L’avis des habitants importe tellement peu que, comme le dit Mathieu Hanotin, président de l’Etablissement public territorial Plaine commune, l’important c’est que ce soit “un territoire qui attire, qui soit attractif, qui fasse envie”. Ce qu’il faut, continue-t-il, c’est “poursuivre sa transformation en assumant d’en faire un lieu qui suscite la curiosité, l’envie d’y venir et surtout d’y rester pour vivre, étudier, créer, s’engager.” Mais envie à qui ?
Aux autres. Tous ceux qui ont le choix en fait, donc pas ceux qui attendent depuis 10 ans ou plus un logement social. Pas les jeunes qui veulent décohabiter du logement familial ou ceux qui veulent échapper aux loyers prohibitifs du parc privé, et/ou pire au logement insalubre. Pas plus les étudiants qui, comme la crise du Covid l’a révélé, doivent arbitrer entre faire face aux dépenses contraintes, conserver leur logement ou… se nourrir. Ceux-là n’ont pas le luxe de pouvoir choisir, par contre beaucoup d’entre eux n’ont qu’une envie : continuer à vivre sur ce territoire et y vivre mieux.
Les élus parlent… aux élus
Ce nouveau projet de territoire faisait donc l’objet d’un “débat” suivi d’un vote en ouverture du conseil territorial mardi 28 juin. Présenté comme volontairement “synthétique (8 pages) et non exhaustif” son ambition n’en était pas moins de fixer la “nouvelle stratégie politique pour les 10, 20, 30 années à venir”. Pourtant, comme nous le révélions dans un article publié le 28 juin , la population n’a absolument pas connaissance de l’existence de ce document. Et pour cause, Philippe Monges, 1er vice président à la transition écologique, au climat et à la santé environnementale, explique que “ce document n’a pas vocation à être public”, que c’est une sorte de “carte d’identité pour nous entre élus qui nous donne les orientations claires lorsque nous discutons avec l’administration de nos villes et celle de Plaine Commune” d’une part, et qu’il s’agit d’autre part de faire un “manifeste pour asseoir la crédibilité et la force des territoires dans le débat institutionnel”. Ce “pour nous entre élus” est d’autant plus critiquable que l’orientation votée ce soir-là ne peut s’appuyer sur aucune légitimité issue des élections municipales. Aucun mandat n’a été donné aux conseillers territoriaux issus des élections de juin 2020 sur une orientation qui a vocation à modeler le territoire pour des décennies.
Ce besoin d’une carte d’identité territoriale est aussi défendu par Mathieu Hanotin en vue de la bataille institutionnelle qui s’annonce pour l’automne - quelle réforme institutionnelle pour la métropole du Grand Paris ? Faudrait-il supprimer l’échelon des établissements publics territoriaux pour alléger le millefeuille ? - et qui exigerait que Plaine Commune se positionne fortement et démontre la pertinence de cette échelle de décision pour mener à bien les politiques publiques locales.
Il appelle, plutôt qu’une coopération entre territoires indispensable pour mener une transition écologique et des politiques publiques inclusives au service des habitants de la métropole, à renforcer notre capacité à “affronter une forme de compétition entre les différents territoires et avec Paris”. On sait où mène la compétition entre territoires : le délitement des principes républicains d’égalité, la surenchère pour attirer des investisseurs, le renforcement des effets de la spécialisation des territoires, la recherche effrénée d’une identité bien souvent surévaluée et mise en scène à coup de storytelling. On sait aussi que le plus souvent, les habitants ne sont sollicités qu’en bout de chaîne pour en valider le récit.
A rebours de cela, deux conseillers communautaires dont Gilles Poux, maire communiste de la Courneuve, n’ont pas manqué de regretter la rapidité de l’élaboration de la démarche. Six mois pour une stratégie à 30 ans et sans demander quoi que ce soit aux habitants, il fallait le faire. Mathieu Hanotin a gardé le silence quand Patrice Konieczny, 1er adjoint UDI d’Epinay-sur-Seine, s’est permis de demander “pourquoi ne pas associer les habitants ? les entreprises ? les associations ? Les instances consultatives représentatives des forces vives du territoire comme l’était par exemple le conseil de développement ?” supprimé par Mathieu Hanotin en février dernier.
