Depuis quand es-tu élu municipal ? Sur quelle liste as-tu été élu ? En quelques mots quel est ton parcours d’engagement politique ?
Romain Potel – J’ai mené ma première campagne en 1995 avec Dominique Carré [adhérents des Verts puis d’EELV. NDLR], j’avais 18 ans. Puis une deuxième campagne en 2001, toujours avec Dominique Carré, une liste en opposition à celle du parti communiste qui dirigeait la ville à ce moment là, le parti socialiste étant en alliance avec le parti communiste. En 2008, pour des raisons personnelles, je ne me suis pas investi. En 2014, je n’ai pas été sollicité. Les déceptions vis à vis de la majorité municipale étaient croissantes et dès 2019, j’ai fait le choix de poser les premiers jalons d’une liste contre le maire Michel Fourcade. Cela m’a amené, bien que fortement investi dans l’associatif à renoncer à des responsabilités plus importantes, au sein de l’union locale des parents d’élèves.
Quelle était la situation politique à ce moment là ?
R. P. – De tous les côtés la politique de la majorité municipale étaient en pleine déliquescence c’était un mélange d’incompétence et de malhonnêteté intellectuelle voire matérielle par moment.
En 2020, je suis donc reparti en campagne sur une liste 100% citoyenne, intitulé « Rassemblés, nous pouvons changer Pierrefitte » menée par Fanny Younsi, ancienne adjointe de Michel Fourcade, très compétente, mais trop identifiée comme proche de Michel Fourcade, cela a été une erreur stratégique dont nous nous sommes rendus compte au fil de la campagne en échangeant avec les Pierreffitois qui pour certains nous prenaient pour une liste « sous-marin » du maire. Nous faisons un score honorable, 10%, dans une période particulière due au Covid et avec des moyens limités.
Comment avez-vous abordé le deuxième tour avec ce score ?
R. P. – Au deuxième tour on fusionne avec la liste du Parti communiste, contre lequel j’ai fait mes premières campagnes, mais les choses ont évolué et Farid Aïd, ce n’est pas Daniel Bioton que j’ai connu dans les années 80, on est passé d’un PC stalinien à un PC, je le regrette, qui continue à faire des promesses et qui ferme les yeux sur des insuffisances de travail de certains agents.
L’alliance s’est faite même si cela a été difficile. Nous aurions pu, au regard des programmes peu différents localement, élargir aussi cette alliance avec une liste de centre-droit.
Au deuxième tour, dans une triangulaire, opposant d’un côté PS-EELV, de l’autre Liste citoyenne -PC et la liste centre droit, nous faisons un score plus qu’honorable, 1316 voix soit 36,88%. 500 et quelques voix voix nous séparent du résultat de Michel Fourcade qui recueille 1851 voix, soit 51,87 %. La liste d’un ancien du PS, Pascal Kouppé de K Martin obtenant 401 voix avec 11,23%.
Qu’est ce qui a empêché le rassemblement PC-liste citoyenne avec EELV ?
R. P. – EELV était parti en solo au premier tour. Il ont très largement surestimé leur potentiel résultat. Afin de sauver les meubles, ne recueillant que 283 voix soit 7,64% lors du premier tour, ils ont décidé de rejoindre Michel Fourcade au second tour. EELV a explosé à cette occasion, avec d’un côté les élus et de l’autre les adhérents.
Aujourd’hui, quels sont les grands enjeux pierreffitois ?
R. P. – Il n’y en a pas au sens où il n’y a aucun projet, aucune vision. La seule chose visible aujourd’hui ce sont des constructions avec le sentiment que le maire livre la ville aux promoteurs…
Cela fait penser aux propos du maire de Saint-Denis, Mathieu, Hanotin, défendant le projet de fusion en expliquant que cela « donnerait de l’air » à Saint-Denis où il n’y a plus beaucoup de foncier disponible… le front urbain le long de la nationale 1 est en train de se développer, de se requalifier, ce qui a du sens, mais au-delà de ce front urbain…
R. P. – Oui et la manière dont cela est fait pose question. On a l’impression que tout est fait à la fois pour laisser le tissu pavillonnaire se dégrader, gêner les propriétaires actuels, récupérer du foncier sur le pavillonnaire qui représente 40% de l’habitat.
« Un des enjeux c’est de redonner des perspectives aux jeunes, le goût de la formation, des loisirs mais une politique de la jeunesse qui vise l’émancipation et pas le consumérisme »
Si, à ton avis, il n’y a ni vision urbaine proprement dite à part celle que tu décrit et qui ravit les promoteurs, ni culturelle, pour la jeunesse ou autres de la part de la majorité municipale c’est une chose mais il y a quand même des enjeux pour la ville de Pierrefitte ?
R. P. – Un enjeu très important est ressorti en juin au moment des émeutes, celui de la jeunesse. On remarque que pour une partie des jeunes, dès le plus jeune âge l’école se dégrade de plus en plus, au niveau déjà de l’Education nationale, on a de plus en plus de précaires, avec des profs de passage. Des jeunes donc qui vont à l’école dans des conditions dégradées, dans une société qui ne valorise pas trop l’école, qui du coup sortent de l’école souvent très tôt. Un des enjeux c’est de redonner des perspectives aux jeunes, le goût de la formation, des loisirs mais une politique de la jeunesse qui vise l’émancipation et pas le consumérisme.
