Le premier village olympique, celui des Jeux olympiques rénovés par le baron Pierre de Coubertin, est construit pour les Jeux de Paris de 1924 (4 mai-27 juillet, les JO se sont étalés sur presque 3 mois) sur un site appartenant à la ville de Colombes. À ce moment-là sont élevés une soixantaine de baraquements en bois, tous temporaires ; ils furent démontés après les JO et ne laissèrent aucune trace.
On y trouvait un bureau de change, un salon de coiffure, un bureau de poste, un kiosque à journaux, un service de blanchissage et un service de garde des objets de valeur. Plusieurs repas étaient offerts par jour pour environ 3 000 athlètes. Depuis cette date, la ville organisatrice est en effet tenue « de fournir aux athlètes des logements, les objets de couchage et la nourriture, à un prix forfaitaire qui devra être fixé préalablement par tête et par jour », selon la règlementation mise en vigueur par décision de la session du CIO réunie à Rome en 1923 au cours de laquelle Pierre de Coubertin définissait l’« idée olympique moderne » en ces termes : « Joie des muscles, culte de la beauté, travail pour le service de la famille et de la société, ces trois éléments unis en un faisceau indissoluble… ».
À la page 78 de la dernière mouture de la Charte olympique (15 octobre 2023), il est précisé que « dans le but de réunir dans un même lieu tous les concurrents, officiels et autre personnel d’équipe, le COJO mettra à disposition un village olympique pour une période déterminée par la commission exécutive du CIO. […] Le COJO organisera un programme de manifestations culturelles qui doit couvrir au moins toute la période d’ouverture du village olympique. Ce programme sera soumis à l’approbation préalable de la commission exécutive du CIO ».
Par ailleurs, « un grand nombre de drapeaux olympiques devra flotter dans le village olympique, dans tous les lieux de compétition et d’entraînement, dans toutes les villes où des événements des Jeux Olympiques ont lieu et sur tous les sites, lieux et endroits placés sous la responsabilité du COJO » (p. 99).
La vraie nature du village olympique
Le village olympique se veut d’abord symboliquement la contribution spatiale à la Trêve olympique mise en œuvre une semaine avant le début des JO et une semaine après la fin des Jeux paralympiques. Le vocable « village », certes a priori sympathique et avenant, est pourtant trompeur. Historiquement, un village est une agglomération rurale qui rassemble quelques familles autour d’une offre de services et d’une vie communautaire pérenne.
Or, le village olympique – sans maire ni conseillers municipaux – ne rassemble dans un même lieu que des athlètes supposés former une communauté universelle alors qu’elle ne représente, de fait, que celle du monde du sport, sa petite fraction qui a été qualifiée pour concourir aux JO. Ces mêmes athlètes, dans un récent « manifeste », disent d’ailleurs n’aspirer qu’au confort d’un village « accueillant pour performer » et « visionner les compétitions ensemble » en « sirotant un smoothie »…
À partir des JO nazis de Berlin 1936, la construction des bâtiments n’est plus provisoire ; on construit en dur. Les villages se transforment en quartier de ville au cours de travaux qui font suite aux Jeux olympiques. À l’exception notable des JO d’hiver de Lake Placid en 1980 où le village se transforme en prison… Certains y ont vu un symbole.
Depuis les JO de Munich en 1972 et la prise d’otages d’athlètes israéliens et leur assassinat, l’accès au village est sécurisé : seuls les athlètes (et leurs entraîneurs) peuvent entrer et sortir.
Pour Paris 2024, des agents de sécurité accompagneront les athlètes israéliens et sans aucun doute aussi américains et d’autres plus discrets, même si les responsables du COJO et du CIO ne disent mot sur ce sujet délicat.
Comme l’explique Laurent Michaud, le directeur du village olympique, « Nous prenons les mesures de sécurité qui sont nécessaires au sein du village pour garantir la quiétude des athlètes. Mais en effet, nous savons de quelle manière est-ce que nous affectons ces délégations au sein du village, et le travail se fait en bonne collaboration avec chaque comité. Pour que tout le monde se sente en pleine sécurité dans le village ».
