
« L’argent, la violence, le dopage, le racisme sont devenus les éléments centraux, structuraux et consubstantiels au sport-spectacle ». Entretien avec Marc Perelman.
La coupe du monde rugby qui s’achèvera le 28 octobre a valeur de test et de répétition générale pour les Jeux olympiques et Paralympiques d’août et septembre 2024. On mesure déjà les impacts sur la gestion de l’espace public, dans les transports et le paysage urbain saturé du marketing lié à l’événement. Dans dix mois, Saint-Denis, le département, Paris et d’autres villes connaitront la même situation au centuple. C’est l’occasion d’interroger un universitaire, Marc Perelman, qui déploie dès les années 70, et à contre-courant de l’engouement quasi généralisé pour le fait sportif, une critique qui se veut radicale. Première partie de notre entretien.
Vous êtes un critique assidu depuis plusieurs décennies de l’organisation des JO, et avant d’aborder proprement dit les JO de Paris 2024, en quoi cet événement récurrent condense ce que vous qualifiez « d’idéologie sportive » ? Autrement dit quelle continuité entre le travail de « critique du sport » auquel vous avez participé autour de la revue Quel corps ? dans les années 70 et 80 et ces grands événements ?
Marc Perelman – Récemment, en proposant le dépôt de mes archives personnelles à la Bibliothèque de Nanterre (« La Contemporaine »), l’Université où j’ai enseigné plus de vingt ans, j’ai retrouvé un petit dossier de ma main, six pages ronéotypées sur le sport de compétition. Il date de l’hiver 1972, j’étais alors lycéen en Terminale au Grand Condorcet. Ce document, signé par le Comité rouge des lycées Condorcet et Racine qui rassemblait des sympathisants de la Ligue communiste, avait été confectionné dans le cadre d’une campagne contre les Jeux olympiques de Munich (26 août-11 septembre 1972) et sur la base de la lecture de la revue Partisans, intitulé « Sport, culture et répression » (numéro 43, éditions François Maspero, juillet-septembre 1968). Ce numéro de Partisans avait été rédigé presque dans sa totalité par Jean-Marie Brohm sous son nom et sous différents pseudonymes voire sans doute sous les noms d’autres auteurs de cette publication.
Cela fait donc plus de 50 ans, avec diverses personnes, pas très nombreuses, que j’essaye à la fois de m’informer au quotidien sur les grandes compétitions (les Jeux olympiques, les Coupes du monde de football, etc.), de les analyser à travers leur genèse et leur possible devenir, en particulier sur les valeurs qu’ils déploient. Comment et pourquoi ces valeurs sont si bien accueillies par des milliards d’individus, et surtout de les dénoncer précisément comme des valeurs funestes dont la puissance idéologique globale est, me semble-t-il, sans égale.
Cela m’a conduit à lire des centaines de livres sur le sport (ce qui est loin d’être excitant) et à me tenir informé tous les jours à travers la lecture de la presse sportive et générale, de droite comme de gauche, et désormais de rester « branché » 24h/24 par le truchement d’Internet (une vaste poubelle où l’on trouve de temps en temps quelques perles).
Avec Jean-Marie Brohm et quelques camarades, nous avons ainsi lancé la revue Quel corps ?, fin 1974, qui fut pendant quelques années le fer de lance de la critique du sport, celle-ci terminant sa course, si je puis dire, en 1997, faute de combattants et du fait d’un isolement total (Jean-Marie Brohm mit lui-même fin à l’aventure par l’autodissolution de la revue).
Quels éléments de contexte ont conduit à ce sabordage d’un courant critique ?
