
Paris 2024. « Malgré de nombreuses fêtes, mobilisations « populaires » ou « semaine olympique » rien ne semble faire bouger les Français qui regardent ailleurs ». Dernière partie de notre entretien avec Marc Perelman.
Après une première partie consacrée à l’histoire du courant critique du fait sportif en France à partir des années 1970 et de ses soubassements théoriques, Marc Perelman décrypte, lors de ce deuxième entretien, la réception de ces thèses par la gauche et diverses organisations politiques et syndicales. Il revient, pour en tirer un bilan amer, sur les mobilisations lors des jeux Olympiques de 2016 au Brésil ; et questionne les enjeux économico-politiques des JO ainsi que les notions de « saccage » et d’« héritage » comme legs de Paris 2024.
Les mobilisations politiques, citoyennes qui dénonçaient l’organisation de ces événements ont beaucoup varié et la dimension critique s’est beaucoup étiolée au cours des années, on est loin aujourd’hui du mouvement de boycott et de protestation des Jeux comme ceux de Moscou en 1980, Pékin en 2008 ou Sotchi en 2014 ou de grands événements sportifs comme la Coupe du monde de football en Argentine de 1978, en Russie en 2018 ou celle organisée par le Qatar l’année dernière (2022) ?
Marc Perelman – Les JO ne se portent plutôt pas si mal depuis la fin de l’« ère des boycotts » (1956-1988) organisés, faut-il le rappeler, par les seuls États-nations et non par les athlètes. Pour des raisons politiques (guerres, apartheid, droits de l’homme, sécurité, etc.), l’Urss et les États-Unis entre autres interdisaient aux athlètes nationaux de participer à la compétition olympique. Ils leur fermaient les frontières, tout simplement. Ce fut le cas pour les JO de 1980. Pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan, les États-Unis et leurs alliés (62 nations) dont l’Allemagne de l’Ouest et la Norvège à l’exception de la France, de l’Italie et de la Grande-Bretagne boycottèrent les JO de Moscou ; 1984 : l’URSS et 14 pays alliés boycottèrent les JO de Los Angeles avec le motif, auquel personne n’a cru, d’un manque de sécurité de leurs athlètes. Pour les athlètes d’État soviétiques, souvent membres de l’Armée rouge, le boycott des JO de Los Angeles allait de soi, on ne leur demandait pas vraiment leur avis. À l’inverse, quelques athlètes des pays occidentaux (par exemple, le marathonien Gary Fanelli) protestèrent contre l’interdiction de se rendre à Moscou sur la base d’un des principes de la Charte olympique : les compétitions ne se déroulent pas entre nations mais entre athlètes. Une nuance qui a toute son importance : ce sont les athlètes qui décident via leur comité olympique national.
Les athlètes défilent bien derrière le drapeau de leur Etat qui compte les médailles…
M. P. - Selon la Charte olympique, les États n’ont pas à s’ingérer dans les affaires sportives qui sont, elles, universelles et n’ont pas de frontières. Le mot « nation » n’apparait pas dans la Charte. Dans l’histoire de l’Olympisme, on n’a d’ailleurs jamais vu un ou plusieurs athlètes appeler au boycott de JO, à part en 1936 pour les JO nazis de Berlin et ce uniquement de la part d’athlètes juifs et de quelques organisations juives de sport amateur ; le juge Jeremiah Mahoney, président de l’Union des athlètes amateurs, appela au boycott (Jean-Marie Brohm, 1936, les Jeux olympiques à Berlin).
Le CIO ne connait donc pas vraiment la crise sinon la difficulté actuelle qu’il a à attirer des villes hôtes de moins en moins nombreuses à se présenter sur la ligne de départ. S’il y en a beaucoup à l’ouverture de la compétition pour le choix du meilleur dossier, à la fin, au moment du choix définitif, le CIO se contente souvent de « choisir » entre une ou deux villes. Ce qui fut le cas de Paris pour laquelle la ville de Los Angeles s’est amicalement désistée pour 2024… en étant assurée d’obtenir leurs JO pour 2028. Les villes de Rome, Boston, Toronto, Hambourg et Budapest se sont retirées de la course, soit du fait de pétitions suffisamment massives, soit par la décision de leurs maires.

Comment se positionnent les organisations politiques, que disent-elles au moment où de nombreuses collectivités font défections pour l’organisation des Jeux ?
M. P. - Rappelons que la mairie de Paris n’a pas organisé de référendum ce qui a permis d’esquiver le débat sur les JO et que la pétition « Non aux JO de Paris 2024 » lancée par le comité éponyme a été signée par seulement 35 000 personnes… Les quelques rassemblements initiés par ce même comité ont réuni au mieux une centaine de personnes. Le désintérêt politique des partis et des mouvements de gauche (PCF, PS, EE-LV, LFI) par rapport aux JO de Paris est presque total. Ils n’auront jamais mobilisé leurs militants ; si certains sont ni pour ni contre, ces organisations et partis politiques sont pour. Quant aux ultimes restes de l’extrême-gauche (NPA, Révolution permanente…), les JO n’ont jamais suscité de grande vocation critique. À quelques nuances près, les gauches soutiennent les JO en espérant sans trop y croire un « héritage » (legacy) pour les territoires qui se sont vite transformés en laboratoires d’expérimentation olympique avec ses assistants et aides divers et variés. De son côté, si la droite ne se mobilise pas contre les JO, on perçoit que certains de ses secteurs « éclairés », le Figaro, Causeur, parmi d’autres, n’approuvent pas vraiment cette manifestation de la foire aux muscles, loin des choses de l’Esprit, aux coûts dispendieux.
Vous n’êtes donc pas entendu, voire incompris ?
