« Fermer des structures municipales, pour moi c’est une régression, ce n’est pas une évolution ». Entretien avec Christophe Durieux, ex-élu de proximité du quartier La Saussaie, Floréal, La Courtille, qui vient de quitter la majorité municipale.

, par Michel Ribay

Le blog de Saint-Denis a souhaité donner la parole à Christophe Durieux qui a récemment quitté la majorité municipale. Il fait part dans cet entretien, réalisé le jeudi 9 février, de ses regrets, de ses déceptions et de ses désaccords. Pointant l’absence de débat au sein de l’équipe dirigée par Mathieu Hanotin, il en critique le fonctionnement qui s’apparente plus à des points d’information en direction des élus qu’à de véritables échanges de vues. Entretien.

Est ce que tu peux me dire les raisons qui font que tu as rejoins la campagne de Mathieu Hanotin en 2020, qu’est ce qui t’as motivé, qu’en attendais-tu, comment cela s’est-il passé ?
Je viens du mouvement associatif, d’une petite association de quartier, je suis né à Saint-Denis, j’ai toujours aimé ma ville et quand Mathieu (Hanotin) m’a proposé de l’accompagner pour améliorer le quotidien de ma ville, j’ai tout de suite accepté. J’étais pour un changement. Je pense que la ville de Saint-Denis avait besoin de changement, après en définitif ce n’est pas certain que c’est ce changement là que je désirais.

Trois ans ont presque passé depuis juin 2020, qu’est ce qui fait qu’au fil du temps tu t’es posé des questions, est ce qu’il y a eu de ta part des insatisfactions, autrement dit est ce que tu t’es peu à peu éloigné pour aujourd’hui siéger en indépendant ou y a-t-il eu des moments précis de rupture qui t’ont amené à te dire : là c’est plus possible ? Le budget par exemple ?
J’ai eu un peu de mal à trouver ma place au sein de leur équipe, j’ai essayé de m’acclimater tout en prenant à cœur mon poste d’élu de quartier en demandant des informations qui avaient du mal à redescendre, puis dans un second temps je souhaitais au moins être informé, mais je me suis aperçu que je n’obtenais pas plus d’informations. En définitive, c’est le manque de débat qui m’a poussé à m’abstenir lors du vote du budget et qui a entrainé la rupture claire avec le maire.

Est-ce que le manque de débat provient du fait – on entend souvent cela en ville – que c’est un groupe très resserré qui détient les informations, prend beaucoup de décisions et un nombre important d’élus qui ont l’air de ne pas être en situation de partage des informations et des décisions ? Une chose est frappante à l’écoute des conseils municipaux, il y a très peu d’expression des conseillers municipaux, à part pour la présentation de leur propre rapport ? C’est une vision extérieure, mais de l’intérieur comment cela se passe ? Y-a-t-il en ce sens une fracture au sein de l’équipe ?
J’avais demandé qu’on arrête de faire les réunions du bureau municipal en visio et qu’on les fasse en présentiel car en visio cela se résume à de la prise d’informations, en visio on ne débat pas.

Mais les visio se faisaient à cause du Covid mais après, depuis…
Beaucoup de réunions ont continué à se faire en visio. Il y a une poignée de décisionnaires et les autres sont là pour dire d’accord. C’est une prise d’informations. On nous donne des informations. Quand on pose des questions on n’obtient pas forcément de réponses. On les découvre sur le terrain. On entend des choses sur ce qui va se passer, et je l’apprends par des agents de la ville, des habitants du quartiers, des agents de PCH mais quand j’allais me renseigner auprès de mes collègues personne n’étaient au courant, puis cela se confirmait sur le terrain. Par exemple j’ai entendu parler pendant un bon moment, six mois, de ce qui allait se dérouler sur le quartier pendant trois jours autour du projet de Cité éducative, personne ne savait trop ce qui allait se passer, sans avoir trop de nouvelles, c’était Leyla Temel (élue en charge de l’Education. NDLR) qui gérait cette opération. Ce n’est qu’une semaine avant l’événement sur mon quartier, en septembre 2022, que j’ai obtenu l’ensemble des informations sur le déroulement. C’est épuisant d’avoir à aller chercher sans cesse des informations, et plutôt qu’une rétention d’informations je pense qu’ils ne voient pas l’interêt de te donner l’information. Ce n’est pas utile. Tu l’auras en temps voulu.

