Fusion Saint-Denis-Pierrefitte. Mathieu Hanotin en homme pressé, Michel Fourcade en maire délégué. Un vieux tandem. Quels sont les vrais enjeux ?

, par Michel Ribay

Ce qui était annoncé comme une conférence de presse, un lieu, un horaire connu de tous, en tout cas des rédactions, qui permet à chaque média d’être présent pour informer, poser des questions, rendre compte aux citoyens de ce qui est d’intérêt général a pris, mercredi 5 avril, la forme d’un entretien rapide de Mathieu Hanotin et Michel Fourcade avec France 3 Ile de France et le Parisien.
Aller vite et en catimini reste le maître mot dans cette affaire, la stratégie du choc poursuit sa route.

D’abord quoi de neuf ? Une lettre que nous publions a été adressée aux agents communaux de Saint-Denis par le maire. Quelle est la procédure pour cette création de commune nouvelle et ses conséquences ? Quelques commentaires enfin sur les propos tenus lors de cette "conférence de presse" express.
En premier lieu voyons ce qu’il en est, au regard de la loi, d’un rapprochement entre deux communes.

La procédure de fusion de communes

La loi n° 71-588 du 16 juillet 1971 sur les fusions et regroupements de communes dite « Loi Marcellin » prévoyait la possibilité de fusion de communes avec deux formes distinctes : celle de la fusion simple et celle de la fusion-association.
La fusion simple donnait uniquement droit à la création d’annexes de la mairie dans certaines des communes fusionnées. La fusion-association permettait, quant à elle, sur demande des conseils municipaux des communes concernées, que le territoire et la dénomination de ces dernières soient maintenus en qualité de communes associées emportant institution d’un maire délégué, création d’une annexe à la mairie permettant l’établissement des actes de l’état civil et création d’une section du centre communal d’action sociale.
Ces dispositions restent applicables aux communes fusionnées avant la publication de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales. La loi n° 2015-292 du 16 mars 2015 relative à l’amélioration du régime de la commune nouvelle, pour "des communes fortes et vivantes", a complété le dispositif.

La formule retenue maintient donc l’existence des dénominations Saint-Denis et Pierrefitte, même si une collectivité nouvelle est issue de ce rapprochement. La commune de Pierrefitte adopterait le statut de commune déléguée.

La procédure enclenchée se déroulerait comme suit, à ce stade seul le premier pas, le plus simple, a été franchi.

Conduit en toute opacité, pour ne pas dire en secret, il est à parier que moins de 10 personnes pour « une possible commune nouvelle » de plus de 140 000 habitants en ont eu connaissance. Les Pierrefitois.es comme les Dionysien.nes en connaissent les noms, la garde rapprochée de Michel Fourcade là, celle de Mathieu Hanotin ici, – inutile de surcharger les réunions, les confidences sur l’oreiller feront office de compte-rendus –, deux DGS, deux, trois dir’cab, l’œil départemental. Une petite boucle Telegram ou Signal … Hop hop hop !

En premier lieu, on ne peut être que stupéfait, outre le déni de démocratie assumé des deux édiles, de la manière de procéder laissant penser que ce projet puisse être mené au pas de charge tant on sait que les rapprochements de communes sont complexes, posent une multitude de problèmes, nécessitent un accompagnement important des services de l’Etat et, comme le souligne diverses structures d’élus, ou des retours d’expériences, une méthodologie qui ne tolère ni l’a peu près et encore moins la précipitation.

– Un accord politique entre les deux maires avec un projet politique commun. C’est fait. Depuis longtemps. (voir plus loin)

– Une présentation du projet aux élu.e.s, syndicats, habitants ? Une lettre aux agents (voir dans le portfolio), 3 mots dans le Parisien et pour France3. C’est fait ! Une double page dans le magazine municipal, quelques couvertures presse, un ou deux papiers dans la presse professionnelle, une lettre du maire devraient se déployer d’ici le 20 avril. On croit rêver mais on en est là !

