Vendredi 13 janvier. Il est 9 H et déjà un petit groupe de personnes est présent sur l’esplanade Jean Rostand à Bobigny, face à l’immeuble L’européen. C’est dans une salle du septième étage de ce bâtiment à quelques centaines de mètres du Tribunal de Bobigny que va se tenir une audience en référé dont le délibéré sera rendu dans un mois et qui décidera, en partie, de l’avenir de MaMaMa.
Le petit groupe est constitué des membres de l’association MaMaMa, des salariées, des bénévoles. Un groupe peu à peu rejoint par des dizaines et dizaines de personnes venues apporter leur soutien à MaMaMa, assignée devant le tribunal par la SEM Plaine Commune Développement propriétaire du local qu’utilise l’association pour remplir ses missions de solidarité en direction des femmes et d’enfants depuis mai 2020.
Trois heures plus tard, après de nombreuses prises de paroles des soutiens politiques, associatifs et de témoignages de celles et ceux qui font MaMaMa, toutes les places de la salle où se tient l’audience en référé sont occupées par les soutiens, trop nombreux – près de 100 personnes –pour qu’ils puissent tous assister, assis, aux plaidoiries.
L’atmosphère dans la salle est aussi pesante que l’assemblée est calme et attentive, c’est l’inquiétude qui domine tant l’ensemble des présents savent que se joue ce matin, au-delà du devenir de l’association, le sort de dizaines de milliers de femmes et d’enfants en situation de précarité.
La chaine de solidarité va-t-elle être rompue alors que de nombreuses femmes sont aujourd’hui sur liste d’attente pour bénéficier des produits que distribuent MaMaMa et que de nouveaux bénévoles affluent encore pour faire face aux besoins.
Rompre ou ne pas rompre cette chaine de solidarité, c’est bien d’abord ce qui se jouait vendredi matin.
Face à la présidente de cette audience en référé, les conseils des parties adverses ont fait part de leurs arguments. Les avocats de la Sem plaidant froidement pour le droit de propriété. L’avocate de MaMaMa pour la cause des femmes.
Pour les avocats de la SEM, l’affaire est simple : MaMaMa occupe des locaux sans droit ni titre depuis fin décembre 2021, date de la dernière convention et demande au tribunal de prononcer à ce titre l’expulsion de MaMaMa.
L’avocate de MaMaMa a questionné d’emblée cette présentation de l’affaire avec une remarque préliminaire qui a fait mouche : pourquoi, pour une affaire si simple, la présence de deux avocats en défense des arguments de la SEM ?
Pour l’avocate de MaMaMa, non l’affaire est loin d’être simple et c’est ce qui motive sa demande de renvoi pour juger sur le fond une affaire où se conjuguent et s’imbriquent de multiples aspects : la mise à disposition à titre gracieux d’un local à MaMaMa, l’occupation d’une partie de ce local par des tiers, des menaces graves proférées à l’encontre de membres de l’association ou de bénévoles, des dégradations de matériel, des alertes des pouvoirs publics concernant ces faits restées sans actions de leur part, le tout ayant abouti à des dépôts de plaintes, une contre le maire de Saint-Denis et un de ses adjoints et une autre contre X et nommément contre des personnes s’affichant et connues comme des soutiens du maire.
Pour l’avocate de MaMaMa tout cela ne ressort pas d’une procédure de référé mais demande du temps, le temps d’une enquête, le temps d’un débat contradictoire sur le fond, le temps de la justice.
Si l’avocate de MaMaMa a plaidé pour la cause des femmes et la justice, les arguments qu’elle a développé en terme de droit ont aussi mis à mal la défense de la SEM, en s’appuyant sur plusieurs éléments.
Nous n’en retiendrons ici que quelques uns.
D’abord le fait qu’il appartient à la SEM de faire la preuve d’un trouble manifestement illicite et d’un péril imminent pouvant justifier une procédure en référé.
Elle a réfuté aussi le point de vue de la Sem construit sur l’absence de convention écrite faisant a contrario prévaloir qu’un accord verbal est suffisant pour faire foi en matière commerciale.
En effet, comment les nombreux échanges, oraux, écrits et autres réunions multiples entre les parties (ville de Saint-Denis, SEM, MaMaMa), auraient-ils pu exister sans un accord verbal ?
Evoquant la théorie du mandat apparent elle a réfuté au nom de cette notion retenue en droit l’argument de la SEM indiquant que le maire de Saint-Denis n’est pas le représentant légal de la Sem et qu’il ne pouvait engager la SEM « à ce qu’il ne soit jamais réclamé de loyer à MaMaMa ».
Non seulement la théorie de mandat apparent peut être retenue et elle l’est par les tribunaux dans des contextes plus incertains mais pour ce qui concerne cette affaire la notion de mandat explicite conviendrait parfaitement.
Imagine-t-on qui que ce soit douter un instant de la représentativité au regard de la SEM du maire de Saint-Denis (administrateur de la SEM), président de Plaine Commune dont la société d’économie mixte se dénomme Plaine Commune Développement ?
Qui aurait pu en présence du Maire-Président, proférer ce crime de lèse-majesté ? : « Etes-vous habilité monsieur le Maire de Saint-Denis,– premier magistrat de la ville la plus importante du département et du territoire avec qui nous avons conventionné – monsieur le Président de Plaine Commune, collectivité en charge de l’aménagement pour parler au nom de Plaine Commune développement, structure dédiée à l’aménagement du territoire ?
Reposons cette question : qui pouvait avoir cette outrecuidance face au Maire-Président et aux propos qu’il a tenus dans les locaux de MaMaMa ? : « Je trouve ça pas normal que porte sur votre charge 20.000 euros de loyer mensuel. Ça n’a pas de sens. Je ne vais pas vous demander 200.000 euros ; On va pas le faire (...) ce serait le scandale de l’ARC » ?
Quant au président de la SEM, Plaine Commune Développement et du département il s’est étrangement bien tenu à l’écart de tout cela, ne s’est jamais exprimé et n’a jamais répondu aux demande de rendez-vous formulées par MaMaMa. Rien. Un silence de plomb…dans une affaire si simple.
Nous en terminerons par trois remarques et une question.
Aujourd’hui encore, à leurs demandes, des centres de protection maternelle et infantile, structures relevant de la compétence du département, dont certains implantés sur la ville de Saint-Denis, sont approvisionnées par MaMaMa.
En revanche, les commandes passées à l’association par les assistantes sociales de la ville de Saint-Denis ont immédiatement cessé après le dépôt des deux plaintes par MaMaMa.
Concernant le prétendu péril imminent soulevé par les avocats de la SEM, il y en a bien un. Il est avéré et souligné par le Syndicat National des Médecins de Protection Maternelle et Infantile dans un courrier en date du 28 juillet 2022 adressé à Mathieu Hanotin et à Stéphane Troussel : « Nous tenons à vous exprimer notre vive inquiétude face au risque d’interruption de l’activité de l’association MaMaMa qui rend un service inestimable à de très nombreuses famille, avec de tous jeunes enfants, confrontées à la précarité économique extrême, en étroite coopération notamment avec les équipes PMI du département. Nous vous demandons de faire en sorte qu’aucune mesure relevant de votre responsabilité n’entrave la continuité de l’action indispensable de cette association ».
Pour conclure et en toute honnêteté intellectuelle, chacun s’attachera à répondre à une seule question : qui dans cette affaire fait preuve d’une attitude responsable ?
Le délibéré sera rendu le 13 février.