
Projet de fusion Saint-Denis-Pierrefitte. Après la médaille de Darmanin, un chèque de Borne pour Hanotin ?
Après avoir été décoré par Darmanin en 2022, Mathieu Hanotin va-t-il bénéficier d’un soutien financier à l’occasion d’un nouveau 49.3 d’Elisabeth Borne à l’Assemblée ? Avec l’examen de la partie dépenses du Projet de Loi de Finances qui débute ce mardi 31 octobre à l’Assemblée, on va vite découvrir quelles sont les cartes qu’il a en mains pour son projet de fusion avec Pierrefitte. Décryptage.
On savait Mathieu Hanotin joueur d’échecs. L’image de stratège associée à ce jeu est valorisante d’où la présence d’un échiquier dans son bureau. On le dit aussi joueur de poker, image moins flatteuse. Le bluff, le goût de la flambe, l’excès cadrent peu avec un discours où les mots d’équilibre et d’apaisement reviennent comme une rengaine qui sonne creux.
Pour ce projet de fusion Mathieu Hanotin a fait un pari : celui du bluff ou pour le dire en bon français : faire croire, abuser, tromper.
Rappelons-nous. La fusion, selon ses propos, devait permettre de bénéficier de dotations financières plus importantes. La commune nouvelle avait tout à y gagner. Rendez-vous compte, il s’agissait de percevoir 6 euros par habitant et cela pendant 3 ans. Un rapide calcul conduit à la somme (astronomique) de 900 000 euros par an, 2,7 millions sur 3 ans.
Pourquoi un chiffre maximum aussi précis direz-vous ? Parce que le calcul est effectué sur la base de 150 000 habitants, un seuil qui change beaucoup de choses, nous allons voir pourquoi.
Pour relancer la dynamique, actuellement en berne, de fusions de communes, le gouvernement semble prêt à sortir son chéquier. Ainsi, la seconde partie du projet de loi de finances pour 2024 – dont l’examen démarre aujourd’hui à l’Assemblée nationale - pourrait comporter plusieurs mesures en soutien aux communes nouvelles qui verraient le jour à partir du 1er janvier 2024. Parmi ces mesures : une augmentation de la « dotation d’amorçage » de 6 à 10 euros par habitant et peut être pendant 6 ans au lieu de 3 actuellement.
Ce qui, pour 150 000 habitants permettrait d’atteindre la somme de 1,5 million d’euros annuel et donc sur 3 ans 4,5 millions d’euros. Ou 9 millions si ce mécanisme est instauré sur 6 ans.
Ce montant comparé aux budgets cumulés des villes de Saint-Denis et Pierrefitte reste vraiment très marginal, la ville de Saint-Denis ayant un budget annuel de fonctionnement de 232,9 millions d’euros et 40 millions d’euros en investissement soit un budget total de 272,9 millions d’euros ; la ville de Pierrefitte engageant elle annuellement 53,2 millions d’euros en fonctionnement et 15,8 millions d’euros en investissement, soit un budget total de 69,1 millions d’euros.
L’ensemble des budgets cumulés s’élève donc annuellement à 326,1 millions d’euros. Que pèsent donc ces 4,5 millions cumulés en trois ans ou ces 9 millions maximum cumulés en six ans ? Moins de 3% sur 3 ans et moins de 1% par an.
Notre joueur d’échecs ne se trouve pas en très bonne posture. De 6 à 10 euros, ce ne sont que quelques pions, on est loin de la prise d’une pièce pouvant s’avérer décisive en fin de partie. Un fou ? Un cavalier ? Une tour ?
D’autant qu’au mensonge que constitue, comme nous l’avons montré, la promesse de bien meilleures dotations financières, s’ajoutent d’autres difficultés.
Le coup de pouce financier sur la dotation d’amorçage ne s’appliquerait, dans les termes actuels de la loi, qu’aux communes nouvelles dont la population reste inférieure ou égale à 150 000 habitants sur les 3 ou 6 ans pendant lesquels ce mécanisme est en vigueur. Or la somme des habitants de Saint-Denis (114 000 habitants) et de Pierrefitte-sur-Seine (36 000) [ doit-on se baser sur les annonces de chiffres ou seuls les chiffres des derniers recensement font-ils foi ? NDLR ] tutoie déjà les 150 000 habitants et ce seuil fatidique sera rapidement atteint, dépassé.
Cet « effet de seuil » aurait un autre impact non négligeable : la commune nouvelle pourrait perdre plus de 16 millions d’euros sur les dotations annuelles de l’Etat aux collectivités territoriales !