Habile Patrice Konieczny qui ne s’est pas caché pour autant de son adhésion aux orientations déclarées dans le document : “J’ai presque envie de dire, monsieur le président, qu’en vous écoutant j’ai l’impression que tous les rêves que nous nourrissions depuis 20 ans pour ce territoire serait en passe de se réaliser". * Pluie d’emoji coeur de la droite locale sur monsieur le président *
Le maire de Saint-Denis parle au Président de Plaine Commune, et vice et versa
A deux reprises au moins des élus territoriaux se sont inquiétés de la disparition de la notion de coopérative de villes désignant un fonctionnement collégial et un respect des différences de chacune. Dominique Carré, élu EELV de Pierrefitte, s’en est ému en ces termes : “c’était la base de fonctionnement antérieure et aussi actuelle”. Remarque de peu de conséquence, car ça n’est pas la première fois que le prisme dionysien du nouveau président est critiqué. Le contenu du nouveau projet de territoire et la discussion dans l’assemblée mardi soir l’a à nouveau révélé.
Ainsi Gilles Poux, fait remarquer que le texte est déséquilibré, disproportionné sur les orientations en matière de développement économique et d’offre d’emplois. En somme, il estime à raison que le texte insiste et donne moults détails quant à l’orientation très claire souhaitée sur le développement du tourisme et de l’hôtellerie mais qu’il n’y a aucun énoncé sur d’autres filières (numérique, logistique, recyclage, etc.). Il juge par ailleurs que la question de la formation n’est pas assez présente malgré son importance au regard précisément de différentes filières d’emplois qu’il s’agirait de promouvoir. Pour lui “si on ne pose pas les axes structurants de la bataille et des engagements qui doivent être les nôtres, on risque rapidement de passer à côté". Dominique Carré fait également remarquer que n’apparaît pas dans le texte la nécessité d’orienter le développement de nouvelles filières économiques au regard des exigences de transition écologique.
La réponse de Mathieu Hanotin est limpide. Après avoir justifié la rapidité de la démarche par “l’urgence d’envoyer des messages à l’écosystème institutionnels et aux acteurs privés”, il explique pourquoi il veut faire du tourisme et de l’hôtellerie la grande cause de son mandat : “m’enfin, en même temps, si on ne voit pas qu’il y a quelque chose à changer au niveau du tourisme quand on va accueillir des millions de personnes sur les années à venir ne serait-ce que pour les grands évènements sportifs que sont la Coupe du monde de Rugby et les Jeux olympiques et paralympiques, le remontage de la flèche, notre candidature à capitale européenne de la culture ! Excusez-moi, c’est quand même LA nouveauté que nous allons devoir affronter, et pas dans 10 ans : l’année prochaine, dans 3 ans, ainsi de suite. Nous ne sommes pas configurés au maximum pour l’exploiter au profit des habitants”. On ? Nous ? La flèche ? Dont Hanotin disait d’ailleurs pis que pendre il y a encore quelque temps. « Notre » candidature à Capitale européenne de la culture ? C’est gratiné venant de celui qui a torpillé le projet Banlieue capitale européenne de la culture pour que seule la ville de Saint-Denis soit candidate. Le Président de Plaine Commune se serait-il cru au conseil municipal ? Compliquée la double identité maire-président…
“Quand on va accueillir des millions de personnes sur les années à venir “ affirme le président. N’est-ce pas un peu démesurément surestimé ? Rappelons que les Jeux de Londres en 2012 ont accueilli 2 millions de personnes sur l’ensemble des sites et que le nombre de sites prévus en Seine Saint-Denis s’est bien rabougri. Et il s’agissait de Londres, du grand Londres. En outre, les JOP arrivent bien dans deux ans, autrement dit demain. Se dire en juillet 2022 qu’il faut être en mesure d’accueillir dans des hôtels (construits en combien de temps ?!) des millions de touristes en 2023 et en 2024, qui peut y croire ? Et comment accueillir ces hypothétiques millions de touristes ? A aucun moment n’est évoqué un chiffre de création d’emplois. La seule certitude, c’est le recours à 75 000 bénévoles prévus pour les JOP. Voudrait-on de plus nous faire croire qu’après les JOP des millions de touristes viendront tous les ans à la découverte de la Seine-Saint-Denis ? N’est-ce pas, en somme, un peu nous prendre pour des gogos ? En tout cas, qu’à cela ne tienne, pour de tels objectifs il faut envoyer “du lourd” en termes de moyens : la création d’une Agence de l’attractivité en lieu et place de l’office du tourisme. Ce fût le 2ème débat politique de la soirée, point d’orgue des précédents.
