Projet de fusion Saint-Denis-Pierrefitte. « A Saint-Denis, depuis 2020, le chiffre des ruptures de contrats visant les contractuels additionné aux dernières suppressions de postes dépasse le nombre d’agents titulaires à la ville de Pierrefitte ! », Raphaël Thomas, secrétaire général de la CGT Territoriaux.

, par Michel Ribay

Après la publication de l’entretien avec l’élu d’opposition pierrefittois Romain Potel sur les enjeux de la ville de Pierrefitte, la réception du projet de fusion avec Saint-Denis et la « gouvernance » de Michel Fourcade, nous publions un entretien avec Raphaël Thomas, secrétaire de la CGT Territoriaux de Saint-Denis. Tour d’horizon du paysage syndical, d’un service public affaibli et des inquiétudes pour l’emploi dans la perspective d’une commune nouvelle alors que l’hémorragie d’emplois dans la collectivité bat déjà son plein depuis 2020.

Quelle est ta responsabilité à la CGT ? Depuis quand travailles-tu à la ville ?
Raphaël Thomas – Depuis cette année, je suis responsable, secrétaire général comme on dit chez nous, du syndicat CGT des territoriaux de la ville de Saint-Denis. Je suis arrivé en 2013 à la mairie, cela fait donc dix ans.

Quel est le paysage syndical à la mairie de Saint-Denis ?
R. T. – Nous avons un émiettement des forces syndicales avec depuis l’an passé une nouvelle entité dite autonome (SAFPT). Par le passé, l’unité n’a pu se faire y compris il y a 3 ans, lors de l’important mouvement à l’arrivée de notre nouvel employeur, qui s’est employé aussitôt à remettre en cause entre autre nos congés et le temps de travail. FO a joué sa partition en solo, la CFDT est restée en retrait comme aujourd’hui et l’UNSA s’est désolidarisée au fil du temps. Restaient alors la FSU, SUD et la CGT évidemment. Nous avons des convergences d’analyses et parfois d’actions entre nos 3 organisations mais souvent les modalités d’action ne sont pas les mêmes et les mobilisations sont inégales.

Quelles leçons tirent les syndicats des différents mouvements de grève depuis 2020 ? Quels étaient les enjeux ?
R. T. – Les syndicats dits « réformistes » essaient souvent d’obtenir des avancées marginales et surtout individuelles. Pourtant ce n’est qu’en remettant en cause les approches libérales que nous ferons avancer le service public. C’était un des enjeux du mouvement de l’automne 2020. Malgré la forte mobilisation dans la durée, la municipalité a augmenté le temps de travail et réduit les congés considérant sans doute que les agents municipaux étaient des « fainéant-e-s » ! La reconnaissance de l’engagement des collègues reste une nécessité et donc un enjeu pour nous. Cela passe évidemment par l’attitude de notre employeur qui ne peut pas saluer le dévouement des collègues uniquement lors d’évènements comme l’incendie du centre administratif. Cela nécessite également d’améliorer les conditions de travail en donnant aux agent-e-s les moyens de fonctionner, financiers et humains et en augmentant les salaires. Or, ce n’est pas l’orientation prise par le Maire. Les privatisations successives, les fermetures d’équipements municipaux ne sont pas des bons signes donnés au personnel communal et aux usager-e-s.

« Les réorganisations intempestives et successives, les suppressions de postes, le dénigrement des agents… conduisent à mettre les collègues qui restent en instabilité et participent à la démotivation.  »

On parle de plusieurs centaines de personnes qui travaillaient à la ville et qui ont été licenciées depuis juin 2020, le média StreetPress avançait dans un article fin mai 2023 le chiffre de 528 personnes, le nombre d’agents passant de 3.560 à 3.032 entre 2020 et 2022. Après trois ans et quelque mois d’accès aux responsabilités de la majorité conduite par Mathieu Hanotin où en est-on ? Quels sont les chiffres des licenciements, des ruptures et non reconduction de contrats et combien de postes ont été supprimés ou vont l’être ?
R. T. – Il est difficile de mesurer très précisément la situation. Ce qui est sûr c’est qu’entre décembre 2018 et décembre 2022, nous avons perdus 261 inscrits sur la liste électorale pour les élections professionnelles. Ce qui est également certain c’est que le dernier rapport social unique présenté en février 2023 (sur la base des chiffres à fin 2021), indique que nous avons perdus plusieurs dizaines d’Equivalents Temps Plein (ETP). Le « dégraissage » est insidieux car ce sont plusieurs centaines de contractuels à temps non complet qui ont vu leur contrat non renouvelé. Les départs à la retraite font aussi l’objet systématique d’étude sur la « pertinence » à les remplacer. Les privatisations ont été aussi l’occasion de suppressions de contrats… Nous aurons connaissance des données très précises là aussi en décalé puisque les suppressions se sont concrétisées en plusieurs vagues au long de l’année 2022. Depuis la parution d’un article de StreetPress en mai 2023, la municipalité a encore supprimé une vingtaine de postes en « externalisant » le service qui délivrait les amendes concernant le stationnement sur l’espace public (ex ASVP), une autre vingtaine à la petite enfance en privatisant la crèche Petit Prince et plus de soixante à la vie scolaire lors d’un énième passage au privé de l’entretien des écoles. C’est ainsi au minimum non plus 528 mais 628 agents tout statut confondu en moins travaillant au sein de la collectivité pour des missions de services publics. Ainsi, à Saint-Denis le chiffre des ruptures de contrats visant les contractuels additionné aux dernières suppressions de postes dépasse le nombre d’agents titulaires à la ville de Pierrefitte. Et on nous promet que la fusion des deux villes créera plus de service public ! [Un document de la ville de Pierrefitte datant de 2022 fait état de 501 titulaires et 613 non titulaires. NDLR]

