Déjà en avril 2016, les villes de Boulogne-Billancourt et d’Issy-les-Moulineaux ont voulu fusionner, à l’instar d’autres nombreuses collectivités qui l’avaient déjà fait. Ce qui était nouveau est qu’il s’agissait de deux grandes villes (elles-mêmes issues de fusions précédentes, entre Boulogne et Billancourt, et entre Issy et Les Moulineaux, comme leurs noms l’indiquent aujourd’hui). L’idée était qu’ensemble, elles formeraient une commune de plus de 180 000 habitants.
A l’époque, ce mariage a été vu par de nombreux élus d’Ile de France comme une extravagance et comme une menace. Cette nouvelle ville devait devenir, et de loin, la deuxième plus grande ville d’Ile de France, ce que convoitent aujourd’hui les édiles de Saint-Denis et de Pierrefitte en voulant fusionner leurs communes. Les principaux opposants à une telle idée à l’époque étaient les élus de gauche, et notamment les élus du PS, conseillers municipaux et députés. Nous étions encore sous la présidence de François Hollande, puis de Macron en 2018, quand le mariage qui devait se tenir a été finalement abandonné. De nombreux dispositifs entre 2010 et 2019 ont été mis en place pour encourager la fusion des villes, allant de la création des « communes nouvelles » à la possibilité d’avoir une « commune délégué ».
C’est en 2016 également que le souhait de fusionner deux départements, les Hauts de Seine et les Yvelines s’est manifesté. Là aussi, les élus PS et toute la gauche étaient scandalisés et contre cette fusion « entre riches ». Elle fut bloquée par le gouvernement, mais, selon Pierre Bédier, président du Conseil Départemental des Yvelines, elle est toujours d’actualité et de nombreuses mutualisations sont déjà en cours (tweet TV78, du 8 janvier 2023).
Solidarité entre pauvres d’un côté, entre riches de l’autre
Aujourd’hui, voilà qu’on nous sort le projet de Saint-Denis et Pierrefitte. Que pensent nos élu-e-s de Plaine Commune et nos élu-e-s départementaux cette fois-ci ? La question n’est pas si importante, car ce qui compte c’est plutôt l’avis des populations - on va y revenir -, mais par curiosité leur avis m’intéresse toutefois. Cette évolution de position est pour le moins curieuse. Bien évidemment, si Saint-Denis et Pierrefitte fusionnaient demain, ce sont d’autres villes et territoires d’importance qui suivraient, afin de réduire leurs coûts sur certains services, mais aussi leur part liée aux fonds de péréquation qui consiste à attribuer aux collectivités défavorisées une partie des ressources des collectivités les plus riches. Rien ne les empêchera de fusionner. On est bien là dans une solidarité entre pauvres d’un côté et entre riches de l’autre.
On voit donc bien que la question de la solidarité avancée par ceux qui prônent la fusion n’est pas l’argument central, mais celui du pouvoir et de la puissance face aux autres et des économies de gestion, comme le disait un article du Parisien du 24 octobre 2017 : "Grâce à leur mariage, Issy et Boulogne souhaitaient réaliser des économies grâce, notamment, à la fusion des services et des mutualisations." Pierre-Christophe Baguet, maire LR de Boulogne Billancourt, affirmait dans cet article : « Si le président de la République annonce la suppression des territoires et des départements, la fusion des villes se justifiera d’autant plus ». Aussi, selon ce même journal, les deux maires s’étaient finalement engagés à organiser un referendum avant toute décision. En effet, dans un premier temps, les deux élus avaient décidé de fusionner sans consultation, mais à la suite de la pression populaire, ils ont dû changer d’avis.
La fusion entre les villes n’a pourtant pas eu lieu. Au final, les coûts de l’opération se sont avérés plus importants que les gains financiers, et les habitant.e.s des deux villes étaient très divisés et réticents quant à ce projet. Des sondages de l’époque l’ont d’ailleurs montré (selon une enquête de l’Ifop en novembre 2016).
Quel avenir pour Plaine Commune ?