D’ailleurs le président va droit au but : pourquoi s’embarrasser d’une structure associative (et de la gouvernance qui va avec) quand on peut piloter directement ladite structure. Cela a au moins le mérite d’être clair : tout verrouiller, tout contrôler, non pas au motif d’une maîtrise de l’argent public car les dépenses de l’Office du tourisme étaient débattues et contrôlées, mais au nom d’un principe pour le moins trivial : je paie (avec l’argent public, c’est à dire celui des contributeurs, des citoyens) donc je décide ! Circulez, point barre.
« Stratégie business » j’écris ton nom
Après des débats relativement convenus jusqu’alors, Sofia Boutrih, élue d’opposition PCF à Saint-Denis, met les pieds dans le plat. A l’appui de citations du rapport sur la création de l’Agence de l’attractivité, elle s’indigne que l’action de cette structure soit essentiellement prévue à destination de publics externes avec comme seule retombée attendue (elle cite) « un sentiment de satisfaction et d’appartenance des habitants au territoire ». Elle poursuit : « un territoire attractif pour les habitants c’est un territoire connecté, accessible, avec des services publics de proximité, des équipements publics diversifiés et de qualité […]. ». Il y a quelques mois Mathieu Hanotin s’en défendait, là c’est assumé : cette agence sera une agence de marketing territorial, bien chevillée à une « stratégie business » selon les termes fleuris du cabinet de conseil Ernst & Young qui a planché sur la question. « Vous proposez aux acteurs externes de venir faire du chiffre sur notre territoire, manger, dormir, aller au théâtre, voir des concerts, aux puces etc., mais que proposez-vous aux habitants ? Des emplois de service ? Du ménage ? De l’accueil ? En hôtellerie ? Certes ces métiers sont nécessaires mais loin d’être les seuls besoins et demandes des habitants qui souhaitent exercer des métiers plus valorisants les menant vers de l’ingénierie ou même l’excellence comme je l’entends parfois ici. »
La réponse “politique” de la dream team dionysienne chargée du SAV en rajoute. Sans la moindre gêne, Leyla Temel, vice-présidente au tourisme à Plaine Commune, considère qu’elle tire la mission de rameuter le « tourisme d’affaires » sur le territoire de sa légitimité démocratique ! Pour Adrien Delacroix, en charge de l’habitat et du foncier, les métiers de services c’est toujours mieux que de construire des mètres carrés de bureaux pour des cadres sup parisiens. Shems El Khalfaoui, 2ème adjoint au maire de Saint-Denis, trouve lui “ que les emplois de services c’est pas gravissime “ et qu’« on a pas assez d’entertainment sur le territoire » ! Mickey et le tourisme d’affaires serait donc le combo gagnant !
Le président conclue par un éloge des emplois qualifiés que propose le secteur de l’hôtellerie, raison pour laquelle il souhaite voir se créer une école d’hôtellerie sur le territoire et nous promet la création de 0,1 à 1 emploi par chambre d’hôtel …après ça, on visualise encore plus mal le projet d’une diversité de filières d’emplois notamment dans la transition écologique ! Il nous dit en revanche qu’il a, chevillée au corps, la volonté de faire coïncider le niveau de qualification d’habitants du territoire et le besoin de main d’œuvre en tension dans ce secteur, autrement dit, qu’il souhaite investir dans la formation et l’insertion.
Alors, que faut-il penser de la liquidation du service d’accompagnement de Plaine Commune des personnes allocataires du RSA ? N’est-ce pas là un choix politique du président de Plaine Commune ? N’est-ce pas là aussi un choix que valide Stéphane Troussel, président du département qui assure précisément la compétence du RSA ?
Que faut-il penser du plan de privatisation engagé à Saint-Denis pour se défaire (soyons précis : virer) des contractuels en charge du nettoyage qui travaillent dans les écoles et équipements sportifs de la ville ? Ces derniers n’occupent-ils pas des métiers de service ? Le « manifeste pour un territoire à vivre » n’a pourtant aucune gêne à affirmer : “un maillage intelligent des parcours résidentiels, porté par les politiques d’habitat et d’aménagement, facilitera cette transformation d’une ville de passage en ville d’ancrage, tout en garantissant toute leur place aux populations les plus précaires.”
