« L’avis des habitants et des collectifs, exprimé dans les phases de concertations officielles, n’a pas été pris en compte ». Entretien avec le comité Vigilance JO 2024.

, par La Rédac’

Le Blog de Saint-Denis a souhaité interroger le comité Vigilance JO 2024, à quelques mois du début de l’événement, afin de faire le point sur la manière dont il s’est emparé du dossier des Jeux Olympiques et paralympiques. Le comité revient à cette occasion sur son rôle de lanceur d’alerte, de suivi des promesses d’« excellence environnementale », d’« inclusion », formule des revendications précises d’ici l’ouverture des Jeux et invite les Dionysien.nes à le rejoindre le 9 octobre à 19h à la Bourse du travail.

– Comment et quand s’est constitué le comité Vigilance JO 2024 ?  
Le comité de vigilance existe depuis le 25 septembre 2017, date de sa première réunion, soit quelques jours après l’attribution officielle des JOP à Paris.
L’idée était venue pendant l’été 2017 entre plusieurs membres d’associations diverses quand nous avons compris que les transformations pour Saint-Denis allaient être de grande ampleur et qu’il fallait absolument suivre ce qui allait se produire pour notre ville.

– Un débat pour ou contre les JO a-t-il eu lieu au sein du comité ? En quels termes s’est-il posé ? Comment a-il été tranché ?
Les premières réunions ont immédiatement été l’objet de débat sur ce point. En réalité, les différents participants avaient des objectifs et des positionnements variés, ce que nous comprenons et respectons. Très vite (en 2 ou 3 mois), ce qui a fait consensus, c’est l’inquiétude autour de l’héritage annoncé pour Saint-Denis. Assez rapidement, nous avons décidé de laisser de côté cette question pour avancer sur les questions précises, accumuler des connaissances et des matériaux pour préparer nos argumentaires et nos futures actions et pouvoir interpeller les responsables efficacement si nécessaire. Car il y avait beaucoup à faire.
Des collectifs ouvertement anti-JO existent. Et certains de nos membres font partie de plusieurs collectifs. Donc tous les positionnements sont possibles au sein du comité.

– Quels objectifs ont été définis pour le comité Vigilance JO 2024 ?
Le premier objectif est de collecter et de diffuser l’information. La gouvernance – autrement dit, la manière dont les JOP sont organisés et gérés – est extrêmement complexe : les acteurs sont très nombreux et les dispositifs légaux aussi. C’est souvent incompréhensible.
C’est pourquoi nous avons participé à toutes les réunions d’informations et de concertation. Nous avons créé un compte Facebook et twitter pour diffuser ce que nous trouvions et alerter si besoin.
Nous avons participé aux enquêtes publiques en épluchant les dossiers et en formulant des avis.
Nous avons organisé plusieurs balades urbaines appelées toxic tour pour permettre aux participants de prendre la mesure des problèmes sur le terrain et plus occasionnellement des manifestations, notamment autour de l’échangeur Pleyel.
Actuellement, nous sommes très sollicités par les médias de France et de l’étranger qui veulent comprendre. Cela nous prend beaucoup de temps.

– Quel bilan tirez-vous à moins d’un an maintenant de l’ouverture des Jeux ?
Depuis la phase de candidature, le comité d’organisation (COJO), la Société de livraison des ouvrages olympiques mais surtout les élus locaux ont misé sur une communication uniquement positive : « excellence environnementale », « accélérateur de transformations », « inclusion »….
Nous pouvons examiner ces promesses d’héritage successivement : pour « l’excellence environnementale » : le comité dénonce une vision technique de l’écologie (matériau bas carbone, énergies renouvelables) au détriment de l’environnement que l’on peut définir comme le cadre de vie. Par exemple, comme l’a montré l’enquête publique, l’échangeur Pleyel va ajouter du trafic routier (15 000 à 20 000 véhicules jour autour de l’école Anatole France), du bruit et de la pollution au cœur du quartier Pleyel.
En ce qui concerne l’inclusion sociale annoncée : dans le dossier de candidature, il était prévu 40 % de logements sociaux dans le village des athlètes. Ce taux est passé à 25 % à partir de 2020. Et encore, dans ces 25 %, il faut compter les résidences étudiantes et peut-être l’accession sociale à la propriété. Le taux de PLAI (53 % des demandeurs sur Plaine Commune en 2018 selon l’APUR) n’est pas précisé. Il sera sans doute très faible. Du reste, les prix de sortie à l’achat (7000 euros du m2 dans le bâtiment Apogée situé pourtant le long l’A86) sont prohibitifs. Autrement dit, la plupart des nouveaux habitants ne seront pas issus du 93.
Sur l’emploi et l’insertion, le pré-rapport parlementaire de Stéphane Peu a pointé que la mission d’insertion a été déléguée à une filiale de Randstad (sponsor des JO) alors que le centre de formation du bâtiment est à Saint-Denis, que le niveau réel de recours au TPE/PME est très faible (4 à 6%). La plupart des emplois proposées sont faiblement qualifiés et temporaires. Peu de cadres de Paris 2024 sont issus du 93.
Sur l’aspect démocratique et la transparence : l’avis des habitants et des collectifs, exprimés dans les phases de concertations officielles, n’a pas été pris en compte
Des recours contre les projets des JOP qui font le plus problème ont été déposés (échangeur Pleyel, piscine d’Aubervilliers, village des médias à Dugny, franchissement urbain Pleyel) : à chaque fois, les travaux ont été suspendus par le juge des référés pour des motifs environnementaux ou des problèmes légaux mais les travaux ont repris au motif de l’« intérêt général ». Les soupçons de favoritisme et de conflits d’intérêt au sein de Paris 2024 se multiplient (cf Canard Enchaîné)
Enfin, pour l’accès au sport : malgré les rénovations, le rattrapage annoncé pour la Seine-Saint-Denis n’aura pas lieu. Les infrastructures restent insuffisantes (la Seine-Saint-Denis reste le territoire le moins bien doté en France en matière d’infrastructures sportives, avec une moyenne de 16,2 équipements pour 10 000 habitants, contre 25 en Ile-de-France et 49,6 au niveau national.)
Concrètement, l’accès au centre aquatique olympique et à Marville restent à préciser : les créneaux scolaires achetés par la mairie seront-ils suffisants ? La piscine olympique sera-t-elle toujours accessible au public comme une piscine classique ?
On assiste à la multiplication de projets privés (Tony Parker academy) au détriment du sport associatif (on pense notamment à la crise que connaît le SDUS).