On imagine que le Comité national olympique israélien sera éloigné du Comité olympique palestinien, de même celui d’Ukraine de la délégation russe (même placée sous bannière olympique). Où loger les iraniens, les syriens, les libanais, les coréens, les chinois de Chine populaire et ceux de Taïwan, etc. ?
Comme on le constate, la géopolitique des nations impose directement l’organisation du village olympique comme celui-ci réfracte la géopolitique mondiale (les athlètes ne sont pas mélangés ; ils sont regroupés par délégation nationale ; les drapeaux de chaque pays sont installés sur les balcons des appartements mis à leur disposition) représentant la carte sportive des délégations des nations engagées pour les JO.
Ce que prétend la Charte olympique dans son 2e principe, extrait de ses « Principes fondamentaux de l’Olympisme » – « Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine » – est largement contredit par les faits qui sont têtus et peu appréciés pour ce qu’ils sont, en quelque sorte invisibilisés par la puissance du sport. Car on est bien loin de l’universalisme supposé du sport et systématiquement mis en avant par le CIO. On est tout autant aussi éloigné du rapprochement des peuples grâce à l’olympisme et au sport. Le village olympique cristallise les conflits entre nations, ne les adoucit nullement, et au contraire les accroissent dans le cadre de la rivalité sportive.
Et que dire du principe numéro 5 : « L’esprit olympique exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play » ? Mais où est donc l’« esprit olympique » dans le village olympique ? Le village olympique suscite-t-il, comme le prétend la propagande, une volonté générale de se rencontrer entre athlètes ? Quelles sont les vraies rencontres ? Les vraies rencontres ont plutôt l’air de se dérouler dans les chambres et plus précisément encore sur les lits (en carton) pour des compétitions d’un autre ordre et peut-être d’une autre intensité que sportives.
Ce sont en effet près de 200 000 préservatifs masculins et 20 000 féminins (où est la parité ?) et 10 000 digues buccales ou digues dentaires qui sont prévus, un chiffre qui n’atteint toutefois pas le record de Rio en 2016, qui s’est élevé à 450 000 ! De quelle compétition nous parle-t-on ? Les préservatifs seront acheminés vers le village olympique afin de, sans doute, protéger nos champions de toute contamination pour le coup sexuelle et non pas politique. Ceci rappelant cela, depuis les JO de Los Angeles (1984), les femmes partagent le village olympique avec les hommes. La plupart du temps, une fois leur compétition terminée, les athlètes quittent le village olympique avec ou sans médaille. Ils y sont restés le temps de la seule compétition. Ils ne s’y attardent pas. Il n’y a littéralement rien à y faire.
Du fait de l’échelle et de la dimension presque anormale du bâti – de grandes masses de béton, des bâtiments très élevés (entre 10 et 20 étages, parfois plus) –, le terme de « village » est inapproprié et rend pour le coup ridicule cette appellation. Le CIO maintient pourtant cette dénomination (également appelée le « village des athlètes ») fictive sinon fallacieuse. Quant à leur évolution juste après les JO, il faut savoir que le village olympique d’Athènes (2004) a été abandonné dans le même moment que la crise économique du pays. Comme ceux de Turin (2006), de Rio (2016). Celui de Berlin, dès 1936, est occupé par l’armée allemande jusqu’en 1945 (sur la genèse et le devenir de quelques villages olympiques, lire ci-après).
