« MaMaMa ? C’est notre deuxième famille ! ». Siga, de Harlem à Saint-Denis, la colère d’Inès, le sourire d’Assata.

, par Michel Ribay

Nous poursuivons avec ce deuxième article les portraits de celles et ceux qui font MaMaMa. Après notre rencontre avec Cindy, Clara, Abibatou, Paul et Héloïse, nous avons découvert les parcours de Siga, d’Inès et d’Assata. Jeunes, engagées, déterminées. Qu’elles aient 19 ou 40 ans. Des battantes. Reportage.

Après notre rencontre avec Cindy, Clara, Abibatou et Paul nous avions quitté Héloïse en évoquant le deuxième projet d’envergure sur lequel elle travaille. Nous vous avions donc mis l’eau à la bouche sans vous révéler la nature du projet. C’est chose faite avec cet article.
L’eau à la bouche ? Oui, il s’agit bien de nourriture.

Construire une filière de fabrication de petits pots variés, dont la matière première est issue de petits producteurs bio ou répondant au cahier des charges extrêmement strict de nutrition des tout petits, et avec un objectif d’insertion professionnelle mérite d’être souligné. Tous les contacts ont été pris, les besoins identifiés, les ressources, les compétences sont là. Mais, et ce n’est pas un mince détail, où mettre en place le laboratoire, la chaîne de fabrication quand on n’a aucune visibilité sur le lieu, le local où le projet peut prendre forme ? La situation que connaît aujourd’hui MaMaMa entrave cette perspective.

C’est une injustice pour les bénéficiaires, les femmes et les enfants auxquels l’association porte assistance. C’est aussi une injustice pour celles et ceux qui mettent tout leur cœur et l’énergie de la jeunesse au service de cette cause.

La jeunesse ? Cindy a 30 ans, Abibatou 26, Paul et Héloïse 25, Clara 23 ans. MaMaMa est une jeune ruche. Une ruche de jeunes dans une ville jeune, Saint-Denis. Quoi de plus normal d’y rester.

Siga et Inès, elles n’ont pas 20 ans.

Siga est… stupéfiante. Il faut l’entendre parler de son engagement pour s’en rendre compte. Actuellement en service civique pour lequel elle a postulé découvrant MaMaMa sur le site internet du Service civique, elle précise : « J’ai toujours fait du bénévolat. A l’antenne Jeunesse de mon quartier, Péri, j’aidais les jeunes ou les moins jeunes sur des projets d’insertion ». Avant elle habitait à Franc Moisin. Vous l’avez compris, Singa est dionysienne. Pas de souche comme certains pourraient le dire en employant cette horrible formule, non, juste une dionysienne et fière de l’être, fière de sa ville, arrivée ici à six ans, venant de loin, New-York, Harlem précisément. 

Harlem, Franc Moisin, cité Péri. Précarité, migration, quartiers populaires…Siga n’a que 19 ans mais il lui en faut beaucoup pour l’impressionner. Pour autant, elle n’hésite pas à dire combien travailler à MaMaMa l’a fait grandir, mûrir.

Côté travail, Siga est une acharnée. Le vendredi, le samedi et le dimanche c’est dans l’événementiel… au Stade de France. Une dionysienne on vous dit. Et sinon, le reste du temps, en semaine, c’est à MaMaMa.

Bilingue anglais/français. Un papa afro-américain d’outre-atlantique, une maman d’origine malienne née en France. Soninké troisième langue, ça peut servir à MaMaMa. MaMaMa dont elle dit que « C’est ma deuxième famille, je suis très heureuse de venir travailler ici »

Heureuse aussi parce que Siga se reconnaît dans des enfants qu’elle croise à MaMaMa. Elle se remémore ses propres difficultés d’expression, depuis longtemps dépassées. Celles d’une toute jeune enfant débarquant en France, ne connaissant que l’anglais et qui, honteuse d’un impossible partage dans sa langue d’origine, ne voyait ou suspectait, dans les propos des enfants qu’elle fréquentait à l’école ou dans le quartier, que moqueries à son égard. Alors, elle parlait, enfermée et aphone, avec rage. Avec ses poings. Une vieille histoire aujourd’hui.