Comment le service public rendu est-il affecté entre les départs volontaires, les mutations, les ruptures conventionnelles ? Des directions sont-elles particulièrement touchées, déstabilisées dans leurs missions ou délaissées ?
R. T. – Les réorganisations intempestives et successives, les suppressions de postes, le dénigrement des agents… conduisent à mettre les collègues qui restent en instabilité et participent à la démotivation. L’ambiance de travail n’est pas sereine et malgré nos alertes, l’employeur semble encore ne pas mesurer l’urgence de recruter, de considérer les personnels et d’apaiser le management agressif de certain-e-s. Ajouté à cela les fermetures de 3 ludothèques, d’une antenne Jeunesse, d’une maison des Parents… et oui, le service public rendu à la population est largement affecté.

Les témoignages se sont multipliés lors des conseils d’école l’année dernière et tout récemment encore sur le manque d’effectifs dans les accueils de loisirs et lors de la pause méridienne, quelle est la situation précise actuellement ? A quelle hauteur est estimé le sous-effectif ? A quoi cela est-il dû ? Comment le résoudre ?
R. T. – Là encore, il est difficile d’avoir des chiffres concrets car quand la direction de l’Enfance estime à quelques dizaines le manque d’animateur-trice-s en cette rentrée de septembre 2023, elle noie les difficultés en affirmant que cela ne concerne qu’une poignée d’écoles. Les remontées de terrain font état d’une situation dégradée générale mais elle reste « sporadique » pour la municipalité !
Les raisons de ce manque d’effectifs restent complexes car parfois elles sont externes à la collectivité. Mais en augmentant le taux d’encadrement et donc en dégradant les conditions d’exercice, en proposant des contrats « Mac-Do » à 20 heures par mois, en réduisant les budgets de fonctionnement et les sorties… les collègues perdent peu à peu le sens de leur action, eux qui sont par nature attachés au projet… On les cantonne à de la garderie, même si ils et elles résistent encore dans l’intérêt des enfants. Cette situation explique que la ville n’est donc plus autant attractive et fait fuir un certain nombre de collègues. La première des solutions est de faire en sorte que les personnels municipaux aient encore envie de s’impliquer plutôt que d’aller voir ailleurs. Ensuite il faut, là aussi, rétablir un climat de confiance et de reconnaissance. Enfin, il faut investir dans la formation et les moyens consacrés à l’Enfance qui restent en recul depuis 3 ans…

L’accès à la cantine gratuite semble aggraver la situation pour l’encadrement et on parle d’importantes pénalités qui touchent des familles, les plus en difficultés, éloignées du service public qui aujourd’hui ne paient plus un euro le repas mais sont frappés de lourdes pénalités financières. Qu’en est-il exactement, n’est ce qu’une rumeur, est-ce marginal ? Quelle est la situation précise ? Combien de familles sont touchées ? Quels sont les montants ? Comment-cela est-il géré par les services  ?
R. T. – Pas de données arrêtées en ce mois d’octobre mais cela se chiffre déjà en plusieurs centaines de milliers d’euros puisque sur le premier trimestre 2023, on approche des 300 000 euros, on imagine ce que cela peut représenter en année pleine et cela touche évidemment les familles les plus éloignées de l’administration, celles qui ne payaient que 15 centimes par repas, c’est-à-dire 2.4 euros par mois !