M. P. - Par rapport à cette situation inédite, la « dimension critique » des JO n’est pas vraiment ce qu’il y a de plus présent ; il est vrai que la critique du sport, elle-même, avait déjà presque disparu. Une disparition théorique et une disparition pratique. On peut mesurer cette quasi disparition au fait qu’il n’y a plus ni revues, ni livres et très peu de relais de cette critique (absente des syndicats, même chez Sud) par exemple dans les journaux (Charlie-Hebdo l’a complètement abandonnée depuis plusieurs années). Les quelques livres qui peuvent être liés à la critique du sport se vendent actuellement autour de 500 exemplaires ! Et encore pour ceux qui bénéficient d’une bonne diffusion/distribution. On est aujourd’hui très loin de la surface politique du courant de la critique du sport des années 60-80 bien qu’on en ait aussi un peu exagéré son importance réelle. Les premiers numéros de la revue Quel corps ? (1975-1977) s’écoulaient entre 3 000 et 5 000 exemplaires et un livre de recueil de textes paru chez François Maspero en 1978 s’était vendu à 7 000 exemplaires (une collection « Quel corps ? » avait été créée chez l’éditeur Christian Bourgois). Sport, culture et répression, d’abord paru dans la revue Partisans (éditions François Maspero) avait été réimprimé à deux reprises (20 000 exemplaires vendus). On peut aussi constater l’absence des quelques individus encore favorables à la critique du sport à la radio (même publique), et je ne parle pas de la télévision. Personnellement, j’ai été invité et souvent désinvité au dernier moment dans les médias publics (France Culture, France Inter…).



Comment expliquer cette disparition du champ de la réflexion critique et du débat ?
M. P. - En effet la critique du sport s’est plus qu’« étiolée » tant dans son contenu que dans ses lieux de diffusion. Par ailleurs, un net changement dans le contenu de l’analyse du sport s’est opéré depuis plusieurs années. Un changement de paradigme pour parler le langage universitaire. Ce n’est plus la compétition sportive qui est critiquée en tant que tel (culte de surhomme, lutte de tous contre tous, etc.), plutôt ses conséquences. Pour les JO, par exemple, la critique porte sur la bétonisation des espaces sous la houlette des écologistes, pour d’autres sur l’environnement sécuritaire (police, armée, drones…), ou encore sur le manque de transports en commun et depuis quelque temps sur les discriminations sexuelles ou encore contre les deux lois olympiques (2018 et 2023). Jamais la séparation des sexes dans les JO n’est remise en cause : que l’on court, nage ou saute dans la non-mixité – la compétition sportive sépare les sexes – ne pose aucun problème aux féministes et aux militants de gauche… Jamais la compétition qui est l’essence du sport n’est remise en cause.
La critique du sport a connu son apogée au moment de la tentative de boycott de la Coupe du monde football en 1978 et durant les deux années qui suivirent jusqu’au mitan des années 80. Pour mémoire, l’appel au boycott de cette Coupe du monde (dans le cadre du COBA) avait mobilisé plus de 200 comités de base en France et aussi en Europe autour d’une pétition réunissant 150 000 signatures ; plusieurs numéros de l’Épique vendus à plus de 100 000 exemplaires pastichaient le grand-quotidien-du-sport ; une manifestation avait réuni 50 000 personnes à Paris, d’autres – nombreuses – eurent également lieu en province et en Europe. La pression sur l’équipe de France de football était assez importante. Pour autant, aucun des joueurs de l’équipe de France ne fit quoi que ce soit pour dénoncer le régime des généraux, pas même Dominique Rocheteau, l’« Ange vert » (proche de la Ligue communiste révolutionnaire), qui s’était pourtant engagé à porter un brassard noir. Grâce aux analyses de Quel corps ?, le COBA ne cessait de marteler que le football n’est pas un événement annexe de la vie politique argentine, qu’il n’est pas « pris en otage » par les militaires, qu’il n’est pas un « outil » à leur service mais qu’il participe en tant que tel à l’écrasement physique (des militants) et à l’abrutissement mental des Argentins dans leur ensemble. À l’époque, nous avions réussi à faire comprendre aux membres du COBA, non sans difficulté, et en particulier à François Gèze (décédé en août 2023), son principal animateur, que le sport est non seulement politique mais qu’il est aussi et surtout la politique mise en œuvre par le pouvoir des militaires. En France, dans le milieu des réfugiés argentins, imbibés de l’opium du ballon rond, cette vision critique du football était insupportable.
S’agissant des membres de la revue Quel corps ? (à peine les doigts d’une main) nous avions construit un réseau militant d’environ une quarantaine de diffuseurs dans les principaux centres d’enseignement des futurs professeurs d’éducation physique et sportive (Creps, Uereps et même à l’Insep, ex-Ensep). Nous avons été pendant plusieurs années sinon au cœur du système sportif au moins dans le vestibule.

Et depuis que s’est-il passé en terme de mobilisations ?
M. P. - Les dernières grandes mobilisations populaires eurent lieu au Brésil au moment de la Coupe du monde de football en 2014 (puis en 2016 contre les JO de Rio) essentiellement contre la corruption généralisée des organisateurs et contre la FIFA (FIFA go home !) accusée de prendre en otage le football – tellement pur et innocent de tout – ou de l’avoir volé par le biais de l’argent qui, bien sûr, pourrit tout. La mobilisation de foules considérables s’arrêta nette au premier coup de pied de la Seleção… Les manifestants abandonnèrent bien vite leurs revendications pour mieux défendre l’équipe nationale.