M. P. - La base militante, que constituaient pour Quel corps ? les professeurs d’EPS, avait disparu et l’extrême gauche, en particulier la Ligue communiste à laquelle j’avais adhéré en 1971 (devenue Ligue Communiste Révolutionnaire quittée en 1979), s’était rangée du côté des aficionados, au nom du peuple qui aime le sport et les magnifiques prouesses de nos-champions-issus-des-banlieues, ses vertus éducatives, culturelles, et j’en passe… Cette organisation avait vite plié bagage dès lors que le COBA (Comité de boycott de l’organisation par l’Argentine de la Coupe du monde de football – 1978) s’était transformé en COBOM (Comité de boycott des JO de Moscou 80) par respect ou plutôt par alignement sur l’« État ouvrier dégénéré », certes, mais ouvrier quand même ! L’extrême gauche, par ailleurs, refusait notre « élitisme ».
Elitisme ? C’est-à-dire ?
M. P. - On nous trouvait méprisants vis-à-vis du peuple. Avec des arguments bien trempés dans le bain freudo-marxiste et la Théorie critique – nos références de l’époque se situaient chez Wilhelm Reich, Herbert Marcuse, l’École de Francfort (Adorno, Horkheimer), les Situationnistes, le tout saupoudré de Marx, Lénine et Trotsky –, la visée politique de Quel corps ? était de mettre au jour l’idéologie sportive dans sa totalité et dans le détail. Ce n’était en rien du mépris mais on s’attaquait à un gros morceau de l’idéologie en général.
« Idéologie » renvoie aux choses de l’esprit, « sportive » plutôt à ce qui dépend du corps, d’une performance, comment intellectuellement accoler ces deux entités qui semblent distinctes ?
M. P. - Je rappelle que le concept d’« idéologie » signifie chez Marx et Engels, dont je suis le plus proche, que « les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscura [chambre noire], ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique ». Engels pourra écrire que « l’idéologie est un processus que le soi-disant penseur accomplit sans doute avec conscience, mais avec une conscience fausse. Les forces motrices véritables qui le mettent en mouvement lui restent inconnues, sinon ce ne serait point un processus idéologique ». Toutes les représentations, la pensée, le commerce intellectuel, la production des idées, la langue de la politique, la politique même, celle des lois, la morale, la religion, la métaphysique, l’imaginaire, et le monde du sport tout autant, constituent les hommes tels qu’ils sont et leur conscience telle qu’elle en découle. De son côté, Freud percevait dans le recours aux doctrines religieuses la façon dont les individus cherchent à se soustraire des « exigences de la raison » ; il notait également que la religion est la « névrose obsessionnelle universelle de l’humanité ». Quant aux besoins religieux, il les rattachait principalement « à l’état infantile de dépendance absolue ». Cela correspond parfaitement au sport comme fait religieux total, l’idéologie religieuse étant redoublée dans le sport. SI toutes ces formes de l’idéologie sont des créations des hommes elles sont retournées, en quelque sorte mises à l’envers. Elles nous apparaissent alors comme une réalité implacable, irréversible, éternelle.
Ces « créations des hommes », le fait religieux, le fait sportif sont très anciens et possiblement concomitants ?
M. P. - Le coup de force théorique de Quel corps ? a été de ne pas considérer le sport, contrairement à la doxa, comme un phénomène existant de « toute éternité » ; il naît à un moment sinon précis du moins situé ou repérable dans l’histoire. Et ce moment de l’histoire correspond au début de l’ère industrielle, dès le XVIIIe siècle pour l’Angleterre, où la libre concurrence se déploie avec une immense vigueur dans la totalité de la société. Or, la plupart de nos concitoyens sont dans un état de contemplation voire d’adhésion vis-à-vis du sport dont découle le refus net de toute analyse voire de tout débat. Pour autant, les ressorts physico-émotionnels (ferveur, identification…), parce que plongeant dans la complexion du corps (perfection, beauté, sensibilité…), redoublent l’idéologie générale. En gros, voir un athlète se produire dans un stade, c’est souvent se projeter sur ou vers lui, s’identifier au champion et très vite à la nation qu’il est censé représenter ; bref, ne plus être soi-même. L’institution sportive fonctionne en effet d’abord comme une structure libidinale qu’elle – du CIO au club de province – cherche à préserver coûte que coûte. Tout cela pour dire que la classe dominante trouve et puise dans l’idéologie sportive sa force historique, sa puissance spirituelle. Tout comme ses idéologues actifs produisent une idéologie spécifique, l’« honneur », la « fidélité » pour l’aristocratie ; la « liberté », l’« égalité » au temps de la bourgeoisie montante ; la classe dominée subit elle directement l’idéologie contre laquelle elle ne peut pas grand-chose sinon y adhérer.