– Vote d’un vœu dans chacun des conseils municipaux (la date déjà retenue est celle du 20 avril avec un conseil municipal extraordinaire de 18h à 19 h précédant le conseil municipal initialement programmé). Entretemps un conseil territorial va se tenir le 11 avril. Que va-t-il se dire ? Que vont dire les maires qui composent cette coopératives de villes et qui ont déjà fait l’expérience de comment le président de Plaine Commune entendait traduire son souhait de « rendre le pouvoir aux maires », de « ramener de la proximité » !
Des propos lénifiants qui dans les faits ont conduit les maires à constater les méthodes pour le moins expéditives et autoritaires du président– accompagnées dit-on "d’amicales pressions" si besoin est – et pour les élus territoriaux à constater tout simplement la disparition du travail en commissions toutes tendances confondues avant l’adoption des délibérations. Comment une ville comme Stains, au regard de ses propres ressources, va-t-elle « vivre » ce processus ? Les grandes villes ? Aubervilliers ? Saint-Ouen ?

– Le lancement d’études et d’une assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO). Tout ceci n’est vraiment pas une mince affaire.

– Le lancement d’un « travail de communication, information en direction des habitants » évoqué par Michel Fourcade lors de « la conférence de presse » du mercredi 5 avril. Vu la manière dont tout cela a été engagé, on peut redouter en matière de démocratie ce que nous connaissons déjà à Saint-Denis.

– Le lancement des études pour la fusion des services des villes, harmonisation des régimes, évaluation des investissements pour rendre les mêmes services publics dans les deux communes, un énorme travail administratif à réaliser. Tout ceci, répétons le n’est pas une mince affaire.

– Travail concomitant avec les services de l’Etat sous la conduite du Préfet pour une validation des étapes du projet de fusion.

– Présentation définitif et vote dans les conseils municipaux.

– Validation via un arrêté préfectoral (qui doit impérativement intervenir un an avant l’échéance prévue des futures élections municipales) pour une mise en place projetée au 1er janvier 2025.

Quel rythme ! Un homme pressé.

Que vise cette fusion-association et quelles modifications majeures entrainerait-elle ?

– La centralité de la ville de Saint-Denis avec une collectivité nouvelle, son poids au sein de Plaine Commune serait notablement renforcée.
Cette collectivité deviendrait la 2ème ville d’ile de France après Paris, position occupée aujourd’hui par la ville de Boulogne et prendrait une place plus significative dans la Métropole du Grand Paris
L’accès à des moyens financiers supplémentaires. Qu’en sera-t-il et suffiront-ils à absorber les coûts supplémentaires ? Comment seront traiter « les doublons » dans les services ? La lettre du maire aux agents ne suffira pas à faire taire les inquiétudes. Le montant de la Dotation Globale de Fonctionnement allouée aux communes (DGF) était de 30,9 milliards d’euros en 2017, la DGF 2023, notifiée à l’occasion de la loi de finances, s’élève à 26,9 Mds d’euros, soit 4 milliards d’euros de moins. Pour Saint Denis cela a conduit à une perte de 4 millions d’euros. La solidarité en direction des communes pauvres et en difficulté est avant tout du ressort de l’Etat. La création de communautés de communes, intercommunalités, agglomération et territoires a vocation à mutualiser et corriger des inégalités. En ce sens au regard de ce projet de commune nouvelle, d’autres scénarii pour « sauver le soldat Fourcade » et accompagner les difficultés financières de Pierrefitte ont-ils été travaillés ? La grande commune pauvre au secours de la petite commune très pauvre…
Et Plaine Commune dans tout cela ? Son rôle ?

– Une modification bien entendu du découpage électoral qui dépassera probablement l‘élargissement du périmètre communal. A suivre.