À partir des JO d’Athènes de 2004, au cœur du village olympique, sera élevé un « mur de la Trêve » sur lequel les sportifs, politiques et autres personnalités apposent leur signature. Le message envoyé est celui de la paix, de l’amitié entre les peuples, du développement durable, de la coopération, de la solidarité, de l’équité, de l’inclusion sociale, du partage, de la tolérance, et je dois en oublier… Bref, sans aucun doute de magnifiques valeurs… mais jamais respectées dans les faits. Car, quand bien même le CIO met en avant un « village », une « trêve » ou encore un « mur »… cela n’a pas empêché l’armée russe d’occupation de repousser l’assaut de la Géorgie en Ossétie du sud (2008, JO d’été de Pékin), une région géorgienne mais russophile (avec des troupes russes sur son territoire) et de partir à l’assaut de l’Ukraine (2014-2022, JO d’hiver de Sotchi et de Pékin, et ce précisément pendant la « Trêve » et pendant que ses propres athlètes apposaient leur signature appelant à la paix sur le mur de la trêve au cœur du village olympique…
Les murs de la trêve à Pékin et Sotchi.
Que va-t-il se passer à Paris ?
Dans son discours du 21 novembre 2023 à la tribune de l’ONU, Tony Estanguet (Président du COJO) faisait du village olympique, le lieu « où cohabitent pacifiquement des milliers d’athlètes venus du monde entier, [… il] est l’incarnation la plus symbolique de l’universalité des Jeux. C’est un lieu où quels que soient sa nationalité, son genre ou sa couleur de peau, il est possible de vivre en harmonie et dans le respect des autres. Le Village, c’est l’humanité réunie en un lieu, dans toute sa diversité.
À l’instar de cette Assemblée générale des Nations Unies dont vous êtes les dignes représentants, le Village et ses athlètes contribuent à démontrer qu’un monde meilleur est possible. […un] espace de fraternité […et] des moments de partage, de découverte, d’échange avec des athlètes venus de tous les continents […] » L’« humanité » dont nous parle Tony Estanguet, et heureusement pour nous tous, ne se réduit pas aux seuls sportifs ; le caractère a priori pacifique du village permet de dissimuler la violence réelle du monde ; enfin l’« universalité » dont on nous rebat les oreilles est celle, étroite et limitée, de la compétition généralisée et non celle des Lumières et de la Raison ; plusieurs délégations d’athlètes de pays en guerre seront accompagnées d’hommes armés (officiers de sécurité israéliens ; les américains ayant toujours eu des hommes armés accompagnant leur délégation). Le CIO précise sans préciser : « Les dispositions sécuritaires pour les JO relèvent de la responsabilité des autorités locales et sont mises en œuvre en fonction du contexte de chaque édition des Jeux », a-t-il été répondu à l’AFP.
Que font les athlètes dans le village olympique ? Outre leurs ébats, les athlètes passent leur temps sur des vidéos ou à s’entrainer en vue de leur prochaine compétition. Parler ainsi d’« échange », de « découverte » ou encore de « partage » entre les athlètes relève du canular ou de la plaisanterie. Le village olympique, autocentré, est avant tout un espace de rassemblement, de concentration et surtout de préparation de l’élite sportive souvent professionnelle qui vient pour gagner, à tout prix. Le seul objectif de cette toute petite fraction de la jeunesse du monde est – en toute « fraternité » – la victoire, autrement dit décrocher l’or (la prime « or » est d’un montant de 50 000 €), dans le cadre d’une compétition sans merci, et bien loin de visites dans Paris ou au Louvre pour admirer La Joconde ou nos monuments historiques. Y a-t-il dans le village olympique, pour des athlètes qui seraient en recherche de culture, des bouquinistes ? des livres ? une bibliothèque ? des expositions d’art ? des orchestres de musique ? Autrement dit une vie culturelle digne d’un village [1].