Lors des émeutes, nous avons tournés avec quelques élus dans le quartier des Poètes, y compris avec des élus de la majorité, et ce que nous avons vu c’est que dès que nous étions absents, les pillages ont eu lieu, l’horizon de certains jeunes c’est maintenant la consommation. On est dans une américanisation. On a une jeunesse qui est très renfermée sur elle-même, on a une ville qui est jeune, il faut proposer autre chose à la jeunesse. C’est la priorité.
Après, un autre sujet c’est celui dont le maire, Michel Fourcade, parlait mais qui ne marche pas : celui de la mixité sociale. Pour cela, il a en quelque sorte livré la ville aux promoteurs pour faire de l’accession libre au logement. Mais cela ne marche pas. Les gens achètent mais ce sont des propriétaires bailleurs, ils n’achètent pas pour y résider mais pour investir, pour louer. On aboutit parfois, avec des propriétaires peu scrupuleux à de la sur-occupation pour accroitre la rentabilité locative. En fait l’enjeu c’est de faire venir des familles, qui restent longtemps, avec des enfants qui grandissent ici, des activités.
On a une fuite vers le privé au moment du collège, vers Sarcelles ou ailleurs, y compris de familles modestes, qui finissent par se dire mais pourquoi continuer à habiter Pierrefitte ? Il y a un cercle vertueux à maintenir les familles y compris pour le commerce local.
La gouvernance de Michel Fourcade, c’est quoi ?
R. P. – Michel Fourcade n’a rien inventé, il a mis ses pas dans celui de ses prédécesseurs. La différence c’est qu’on est passé d’un système que je qualifierais de clientélisme au service d’un parti à un clientélisme au service de personnes.
En interne, il a congédié, il y a un an, comme une malpropre sa DRH qu’il a pourtant choyé pendant des années. Elle commençait à devenir encombrante, de nombreuses erreurs avaient été commises. A Pierrefitte, "on lèche, on lâche, on lynche" comme le dit la formule. Un directeur est aussi parti par la petite porte avec des plaintes, dit-on, à son encontre. Aujourd’hui, des agents, des cadres partent à l’annonce de la fusion ou parce qu’ils constatent qu’il n’y a pas de réel projet pour la ville. On est aujourd’hui dans un système que le maire ne maitrise plus. Il n’est plus respecté par les agents et a perdu toute autorité.
Un adjoint a été mis en cause dans la presse au sujet de la location d’un logement jugé insalubre…
R. P. – Oui le procès vient d’être renvoyé. Le maire s’est exprimé par deux fois au nom de la ville pour prendre la défense de son adjoint contre la famille expliquant que c’est la famille qui avait dégradé le logement alors que l’ARS indique que celui-ci est affecté de problèmes structurels (voir dans dans le portfolio le Journal n°1 de l’Association Rassemblés pour changer Pierrefitte). Dans une autre affaire, la ville a été condamnée pour des travaux réalisés de manière illégale sur l’espace public – des travaux pour la convenance personnelle d’une élue ! (voir dans le portfolio le Journal n°2). D’autres éléments dans les manières de faire nous interrogent aussi fortement.
« Quel intérêt d’adjoindre un quartier supplémentaire deux fois plus gros que Franc Moisin alors qu’il y a déjà une difficulté à gérer l’ensemble de la ville ? Mathieu Hanotin rend donc service à Michel Fourcade »
Pourquoi cette idée de fusion arrive brutalement au printemps ? Quel est ton analyse ?
R. P. – Michel Fourcade annonce le projet à sa majorité le 3 avril. Il reçoit les élus d’opposition le 4 avril en expliquant : « Ça fait 40 ans que je suis élu et que je vois la ville stagner, on ne pourra pas préparer l’avenir seul, il faut fusionner avec Saint-Denis ».
Rapidement, on s’est formé avec une élue communiste avec l’aide d’un cabinet extérieur sur le sujet et l’enjeu des fusions de communes. Le cabinet est parvenu très vite à la même conclusion que le Pierrefittois qui s’intéresse à la vie locale : le maire cherche juste à cacher la faillite de sa gestion.
Le cabinet dans son analyse pointe le fait qu’il n’y a pas d’intérêt pour Saint-Denis qui a déjà 6 grands quartiers, que le maire concentre ses efforts sur le centre-ville, ailleurs c’est beaucoup plus parsemé. Quel intérêt d’adjoindre un quartier supplémentaire deux fois plus gros que Franc Moisin en plus alors qu’il y a déjà une difficulté à gérer l’ensemble de la ville ? Mathieu Hanotin rend donc service à Michel Fourcade.
Côté Pierrefitte, ce n’est pas avec la méthode Hanotin que les problèmes de gestion de type clientéliste et de gabegie financière que connait Pierrefitte vont être résolus.
Qu’est ce qui permet à ce cabinet extérieur d’avancer ces éléments, ces qualificatifs ? Sur quoi s’appuie-t-il ?