– Bien entendu le poids politique du premier magistrat de cette entité nouvelle, Mathieu Hanotin, sera sans commune mesure avec le maire délégué des Pierrefittois. D’un côté nous avons une ville de plus de 115 000 habitants, de l’autre une ville de 36 000 habitants. La procédure d’association prendra qu’on le veuille ou non la forme d’une fusion-acquisition, absorption. Au regard de l’incertitude qui pèse sur l’existence des Territoires (Plaine Commune), Mathieu Hanotin, (avec ses réseaux locaux, départementaux et le PS, anticipe et se positionne pour les futures échéances institutionnelles et électorales, MGP et… Région. La grande commune nouvelle de la porte de la Chapelle aux portes du Val d’Oise…

La « conférence de presse » du 5 avril.

Michel Fourcade s’exprimait ainsi : « Le fait de créer une commune nouvelle va donner un peu d’air à Saint-Denis mais va donner de l’air à Pierrefitte pour apporter ce service public qui actuellement est insuffisant. La Chambre Régionale des comptes nous dit : Vous avez un personnel trop important, parallèlement à cela elle fait le constat qu’au regard de la population on est en dessoude la moyenne tout est à l’avenant ce qui fait qu’à un moment donné il fallait faire un choix et je fais le choix de la qualité de vie pour nos populations pour les années à venir. »

De l’air à Saint-Denis ? Pour Mathieu Hanotin, cela veut dire essentiellement un accroissement significatif de l’assise foncière sur laquelle il peut agir. Augmentation du prix du foncier et des prix de sortie sur Saint-Denis – auquel Mathieu Hanotin participe –, celui-ci pratiquant le « en même temps » d’un côté on réalise du Bail Réel Solidaire, de l’autre on prône une augmentation des prix de sortie assumée ce que révèle un article de Cadre de Ville le 27 janvier 2022 dans un paragraphe intitulé « Vers un document d’urbanisme plus ouvert à la construction »  : Ainsi, Mathieu Hanotin va demander aux conseillers de Plaine commune de voter la mise en révision du PLUi dans ce sens - pour un nouveau document à l’horizon 2024. La démarche doit prolonger le choc d’offre diversifiée que vont apporter les jeux Olympiques, avec les logements du village des athlètes, ou ceux du village des médias, dont une deuxième phase post-2024 est déjà programmée à Dugny. Dans le Village olympique, le maire de Saint-Denis souhaite que les prix de sortie des logements soient revus à la hausse pour tirer la composition sociale vers le haut, comme le maire de Saint-Ouen l’avait déjà demandé. Les discussions se poursuivent avec le maire de l’Île Saint-Denis, plus réticent. »

Vu la raréfaction du foncier disponible sur Saint-Denis, un vaste espace en perspective s’annonce à Pierrefitte. Pour qui a déjà pris le T5 en direction de Sarcelles, le vaste tissu urbain à aménager, à requalifier est notable. N’est-ce pas déjà une compétence de Plaine Commune ?

Les dessous de l’investiture de Mathieu Hanotin pour les législatives de juin 2012 à lire en suivant ce lien. et celui-ci.

L’attelage Hanotin-Fourcade est ancien. C’était celui du candidat Hanotin et du suppléant Fourcade aux législatives de 2012. Georges Sali, figure historique du PS à Saint-Denis, y faisait référence dans un article du feu Journal de Saint-Denis lors du second tour des législatives en juin 2022. A la question : Pourquoi avoir soutenu Patrick Braouezec au second tour ? Georges Sali répondait : « Parce que le tandem Hanotin-Fourcade représente une ligne politique qui m’inquiète. L’engagement du maire de Pierrefitte de renoncer à la construction de logements sociaux est un vrai problème. Dans le cadre du Grand Paris, il est évident que la partie nord de la capitale va connaître une pression immobilière considérable, une spéculation foncière très forte. La hausse du coût du logement va être un élément essentiel. L’apport de population nouvelle est une très bonne chose mais il ne faut pas que les populations actuelles, les plus fragiles, soient obligées de quitter la ville. Il faut avoir des actes forts pour contenir le tsunami spéculatif annoncé. J’ai considéré que le contrat de développement territorial négocié par M. Braouezec avec l’État qui impose la construction de logements sociaux en est un. C’est cela la vraie mixité sociale. J’ai soutenu Braouezec sur cet engagement-là. »

Retournons devant les Archives nationales à Pierrefitte pour lire la suite de l’entretien avec Michel Fourcade.