Les précédents villages olympiques : genèse et devenir
Barcelone (1992)
Au départ, c’est une immense zone industrielle pauvre et polluée d’environ 40 ha qui va se transformer en un quartier mixte avec l’édification de grandes tours de bureaux, des hôtels (architectes Bruce Graham et Frank Owen Gehry) et des immeubles résidentiels de standing sous la houlette des architectes Oriol Bohigas, Josep Martorell, David Mackay et Albert Puidomènech. On parlait déjà du Grand Barcelone. De fait, c’est tout l’ancien quartier de Poblenou, à proximité de la mer, qui bénéficiera d’un tiers du coût global des aménagements olympiques, dont le village olympique qui est englobé dans ce dernier (2 500 logements). Tout cela entraînera la destruction de très nombreux immeubles et des usines pour la plupart en friche suite à la désindustrialisation des années 70 et 80. Les JO ont coûté cinq fois plus que ce qui était initialement prévu. Les JO ont métamorphosé Barcelone et l’ont transformée en la 6e ville la plus touristique au monde. Barcelone subira d’ailleurs une bulle spéculative avec des prix du logement qui entre 1986 et 1992 auront augmenté d’environ 250 %. Celle-ci a entraîné un exode massif des populations autochtones, environ 60 000 personnes. Dans le même temps, la construction de logements sociaux s’arrêtait nette.
Barcelone a, pour le coup, perdu son esprit libre et créatif où les noms d’Hemingway, Dalí ou Picasso étaient préférés à ceux des champions olympiques. « La vieille ville et le front de mer de la Barceloneta représentaient avant les Jeux la Barcelone typique, un peu ringarde mais pleine de vie. Les intellectuels d’Amérique Latine comme García Marquez venaient à Barcelone pour ça. Les mouvements anarchistes espagnoles prenaient aussi vie ici. Tout ça a disparu avec la réforme urbaine des Jeux olympiques. Mais ce n’est qu’un petit désagrément par rapport à tout le bien que cela a fait à la ville », conclut sans regret l’urbaniste Jon Montero, qui a participé à l’« aventure », autrement dit la destruction de l’ancienne structure de la ville abandonnée (friche industrielle, usines, habitations populaires) remplacée par des immeubles de haut standing (les plus recherchés de Barcelone) et un équipement hôtelier de prestige accélérant la mainmise touristique.
Considéré comme le nec plus ultra de tous les projets liés à des JO, un modèle à ce-jour indépassé, le village olympique de Barcelone (et ses équipements sportifs) cristallise avec perfection ce nouveau capitalisme qui associe la destruction de l’ancien et son remplacement par le luxe (capitalisme traditionnel) et par la mise en œuvre rapide et agressive du tourisme de masse (capitalisme contemporain).
Pékin (2008)
Le slogan du comité de candidature de la ville de Pékin l’avait annoncé très clairement : « Un nouveau Pékin, de grands Jeux olympiques. » À partir de 2001, les bulldozers, les grues et deux millions de travailleurs migrants (les mingong) ont envahi de nombreux quartiers peuplés, très pauvres, et tout particulièrement les hutongs en vue de les démolir (sans doute 1 million de personnes ont été déplacées au moment des JO). Les dirigeants du Parti communiste ne s’embarrassent pas de grands sentiments. On tue l’âme de Pékin en la remplaçant par une architecture de tours de bureaux et de résidences de luxe surveillées et par un urbanisme de larges avenues bourrées d’automobiles, de parkings et de centres commerciaux étalés à l’infini. Tant l’architecture que l’urbanisme se sont déployés dans le cadre d’une économie capitaliste que l’on peut qualifier de sauvage – sans foi ni loi. Le régime dictatorial la désigne sous le nom poétique d’« économie de marché aux couleurs socialistes de la Chine ». Dans la perspective des JO, on a donc rasé des dizaines de milliers d’échoppes et des maisons traditionnelles. Ce sont près de 4 000 hutongs – un lacis de ruelles et de cours avec des habitations basses – qui ont donc été démolis. 30 000 foyers ont été expulsés. Record olympique !
La tour « village » olympique de Pékin.