De même pour l’idéologie sportive qui dispose de sa bible (la Charte olympique), de son gouvernement (le CIO), de fédérations nationales et internationales, de comités nationaux, de licenciés, de clubs, d’entraîneurs, et bien sûr de champions qui assurent la production et la reproduction de l’idéologie en direction des dominés. Elle dispose aussi des médias anciens et nouveaux (presse, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux, etc.). Et pour finir, elle est elle-même devenue un média à part entière. Mieux encore, l’idéologie sportive n’apparait jamais comme une idéologie mais comme un « consensus » (Antonio Gramsci) ou comme faisant partie des « croyances obligatoires de la société » (Marcel Mauss), « l’air que l’on respire », disait le philosophe Louis Althusser. L’idéologie sportive, on l’aura compris, est davantage qu’une simple fausse conscience. Elle est plus qu’une chimère, une illusion, un leurre voire une pure élucubration ; elle est la partie essentielle et nécessaire de la réalité dans laquelle nous baignons tous sans exception aucune.
Dans ce bain collectif, dans cet « air que l’on respire » comment avez-vous évolué dans votre approche et analyse du « phénomène sportif » ?
M. P. - Pour en revenir à mon modeste parcours politique antisportif, disons qu’à partir des années 80, il y a eu de ma part continuité dans la discontinuité. Autant les analyses de Partisans et de Quel corps ? des années 60-80 étaient tout à fait extraordinaires, à leur époque, autant elles me paraissent depuis pas mal d’années sinon dépassées du moins ne correspondant plus à la réalité. J’avais donc rompu en 1980 avec la revue Quel corps ? qui avait dit l’essentiel de ce qu’elle pouvait dire et n’en poursuivait pas moins sa course répétant, ressassant, ruminant les mêmes thèmes. En quelques mots formulés plus théoriquement, j’avancerai l’analyse suivante quant au développement contemporain du sport.
La structure sociopolitique du sport, son économie exponentielle est devenue la forme phénoménale par laquelle se manifeste de manière spectaculaire la société capitaliste mondialisée d’aujourd’hui. Elle a frappé de plein fouet la critique et l’a faite exploser jusqu’à la réduire à presque-rien. Ceux qui furent au cœur de cette critique ou plus ou moins « proches » n’ont, de leur côté, jamais réussi à bien mesurer cette réalité nouvelle et sont restés prisonniers d’anciens schémas d’analyses désormais vermoulus et de représentations politiques piquées. Pour aller droit au but, ma conviction, qui est un savoir plutôt qu’une simple opinion, est que si l’espace et le temps de notre actuelle modernité sont indissolublement unis au sport, – « l’Olympisme n’a pas reparu au sein de la civilisation moderne pour y jouer un rôle local ou passager. La mission qui lui est confiée est universelle et séculaire. Il est ambitieux ; il lui faut tout l’espace et tout le temps », disait Pierre de Coubertin, en 1913 –, bref, l’espace et le temps le sont maintenant de façon dépendante par le biais de plusieurs phénomènes articulés entre eux :
a) Son expansion irrésistible sous la dominante actuelle du football, lui-même tendant à envelopper la planète et en s’instillant dans chaque foyer sinon dans chaque individu par la médiatisation télévisuelle et la présence généralisée d’écrans de réception (smartphone, tablette, ordinateur, etc.) qui retransmettent à jet continu les compétitions ;
b) L’intégration de tous les mauvais côtés, de toutes les « dérives », de tous les « excès », « abus », etc. constatés dans le sport (dopage, violence, racisme, argent, etc.). Ceux-ci sont devenus, de fait, la matrice même du spectacle sportif et le ciment de ce spectacle voire le spectacle en tant que tel. Le sport n’est d’ailleurs rien d’autre que ses mauvais côtés, ses dérives, ses excès. Il « progresse » en quelque sorte par eux. Ce qui signifie que, outre l’argent bien sûr, ce sont la violence, le dopage et le racisme qui sont devenus les éléments centraux, structuraux et consubstantiels au sport-spectacle, et mieux encore qu’essentiels plus exactement constitutifs de celui-ci.