Mais des collègues élus à qui tu t’adresses et qui eux aussi ne sont pas au courant, cela veut dire que beaucoup ne sont pas informés de ce qui se prépare à la fois sur le contenu et la forme ?
Quand on dit une poignée de personnes, généralement c’est pas grand monde. Je pense qu’ils ne sont qu’une poignée à gérer la ville.

Tu attendais donc au sein de cette majorité d’y trouver un travail collectif ? D’avoir aussi des débats ?
Oui. Absolument.

En dehors de cette absence d’informations, de débat que tu pointes, y-a-t-il eu d’autres éléments qui t’ont gênés, choqués, interloqués ou pour lesquels tu t’es dit il y a quelque chose qui ne va pas là ?
Un beau jour, je me suis réveillé, il y avait une caméra qui avait été installée devant le groupe scolaire Pasteur, je me suis dit c’est pas mal, trois jours après une autre caméra à 50 mètres, installée en bas de chez moi sur le rond point, j’ai appelé, je leur ai dit ça serait bien de m’avertir, vous installez des caméras dans mon quartier, ça serait bien que je sois au courant, que je sache ce qui se passe. On m’a dit oui, oui, c’est compliqué, trois jours après une autre caméra devant chez moi, là j’ai appelé le maire je lui ai dit dit « A quoi tu joues, tu mets une caméra devant, derrière, prévenez-moi, dite le moi, dites-moi que vous mettez des caméras ». Au final, ils auraient mieux fait de m’en parler car une des trois caméras n’a pas été posée au bon endroit ce que j’ai vu quand ils m’ont montré les plans.

Mais ne pas informer les élus de quartier de ce qui est prévu dans le quartier c’est…

Bah, on est quand même en tant qu’élu de quartier les plus impliqués dans celui là et les plus à même de le connaitre. Je fréquente ce territoire, ce quartier depuis 35 ans.

Plus récemment et sur la question du budget, y-a-t-il des éléments précis de désaccords de ta part ?
Oui, la fermeture des structures municipales comme les ludothèques, la Maison des parents, la cyber base, tout ça pour moi c’est une régression de fermer ces structures, ce n’est pas une évolution. La suppression des postes de vacataires, je trouve que la manière dont cela est fait n’est pas correct. Ces vacataires sont là depuis longtemps on aurait peut-être pu trouver un système d’accompagnement plus juste que simplement se dire qu’il vont être repris par l’entreprise. Je suis contre aussi le fait qu’on embauche un peu plus de « cowboys ». La police municipale d’accord, les « cowboys » non.

Tu fais part là de réflexions, d’incompréhensions de beaucoup de gens sur la ville, sur les choix qui sont faits. Mais ces choix de suppression de structures au sein de la majorité cela a fait débat au sein de la majorité quand même ?
Cela n’a pas vraiment fait débat. Non… pas vraiment.

Mais il y a eu des oppositions autres que la tienne ? Des désaccords, des questions du type « Mais là, est ce qu’on ne fait pas fausse route ? »
Le problème c’est que mes collègues au lieu de parler pendant les bureaux municipaux, ils prennent rendez-vous avec Mathieu et parle en tête à tête avec Mathieu, il n’y a pas de débat en définitif car parler en tête à tête avec le maire ne règle pas le problème. Le maire entend mais il n’y a pas de débat.

L’absence de débat ne permet donc pas l’expression de désaccords mais simplement le fait de se questionner sur ce qui est fait ? Est-ce juste ? Pas juste ? Que fait-on ? A quel rythme ? Sur tel ou tel sujet ?
C’est plus par phases d’informations. Voilà ce qui va se passer. On est dans telle phase. C’est une prise d’informations. On nous informe de ce qui va se passer dans quelques semaines, quelques mois.