Au Qatar, il n’y eut aucune manifestation comme on peut s’en douter ; en France, la classe politique et de nombreux militants de gauche ont certes beaucoup pleuré sur le triste sort des esclaves étrangers privés de tous leurs droits. Mises à part deux ou trois « artistes » (Lindon, Cantona…) et le courageux journal le Quotidien de la Réunion qui ont appelé au boycott de la Coupe immonde, la quasi-totalité des intellectuels fut absente de toute mobilisation. Parfois, certains d’entre eux, les aficionados du football, ont même défendu la Coupe au nom du football que l’on ne peut pas, bien sûr, associer au Qatar. Le pire de tous, champion du cynisme, fut Pascal Boniface qui réussissait à encourager les dirigeants du Qatar pour leurs « efforts » dans la voie de la démocratie que la Coupe du monde de football ne pouvait qu’améliorer.
De façon générale, les villes organisatrices de JO des pays totalitaires (pour faire court), les dirigeants des villes (Moscou, Pékin, Sotchi) et des pays dictatoriaux (Chine, Russie, Qatar) enclenchent une répression immédiate contre les opposants quels qu’ils soient (artistes, défenseurs des droits de l’homme, syndicalistes…) ; le CIO drapé dans sa grande neutralité ne dit mot. Les appels au boycott, après la répression du Tibet par la Chine, et le manque de liberté par exemple pour les JO de Pékin 2008, ne furent suivis d’aucun effet. C’est à ce moment-là que l’on vit apparaître des boycotts « politiques », « diplomatiques », ou encore le « boycott » de la cérémonie d’ouverture. Tel ministre ou tel président ou dirigeant ne se rendrait pas dans le pays organisateur ou n’assisterait pas à la cérémonie d’ouverture. Pour les JO de Pékin 2008, les États-Unis avec le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne initièrent ce type de boycott qui, bien sûr, n’en est pas un. Nicolas Sarkozy, lors de sa présidence de l’Union européenne, avait envisagé lui aussi de boycotter les JO. Toutes ces belles initiatives s’écroulèrent avec la pression du début des compétitions et leur médiatisation planifiée. Au final, les athlètes des 204 délégations invitées par le CIO se présentèrent toutes sur les diverses lignes de départ des compétitions (lire Le Livre noir des J.O. de Pékin). La démonstration était faite : seul le boycott des athlètes prouvait son efficacité, le pseudo-boycott des responsables politiques étant lui à peine symbolique. Aux dictateurs importe avant tout la présence des athlètes. Ce qui signifie que seul le boycott des athlètes est efficace car il casse le cadre magique de l’Olympisme universel et non politique, brise la logique de la compétition puisqu’une partie des concurrents est absente : on se retrouve alors champion olympique de ceci ou de cela sans avoir eu d’adversaire ; il y a moins de records… Évidemment, le boycott des athlètes n’est pas la fin des JO, loin s’en faut, il contribue par contre à en relativiser la portée. De « Moscou 80 », on retiendra surtout son boycott massif et peu les records des participants (sauf pour l’URSS et l’Allemagne de l’Est qui remportèrent plus de 50 % des médailles… un record).


Si les mouvements d’opposition au JO avaient plus d’écho et recevaient un accueil plus favorable car ils épousaient hier un mouvement plus large d’opposition aux régimes dictatoriaux comment expliquer néanmoins aujourd’hui la faiblesse de ces mouvements, le peu de soutien significatif dans la population ? Le cas du Brésil a semblé échapper à cet insuccès avec, en 2016, des manifestations importantes ?
M. P. - La Coupe des Confédérations (football) de 2013, la Coupe du monde de football en 2014 et les Jeux olympiques de Rio en 2016 ont fini de saigner à blanc une économie brésilienne déjà fragile. Si les actions de la gauche avaient toutefois permis à plusieurs dizaines de millions de Brésiliens de s’extraire de la misère et de l’analphabétisme, les compétitions sportives ont par contre laissé des équipements sportifs (stades, piscines…) en jachère et ont provoqué sinon participé d’une immense corruption. Très vite, le soutien populaire à Lula et surtout à Dilma Rousseff s’est estompé et il est devenu, par exemple pendant les JO de 2016, au cours desquels les stades étaient plutôt vides, une rancœur puis une hostilité qui s’est terminée dans une haine monstrueuse.
Vis-à-vis de toutes ces identifications nationalistes, chauvines particulièrement brutales, les vociférations émises par la « voix de la masse » (Elias Canetti) dans le stade du Maracanã (Rio de Janeiro) ont été particulièrement odieuses. « Hé, Dilma, va te faire enculer ! », hurlaient non pas quelques énergumènes excités mais des dizaines de milliers de supporters déjà ivres de football, libérés de toute décence, désinhibés, exprimant leur rejet de la politique présidentielle par un slogan « sexualisé » d’une vulgarité inouïe. Ils voulaient aussi rappeler la violence endurée par l’ancienne militante lors des séances de torture qu’elles avaient subies. Quelques jours après la fin des JO de Rio, Dilma Rousseff était destituée…
Le Brésil a donc subi le choc répété de plusieurs gigantesques organisations sportives (2013-2014-2016). Elles ont entraîné des dépenses délirantes, avec le résultat catastrophique que l’on sait sans parler de l’innommable chasse à l’homme dans les favelas (plusieurs dizaines de milliers de familles déplacées) et la destruction massive d’habitations précaires ou tout simplement d’habitations se trouvant sur les futurs sites sportifs. Elles ont été suivies d’un matraquage politico-idéologique tout aussi intense sur les valeurs positives du sport, sur la montée en puissance irrésistible du pays grâce aux infrastructures sportives nouvelles, sur l’apport de l’organisation des compétitions pour le développement des transports, et plus généralement sur l’amélioration visible des infrastructures, etc.