Constitutifs, le terme n’est-il pas excessif ?
M. P. - Argent, violence, dopage, racisme ne sont plus marginaux et pas plus périphériques ou extérieurs au sport comme ils l’étaient encore dans les années 60-80. Le nouveau quadratique « argent-violence-dopage-racisme » est désormais le milieu du sport de compétition et comme sa matrice commune, finalement ce sur quoi le sport peut aujourd’hui se développer, en quelque sorte proliférer sans obstacle majeur, et littéralement exister en tant que tel. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, sans le dopage généralisé dans le cyclisme, c’est-à-dire de tout le peloton, ce sport n’existerait plus et son « spectacle-grandiose-dans-des-paysages-magnifiques » aurait disparu depuis belle lurette. Face à un tel phénomène, la critique du sport arc-boutée sur des thématiques surannées n’a pas pu résister. Je considère en effet que la mise en retrait, sinon la retraite effective, pratique et théorique, de la critique du sport, – cette critique s’exprimant sous la forme de revues papier (parfois appuyées par un site d’informations) –, le décrochement de sa praxis originelle, sont tout d’abord dus au poids écrasant et en apparence incontournable du sport de compétition et ce sous la forme :
a) D’une massification sportive interclassiste liée à la globalisation-mondialisation des sociétés qui se redouble dans le spectacle télévisuel permanent et dans le tourisme de masse ;
b) De l’intégration du sport dans la vie quotidienne et surtout en tant que vie quotidienne ;
c) De la fureur émotionnelle de contamination des supporters se métamorphosant en aficionados puis en hooligans des stades et qui se prolonge désormais jusqu’au téléspectateur envoûté ; enfin :
d) De l’acceptation sinon du souhait par les masses « sportivisées » de faire sauter nombre de tabous et en particulier celui du dopage perçu désormais comme « inévitable » et désormais revendiqué comme nécessaire à la bonne qualité du spectacle du sport.

Ne peut-on quand même différencier ce qui se passe dans un club local de ce qui se joue sur la scène planétaire ?
M. P. - La matrice féconde première de l’idéologie sportive est la compétition de tous contre tous, le bellum omnium contra omnes ou le struggle for life qui constitue le socle sur lequel tout l’édifice ultra hiérarchisé du sport est élevé et se maintient envers et contre tout. Sans compétition pas de sport. Émulation permanente, comparaison permanente, records permanents, etc., l’idéologie est là qui se matérialise à travers les records sans cesse battus ou à battre, les victoires, les performances, etc., une machine à gagner diabolique qui fait sans cesse l’apologie de la compétition, de la saine concurrence, comme une évidence. Celle-ci serait non seulement naturelle mais aussi nécessaire et permettrait le progrès, cet autre élément idéologique enchâssé dans le sport et l’olympisme ; la compétition serait comme un principe de vie. Après chaque JO, l’Humanité aurait alors fait un nouveau pas en avant, elle en sortirait grandie.

Est-ce que cela va être le cas pour ces JO 2024 annoncés comme différents ? Un grand pas voire un grand bond en avant ?