Tu parlais tout à l’heure de « cowboys ». Sur les réseaux sociaux on y lit souvent des plaintes concernant la manière dont la police municipale intervient. Ca fait l’objet de discussions en interne ?
C’est, c’est survolé. Mathieu m’a dit qu’il assumait parfaitement cette politique et leur manières de faire. Moi je ne suis pas d’accord, je pense qu’à un moment ils sont au service des dionysiens et que quand il s’adressent à un dionysien ils leur doivent le respect, ce n’est pas parce tu as un survet et une casquette à l’envers à Saint-Denis, que tu es un branleur…

Le tutoiement…
Oui, et ça ils ont du mal à le concevoir. On peut être un homme, un père famille respectable et être aussi en survêtement, avoir une casquette et être quelqu’un de respectable. Pour eux on est tout de suite catalogué. Quand ils passent dans les cités, qu’ils bombent le torse. Moi, je suis pour la police, pour la présence de la police, qu’ils soient armés, je pense aussi que c’est quelque chose, c’est controversé, mais en même temps on en a besoin parce que Saint-Denis, c’est pas une ville d’enfants de chœur mais ce n’est pas parce qu’ils ont des armes qu’ils sont au-dessus des autres. Et aujourd’hui on dirait que parce qu’on leur a donné une arme, ils sont au-dessus des autres.

Il y a une chose qui a choqué les dionysiens, qu’on n’avait jamais vu dans une ville, un élu, un maire avec un gilet pare-balles. Vous en avez-discuté ? Et toi-même ?
J’ai trouvé que l’image que cela renvoyait du maire qui est dans sa ville et qui a besoin d’être protégé n’était pas une bonne image, ensuite on en a un peu discuté. Si j’ai bien compris Mathieu n’était pas d’accord, mais c’est la police municipale qui a insisté…
Ce n’était pas de sa volonté mais l’image renvoyé du maire portant un gilet pare-balles dans sa ville n’est pas une bonne image. Parce que c’est ses électeurs, c’est ses citoyens. Il est le bienvenu partout. Il n’a pas à être protégé. Il est chez lui…

Il y a quand même une interrogation, on peut imaginer la police municipale demander au maire de mettre un gilet pare balles, de se sentir en responsabilité vis à vis du maire, mais le maire, c’est le chef de la police municipale… C’est lui qui décide en fait… Et puis ce n’est pas un gilet qui traine dans un véhicule de la police municipale comme ça ?
C’est la version qui a été donnée en mairie… je m’en tiens à ce qui a été dit.

Laissons cela de côté, c’est assumé en terme de communication, c’est un gilet siglé Maire, Saint-Denis… On l’a vu pourtant en pleine journée accompagné de policiers municipaux et y compris la nuit du 31 décembre sans gilet mais refermons cette parenthèse.
Est-ce qu’il le met le dimanche quand il va au marché au cas où il croise des mecs de Péri, je ne sais pas…

Pour revenir au rôle des élus de quartier, dans le projet de rénovation du centre ville, six arrêts de bus vont être supprimés, cela sera présenté samedi matin lors d’une réunion d’information, la circulation des bus se fera d’une manière périphérique, circulaire…, l’accès à l’hypercentre pouvant se faire à pied selon la municipalité. Avez-vous eu une discussion sur les problèmes d’accès des quartiers éloignés du centre ville, à l’image de ceux de ton quartier où la fréquence et le fonctionnement du 153 sont déjà très critiqués ?
Non. C’est un vrai problème pour mon quartier ou la ligne 153 est déjà détournée les jours de marché. Les personnes âgées ont du mal à aller au marché. Si il n’y a plus de bus qui vont en centre ville, nous déjà, quand on va en centre ville, on dit « On va à Saint-Denis ». Nous, on habite derrière Carrefour Stains. En fin de compte les gens de mon quartier vont un peu plus délaisser la ville, vont prendre le 150 pour aller au marché de Stains plutôt que d’aller au marché de Saint-Denis. C’est dommage, on reste encore et toujours les oubliés, mais c’est pas grave… On fait avec…

C’est pas grave ?, mais c’est par dépit quand même ?
Oui, c’est par dépit, de toute façon on n’a pas le choix, on nous l’impose… A part trouver des alternatives…

C’est très contradictoire avec le discours de la campagne de Mathieu Hanotin sur les quartiers trop séparés, enclavés, auxquels il faut redonner de la porosité car trop coupés du centre-ville…
Je constate l’inverse.