Dans l’éditorial du Journal de Saint-Denis du 11 au 23 avril 2023, le magazine purement institutionnel mis en place pour remplacer le traditionnel JSD comme chacun le sait, le maire de Saint-Denis écrit : « En juin 2020, vous nous avez donné mandat pour construire des villes équilibrées et améliorer le service public municipal en nous adaptant aux réalités financières et à l’évolution du paysage institutionnel en Ile-de-France. » Les réalités financières, nous les connaissons bien, il s’agit du contexte d’austérité imposée aux collectivités territoriales depuis plus d’une dizaine d’années. Pour ce qui est de l’évolution du paysage institutionnel en Ile de France, de quoi parle-t-il exactement ? J’aimerais bien le savoir. Quels sont les projets en cours ? Ou bien ce sujet restera-t-il encore une fois discuté entre une dizaine de personnes seulement, les décideurs, les (mal-)élus ?
Il fut un temps où on parlait sérieusement de la suppression de Plaine Commune. Cette suppression a été évitée grâce au combat de certains élus, dont Patrick Braouezec, et la transformation des anciennes agglomérations en EPT (établissement public territorial). Ce combat était juste, car dernière une "institution" il y a aussi des salariés, des services publics indispensables — comme les très appréciées médiathèques sur le territoire de Plaine-Commune - la démocratie locale, la proximité (en théorie en tout cas), la solidarité entre les communes par la coopération réelle. Quel avenir aura Plaine-Commune avec une super Saint-Denis et les petites villes autour ? Et pourquoi la péréquation censée déjà exister entre les villes en EPT, sans avoir besoin des "fusions", n’est pas suffisante au point qu’on puisse envisager ces annexions ? Oui, le projet actuel présenté par les deux maires consiste en une véritable annexion de Pierrefitte à Saint-Denis. En fusionnant, la nouvelle grosse Saint-Denis ne serait-elle pas en train d’emboiter le pas à la disparition de Plaine-Commune, voire plus ?
Pour un mille-feuille de services publics
Le département de Seine-Saint-Denis est aussi souvent menacé de disparition. En fait, le fameux "mille-feuille territorial" communément employé dans le jargon politique est toujours pointé comme un problème. On a plusieurs strates : la ville, l’EPT, le département, la métropole, la région, l’Etat. Ce n’est pas un peu trop là ? Oui, un peu trop si l’on pense au peu d’intérêt que les citoyennes et les citoyens français ont pour les élections aujourd’hui, et à la méconnaissance générale du fonctionnement des institutions. Mais ce n’est pas assez quand nous pensons aux besoins énormes en termes de services publics (crèches, écoles, parcs, bibliothèques, tranquillité, culture, sport, santé, piscines, transports, logement, revenus de solidarité, emploi, propreté, écologie urbaine...). Un véritable paradoxe, dont la contradiction ne devrait pas servir pour léser, une fois de plus, les plus démunis, la population.
Un 49.3 local face à la crainte du débat
Et qu’en est-il de la démocratie ? Quand plus de 70% d’un pays s’indigne et nombreuses personnes sortent dans les rues parce que nous avons un gouvernement qui a adopté avec l’article 49.3 une loi dont on ne veut pas, vouloir aussi adopter un tel projet de fusion avec de telles modifications structurelles pour les deux villes sans consulter la population - les majorités des villes ne comptent pas, elles sont acquises par le scrutin de listes - est très lourd de sens. Une consultation, un référendum local, serait le minimum. Et si cette fusion est une bonne chose pour les populations, si nous allons devenir plus forts face "à un avenir incertain", qu’elle soit faite ! Si telle est la volonté de la population, qu’elle se réalise.
Pourquoi craindre de lancer ce débat, de laisser les populations trancher, choisir ? L’argument avancé par le maire de Pierrefitte selon lequel les référendums n’ont pas d’utilité car la participation est très faible n’est pas acceptable (cité par le BSD, du 7 avril 2023). Sauf si cet élu reconnaît aussi que nous sommes, l’ensemble des élu-e-s actuels, en quelque sorte très peu légitimes, car choisis dans un contexte d’abstention colossale (66% pour Saint-Denis et presque 68% pour Pierrefitte aux dernières municipales). Cette fusion sans débat, sans confrontation, sans explications, sans consultation, est en fait une forme de 49-3 au niveau local. Quel mépris pour les habitant-e-s !