M. P. - Je parlais, me concernant, de « continuité dans la discontinuité ». Je n’ai pas seulement écrit des articles et des livres ou assuré quelques passages à la télévision ou à la radio (très peu). J’ai aussi tenté, dès 2017, de militer en particulier dans le comité « Non aux Jeux olympiques 2024 à Paris ». Sans grand succès. L’expérience ne fut pas concluante. Au bout de quelques mois, il était entendu que la plupart des participants voulaient davantage lutter contre les conséquences (écologiques, sociales…) des JO que contre les JO eux-mêmes. Par ailleurs, ce comité ne fut soutenu par aucune organisation ou mouvement politiques surtout intéressés à défendre le vrai sport, le sport populaire ou encore des JO à taille humaine, la construction de stades plus petits, discuter à l’infini de l’« héritage » des JO… Je comprendrai que les JO de Paris 2024 ne seraient pas l’objet d’une campagne politique nationale ; tout au plus serviraient-ils de référence, de point d’appui au développement de lignes politiques en faveur d’un « sport alternatif », « autre », « meilleur », « pour tous », « populaire », et j’en passe… J’ai quitté ce comité qui a disparu assez rapidement.
Certains de ses membres se voulant plus radicaux ont intégré l’association « Saccage 2024 ». À la lecture de sa profession de foi, elle m’a semblé faussement radicale. « Nous utilisons le mot “saccage”, précise cette organisation, car il s’agit bien d’une vaste opération de mutation profonde du 93 populaire, permise par les Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 ! En ignorant la construction, l’histoire, les valeurs et les spécificités de ce territoire, les projets imposés se situent dans la logique d’avant la crise sanitaire, celle qui conduit à la privatisation de tout, à la catastrophe climatique et sociale irrémédiable. Les Jeux ne sont qu’un prétexte, ils sont les outils qui vont permettre de réaliser très vite ces mutations, avec comme visée l’année 2024. Ce sont des jeux de dupes contre les intérêts des habitants, leur santé, leur cadre de vie, leurs relations sociales. Ils sont opposés aux logiques alternatives permettant un développement socialement juste, dans un environnement responsable, sur la base de décisions démocratiques. »
Parler de « saccage » à l’endroit de la Seine-Saint-Denis ne m’apparait pas du tout approprié pour ce qui s’y passe réellement. Il n’y a pas de « saccage » dans ce département, ce qui signifierait la mise à sac, le pillage, la destruction définitive, la ruine, là où rien ne peut « repousser ». C’est exactement le contraire que vont de fait produire les JO. Car les promoteurs certes parfois détruisent (jardins ouvriers d’Aubervilliers, parc Georges-Valbon…) mais pour toujours construire ou reconstruire (nouvelles habitations, hôtels de luxe, passerelle, bretelles d’autoroutes, équipements sportifs…). Ils construisent, cela va sans dire, pour spéculer au prix le plus fort. Ainsi la société de Vinci Immobilier, par exemple, met en vente les appartements de la résidence « Apogée » du Village olympique au prix moyen de 7 000 € le m2. Qui peut acheter un appartement à ce prix ?
Si de votre point de vue, il ne s’agit pas d’un saccage, de quoi s’agit-il alors ? Quelle en est la nature ?
M. P. -
Les termes d’embourgeoisement ou de gentrification pour parler la langue des sociologues me semblent plus adéquats. Surtout « Saccage 2024 » méconnait la fonction politique des JO et ne s’attarde pas trop sur les « valeurs » de l’olympisme même si elle constate, d’un très bref constat, un regain de nationalisme, la présence du dopage, la compétition généralisée. Elle le reconnait mais toujours sur un mode mineur, comme quelque chose d’annexe, d’extérieur, de presque marginale. Les JO sont seulement appréciés comme un « prétexte » du passage au Grand Paris (Aménagement et Express) et ils sont considérés comme des « outils ». Bref, « Saccage 2024 » sous-évalue la place et la puissance intrinsèque des JO et sa logique irréversible de production de consensus (par exemple, tous les syndicats à l’exception de SUD ont signé une Charte sociale en faveur des JO), véritable locomotive dans le chamboulement urbain dionysien qui va bien au-delà de la Seine-Saint-Denis (l’appui déterminé aux JO de l’ancien secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, membre du COJO et membre du Conseil d’administration de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) liée historiquement au CIO, est décisif). « Saccage 2024 », et cette organisation n’est pas la seule, relativise les JO en tant que puissance politique d’injonction de la vie sociale pour des milliards d’individus.