Les habitants du quartier sont-ils informés de cela ?
Je ne pense pas. Tu me l’apprends. Je vais en informer les collectifs d’habitants. Il a été question un moment de navettes qui circuleraient en centre ville…

On peut douter du financement de navettes par IDF Mobilités qui vient d’augmenter le Pass Navigo et interpelle l’Etat pour boucler son budget, la RATP manque de conducteurs… Sinon dans ton quartier as-tu vu des changements bénéfiques depuis maintenant presque 3 ans ?
L’ancienne municipalité avait lancé le projet ANRU… et aujourd’hui il y a la Maison de la Santé qui a ouvert récemment, ça fait vivre le quartier… Le nettoyage, la fréquence des balayeuses, a quand même évolué. Au niveau propreté oui il y a du changement.

Changeons de sujet. Saint-Denis est une ville jeune, très jeune même. On s’interroge sur la politique en direction de la jeunesse, qu’est qu’il en est ? Tu en penses quoi ? Qu’as tu vu sur ce sujet ?
Moi… Je pense qu’il n’ont pas compris la jeunesse dionysienne. Comment on réfléchit, comment on fonctionne. Ce qu’ils essaient de mettre en place ça ne peut pas marcher, on fusionne des structures, ceux de certains quartiers vont aller dans d’autres quartiers. Ca, ça ne marche que sur le papier. Dans la réalité, ça ne marche pas comme ça. Faire de l’interquartier, c’est très, très compliqué. Je ne suis pas sûr qu’ils s’en rendent compte et qu’ils comprennent bien l’enjeu. Avec la suppression des vacations, il y a de moins en moins de jeunes qui travaillent, c’est dommage car avec les vacations pour la jeunesse, pour l’enfance c’était mettre le pied à l’étrier dans le monde du travail pour des jeunes dans des structures comme les ludothèques ou d’autres. Je connais des vacataires qui ont perdu leurs postes.

Des impacts sur le quartier suite au transfert au privé de l’entretien des écoles ?
Sur Calmette, les parents sont très insatisfaits du nettoyage. J’ai connu, j’ai été dans cette école, une époque où une femme de ménage pouvait à un moment s’occuper des enfants parce qu’elle faisait partie du personnel municipal. On est en train à Saint-Denis de perdre ce rapport vital.
Aujourd’hui on embauche des gens pour quelques heures de ménage.

Est-ce qu’en tant qu’élu de quartier tu as fait par ailleurs des propositions sur tel ou tel sujet et qui n’ont pu se concrétiser ?
Un projet oui des parents d’élèves du groupe scolaire Pasteur qui porte sur la sécurité, un projet botté en touche par Leyla (Mme Temel, élue en charge de l’Education). Les parents d’élèves souhaiteraient piétonniser la voie devant l’école pour des questions de sécurité. Cela conduisait à supprimer une vingtaine de places de stationnement, on en manque sur La Saussaie, Floréal, La Courtille mais la question de la sécurité des enfants doit primer. Les contrôles de vitesse des véhicules se sont faits à 10 h et pas aux heures d’entrées et de sorties des enfants. Si l’ancienne municipalité a installé une ligne de barrières, c’est bien qu’il y a une dangerosité. Au final, c’est juste deux dos d’âne. Ca ne correspond pas à ce qui était demandé.
Un autre projet culturel me tenait à cœur sur le site de la chaufferie à côté du groupe Pasteur pour lui redonner « un peu de fraicheur ». Quand je me suis rapproché du dispositif, aucun des artistes qui m’ont été suggérés n’était du territoire et les habitants n’étaient pas réellement inclus dans le projet, on leur demandait uniquement ce qu’ils souhaitaient sans les inclure dans la réalisation même du projet. Je souhaitais que cela concerne les enfants dans le cadre d’ateliers et avec des artistes dionysiens (voir dans le portfolio. NDLR).

Le Blog de Saint-Denis reviendra sur différents sujets évoqués dans cet entretien avec Christophe Durieux.