R. P. – Ce cabinet a une connaissance de la ville et du fonctionnement des collectivités. Il nous avait accompagné lors de la campagne municipale à travers la liste que nous portions avec Fanny Younsi. Pour le cabinet, les variations significatives de la masse salariale à l’approche des élections est un élément qui autorise à parler de gestion clientéliste. Il n’y a pas tout d’un coup de besoins auxquels il faudrait répondre.
Le cabinet souligne aussi le peu d’intérêt d’une fusion pour Pierrefitte qui connait à la fois un nombre important de personnes précaires vivant sous le seuil de pauvreté (40%) auxquelles la fusion ne répondra pas et une population plus aisée, entreprenante, qui participe à la vie locale et qui serait dans le cas d’une fusion, de ce changement d’échelle, noyée, avec sans doute un éloignement démocratique, une perte d’identification à la ville et le sentiment de moindre possibilité d’action.
Au niveau financier, il y a les alertes de la Cour des comptes.
En février 2022, j’adresse d’ailleurs à la Cour des comptes les éléments qui attestent de l’utilisation par le maire pendant ses vacances en 2019, 2020, 2021 d’une carte de la ville dédiée à l’achat de carburant ainsi qu’une dépense pour la pose d’une boule d’attelage sur le véhicule. En mars 2022, la Cour des comptes débarque. Coïncidence ou pas ? Dès 2011, la Cour des comptes lançait déjà un audit. La fusion servira à masquer les manquements, la mauvaise gestion. C’est ce que pensent les Pierrefittois.
« Comment rajouter 3000 enfants qui sont en primaire, 2000 collégiens pierrefittois à des centres de vacances dionysiens au maximum de leurs capacités ? »
Dans un premier temps, Michel Fourcade a communiqué sur les avantages de cette fusion. Maintenant c’est caduc.
Il a parlé d’une baisse des impôts fonciers, ils viennent d’augmenter de 8,8% et l’on sait déjà que la baisse des impôts fonciers à l’avenir est très compromise surtout avec la période de grande incertitude concernant les dotations pour les collectivités. L’harmonisation avec Saint-Denis peut se faire à la hausse. Aujourd’hui le maire dit juste que cela permettra de ne pas augmenter la taxe foncière.
Un autre argument avancé est celui de la possibilité de profiter des centres de vacances de Saint-Denis. On en parle plus car de fait les centres de vacances de Saint-Denis sont déjà pleins. Comment rajouter 3000 enfants qui sont en primaire, 2000 collégiens pierrefittois à des centres de vacances dionysiens au maximum de leurs capacités ?
La mutualisation des moyens ? On mutualise déjà avec Stains pour la restauration scolaire, inutile de fusionner pour mutualiser.
Mathieu Hanotin et Michel Fourcade parlent aussi de la police municipale…
R. P. – la police municipale ? ah et bien … dès le soir où le conseil municipal, le 20 avril, a voté le vœu pour la fusion, les policiers municipaux présents tiraient la gueule. Car l’harmonisation avec Saint-Denis n’est pas forcément un gain pour eux. Les policiers sont extrêmement choyés à Pierrefitte. Ils peuvent dépasser 25 heures supplémentaires tous les mois. Ainsi en catégorie C ils peuvent atteindre 3000 euros, voire plus mensuellement (voir dans le portfolio extrait du journal n°1).
Comment s’organise de votre côté la contestation de ce projet de fusion ?
R. P. – Les gens ne comprennent pas et n’acceptent pas cette méthode brutale. Dans aucun des cinq quartiers où nous avons suivi les réunions personne ne se prononce pour la fusion. Même dans le quartier de Michel Fourcade où un monsieur apostrophe Michel Fourcade : « Michel, c’est quoi ce projet, tu me déçois, ça fait 20 ans que je te connais, pour qui je vais voter maintenant ? ». Une pétition est en cours. Elle doit être remise au préfet, elle demande que ce sujet soit traité dans le cadre démocratique et le calendrier prévu, lors des élections municipales de 2026. C’est quand même aux citoyens de nos deux collectivités de se prononcer sur leur avenir (voir extrait du journal n°7 dans le portfolio).
Cet entretien a été réalisé courant septembre. Depuis celui-ci nous précisons d’autres éléments. Concernant les centres de vacances, nous apprenons qu’il n’y a plus cette année de séjours de vacances prévus à Saint-Denis pour les vacances de la Toussaint et ce pour des raisons budgétaires. Les séjours des vacances d’hiver semblent aussi remis en cause. Sombres perspectives donc pour les promesses d’accès des jeunes pierrefittois aux centres de vacances de la ville de Saint-Denis.
Concernant la gouvernance de Michel Fourcade, des amendements au règlement intérieur ont été présentés lors du dernier conseil municipal le jeudi 19 octobre. Motivés par une volonté d’approfondissement de la démocratie locale et de l’expression citoyenne, ils ont été rejetés par le maire, Michel Fourcade. Vous pouvez en lire le contenu dans le portfolio.
On peut lire ici l’entretien avec Raphaël Thomas, secrétaire général de la CGT Territoriaux de Saint-Denis.