Un rapport à l’Assemblée nationale publié le 4 octobre 2023, intitulé « Mission flash sur les communes nouvelles » et réalisé par deux députés, Stéphane Delautrette, député socialiste et Stella Dupont, ex-socialiste, députée LREM/Renaissance, explique le problème de manière limpide, auditions de messieurs Hanotin et Fourcade à l’appui :
« La fusion annoncée de Pierrefitte-sur-Seine et de Saint-Denis constituerait une commune nouvelle d’environ 150 000 habitants, qui ne bénéficierait pas du « pacte de stabilité ». M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, souligne que l’application du droit commun aurait un impact financier très défavorable pour la commune nouvelle : sur la dotation forfaitaire de la DGF [dotation générale de fonctionnement], la perte s’élèverait entre 700 000 et 1 million d’euros, ce qui « reste soutenable » pour le maire de Saint-Denis, mais l’effet sur la DSU [dotation de solidarité urbaine] serait « plus massif » puisque la commune nouvelle perdrait 16 millions d’euros sur trois ans, ce qui conduirait à l’abandon du projet si une solution législative n’était pas trouvée. » [page 22 du Rapport téléchargeable dans portfolio]
Les députés Stella Dupont et Stéphane Delautrette semblent avoir bien retenu la problématique des deux édiles puisque la recommandation n°11 du rapport propose que les mesures de soutien financier bénéficient aux communes nouvelles dont la population est inférieure ou égale à 150 000 à la date de l’arrêté de création de la commune afin qu’elles puissent continuer d’en jouir si ce seuil est dépassé dans les années qui suivent leur création. Une recommandation faite sur mesure pour messieurs Hanotin et Fourcade. En effet, le problème ne s’était jamais posé auparavant – la plus grosse commune nouvelle créée jusqu’à aujourd’hui, Annecy en 2017, était encore loin du seuil avec 128 000 habitants – et l’on comprend très bien l’intention initiale du législateur en fixant ce seuil : stimuler les regroupements de petites communes, notamment celles de moins de 3500 habitants, et non pas créer de gros mastodontes urbains…
C’est donc bien sur la traduction de cette recommandation dans le projet de loi de finances pour 2024 que compte notre joueur de poker. Deux amendements, de la députée Renaissance Stella Dupont d’une part et du socialiste Stéphane Delautrette d’autre part, ont été déposés et seront examinés. Ils pourraient être adoptés dans les jours qui viennent et lui donner gain de cause. Ou le gouvernement pourrait préférer, parmi divers options, déposer son propre amendement et retoquer la fameuse recommandation 11… les prochains jours nous le diront.
Ainsi, le maire, tout en connaissant les limites imposées par la loi en vigueur, a lancé son projet de fusion en pariant sur un changement législatif, une sortie du droit commun et pour lequel il n’avait aucune assurance.
On est bien là dans le registre du poker. Entre amis, entre joueurs consentants, c’est toujours possible. Jouer avec l’avenir de près de 150 000 habitants est une autre affaire. Il ne s’agit plus du tout d’un jeu.
Ce mauvais projet de fusion-création d’une commune nouvelle, dont on a souligné tant à Pierrefitte qu’à Saint-Denis le caractère antidémocratique est de plus fondé sur le pari hasardeux d’un joueur. On a vu plus responsable en matière de gestion des collectivités.
Une Mission Flash menée au Sénat sur le sujet a elle insisté sur l’adhésion, le consentement des habitants à la création de communes nouvelles [ Page 3 de la synthèse du rapport téléchargeable dans le portfolio].
A mi-mandat, notre joueur de poker tente donc le gros coup.
Le projet de loi de finances lui sera-t-il favorable ? Cela lui permettra-t-il de masquer ses annonces mensongères ? Défavorable, cela le conduirait-il à abandonner le projet comme le souligne l’extrait de la Mission Flash ?
Sourd à toute demande et interpellations des habitants, que ce soient celles de parents d’élèves pour les conditions d’accueil des enfants en centres de loisirs, celles des commerçants ou celles de ceux qui sont privés d’arrêts de bus en centre-ville, l’expérience enseigne qu’il s’entêtera et poursuivra un lobbying intense en direction des plus hautes autorités de la Macronie pour effacer un échec sur ce projet de loi de finances.
Alors que faire ? Disons-le sans bluff : quoi qu’il en soit du projet de loi de finances – et de ceux à venir, – il faut se rassembler, à ce mauvais projet faire échec, et mat en 2026.
Sur le projet de fusion Saint-Denis-Pierrefitte des entretiens à lire ici et ici
Précisions/
En 2023, Saint-Denis a perçu une dotation forfaitaire de 6,7 M€ et une DSU de 20,5 M€. Pour sa part, Pierrefitte a perçu une dotation forfaitaire de 4,2 M€, une DSU de 7,6 M€ et une DNP de 0,65 M€.
DGF : La dotation globale de fonctionnement (DGF) constitue la principale dotation de fonctionnement de l’État aux collectivités territoriales. Elle est globale et libre d’emploi. Elle est fixée chaque année par la loi de finances.
DSU : La dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) constitue l’une des trois dotations de péréquation réservée par l’Etat aux communes en difficultés. Elle bénéficie aux villes dont les ressources ne permettent pas de couvrir l’ampleur des charges auxquelles elles sont confrontées.
DNP : La dotation nationale de péréquation (DNP) a pour objectif de corriger les insuffisances de potentiel financier (part principale) et de faiblesse de la base d’imposition sur les entreprises (ex-taxe professionnelle, majoration de la part principale), c’est-à-dire de faire de la péréquation sur la richesse fiscale.