La bonne blague. Voyez-vous mesdames et messieurs les précaires, afin de vous ancrer sur le territoire : je vous vire. Telle est la réalité. Tels sont les faits.
Attirer les uns, repousser les autres
Le logement, grande préoccupation des habitants du territoire, a aussi eu droit à son « débat » mardi soir, au travers de la présentation du nouveau Plan local de l’habitat. Deux orientations se sont affrontées autour d’une question essentielle : la part du logement social dont le territoire a besoin. Rappelons que 35 000 demandes de logement social sont en attente sur Plaine Commune, logement social auquel sont éligibles plus de 70% des Français au regard de leurs revenus.
L’orientation que choisit Mathieu Hanotin est très claire : augmenter l’accession sociale à la propriété. Soit ! Mais cet objectif devrait pouvoir être poursuivi sans rogner sur les objectifs de construction de logement social. Que nenni, l’orientation sera : toujours autant d’accession libre, encore plus d’accession sociale, moins de logements sociaux. Et ça n’est pas seulement moins de construction de logements sociaux, c’est aussi le déconventionnement et la vente de certains, comme on l’a appris pour une partie des logements sociaux de la ZAC Basilique au cœur du centre-ville de Saint-Denis.
Lors du débat on surprend le président du département, Stéphane Troussel, oser avancer l’argument que le départ de familles du territoire serait lié à l’absence de parcours résidentiels diversifiés. Connaissez-vous beaucoup de personnes dans votre entourage qui seraient parties du territoire ces 10, 20 ou 30 dernières années au motif d’une carence de parcours résidentiels ? N’avez-vous pas plutôt croisé des familles qui ont fait le choix de partir plus loin pour accéder à plus de mètres carrés, à une maison individuelle, à un jardin, la plupart en ayant d’ailleurs réalisé une plus-value suite à un achat dans le secteur libre ?
Ou des familles qui, confrontées aux difficultés, aux discriminations qui affectent les services publics du territoire et en premier lieu l’Éducation nationale, ont fait le choix de s’éloigner afin d’offrir à leurs enfants des conditions d’enseignement dignes des promesses de la République ?
Qui parmi vous connait une famille ayant renoncé à rester ici en vertu d’une carence de parcours résidentiels sur le territoire où les prix d’accession restent encore aujourd’hui les plus bas en petite couronne ? Où le président Troussel puise-t-il de telles énormités ?
Alors à qui s’adresse Mathieu Hanotin en insistant sur “un lieu qui suscite la curiosité, l’envie d’y venir et surtout d’y rester pour vivre, étudier, créer, s’engager” sinon aux fameux CSP+ dont il déplorait la part trop faible (6%) à Saint-Denis dans la presse “Cadre de ville“ en janvier dernier ?
Vivre, étudier, créer, s’engager, c’est ce que font déjà des milliers d’habitants de Plaine Commune, jeunes et moins jeunes, salariés, fonctionnaires ou précaires, dans les universités du territoire, dans le tissu associatif dont le président de Plaine Commune et le “manifeste pour un territoire à vivre” ne cessent de vanter la vitalité.
Oui, les forces vives sont déjà là sur le territoire. Elles ne demandent qu’à y rester, encore faut-il leur en donner les moyens, leur donner toute leur place. Et là encore, c’est bien l’emploi et le logement qui déterminent pour certains la possibilité d’y rester. A l’aune de ces débats, on ne peut qu’en conclure qu’il s’agit bien d’attirer les uns et de repousser les autres.
Ce débat s’est conclu par un vote qui engage le territoire pour des décennies. Et malgré les remarques des uns ou des autres, du groupe écologiste, membres ou non d’EELV, en passant par l’UDI, le PS, Génération. s ou les non-inscrits ce fut un vote pour quasi unanime… moins quatre abstentions.
Quatre abstentions du groupe communiste sur le manifeste du projet de territoire.… et 440 000 habitants non consultés.
Le groupe communiste s’est abstenu sur l’Agence d’attractivité. Sur le PLH le groupe communiste s’est divisé, les uns s’abstenant, les autres, les élus communistes du groupe d’opposition Saint-Denis à gauche ! votant contre.
Quelles pourraient être les orientations d’un projet de territoire en phase avec les besoins des habitants et avec l’impératif de la transition écologique ? Dans les prochains articles, des propositions à débattre !