Contrairement aux comptines pour enfants qui nous présentent le sport comme innocent, frais et pourquoi pas de gauche, on a pu en effet s’apercevoir que la « décennie sportive » tant voulue par Lula et son parti le PT (Parti des travailleurs) a contribué à sa propre défaite. Outre la corruption généralisée dont Petrobras (compagnie pétrolière qui a sans doute blanchi de l’argent au profit du Parti des travailleurs) a été, si l’on peut dire, le plus bel exemple, le secteur du BTP (Odebrecht) a lui aussi été, si l’on peut dire encore, le fer de lance d’une vaste corruption des élites politiques qui a exaspéré de larges pans de la société. Associées au secteur de la construction, toutes les grandes compétitions sportives ont accéléré le processus de décomposition politique du Brésil, de déliquescence sociale parce qu’elles ont accéléré la désillusion, puis la déception et finalement la rancœur d’une fraction non négligeable des Brésiliens. Elles étaient la démonstration vivante de l’inanité de la construction ou de la rénovation aux énormes coûts financiers de tous les équipements sportifs qui seront laissés à l’abandon une fois la « fête » terminée. Elles montraient également comment les organisations des compétitions sportives ont accéléré toutes les concussions, les prévarications, les détournements d’argent. Et ce n’est pas tout. Le sport en tant que structure religieuse narcotique (le sport-opium du peuple) a été distillé avec une grande application et une résolution déterminée par le parti de Lula. À peine son cycle achevé, il a plongé de larges fractions de la population dans une forme de colère et de rancune qui prendra la forme d’un vote de franche hostilité et la victoire du fasciste Bolsonaro.
C’est bien le sport, d’abord le football puis les JO, qui est au départ de cette forme de croyance et produit l’adhésion, une foi inébranlable, une formidable machine à fabrication de mythes dont l’identification au champion et à l’équipe nationale est l’un des éléments essentiels de son déploiement et de son incrustation au cœur des individus. Lorsque la machine à rêves s’enraye, le cauchemar n’est plus très loin. Le retour aux affaires de Lula ne changera rien.
Le CIO semble avoir intégré depuis les JO de Londres la nécessité d’une inscription de l’événement dans le « temps des territoires » en valorisant les notions de transformations urbaines et d’héritage, n’est-ce qu’une réponse opportune à la difficulté de trouver des villes et pays candidats, à l’organisation de référendums très souvent défavorables à l’organisation des Jeux, un changement profond ou juste un leurre ?
M. P. - « Juste un leurre ». Il faut lire la propagande olympique. Voici ce qu’écrivent, par exemple, les communicants de Paris 2024 : « Vous croyez vraiment que les Jeux ne durent que quinze jours et ne concernent qu’une seule ville ? Avec Paris 2024, vous comprendrez que les Jeux c’est un projet qui vivra bien au-delà de la compétition sportive et qui entrainera tous les territoires avec lui. Que les villes et régions soient hôtes de compétitions sportives, Centres de préparation aux Jeux ou encore labellisées “Terre de Jeux”, elles profiteront toutes de l’énergie des Jeux de Paris 2024. […] » On est bien ici au cœur de l’endoctrinement, de l’intoxication ou de l’empoisonnement, au choix.
Qu’il y ait, en outre, « un changement profond » induit par les JO, j’en suis d’accord, en particulier dans l’organisation urbaine et plus particulièrement encore dionysienne. Elle est due pour l’essentiel au développement de la circulation augmentée des trains et des métros par la création de 68 gares qui vont devenir des points de spéculation intense avec 100 projets immobiliers prévus à leurs abords. Il y aura assez vite un changement ou plutôt une poussée importante du trafic, son aggravation, des mouvements de transit toujours plus importants qui ne pourront qu’accroitre les pollutions de toute sorte. La concentration, la densité, l’affluence sont les principales caractéristiques de cette mutation urbaine profonde qui va étendre comme une tâche d’huile la minéralisation systématique de l’Île-de-France. Les JO sont partie prenante de cette catastrophe écologique inédite. Ce n’est pas tout. La propagande olympique précise bien que ce sont les JO qui impliquent ou induisent le changement dans les territoires. « “Terre de Jeux 2024” c’est le label des territoires : communes, intercommunalités, départements, régions, en France métropolitaine et Outre-mer. Il valorise ceux qui veulent mettre plus de sport dans le quotidien de leurs habitants et s’engager dans l’aventure olympique et paralympique, quelles que soient leur taille, quels que soient leurs moyens. […] » Bref, il faut adhérer aux Jeux olympiques pour avoir le droit de mettre en œuvre sa propre aliénation.
La Solidéo va livrer 62 ouvrages en France. Elle dispose d’un budget de plus de 1,7 milliard d’euros dont 80 % de son financement (public) va être consacré à la Seine-Saint-Denis. N’est-ce pas là un signe, un élément factuel d’un tournant dans la conception de cet événement ou une exception sans lendemain ? Cela explique-t-il en partie le peu d’opposition à ces JO ?
M. P. - Depuis la naissance des JO modernes à la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, il n’y a jamais eu d’opposition importante aux JO avant et encore moins pendant leur déroulement. Les boycotts réels ont été le seul fait des États qui ont interdit à leurs athlètes d’y participer. Même l’attentat contre les athlètes israéliens (11 morts) lors des JO de Munich en 1972 n’a pas arrêté le show olympique ; seules les deux guerres mondiales ont empêché leur déroulement (1916, 1940 et 1944) au grand dam du baron Pierre de Coubertin. « J’admettrais, écrivait-il en 1932, fort bien pour ma part de voir, en pleine guerre, les armées adverses interrompre un moment leurs combats pour célébrer les Jeux musculaires loyaux et courtois. »
Alors qu’en est-il du financement des équipements pour la Seine Saint-Denis ? Quels types d’ouvrages va livrer la Solidéo (Société de livraison des ouvrages olympiques, financée à hauteur de 1,4 milliard d’euros par l’État) dont le Conseil d’administration est présidé par Anne Hidalgo ? Quand on consulte le site de la Solidéo, l’ambition est grande sinon démesurée : rien moins que « dessiner la ville de demain ».
