Mathieu Hanotin précise « son projet de territoire » : 2000 à 3000 chambres d’hôtels et la plus grande gare routière de France pour accueillir, en toute proximité de Pleyel, près de 300 « cars Macron », FlixBus et Bablacar.

, par Michel Ribay

« C’était l’un des quartiers identifiés par Flixbus après l’annonce de la mairie de Paris de fermer la gare routière de Bercy. Lundi 16 septembre 2024, Mathieu Hanotin (PS), maire de Saint-Denis, a dévoilé le terrain qui pourrait à terme accueillir une nouvelle gare d’interconnexion de bus. À la lisière du quartier Pleyel en plein renouveau, elle a les faveurs des opérateurs. » Ainsi débute l’article paru dans la soirée du 17 septembre dans Actu.fr et qui rend compte de la conférence de presse tenue la veille par Mathieu Hanotin. Une conférence de presse dans laquelle il a annoncé non seulement faire de Saint-Denis « le leader en Ile-de-France » du secteur hôtelier, mais y accueillir, après la fermeture de celle de Bercy décidée par la ville de Paris, la gare routière la plus empruntée en France desservant 299 destinations et par laquelle ont transité 4,7 millions de voyageurs en 2023. De quoi s’agit-il ?

Suite à l’adoption du projet de territoire à Plaine Commune en juin 2022 auquel nous avions consacré une série d’articles, le maire de Saint-Denis et président de Plaine Commune entend donner corps à sa vision du territoire en s’appuyant sur les nouvelles infrastructures : la gare Pleyel du Grand Paris express, le Franchissement urbain connectant La Plaine et Pleyel, les différents pôle de transports et la complétude du diffuseur autoroutier à Pleyel permettant des accès et sorties vers l’est et l’ouest sur la A86.

Des infrastructures porteuses d’une cohérence d’ensemble

L’ensemble de ces infrastructures et aménagements, envisagés depuis très longtemps dans des documents stratégiques de Plaine Commune répondent à de multiples objectifs :
– un report modal de la voiture vers un réseau de transport public rapide doté de plusieurs lignes avec la gare du Grand Paris tout en assurant l’interconnexion entre les lignes de la gare Pleyel, la ligne D du RER et à terme la ligne H, l’ensemble à quelques encablures du réseau de la ligne B avec le Franchissement Urbain Pleyel (le FUP)
– ce dernier permettant la résorption d’une fracture urbaine et une connexion est-ouest pour les flux routiers s’effectuant majoritairement par la rue du Landy
– la desserte du quartier Pleyel et l’accès au réseau autoroutier dans toutes les directions avec la complétude du diffuseur
– la suppression des bretelles autoroutières de la Porte de Paris
Ces infrastructures et aménagements ont connu une bénéfique accélération de leur réalisation avec les JO.

Si l’ensemble avait une cohérence en matière de réduction des impacts environnementaux, de réduction de la pollution (on reviendra prochainement sur ce sujet précis au regard des mesures effectuées par Airparif sur le quartier Pleyel), de transition écologique, Mathieu Hanotin n’y voit qu’un aspect à mettre en avant : vendre aux opérateurs un hub de transport, après le hub de la Gare Pleyel, le hub d’une gare routière à proximité des infrastructures qui offrent tous les avantages de l’intermodalité : métro, gares RER, réseau autoroutier et en toute proximité de la capitale, le tout « confortant » et épousant la spécialisation hôtelière du territoire qu’il prône.

Une enquête de la mairie de Paris en 2022 révélait que 44% des voyageurs prenant un autocar à Bercy viennent de Paris, la capitale étant la destination de 60% des usagers. Les correspondances concernant "30% des passagers", selon FlixBus.

Ce que confirme un rapport de juillet 2024 de l’Autorité de Régulation des Transports qui indique : « Alors que le nombre de voyageurs croît chaque année et que Paris constitue la destination française privilégiée, les solutions identifiées dans cette étude et déployables à court terme risquent de contraindre l’activité et posent même la question de sa pérennité en attendant le déploiement de solutions potentielles de plus long terme, comme celle dessinée sur le pôle de Saint-Denis Pleyel. »

Au vu de ces chiffres quel intérêt pour la ville, pour ses habitants ? Un équipement projeté qui s’apparenterait de fait à une nouvelle servitude du territoire.

Tourisme et transition écologique

A rebours de la cohérence de ces infrastructures au regard de la réparation urbaine du territoire et d’objectifs de transition écologique, le projet de territoire porté par Mathieu Hanotin à travers sa spécialisation sur le tourisme avec une production massive d’offres hôtelières rompt avec cette logique possiblement vertueuse. La construction massive d’offre hôtelière qui a pour corollaire l’accompagnement et le développement des flux touristiques a peu à voir avec la transition écologique. Elle en est même l’antithèse.

Faire référence, comme dans le « Manifeste Plaine Commune pour un territoire à vivre », « d’offres touristiques éco-responsables » que Plaine Commune s’engage à concevoir relève du green-washing.

Développer des offres d’intérêts sur le territoire, mettre en valeur son histoire, ses particularités est un chose, le spécialiser, vouloir en faire un leader par une production massive de chambres d’hôtels en est une autre.