L’expérience de la précarité, son vécu de migrante, ses souffrances enfantines, son habitus dionysien, autant de réalités intimes qui lui permettent de cerner, de vite savoir ce dont ont besoin celles et ceux qu’elle rencontre. Au-delà des biens matériels, le besoin essentiel d’écoute, de lien, d’attention. 

Tout son vécu, son expérience, Siga les mobilise pour l’accueil des familles. Le suivi des bénéficiaires est si personnalisé qu’elle appelle celle qui, d’habitude ponctuelle, n’est pas arrivée. Ou prend des nouvelles d’une autre en proie à des violences conjugales. 

Siga s’est engagée aussi comme bénévole dans le programme Duo que pilote Clara. Siga suit une famille pendant un an. Un pré-adolescent de 14 ans et deux plus jeunes enfants dans lesquels Siga se reconnait et reconnait son propre parcours d’enfant en souffrance. 

L’attention portée aux bénéficiaires, Siga se réjouit de la voir s’exercer aussi entre toutes celles qui font MaMaMa. 

Le service civique de Siga prendra fin dans un mois, le 31 janvier. Elle sait déjà ce qu’elle fera après, au 1er février. Du social. Bénévole. Où ça ? Dans sa « deuxième famille ». Stupéfiante Siga !

Inès, elle aussi a 19 ans. Aujourd’hui bénévole après avoir effectué un service civique au premier semestre de 2022, elle poursuit ses études à Paris VIII, un double cursus Histoire et Sciences Politiques et vise aussi un Master spécialisé en management des associations. Secrétaire en titre de l’association MaMaMa, en tant que membre du bureau, elle remplit de fait les missions d’une secrétaire générale. 

Un poste en première ligne. Un poste très politique puisqu’elle gère la communication sur Facebook, Instagram, Linkedin les relations avec les associations partenaires et des acteurs publics ou assure la représentation de l’association dans différents événements. Elle s’attache aussi, en soutien à Lara et Magali en première ligne sur le sujet, à la rude tâche de recherche de locaux adaptés aux besoins de MaMaMa.

Le travail d’équipe l’amène aussi à bûcher sur les réponses pour les appels à projet. Son poste est politique, ses engagements aussi. Un groupe d’échanges LGBT s’est créé à MaMaMa suite au travail d’Hanan, une doctorante en anthropologie qui fait de MaMaMa son terrain d’étude. La rencontre de femmes-mères homosexuelles qui ne se sentaient pas en situation de se tourner vers des associations LGBT ont conduit à la création de ce groupe de parole, d’entraide au sein de MaMaMa. Il se réunit deux fois par mois et Inès en assure l’animation, le suivi.

On peut faire beaucoup de choses à 19 ans. Pour soi et pour les autres, dont on partage les joies comme les indignations et les colères.

En colère, Inès l’a été. Et beaucoup ces derniers temps, en particulier quand il lui est revenu aux oreilles que le maire de Saint-Denis, au conseil municipal, a évoqué la soi- disant présence d’une mineure en service civique, seule dans les locaux de MaMaMa, un week-end. C’est d’elle dont il parlait sur la foi d’une inexactitude dans un article de presse. Une déclaration publique en conseil municipal. Sans vérifier. Pour Inès c’est une insulte pour le sérieux de l’équipe. Et ça, ça la met en colère, Inès. A 19 ans on est majeur. Et elle n’était pas seule dans les locaux.* [1]

Pour l’instant Inès doit filer, un partiel l’attend à Paris VIII. Aussi déterminée que son expression est empreinte de douceur, Inès trace son chemin.

