Décidément, « l’Ambition à gauche » prend de surprenants détours et, dans les faits, plutôt les chemins de traverse vers les plate – bandes occupées par les idées conservatrices…
Après avoir procédé à la privatisation d’une partie du service public des écoles, oublié de réagir à la mutation autoritaire des enseignants de l’école Pasteur, renoncé à la construction d’un nouveau conservatoire d’arts plastiques et appliqué au personnel communal, à la lettre, la loi Mc Kinsey De Monchalin rayant d’un trait de plume les quelques conquis sociaux des agents soumis depuis dix ans au gel du point d’indice, ne v’là t y pas que l’ineffable Mathieu Hanotin se préoccupe de l’aménagement du marché.
Le Marché de Saint Denis, ce cœur battant de la ville, trace encore bien vivante d’un passé ancien de foire médiévale qui occupait non seulement le centre – ville mais aussi une bonne partie de la Plaine Saint Denis, au cours de ce qu’on appelait il y a quelques siècles les foires du Lendit.
La voirie de notre ville en témoigne et la place du Caquet, la rue des Boucheries, celle de la Boulangerie, sans oublier l’école des Drapiers dans la Montjoie sont autant de traces de cette histoire.
C’est qu’au temps de Philippe Auguste ou de Louis IX (qui, malgré son antisémitisme virulent, est toujours appelé Saint Louis), l’abbaye de Saint Denis est particulièrement riche et qu’elle tire grand profit de foires régulièrement tenues dans notre ville, à l’instar des foires de Champagne, qui se réunissaient notamment à Provins et à Troyes.
Autant dire que ce n’est pas d’hier que l’activité commerciale anime notre ville.
Pour ce qui concerne le marché de centre-ville de très loin le plus important (celui de la Plaine, à proximité du terminus de la ligne 12, station Front Populaire, ne comptant qu’une dizaine d’étals le samedi matin, d’ailleurs présents sur le marché du Centre), nous sommes en présence d’un ensemble de 300 commerçants, dont le quart est abrité dans la halle principale réalisée en 1893 et rénovée en 2005, ce qui permet notamment de proposer un choix assez large de produits alimentaires frais de qualité à un tarif concurrentiel.
Comme chaque usager-e l’aura remarqué, les voies adjacentes et la place Jean Jaurès sont ouvertes à d’autres produits (habillement, chaussures, ustensiles de cuisine) et à l’alimentaire version fruits et légumes de manière générale.
La zone de chalandise du marché est évidemment son point fort puisqu’elle dépasse largement la seule ville de Saint Denis et même l’arrondissement, comme en témoigne la fréquentation des différentes lignes de tramway les vendredis et dimanches matins.
Je sais ainsi que des Parisiens viennent dans notre ville, ne serait – ce que parce que le prix de la coriandre fraîche y est probablement le plus faible de l’Ile de France.
Car là se situe tout de même l’avantage comparatif du marché de Saint Denis, à savoir le prix relativement modique d’une bonne part de ses produits, la halle proposant entre autres, au moment de la « remballe » la livre de poisson à cinq euros sans parler du rôti de bœuf aux alentours des 15 euros.
La pratique du marché forain, maintenue avec une certaine vigueur par notre Marché de Saint Denis, est évidemment durement concurrencée par celle des grandes surfaces et souffre, notamment, de ne pas disposer d’une « habitude » de fréquentation parmi les plus jeunes.
Elle est aussi globalement en recul dans de nombreuses localités où les flux de relations sociales se sont peu à peu écartés des cœurs de ville.
J’ai ainsi vécu quelques temps dans une petite ville du Val d’Oise où existait (dans les années 60/70) un marché forain comptant crémier, boucher, poissonnier, vendeurs de fruits et légumes, quincaillier et parfois vendeur de chaussures ou d’habillement.
Une activité qui allait de pair avec la présence de plusieurs entreprises comptant plusieurs centaines de salarié-e-s, souvent des familles résidentes dans la localité.
Le marché forain n’empêchait pas l’existence d’une offre commerciale sédentaire (deux boulangers, deux bouchers, un traiteur, un coiffeur, fleuriste et trois épiceries, entre autres).
La réalisation d’une ZAC avec pavillons et supermarché pour cause d’équilibre financier de l’opération, couplée avec la réduction des effectifs dans la plupart des entreprises locales, a ravagé le commerce sédentaire et mis un terme à l’activité foraine, conclue par la transformation de l’espace dévolu en parcelle à lotir…
Cette situation ne concerne pas directement notre Marché, vu sa chalandise, mais il est évident que son éventuelle transformation procède d’une volonté politique affirmée de longue date par Mathieu Hanotin qui aura sans doute confondu (comme beaucoup) carte du Parti Socialiste avec passeport pour ambition personnelle…
Le rêve de Mathieu Hanotin, c’est le marché façon Marché Saint Germain de Paris, alliant l’excellence des produits avec pouvoir d’achat et capital culturel et social élevés.
C’est que l’ambition est vive, puisqu’il s’agit de faire de Saint Denis une ville olympique « visitable » pour le touriste amateur de sport de haut niveau et la capitale culturelle de l’Europe.
Alors évidemment, les vendeurs de fines herbes, les pâtisseries bradées en lots, le couscous à emporter et le hachoir à légumes universel et le balai éponge miracle, tout cela fait désordre…
Il faut que le marché ait du chic et que le client, au portefeuille débordant de cartes de crédit, puisse trouver le temps, après ses courses, de déguster un fond de tasse de café de grande origine au prix du paquet de Pur Arabica, de siroter un verre de rouge vendu au prix de la bouteille et de manger la photocopie d’une tranche de jambon cru d’origine indéfinie au prix du Kintoa.
Le problème, c’est que la gentrification de Saint Denis n’est pas vraiment à l’ordre du jour, puisque notre ville comptait en 2019 66,6 % de contribuables non imposés à l’impôt sur le revenu.
Et que c’était pareil ailleurs : Stains (70,6 % de non imposables), Villetaneuse (70 %) ou La Courneuve (74,1 %).
Il semble même que, selon des indices concordants, les opérations de vente et d’accession à la propriété de logements se transforment en opérations d’investissement immobilier, les logements ainsi acquis générant autant de potentiels nouveaux demandeurs de logement, devenus locataires et, notamment, colocataires.
La Ville des Rois morts et du Peuple Vivant tient à garder son marché, faits de cris, de bruits, de blagues, de cabas plastiques à carreaux, de baratins de camelots et de militants politiques en mode conviction.
Elle ne veut ni de la chochotterie muséale déguisée en modernité, ni du bistrot « coup de fusil » travesti en tendance.