« Pour valoriser l’héritage des ouvrages après 2024, la SOLIDEO envisage les projets qu’elle porte comme autant de déploiements d’innovations de la ville de demain ; avec pour vocation de proposer des réponses aux grands enjeux auxquels nos villes doivent faire face à l’horizon 2050. Cette ambition se traduit par une stratégie d’excellence environnementale – axée autour des 3 piliers " neutralité carbone ", " confort urbain " et " biodiversité " —, mais aussi d’une Charte en faveur de l’emploi et du développement territorial, d’une stratégie d’accessibilité universelle et d’une démarche de participation citoyenne.
L’objectif : livrer un héritage en renouvelant les méthodes de la fabrique de la ville, en préfigurant la ville européenne de 2030 et en préparant la construction de la ville européenne de 2050. » Derrière le bla-bla des communicants, il est facile de constater que la plupart des ouvrages olympiques livrés pour Paris 2024 seront des équipements sportifs : terrains de sport, piscines, gymnases, salles d’entrainement, centres de sport, stades, parcs ou bien des équipements liés à la compétition : village olympique, village des médias, transformés mais à quel prix en logements (pas vraiment sociaux), voies olympiques, etc. La Solidéo a pour objectif de convertir l’existant en des lieux de sport qui dominent par leur grande quantité tous les autres lieux. Dans le Dossier de candidature, il est précisé que « Paris sera imprégnée par le sport et se transformera en Parc olympique. Le concept de Paris 2024 propose un modèle où le sport sera célébré à chaque coin de rue, entouré de monuments mondialement connus et de l’unique art de vivre parisien en toile de fond ».
Il est à noter que jamais des lieux de culture ne sont créés au cours d’une Olympiade. La Solidéo n’aide pas non plus à créer ou à rénover des bibliothèques, des librairies, des théâtres, des galeries d’art ; elle ne subventionne jamais la restauration de bâtiments historiques. Et mieux encore, selon Nicolas Ferrand, son Directeur général exécutif, « les ouvrages olympiques n’ont pas seulement pour ambition de marquer les territoires mais aussi les imaginaires ! ». De quel héritage nous parle-t-il ?
Comment décryptez-vous les potentielles tensions outre l’intérêt commun des différents acteurs à l’organisation des Jeux, entre le CIO, le COJO(P), Paris 2024, le gouvernement, les territoires d’accueil, les autorités locales ?
M. P. - Il suffit de lire le contrat signé entre le CIO (Thomas Bach), la maire de Paris (Anne Hidalgo), l’ex-président du Cnosf (Denis Masseglia) que l’on peut trouver sur Internet. Un contrat léonin en faveur du seul CIO. Je l’ai analysé par le menu détail dans mon livre 2024. Les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu. Le CIO est maître à bord, il décide de tout ; les autres approuvent ou dégagent ; et en général ils approuvent tellement l’enjeu financier est gigantesque. Pour le reste, ce sont des guerres de terrain entre des intérêts plus ou moins antagonistes sur fond d’une masse énorme d’argent : au début de l’aventure, ce sont 6,6 milliards d’euros annoncés, à la fin des JO on sera proche des 15 milliards… En attendant, les perquisitions menées par le Parquet national financier (PNF) se multiplient dans les locaux du COJO, de la Solidéo et dans l’agence Kénéo (juin 2023). Ces perquisitions sont les conséquences d’une première enquête ouverte en 2017 confiée à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) des chefs de prise illégale d’intérêts, détournement de fonds publics, favoritisme et recel de favoritisme visant un marché passé par le Cojop. Une seconde enquête préliminaire a été ouverte en 2022 et confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), des chefs de prise illégale d’intérêts, favoritisme et recel de favoritisme portant sur plusieurs marchés passés par le Cojop et la Solideo, à la suite d’un contrôle de l’Agence française anticorruption.
Comment expliquez-vous la difficulté d’agréger les différentes initiatives dénonçant l’organisation des JO et l’absence de jonction réelle entre l’opposition d’une partie des élus de Paris (les écologistes), les appels dans la presse, les comités locaux, l’absence même de coordination ou d’un porte-voix commun ?
M. P. - L’explication me semble simple : il n’y a pas d’analyse critique des JO. Le consensus est parfait entre l’ensemble des partis et mouvements de l’arc politique français, de la gauche à la droite. Ils sont tous d’accord, avec les syndicats, pour la réussite des JO, y compris ceux, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon qui s’était prononcé contre et qui désormais les soutient sans le dire explicitement. Pour mémoire, le dirigeant des Insoumis avait déclaré le 23 juin 2015 sur les ondes de RTL que concernant les JO de Paris en 2024 : « Je suis bien sûr contre. » Puis, le 30 mars 2017 : « Les Jeux olympiques à Paris ? Je n’y suis pas favorable. » Léger fléchissement. Après cette dernière prise de position, et depuis elle, il ne dira plus rien lorsque Paris sera désignée comme ville hôte en septembre 2017. Il est intéressant de rappeler sa position au moment des JO de 2008 à Pékin. Voici en substance ce qu’il disait : « Je ne suis pas d’accord avec le boycott des Jeux olympiques de Pékin et la propagande antichinoise » ; il était alors sénateur. « Pour moi, précisait-il, le boycott des Jeux est une agression injustifiée et insultante contre le peuple chinois. Si l’on voulait mettre en cause le régime de Pékin, il fallait le faire au moment du choix de Pékin pour les jeux. ». Et d’ajouter : « Si un boycott devait être organisé, dans une logique agressive conséquente, ce n’est pas celui du sport qui est un moment d’ouverture et de fraternisation. Pourquoi pas plutôt celui des affaires et de la finance ? » Au moment des prises de position américaines pour un boycott diplomatique des JO d’hiver de Pékin 2022, Jean-Luc Mélenchon « tweetait » le 7 décembre 2021 que « la France ne doit pas plus boycotter les Jeux de Pékin [JO d’hiver 2022] que ceux de Moscou en 1980 ou ceux de Pékin en 2008 » faisant ainsi montre de sa complaisance indéfectible aux anciennes et pérennes dictatures.