La ville chinoise nouvelle et le village olympique n’ont rien à envier à nos propres hlm. Les hutongs détruits ont laissé place à une ville tracée au cordeau, rectiligne, orthogonale bien éloignée de l’originalité de l’habitat traditionnel, héritage certes lointain mais encore présent de l’époque Ming. Face aux masses urbaines comparables à nos banlieues occidentales sans vie, mais à une échelle d’étendue bien supérieure, les objets d’architecture, les lieux du sport constituent les nouveaux pôles d’attraction de la ville, ses pôles d’aimantation, les signes visibles d’un Pékin entrant de plain-pied dans le XXIe siècle. Les édifices sportifs, accompagnés de quelques lieux de culture isolés sur des territoires sans fin de bâtiments souvent construits à l’identique, matérialisent désormais le renouveau de la capitale chinoise à la face du monde.
Londres (2012)
À partir de 2007, la London Development Agency (LDA) entreprend de nettoyer une partie de Stratford (quartier ou faubourg ou morceau de banlieue à l’est de Londres). Deux tours sont détruites abritant près de 1 000 résidents ; plus de 400 étudiants sont expulsés par l’Université ; 250 commerces ont été déplacés. Ceux qui résistèrent le plus et le mieux furent les jardiniers du Manor Garden Society Allotments (des jardins familiaux). Les prix immobiliers autour du parc olympique augmenteront d’environ 30 %. Création de l’immense centre commercial Westfield qu’il faut traverser de part en part pour parvenir au parc olympique…
Les Jeux olympiques de Londres, comme ceux de Barcelone, ont été pensés à l’aune d’un changement urbain en profondeur avec la régénération de cinq boroughs défavorisés situés à l’est de la capitale. Comme pour Barcelone le marché immobilier, avant même la construction et l’aménagement du site, a été immédiatement à la hausse. Après les JO, entre 2012 et 2016, le prix des logements dans les quartiers en proximité des sites olympiques, a augmenté de plus de 50 %, supérieur à celui de Londres. Entre 2005 et 2016, l’augmentation toujours dans les zones limitrophes, a atteint un sommet à 112 %. Dans le village olympique, ce sont 2 818 logements qui ont été mis sur le marché, à égalité de nombre entre prix « abordables » et prix de marché. Du fait de la difficulté à vendre les logements bon marché, le nombre de logements à des prix « abordables » a été diminué à environ 30 %. Et les prix de vente des logements – y compris les prix « abordables » – sont restés quatre fois plus élevés. Impossible à acheter pour les habitants de ces quartiers ; sa population quitte Startford remplacée par une population à fort revenus, accélérant le processus de gentrification de ce territoire de Londres.
Il y a un auteur anglais qui a fort bien analysé le processus de gentrification due aux Jeux olympiques. En écrivant Londres 2012 et autres dérives (Paris, Manuella éditions, 2011), Iain Sinclair, constatait que « de Berlin en 1936 à Pékin en 2008, les Jeux olympiques ont toujours été l’escroquerie par excellence. Des machines à lancer la rénovation urbaine. Des orgies de nationalisme larmoyant. La guerre par d’autres moyens » (p. 19).
Rio (2016)
Le choix de Rio en tant que ville hôte des Jeux olympiques d’été (2009) correspond au moment où le Brésil connait un très fort démarrage de son activité économique dans le cadre d’une autre compétition internationale, la Coupe du monde de football de 2014. Les prix de l’immobilier vont exploser, avec une hausse mesurée par l’indice brésilien Fipezap de 234 % !
C’est dans le contexte, et suite à une rapide et profonde crise économique, d’un retournement violent du marché en 2015 que le village olympique est reconverti en logements de haut standing. Les 31 immeubles du village olympique ont été transformés en 3 604 appartements de standing. Fin 2017, suite à la baisse des prix de l’immobilier dans la ville de Rio, seulement 10 % des appartements avaient été mis en vente.
D’après les données officielles, les autorités ont déplacé 22 059 familles qui habitaient dans les favelas à Rio de Janeiro (un appartement avec vue sur une favela pouvait justifier une différence de 50 % avec un appartement sans vue dans le même immeuble). La Reserva da Maranpendi a été déclassée afin d’autoriser la construction d’immeubles résidentiels et d’un parcours de golf…
Qu’en est-il du village olympique de Paris 2024 ? Son devenir de quartier urbain ?