Le passage effectué à Plaine Commune d’un office de tourisme à une agence d’attractivité résume l’état d’esprit de la démarche : « Celui-ci visera à faire de Plaine Commune un territoire de destination visité par les amateurs de culture, de loisirs, de patrimoine, par le tourisme d’affaires. Il tirera parti de sa position géographique (entre Roissy et Paris), de son multilinguisme, du contexte francilien d’atomisation de l’offre hôtelière. Il pourra s’appuyer sur les traces de son passé, de la grande histoire de France jusqu’à la mémoire agricole ou à celle des grands évènements sportifs. Il a vocation à se matérialiser dans quelques centralités tout en fournissant massivement de l’emploi local qui rayonne sur l’ensemble des villes (de 0,1 à 1 emploi par chambre d’hôtel, selon sa catégorie), tout en participant à la constitution d’une vie plus intense, plus animée pour tous. Plaine Commune s’engage ainsi à organiser la coordination des acteurs du tourisme et de l’attractivité pour être identifié en Île-de-France, en France et dans le monde, à concevoir des offres touristiques éco-responsables et développer de nouveaux services, à adapter la programmation urbaine dans les centralités d’intérêt, à développer les équipements touristiques actuels et futurs, et à dynamiser et multiplier les lieux d’accueil touristiques. »

Alors, près de 300 cars par jour en moyenne à la gare routière de Paris Bercy bientôt à Saint-Denis ?

Déclarer l’urgence climatique en juillet 2020 à Saint-Denis, adopter un document à Plaine Commune fixant un objectif de neutralité carbone pour le territoire en 2050 tout en voulant faire du territoire « le leader en Ile de France » du secteur hôtelier est une imposture.

C’est dans ce contexte déjà biaisé qu’intervient l’annonce publique par Mathieu Hanotin en conférence de presse le 16 septembre de la volonté d’accueillir une gare routière située entre le secteur de La Plaine Saulnier et Pleyel.

La situation de la friche. Le rapport évoque la réalisation d’une gare routière souterraine.
La rue Camille Moke le long de la friche.
Vue de la friche devant un des bâtiments occupés par la SNCF.
Le long de la friche du côté des voies SNCF. Au loin c’est le Franchissement Urbain Pleyel (FUP)

Un rapport de juillet 2024 de l’Autorité de Régulation des Transports confirme cette volonté. Deux implantations à Saint-Denis y sont étudiées, l’une à Saint-Denis Université, rejetée, l’autre à Pleyel, celle-ci recueillant beaucoup d’avis favorable, y compris d’opérateurs comme Bablacar. Une volonté très assumée, qui a déjà fait l’objet d’études dans lesquelles on lit que Plaine Commune souhaite l’implantation d’une gare routière. Ce que tout le monde découvre puisque ni les conseillers territoriaux à Plaine Commune ni les conseillers municipaux de Saint-Denis n’ont été informés.

Dans cette étude, l’Apur (Atelier parisien d’urbanisme) y souligne l’intérêt du hub de la gare Pleyel et la connexion à la A1 : « La configuration Pershing - Porte Maillot + Saint-Denis Pleyel est également intéressante au vu de la future desserte de ce pôle en transport en commun. Seule gare du réseau du Grand Paris express à connecter 4 lignes du métro, elle accueillera 250000 voyageurs par jour, la fréquentation la plus importante des nouvelles gares du Grand Paris Express. Sa bonne connexion à l’autoroute A1 est également un atout. ».

Le rapport de l’Autorité Régulatrice des Transports souligne lui-même : « Tous ces sites nécessitent des travaux importants et d’identifier un porteur de projet. Le projet Saint-Denis Pleyel s’insère dans un projet d’aménagement plus vaste, si bien qu’il est susceptible de susciter l’adhésion locale. Pour les autres, se posera la question de l’acceptabilité par les pouvoirs publics de l’implantation d’une gare routière. »

Voilà pour les infrastructures, leurs atouts… pour une gare routière et l’adhésion locale déjà acquise du maire-président.

L’avis des Dionysien.nes à défaut d’être sollicité se fera-t-il entendre ?

Tout cela se décide de la même manière que le projet de Territoire a été entériné : aucune consultation des habitants, aucune concertation, aucun débat public sur les enjeux, aucun débat sur les priorités à assigner aux politiques publiques. Le maire-président procède par annonce dans la presse. Par conférence de presse. Pas même un début d’information en conseil municipal ou territorial. La stratégie du choc déjà utilisée pour d’autres sujets.

Concilier un projet pareil et des objectifs de réduction des pollutions croisées (atmosphériques et sonores) sur le secteur Porte de Paris, La Plaine Saulnier (le secteur entre Porte de Paris et Pleyel), Pleyel, sur le réseau autoroutier qui fracture la ville, A1 et A86 réunis, il va falloir que le maire-président soit convaincant !

Jusqu’à maintenant il n’a fait preuve que d’une chose : imposer ses projets sans souci de convaincre car sans la moindre consultation des Dionysien.nes.

Le projet présenté comme pérenne par rapport à des solutions transitoires de déplacement de la gare de Paris Bercy évoque la date de 2030 pour une mise en service.

D’ici là, il importe que les Dionysien.nes se saisissent du dossier et d’une manière ou d’une autre se fassent entendre, d’autant que le maire-président n’est pas à une contradiction près.

Si c’est au "motif" de l’apaisement du centre ville et de l’impératif écologique qu’il a supprimé des arrêts de bus en centre-ville, il y a fort à parier qu’il aura recours au même argument pour justifier à la lisière de Pleyel le ballet quotidien de près de 300 cars…