La journaliste : Je disais à monsieur le maire de Saint-Denis, comment deux villes qui ne sont pas riches, deux villes pauvres qui s’allient ça peut apporter de la richesse au final ?
Michel Fourcade : “ Je pense qu’on ne peut pas comparer par rapport à leur richesse. Saint-Denis est une ville de, la richesse ou la pauvreté de l’un ou de l’autre n’est pas comparable je pense effectivement le fait que nous allions nos épaules et créons une commune nouvelle moins et moins parfois c’est plus et là le moins et le moins devrait permettre à nos populations de bénéficier à Pierrefitte de ce que Saint-Denis peut offrir et nous avons aussi des choses à offrir aux Dionysiens. »

« Vous n’avez pas peur d’être un peu sous tutelle de Saint-Denis » ?
Michel Fourcade : « Non, j’ai pas l’impression, non, non, d’être sous tutelle. Je pense que nous aurons tous à gagner à nous respecter et à avancer ensemble, Pierrefitte va être une collectivité qui va rester, il y aura Saint-Denis avec, il y aura ses équipements et ses équipement qui ont vocation à être améliorés et à être multipliés. »

« Pourquoi ne pas consulter vos citoyens ? »
Michel Fourcade : « Comment consulter les citoyens sur quelque chose qui est en cours de construction, là on va voter un vœu et entre le vœu et le vote définitif, il va se passer une petite année et pendant cette année on va consulter les citoyens, rencontrer les associations, les seniors, les commerçants, ce qui fait la population, on va pouvoir évoquer ce qui va se passer demain et puis avoir leur sentiment parce que je pense qu’ils vont aussi avoir des idées que nous pourrons mettre en commun avec nos amis de Saint-Denis ».

En guise de conclusion toute provisoire

Voilà pour la question de la consultation démocratique selon Michel Fourcade : avoir le sentiment des habitants et évoquer ce qui va se passer demain… quand tout sera bouclé. Bravo.

Concernant la consultation des habitants qui pourrait prendre la forme d’un référendum, nous savons aussi aujourd’hui que pour Mathieu Hanotin, il n’en est pas question. Fermer le ban.

Pour lui, un référendum ne réunirait qu’un tout petit nombre de participants, « Le référendum c’est en 2026 », pariant sur le fait qu’en annonçant baisse de la fiscalité et accès à la cantine gratuite pour les Pierrefittois, l’attelage annoncé, – Mathieu Hanotin, maire de la commune nouvelle avec son premier adjoint Michel Fourcade, toujours maire de la commune déléguée de Pierrefitte, (une paire ne faisant pas parité) – en sortira vainqueur.

L’exfiltration de Michel Fourcade toujours possible – souhaitée même – vers le sénat permettrait de sauver la parité.

Une victoire donc ? A moins que l’addition des colères et quelques grains de sable non prévus entre La Chapelle et les portes du Val d’Oise ne viennent détraquer cette mécanique, cette feuille de route mêlant, calcul habituel, expansion territoriale et plan de carrière politique.

A moins aussi que dans la précipitation, les services brutalisés, le calendrier envisagé s’enraie.

En tout cas et au regard d’une exigence politique, celle de la démocratie, d’un pouvoir tempéré, les timides avancées concernant le cumul des mandats (dans l’espace et le temps) montrent encore une fois l’étendue de leurs limites.

Mathieu Hanotin calcule froidement, plus et plus font plus. Michel Fourcade défie les lois de l’arithmétique, pour lui moins plus moins font plus.

En définitive, la manière de faire de ce tandem s’apparente à une fonction mathématique qui tend vers zéro. Le degré zéro de la démocratie. On ne s’y résoudra pas.

Ajout ce jeudi 2 mai 2024 de liens sur les conditions d’investiture de Mathieu Hanotin aux législatives de 2012.