– Vous vous félicitez dans votre dernier communiqué d’une victoire remportée concernant le maintien du parc Ampère de 3 hectares sur le périmètre du Village, le maire présente cela de son côté comme son choix politique, n’est-ce pas l’explosion des prix de sortie des logements voulus par le maire lui-même qui change favorablement la donne financière pour les promoteurs et permet de revenir à la programmation initiale du parc ?
Honnêtement, on ne sait pas comment les décisions sont prises et ce qui motive vraiment les arbitrages. Il n’y a aucune transparence à ce sujet. Ce qui est certain, c’est que la SOLIDEO tenait à construire ces immeubles (peut-être pour avoir plus de rentrées financières) et que l’on n’a pas lâché pendant deux ans, avec des habitants du quartier Pleyel. Le Parisien a écrit un article assez critique en janvier 2023 suite à nos interpellations. Les choses ont commencé à bouger à ce moment-là.
Nous avons eu un rôle d’alerte sur ce point.

– Quels sont pour le comité, s’il en voit, les héritages bénéfiques des Jeux pour le territoire ? Lesquels souhaitez-vous ?
Nous sommes conscients que certains projets ont pu voir le jour avec les JO comme la passerelle reliant Saint-Denis à l’île Saint-Denis ou l’enfouissement des lignes haute tension.
Cela dit, les choses sont souvent en demi-teinte. Le mur antibruit sur l’A86 n’est construit que du côté du village des athlètes (et pas au nord). Un grand nombre de réalisations sont en réalité des impératifs qui n’ont jamais été pris en charge : la nouvelle passerelle entre le Franc Moisin et la Stade de France, financé par SOLIDEO, est une solution d’urgence trouvée parce que le pont tournant n’a jamais été réparé par la mairie de Paris. Si les JO le prennent en charge, tant mieux mais ce n’est pas un cadeau faits aux Dionysiens, car les travaux auraient dû être faits de toute façon.
Les investissements sont colossaux : le village des athlètes représente un investissement de 450 millions d’euros de dépenses publiques et 175 millions pour le centre aquatique. Sans compter des infrastructures annexes, comme l’échangeur Pleyel financé à hauteur de 95 millions. Ce niveau d’investissement est rare et ne se produira plus pour le 93. Or, on l’a vu peu d’habitant.es du 93 pourront se loger dans le village des athlètes, les créneaux du centre aquatique olympique pour les Dionysiens ne sont pas si étendus.

– Quels sont vos prochaines échéances de mobilisation et vos revendications dans l’immédiat ?
Nous invitons les Dionysiennes et Dionysiens à nous rejoindre le 9 octobre à 19h à la Bourse du travail, pour notre réunion mensuelle.
Nous verrons quelles sont les suites à donner. Nous envisageons d’autres toxic tour si possible et de nous organiser face à la très forte demande médiatique.

Dans notre dernier tract, nous formulons trois demandes précises (en plus de nombreuses demandes de clarification sur divers dossiers )
– des réunions de suivi, d’information ou de concertation pour l’avenir des sites JO, les décisions ;
– un observatoire indépendant de l’évolution du logement dans le village des athlètes et des prix du logement ;
– une ventilation mécanisée avec purification pour les locaux intérieurs de l’école Anatole France, du collège Dora Maar, de la crèche des Sonatines.. a minima au même niveau que celle prévue pour le village des athlètes.

Vous pouvez télécharger dans le portfolio le dernier tract du comité Vigilance 2024.

A lire ici l’entretien avec Marc Perelman, « L’argent, la violence, le dopage, le racisme sont devenus les éléments centraux, structuraux et consubstantiels au sport-spectacle ».