Le village olympique est implanté sur les trois communes de Saint-Denis, de L’Île-Saint-Denis et de Saint-Ouen dans le département de la Seine-Saint-Denis, le plus pauvre de France. Il est tout à fait représentatif d’une certaine vision de la ville souhaitée par l’ensemble des décideurs et autres politiques, gauche et droite confondues : la destruction de l’ancien ou sa rénovation luxueuse ; la construction avec des matériaux et des techniques supposés écologiques (le bas carbone est controversé) et biosourcés (la filière bois) ; la réversibilité très couteuse et controversée des logements (pour transformer les chambres aménagées pour des athlètes en des appartements T1-T4) ; la densification des espaces par le biais d’une architecture massive et tramée comprimée dans une trame urbaine à damier unidimensionnelle qui s’élève parfois jusqu’à 37 m de hauteur ; l’étroitesse des espaces (les prospects) entre la trentaine de blocs d’habitation quasi identiques à la couleur des façades près ; des prix de vente au m2 – au départ à hauteur de 7 500 €, les prix ont été revus à la baisse, aujourd’hui ils sont à 6 900 €/m2 et seront sans doute encore rabotés – qui restent inaccessibles à l’achat pour les autochtones.
Bref, une vision de la ville indexée au pire néolibéralisme qui se matérialise ici dans des masses compactes d’une architecture – des monolithes colorés et tapissés de vert (balcon, toiture…) – d’une grande pauvreté plastique, réalisées, il est vrai, en deux fois moins de temps qu’un chantier ordinaire. Il y a là certes une prouesse technique doublée donc d’une forte réduction du temps du chantier. Mais pour quoi faire ? et pour qui ? quels habitants ? pour quelle architecture et pour quelle ville ?
Par ailleurs, la technologie a sa propre esthétique. La technologie massivement employée (80 % des bâtiments sont à ossature bois) pour la construction des grands bâtiments du village olympique oblige à une certaine standardisation et à une certaine uniformité des espaces et des silhouettes des bâtiments. En cause le principe poteau-poutre (souvent lamellé-collé) systématisé, l’utilisation de l’ossature et de façades bois qui, sur des bâtiments de grande hauteur, poussent à la linéarité des surfaces et à l’unidimensionnalité des volumes.
On perçoit ces caractéristiques esthétiques dans les profils des bâtiments lissés, nettoyés de toute ornementation, les façades de verre abondantes encadrées par le végétal, voire parfois même envahies par lui, permettant de mieux les dissimuler (larges ouvertures jusqu’aux baies vitrées de la modernité triomphante, balcons filants…). L’urbanisme qui en résulte est proche de celui des années 60 (pas loin de l’urbanisme de dalle si décriée). On a sous les yeux des plots de bâtiments sans aucune expression plastique, une sous-esthétique fonctionnaliste comme Le Corbusier en aurait rêvé. [2].
Pour le futur proche, le village olympique est appelé à devenir un quartier de ville avec la création de 2 800 logements dont environ 25 % de logement sociaux et l’arrivée de 6 000 habitants, l’implantation de bureaux, de commerces, de groupes scolaires, de crèches, la création d’une gare (Saint-Denis Pleyel) [3] Le village olympique répond à une volonté politique croisée (mairie de Saint-Denis, COJO, État) de gentrification rapide et massive : le maire socialiste de Saint-Denis souhaite plus de CSP+ (cadres supérieurs, entre autres) ; Stéphane Troussel, le président du département de Seine-Saint-Denis aspire à une plus grande mixité sociale.
