin pour ce qui concerne la suite, à moins d’être naïf, on méditera sur ce propos du dramaturge Anton Tchékhov : « Si, au premier acte, un fusil est accroché au mur du salon qui sert de décor, il faut qu’un coup de feu soit tiré avant la fin de la pièce ».