Le rapport social unique qui remplace le bilan social fait apparaître de très grandes disparités de salaire moyen selon les directions auxquelles appartiennent les agents, celui au sein de la direction de la tranquillité publique se situe à 100 et quelques euros près au niveau du salaire moyen des cadres A alors qu’il est majoritairement composé par les agents de la police municipale de catégorie C, comment expliquer cela ?
R. T. – Pour attirer des agents à la PM, la municipalité a fait le choix des salaires, ce qu’elle ne fait pas pour les secteurs éducatifs par exemple. Mais il ne s’agit pas d’une augmentation du salaire à proprement parler ni de prime spécifique (mis à part le contrat de service) mais d’une organisation du travail avec des heures supplémentaires automatiques réalisées la nuit ou le dimanche. Cela gonfle de fait la rémunération des collègues de la police municipale.

« Pour ce qui est de la CGT, nous avons aussitôt dénoncé les risques pour les personnels des deux villes car les économies d’échelle se font toujours sur le dos des agent-e-s en comprimant encore les postes et en lissant les acquis des uns et des autres… »

Passons à une actualité, disons plus politique, qui a émergé au printemps dernier, dans quelles circonstances les syndicats ont-ils appris le projet de fusion entre Saint-Denis et Pierrefitte ?
R. T. – Au lendemain d’une « fuite », le Maire a convoqué toutes les organisations syndicales pour annoncer la « fusion-acquisition » de Pierrefitte. Ce n’était ni une consultation ni une négociation mais juste une information.

Comment les organisations syndicales ont réagi ? Quelles sont les craintes pour l’emploi et le service public ?
R. T. – Pour ce qui est de la CGT, nous avons aussitôt dénoncé les risques pour les personnels des deux villes car les économies d’échelle se font toujours sur le dos des agent-e-s en comprimant encore les postes et en lissant les acquis des uns et des autres… L’emploi est donc effectivement une forte préoccupation et le service rendu à la population risquerait encore d’en pâtir. Le bilan du Maire de Saint-Denis en trois ans est éclairant à ce sujet et on voit mal pourquoi il faudrait se lier avec Pierrefitte pour que les choses s’améliorent pour les personnels. Ou alors il fallait déjà le faire !

Les maires, Mathieu Hanotin et Michel Fourcade avancent l’idée avec cette fusion d’un meilleur service public pour les habitants, voire de plus de services publics, qu’en pensent les organisations syndicales et la CGT en particulier ?
R. T. – En fait, si on tient compte des agissements actuels de notre employeur, il y a de quoi s’inquiéter. Le discours ne se traduit pas dans les actes. Nous avons l’expérience de M. Hanotin depuis 3 ans au niveau des personnels municipaux et en conséquence des usager-e-s. Si la fusion-acquisition est tellement formidable, pourquoi notre employeur actuel n’a pas mis en place les mesures nécessaires à l’amélioration du service public et des conditions de travail des collègues aujourd’hui ?

A Pierrefitte quel est le paysage syndical ?
R. T. – Lors des dernières élections professionnelles en décembre 2022, c’est le syndicat autonome (SAFPT) qui est arrivé largement en tête et qui ne semble pas très combatif vis-à-vis de son employeur actuel. [Deux autres organisations syndicales sont présentes, la CGT et la CFDT. NDLR]

Avec ce paysage syndical très fragmenté à Saint-Denis et celui de Pierrefitte, quelles sont les perspectives et les enjeux des prochaines élections professionnelles ?
R. T. – Pour le moment, on s’emploie à dénoncer les conditions de cette « fusion-acquisition ». Pour la CGT, l’un des principaux enjeux des éventuelles élections professionnelles partielles est bien de porter en tête les forces revendicatives qui ne restent pas dans l’accompagnement du travail de sape du service public mené en bande organisée en obtenant quelques aménagements marginaux.

Ce paysage syndical fragmenté à Saint-Denis et au regard de celui de Pierrefitte, ne pousse-t-il pas à un rapprochement entre organisations pour éviter une dispersion des voix ? Quels sont les obstacles à dépasser ?
R. T. – L’intérêt des collègues est peut-être à l’unité. Mais encore faut-il savoir sur quelles bases revendicatives, selon quelles modalités d’action et comment éviter le développement des intérêts personnels. L’intérêt général n’est pas la simple addition d’intérêts particuliers.
Il nous faut redonner confiance aux personnels des deux villes et lutter contre la résignation. Il n’y a aucune fatalité au renoncement et au recul des droits conquis ou du service public. Encore faut-il que cette volonté soit partagée. Les manières d’agir ou les absences systématiques (systématiques au CST de la CFDT par exemple), les positions défendues par chacune des organisations syndicales lors des Conseils Sociaux Territoriaux (ex-Comité Technique Paritaire) par exemple, ne sont pas des gages de réussite mais chacun-e doit prendre ses responsabilités.

On peut lire ici l’entretien avec Romain Potel, élu d’opposition à Pierrefitte.

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