De son côté, Danielle Simonnet (Conseillère municipale de Paris, aujourd’hui députée, Groupe la France insoumise) tenait au moment des élections municipales de 2020 le propos (radical, trop radical) suivant : « Il faut annuler les JO Paris 2024. » Elle avait déclaré quelques années auparavant : « Nous devons démontrer que d’autres Jeux olympiques sont possibles, simultanés avec les Jeux paralympiques, respectueux de notre écosystème, à condition que leur organisation émane de la souveraineté des peuples et non des multinationales via un CIO opaque, gangréné par la corruption. » (Le Journal de l’insoumission, 23 octobre 2017). Je ne parle même pas du PCF qui a toujours été le plus ardent partisan des JO considérant les champions comme les « pilotes de l’espèce humaine » (revue l’École et la Nation, 1969). Quant aux écologistes, ils font partie à Paris de la coalition municipale qui soutient Anne Hidalgo… Autrement dit, ils sont aux ordres.
Plus généralement, concernant le peu sinon le manque de mobilisation, de coordination, de porte-parole, etc. contre les JO que j’ai abordé précédemment lors de notre premier échange j’insiste sur l’effacement sinon la disparition de la critique du sport qui, outre la puissance écrasante du fait sportif, n’a pas su se renouveler ; il faudrait aussi approfondir la réflexion sur le sport comme le principal point aveugle des phénomènes contemporains des mobilisations de masse.
Une des craintes majeures et une des critiques des opposants consistent à alerter sur le coût des JO et le dérapage des dépenses annoncé comme inéluctable – les profits étant privatisés et les pertes socialisées à travers des augmentations d’impôts pour éponger les dettes –. En fin d’année 2022 une rallonge de 400 millions d’euros a déjà été effectuée, portant le budget à plus de 4,4 milliards d’euros (hors réalisation des infrastructures par la Solideo). L’Élysée et Matignon affirment que « les Jeux paieront les Jeux ». Pensez-vous que ce pari sera tenu ?
M. P. - Pour « Paris 2024 », les organisateurs avaient « juré-craché » : pas un euro de plus que ce qui était prévu. Je rappelle qu’au départ le budget était de 6,6 milliards d’euros ; nous en sommes aujourd’hui à pas loin de 9 milliards. Or ce budget ne comprend pas les dépenses liées à la sécurité. Son coût estimé est d’un milliard d’euros. L’État a même abondé une somme de 3 milliards d’euros dans laquelle le COJO pourra puiser jusqu’en 2027. À chaque Jeux olympiques, c’est la même antienne. Bref, les impôts vont augmenter ; les impôts locaux aussi pour les résidents de la Seine Saint-Denis sur fond de « gentrification » généralisée et d’un sentiment d’avoir été berné. La Seine Saint-Denis a prêté ses territoires dont la population ne tirera aucun héritage… à part les impôts. Quant aux équipements sportifs, il ne faut se faire aucune illusion ; ils ne seront dédiés, à l’instar du Stade-de-France, qu’à la compétition et donc à une toute petite élite.
À un an des JOP 2024, les craintes persistent concernant les 350 000 visiteurs en situation de handicap du monde entier attendus pour assister à ces Jeux. Seules 3 % des stations de métro sont accessibles, peu de gares RER le sont, une assistance humaine est souvent nécessaire et dans les aéroports les dispositifs d’assistance sont déjà saturés. Que restera-t-il de la promesse de « Jeux exemplaires en matière d’accessibilité universelle » et du respect des « valeurs de l’Olympisme » ?
M. P. - On nous dit que le Village olympique sera équipé des matériels nécessaires aux handicapés ; on fera sans aucun doute les efforts nécessaires pour les athlètes, pour le reste de la population, non-sportive, rien n’est moins sûr. La vraie épreuve (sportive) qui attend les handicapés spectateurs des JO, sera de circuler dans Paris et en Île-de-France.
En juin dernier, des perquisitions ont eu lieu dans les locaux du COJO et de la Solidéo à l’initiative du Parquet National Financier dans le cadre de deux enquêtes préliminaires ouvertes respectivement en 2017 et 2022, sur des soupçons de « prise illégale d’intérêts, détournements de fonds publics, favoritisme, recel de favoritisme » relatifs à des marchés attribués dans le cadre de l’organisation des Jeux. Des rapports de l’Agence Française Anti-corruption (AFA) publiés dès avril 2021, mettaient en lumière des « risques d’atteintes à la probité » et de « conflits d’intérêts » dans ces deux structures. A chaque événement sportif d’ampleur international, on découvre des irrégularités majeures, pire quelquefois un système organisé de corruption. Est-ce inévitable ?