Une « puissance politique d’injonction de la vie sociale », qu’entendez-vous par là ?
M. P. - Le sport (le football, les JO…) est devenu en un demi-siècle le principal phénomène de masse d’adhésion active et de mobilisation sociale, la plus puissante manifestation sociopolitique et idéologique d’imprégnation sociale qui ait jamais existé sur l’ensemble de la planète et qui ne cesse de « progresser » grâce à la multiplication des compétitions et à leur médiatisation planétaire qui s’instillent dans les moindres recoins et fibres de nos sociétés. Le sport n’est pas un phénomène de société parmi d’autres, plus ou moins détaché ou même très éloigné d’un contexte sociopolitique général ; il est la relation entre tous les phénomènes les plus détestables de la société, parmi lesquels la violence (pas vraiment maîtrisée), le racisme (exhibé et « combattu »), le dopage (parfaitement maîtrisé), l’argent (« qui-coule-à-flots ») auquel il est consubstantiellement rattaché. Le sport n’est plus seulement ce phénomène mondial placé sous les projecteurs des médias, circonscrit et rendu visible par eux. Il est bien mieux que cela, si l’on peut dire. Il est aussi un média à part entière. Or, ce changement radical d’échelle du sport, sinon de sa nature, la nouvelle dimension sociopolitique qu’il a prise, finalement la totalité de l’espace-temps dans lequel il ne fait pas qu’évoluer mais dont il est l’un des éléments moteurs, a bouleversé jusqu’à la structure de son spectacle avec son pouvoir d’influence sur toute la planète, d’endoctrinement, l’air de rien.
Face à ce que vous qualifiez de « media à part entière », de votre point de vue comment et qui s’y oppose ?
M. P. -
« Saccage 2024 » est aujourd’hui le seul groupe militant actif. Le « Comité de vigilance JO Paris 2024 » ne me parait pas non plus la bonne solution d’une lutte efficace, c’est-à-dire plus frontale, contre les JO. Ce dernier « se donne pour but de collecter et diffuser des informations relatives à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques à Saint-Denis et dans le 93. Le comité de vigilance rassemble des associations et des collectifs de citoyen.nes des territoires concernés par l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques ». Malgré un travail géopolitique précis et rigoureux, ce comité se maintient, avec de longues phases d’inactivité, sans jamais remettre en cause les JO perçus comme perturbateur de l’histoire de Saint-Denis. De quelle « histoire » parle-t-on d’ailleurs ? Ce comité a ainsi présenté de nombreux projets alternatifs sachant qu’ils ne seront pas retenus…
On se souviendra pour la petite histoire locale, qui a toutefois une portée nationale du fait des Jeux olympiques eux-mêmes et une portée symbolique, que sur la liste municipale envisagée durant un très court laps de temps par les Insoumis et le PCF en vue du 2e tour des élections municipales de 2020, on trouvait en seconde position, derrière Laurent Russier (tête de liste PCF) et devant Bally Bagayoko (La France Insoumise), Cécile Gintrac (elle se dit « non-encartée »), l’une des porte-paroles du Comité de vigilance des JO 2024. Cette dernière nous avait avertis un an auparavant de son rôle et de sa « position » : « Nous sommes indépendants des partis politiques, et ne nous positionnons pas pour ou contre les JO » (reporterre.net, 9 avril 2019). De fait, Cécile Gintrac tout comme Bally Bagayoko se préparaient, après leur élection et une fois aux affaires de la ville, à être en effet vigilants… par rapport à la bonne marche des JO en Seine Saint-Denis. Tout le problème est bien là : ni pour, ni contre…
La suite de cet entretien est à lire ici
Vous pouvez lire ici l’entretien avec le comité Vigilance JO 2024.