Il s’agit pour « Paris 2024 » et la Solideo (Société de livraison des équipements olympiques), sous la houlette de l’architecte en chef Dominique Perrault, et pour ce morceau de ville, de l’« adapter […] au climat de 2050 ». On apprend avec beaucoup d’intérêt que « l’urbanisme assure le rafraichissement naturel des bâtiments de façon à rendre confortables les habitations en été, notamment grâce à une architecture qui favorise la circulation de l’air entre les bâtiments ». A priori, pourtant, c’est toujours l’inverse que produit l’urbanisme : augmentation des températures en ville par rapport à la campagne et donc réchauffement climatique global. On veut ainsi nous faire croire que cet urbanisme massif pourvu d’une architecture similaire fera revenir « les insectes et les oiseaux ou encore [que des] de clôtures perméables [favoriseront] le passage de la petite faune…) » favorisant la biodiversité et que ressuscitera alors une nature pourtant ensevelie sous le béton grâce à des matériaux biosourcés à l’instar principalement du bois utilisé comme ossature des bâtiments. Et, que – citius, altius, fortius – les 8 876 arbres et arbustes plantés contribueront à « respecter la trajectoire de la neutralité carbone », alors que la Seine-Saint-Denis et plus largement l’Île-de-France sont noyées sous une chape de béton (pas seulement le bâti mais toute l’infrastructure routière).
Nombre d’arbres (platane, peuplier, certains chêne et saule) et leur orientation vis-à-vis de la course du soleil augmentent la pollution. L’annonce de la création d’un « parc urbain » (bel oxymore) de 7 ha (fractionné en trois parties), présenté comme un « poumon vert », a été remise en cause par certains habitants qui ont remarqué que des constructions nouvelles (côté parc Ampère) qui sortiront de terre après la fin des Jeux olympiques, transformeraient celui-ci au mieux en un grand square ou pire en une allée arborée. Autrement dit, on est bien loin du parc annoncé ! Quoiqu’il en soit, comment peut-on imaginer que jaillira une nature vivante, foisonnante, voire giboyeuse, dans ce morceau de ville alors que la Seine-Saint-Denis est entre autres l’un des départements les plus pollués de France en particulier aux particules fines ?
D’autant plus que ce parc urbain sera labouré par les coureurs à pied peu attentifs à ce qui se passe sous leurs crampons… On retrouve là le mythe de la « forêt urbaine » chère à Madame Hidalgo. Faire venir "la nature" dans la ville alors qu’elle n’y a jamais eu sa place et que ce n’est pas sa place.
Selon la Solideo, toujours elle, « avec environ 7 hectares d’espaces verts, la nature occupera une place essentielle au sein du Village des athlètes. Un véritable parc urbain, des îlots paysagers ou encore les berges de Seine réaménagés offriront ainsi des lieux de promenades, de détente et de loisirs. Le Village des athlètes incarnera l’urbanisme du XXIe siècle grâce à sa performance énergétique, sa neutralité carbone et une forte valorisation de la biodiversité. Son aménagement est également imaginé pour favoriser le “vivre ensemble” et le développement d’une société inclusive, prenant en compte la diversité des besoins de chaque citoyen et notamment des personnes en situation de handicap. » Magnifique résumé du projet de ville sous la forme d’un kit idéologique à toute épreuve…y compris olympique.
Un Village saturé de capteurs et cheval de Troie de la spéculation
Qu’en est-il vraiment des révolutions technologiques que l’on nous cesse d’annoncer et en particulier celle de la mise en œuvre du béton nouveau, le dit « bas carbone » ? Ce dernier est plutôt un béton moins carboné – c’est toujours du béton. Il faut entrer ici dans une explication un peu technique. Le poids carbone du béton est lié au poids carbone du ciment qui le compose qui est lui-même lié au clinker. Le clinker est un matériau hautement toxique, le principal constituant du ciment Portland. Si bien que la réduction du bilan carbone des bétons dits justement « bas carbone » oblige à la substitution d’une partie du clinker du ciment par du laitier de haut-fourneau. Le laitier est un « déchet » de l’industrie de fabrication de l’acier. Les cimentiers remplacent du clinker très émissif par du laitier proche de 0. Bref, au final, le béton « bas carbone » pourrait revendiquer un gain de 35 % sur le béton classique (avec clinker). Pas de quoi se réjouir vraiment d’autant que les cimenteries représentent 7 % d’émissions totales de gaz à effet de serre et ce à l’échelle de la planète.