M. P. - Et ça continue avec le Directeur Général Délégué (une promotion récente) de Paris 2024 (Cojo), Michaël Aloïsio dont le nom est cité suite à une plainte pour favoritisme et trafic d’influence. Les affaires que vous citez sont en cours d’instruction. Généralement, cela éclabousse deux ou trois personnes et on n’en parle plus. Dans le cas du CIO, les affaires de corruption ont été nombreuses ; on lave le linge sale en famille et on repart sur de nouvelles bases. Le CIO a mis par exemple sept ans à expulser la Fédération internationale de boxe pour corruption. Au Japon, pour les JO de Tokyo 2021, l’organisateur est accusé d’avoir reçu des centaines de millions de yens de pots-de-vin par des entreprises en échange de leur désignation comme sponsor officiel de l’événement. Carlos Nuzman, ex-président du Comité olympique du Brésil (COB), est inculpé de corruption pour avoir directement sollicité d’un homme d’affaires le versement de pots-de-vin pour s’assurer des voix pour l’élection de Rio. L’ex-président de la Fédération internationale d’athlétisme Lamine Diack et son fils Papa Massata Diack sont aussi mis en accusation par la justice brésilienne. L’attribution présumée délictueuse des JO de Rio de 2016 a aussi touché le Namibien Frankie Fredericks, à la suite de révélations sur un versement d’argent de Papa Massata Diack sur un compte offshore lui appartenant. Que du beau monde ! et je pourrais multiplier à l’infini tous ces cas de prévarications, concussions, détournements, malversations…
L’organisation des JO est une immense machine à cash. La bagarre pour être le mieux placé, j’allais dire le mieux servi, est permanente. Les conflits d’intérêt sont eux aussi permanents. Le milieu du sport est devenu en peu d’années le sport du milieu du sport.
La législation, le droit du travail sont aussi malmenés, d’un côté des sans papiers qui ont travaillé sur les chantiers, ont assigné plusieurs géants du BTP dont Vinci, Eiffage, et Spie Batignolles aux prud’hommes de Bobigny, afin d’avoir une « reconnaissance » de leur travail et le versement d’arriérés de salaires », d’un autre côté on assiste au recrutement de 45 000 bénévoles qui s’apparente au vu des conditions d’exercice de leur mission, de la disponibilité demandée et du rapport de subordination imposé à du « travail dissimulé ». Serait-ce là aussi une sorte de « tare congénitale » aux grands événements, aux JO ?
M. P. - Rien n’oblige les bénévoles à le devenir. Le bénévolat est une pratique courante qui est basée sur le volontariat et qui se différencie du travail par un encadrement juridique précis. Il est non rétribué et peut être dédommagé (ce qui n’est pas une obligation) des frais de déplacement et d’hébergement. Il n’y a pas de subordination juridique ; le bénévole peut y mettre fin à tout moment. Ils étaient près de 300 000 à candidater pour 45 000 places. La presse dans son ensemble s’en est enthousiasmée. La sélection va donc être drastique d’autant que certains contestataires des JO appellent à y faire de l’entrisme. Ils imaginent ainsi perturber les JO en se désistant au dernier moment. Les dossiers de candidatures seront donc lus avec la plus grande attention, enquête, recherche d’antécédents judiciaires, etc. Là aussi la compétition va être rude.
Je ne crois pas que le bénévolat olympique cache un travail dissimulé. C’est une mauvaise piste de contestation avancée par les Insoumis et portée entre autres par Alexis Corbière. Ils essaient de décrédibiliser les JO sur la thématique du travail. L’inefficacité est garantie.
Ce qu’il faut remettre en cause, en tous les cas interroger, c’est pourquoi tant de jeunes se mobilisent gratuitement pour les JO ?
On arrive dans les derniers mois avant l’ouverture, croyez-vous que c’est dans la dernière ligne droite que « les oppositions » aux JO vont se faire plus présentes ?
M. P. - À l’occasion des JO de Paris 2024 tous les ingrédients d’un « chaolympique » sont réunis. D’où le titre de mon livre paru il y a presque trois ans – 2024. Les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu – qu’il fallait accueillir comme un clin d’œil au livre de Jean Baudrillard sur la guerre du Golfe et aussi comme un souhait personnel. Encore que, lorsque des JO n’ont pas eu lieu, justement, ce fut lors de trois moments funestes : 1916, 1940 et 1944, soit pendant les deux guerres mondiales…
L’un des aspects de ces JO qui m’inquiètent particulièrement est ce pari totalement insensé d’une cérémonie d’ouverture sur la Seine avec une flottille de près de cent-cinquante barges sur lesquelles seront rassemblés les athlètes olympiens défilant devant 600 000 spectateurs.
La Police, la Gendarmerie, l’Armée, nombre de responsables, sauf Mme Hidalgo et MM. Macron et Estanguet en sont déjà malades d’angoisse. Selon l’universitaire Alain Bauer, « la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024 est une folie criminelle. Il n’y a rien du point de vue de la sécurité et de la sûreté des athlètes, des organisateurs et du public qui n’est envisageable sous cette forme-là ». Alain Finkielkraut, lui-même, pourtant grand admirateur des joutes sportives, en particulier celle des footballeurs, s’interrogeait sur les conséquences de l’échec de la sécurité au Stade de France et en tirait une conclusion réaliste : « Combien faudra-t-il de policiers, de gendarmes, voire de militaires à Paris en 2024 pour que les Jeux olympiques se déroulent sans accroc majeur ? Le vivre-ensemble est un leurre, l’obscurité gagne : la Ville Lumière devrait donc se désister. » Le ministère des Armées a déjà prévu plus de 18 000 soldats…
La contestation des JO est toujours de très basse intensité en France. À ce-jour, l’effervescence tant espérée par les organisateurs vis-à-vis des Jeux olympiques de Paris 2024 n’est visible nulle part. Malgré de nombreuses fêtes, réunions publiques, mobilisations « populaires », « semaine olympique » en direction de la jeunesse de banlieue (en particulier celle de Seine Saint-Denis), et plus largement l’apparition d’une improbable « Génération 2024 », rien ne semble faire bouger les Français qui regardent ailleurs. La période historique que nous vivons ne se prête pas vraiment aux festivités que les marchands de sport nous convient à partager avec eux (réforme des retraites, inflation, explosion des inégalités, dégradation des services publics, changement climatique, montée de l’extrême-droite, poussée de l’islamisme, agression de l’Ukraine).