De plus, l’utilisation irraisonnée durant toute la période moderne du béton participe de l’épuisement des ressources de sable dans le monde, enjeu lui aussi d’une grande bataille entre les États comme avec les matières premières nécessaires à l’informatique (ordinateur, portable). [4] Encore une fois, la logique du bétonnage entraîne des émissions importantes de gaz à effet de serre pendant la production du ciment nécessaire à la fabrication du béton et pendant toute la durée des chantiers. Il contribue à la destruction des sols naturels. Le bétonnage entraine la création d’îlots de chaleur que le seul village olympique ne pourra pas résorber.
Enfin, la propagande olympique, un long empoisonnement, nous précise que « les bâtiments sont conçus pour être peu énergivores et consommateurs d’énergie propre grâce notamment au recours à la géothermie et aux panneaux solaires ». Les bâtiments seront au contraire très énergivores car, en surface comme en profondeur, ils sont indexés à leur numérisation, contraints par elle, afin de contrôler les flux et réseaux urbains – eau, gaz, électricité, wifi, télécommunications, trafic, déchets, pollution, etc. – et la sécurité des habitants par le truchement, entre autres, de capteurs électroniques et autres puces RFID (Radio Frequency Identification) entraînant des coûts énergétiques très lourds (collecte et production des données). Tous les bâtiments du village olympique sont conçus avec l’Internet des objets (Iot). Dès le début du chantier du village, une myriade de capteurs a été installée afin de mesurer le bruit et tenter d’éviter les nuisances sonores ; il en a été de même au niveau de la qualité de l’air avec des capteurs météorologiques.
Dans les bâtiments, d’autres capteurs ont été installés afin de mesurer les écarts de température entre l’intérieur et l’extérieur en été. Ce n’est pas fini. Des capteurs, dans le cadre de cinq innovations, ont été installés dans le village olympique en particulier par l’entreprise Aérophile (vous savez le ballon dans les airs de Paris). Cette société propose des ombrières, présentées comme des « fontaines d’air pur » abritant les passants, les éclairant la nuit et surtout permettant de dépolluer l’air (à 95 %)… contrôlées à distance via l’Internet des objets. La plupart de ces technologies de la smart city interviennent à partir du constat de pollution, jamais en amont. À l’instar de la société Emulithe qui a mis au point un système de recueil des eaux pluviales, d’abord stockées, puis servant à rafraichir le village en fonction des capteurs météorologique dont j’ai parlé auparavant, par le biais de serpentins qui réinjectent l’eau via des pavés drainant et rafraichissants. Et tout est l’avenant. On multiplie les capteurs et donc, tout en amont, il faut l’énergie nécessaire à les faire fonctionner par le biais de data centers, de terminaux de stockage toujours plus assoiffés d’énergie associés à l’Internet des objets.
Le secteur du numérique – ce sera le cas du village olympique – est très consommateur d’énergie et participe à hauteur de 4 % des émissions de gaz à effet de serre (un chiffre qui va doubler d’ici 2025). Ces data centers consomment beaucoup d’électricité pour leur fonctionnement et pour leur refroidissement (certains pays les installent dans les régions polaires ou sur l’eau…). En clair, pour lutter contre la pollution on pollue davantage.
Après l’analyse de la nature du projet de village olympique, doit-on se réjouir de cette création et croire en l’héritage en termes de quartier de ville, une forme urbaine qui s’insèrerait presque naturellement dans le département de la Seine-Saint-Denis ? On doit plutôt y reconnaitre le cheval de Troie de la spéculation immobilière qui a trouvé avec les JO à la fois un tremplin et le magnifique terrain de son expansion – et cela sans contestation majeure.
Notre précédent article sur le village olympique est à lire ici.
Celui sur le devenir du quartier Pleyel et l’héritage ici.
Les entretiens avec Marc Perelman sont à lire ici et ici.
L’article du quotidien Le Monde sur le village est à lire ici.