Tous les thèmes de l’Olympisme ressassés ad nauseam – « société pacifique », « développement harmonieux », « esprit d’amitié », « solidarité », « fair play », « trêve olympique », « compréhension mutuelle », « respect », etc. laissent indifférents les Parisiens et plus largement les Français certes attachés à certaines de ces valeurs, mais à l’évidence sujettes au plus grand doute de leur part lorsqu’il s’agit des Jeux olympiques.
Marc Perelman est architecte de formation et professeur émérite des Universités.
On peut lire ici la première partie de l’entretien intitulée « L’argent, la violence, le dopage, le racisme sont devenus les éléments centraux, structuraux et consubstantiels au sport-spectacle ».
Vous pouvez-lire ici La tribune publiée le 16 septembre 2023 de différents collectifs et associations intitulée : Les JO 2024 de Paris sont un désastre écologique et social.
Lundi 2 octobre, Jade Lindgaard, journaliste du pôle écologie de Mediapart était l’invitée de l’émission sur Twitch « Abonnez-vous », elle revient sur les conséquences environnementales et humaines des JO 2024. On peut revoir l’émission ici.
Jeux olympiques (articles, télévision, participation à un film et interviews de Marc Perelman)
• Le 26 juillet 2023 : https://blogs.mediapart.fr/editions-passion/blog/260723/le-kitsch-olympique
• Le 23 avril 2023 : https://www.dailymotion.com/video/x8kcn73 (« Les visiteurs du soir », CNews, émission de Frédéric Taddéï, voir à partir de 55’)
• Le 14 avril 2023 : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/sportifs-russes-et-bielorusses-aux-jo-2024-les-jeux-olympiques-ont-toujours-ete-politiques-20230414
• Le 25 juillet 2022 : https://www.lefigaro.fr/vox/politique/marc-perelman-les-quatre-raisons-d-arreter-la-course-folle-aux-jeux-olympiques-de-paris-2024-20220725
• Le 4 mars 2022 : https://alencontre.org/europe/russie/russie-dopage-et-treve-olympique-la-fin-des-mythes.html
• Le 4 février 2022 : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/marc-perelman-non-aux-jo-de-paris-2024-20220204
• Le 22 décembre 2021 : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/les-jo-de-beijing-2022-peuvent-ils-etre-perturbes-par-une-crise-politique-et-diplomatique-20211222
• Le 17 juillet 2021 : https://www.ledevoir.com/sports/618738/les-jeux-olympiques-un-fleau
• Le 13 mars 2021 : https://alencontre.org/asie/japon/tribune-tokyo-paris-extinction-de-la-flamme-olympique.html
• Le 5 février 2021 : https://alencontre.org/asie/japon/debat-la-gauche-est-olympique.html
• Le 21 mai 2020 : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/jo-2024-et-precautions-sanitaires-qui-paiera-la-facture-supplementaire-20200520
• Le 3 juillet 2019 : https://www.lefigaro.fr/vox/culture/sauvons-notre-dame-des-jeux-olympiques-20190703
• Le 12 décembre 2017 : https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/12/12/31001-20171212ARTFIG00217-l-olympisme-est-liberticide.php
• Le 19 octobre 2017 : https://www.causeur.fr/jo-jeux-olympiques-droits-homme-147312
• Le 15 septembre 2017 : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/09/15/31003-20170915ARTFIG00283-jo-2024-paris-sera-t-elle-defiguree-par-l-olympisme.php
• Le 27 mai 2017 : https://alencontre.org/debats/debat-le-dopage-sans-rivages-des-capitales-olympiques.html
• Le 24 mai 2017 : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/05/24/31003-20170524ARTFIG00102-jeux-olympiques-l-envers-du-decor.php
• Le 10 mai 2017 : https://blogs.mediapart.fr/marc-perelman/blog/100517/de-la-competition-sportive-et-du-mythe-des-valeurs-de-l-olympisme
• Le 2 mai 2017 : https://blogs.mediapart.fr/marc-perelman/blog/020517/lettre-madame-hidalgo-maire-de-paris
• le 30 janvier 2017 : https://theconversation.com/2017-annee-de-lolympisme-71816
• Le 21 janvier 2017 : https://alencontre.org/debats/debat-en-finir-avec-les-jeux-olympiques.html
• Le 26 novembre 2016 : https://blogs.mediapart.fr/marc-perelman/blog/251116/en-finir-avec-les-jeux-olympiques
• Le 11 juillet 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=YYgy2lEbFmc (film Data Gueule, environ 450 000 vues)
Ouvrages de Marc Perelman (seul ou en collaboration), sélection
• Quel corps ? (en coll.), Paris, François Maspero, « Petite collection Maspero », 1978
• Le Stade barbare. La Fureur du spectacle sportif, Paris, Mille et une nuits, 1998
• Le Football, une peste émotionnelle (avec Jean-Marie Brohm), Paris, Gallimard, « Folio Actuel », 2006, 2011 (trad. esp. 2018)
• Le Sport barbare. Critique d’un fléau mondial, Paris, Éditions Michalon, 2008. Réédition (2012) sous le même titre entièrement refondue (trad. angl., ital., esp., coréenne, slovène)
• Le Livre noir des J.O. de Pékin. Pourquoi il faut boycotter les jeux de la honte (avec Fabien Ollier), Saint-Victor-d’Épine, City Éditions, 2008
• L’Ère des stades. Genèse et structure d’un espace historique (psychologie de masse et spectacle total), Gollion (Suisse), Infolio éditions, 2010
• Le Corbusier. Une froide vision du monde, Paris, Éditions Michalon, 2015 (trad. esp. 2018, perse (farsi) 2021)
• Smart stadium. Le stade numérique du spectacle sportif, Paris, Éditions l’Échappée, 2016
• 2024. Les Jeux olympiques n’ont pas eu lieu, Bordeaux, Les Éditions du Détour, 2021
• Football, la défaite des intellectuels, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2022