Assata. Trois syllabes qui claquent. Un sourire. Un éclat de rire. T’as pas la pêche, va voir Assata. Assata encadre les bénévoles. Son terrain de jeu, c’est l’entrepôt. Comme elle le dit, le logiciel c’est pas vraiment son truc mais c’est comme si elle avait le stock dans la tête, un stock qu’elle connaît jusqu’au bout des ongles. Ce qui lui permet de faire équipe avec Cindy, Paul et Christian eux aussi à la manœuvre : ce qui rentre, ce qui sort, ce qui manque ou va manquer.

Assata a 40 ans, est ivoirienne et sait d’où elle vient. La rue, les squats, puis un F4 de 68 m2 pour 3 familles, 10 enfants, 5 adultes. Aider les autres c‘est le sens qu’elle donne à sa vie. Elle découvre MaMaMa grâce à sa sœur bénéficiaire. Alors elle s’y jette. Un après-midi par semaine. Le matin de 7 à 13h elle est femme de ménage. Mais Assata est accro. D’un après-midi par semaine, elle passe tous les jours. Après un an de bénévolat à ce rythme, elle est salariée depuis octobre 2022.

L’entrepôt, l’encadrement des bénévoles. Voilà donc pour sa mission… Assata est aussi interprète à ses heures. Parler Bambara ? C’est elle qu’on appelle pour réconforter une maman perdue, désemparée, en larmes.
Assata a connu des moments difficiles et elle sait qu’elle n’a pas le droit, dans ces moments-là, de laisser ses propres larmes couler. Elle sait qu’en face d’elle c’est du réconfort que l’on attend, alors elle prend sur elle et ajoute avec fierté que ce jour-là «  La maman est repartie, sans pleurer ».

Alors, heureuse de travailler à MaMaMa, Assata ? 

« Ici, c’est pas des collègues, c’est la famille », « C’est incroyable ce que MaMaMa fait » et ajoute, « Heureuse, oh oui, et c’est pas pour l’argent, ici c’est… l’humanité ».

Alors, Assata, MaMaMa c’est du 100% ?

Assata tempère. « Oui, 100% du lundi au vendredi, après c’est pour la famille… la famille… c’est sacrée ». Sacrée Assata, vaste sourire aux lèvres.

 [1]

Notes

[1* Lors du conseil municipal du 24 novembre dernier en réponse à une question écrite déposée par la conseillère municipale Sophie Rigard au nom du groupe d’opposition Saint-Denis à gauche !, le maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, faisant référence à un passage d’un article de presse comportant une inexactitude, déclarait :
« J’ai découvert au passage qu’il y aurait eu des menaces sur une mineure en service civique qui travaillait déjà les concepts hein, un dimanche, toute seule sur le site. Alors là, j’avoue que je m’interroge effectivement sur la qualité de l’encadrement qui a amené à confier des services civiques dans ces conditions-là, à ces personnes-là. Parce que oui, faire travailler une service civique toute seule, mineure, un dimanche dans un bâtiment non ERP, qui peut avoir un incendie, sans assurance etc., etc. ».

Ci-dessous, le passage de l’article en question publié le 16 novembre sur le site de France Inter sous la signature de Hajera Mohammad intitulé « Une association dépose plainte contre le maire de Saint-Denis pour trafic d’influence et corruption passive ».
« À l’été 2021, Thierry Durieux le président de "La Petite Liberté", spécialisée dans l’aide alimentaire, aurait installé une partie du matériel de son entreprise de BTP au fond du local, bloquant notamment une issue de secours. Magali Bragard, lui fait comprendre que ce n’est pas normal. "Il a eu une réaction ultra-violente, à me dire une dizaine de fois ’je vais t’étrangler, je vais t’étrangler’, et puis après c’est devenu quasi journalier qu’il vienne ici et qu’ils nous disent ‘on a les moyens de vous détruire, on va vous détruire’". 
En janvier 2022, le même homme aurait également menacé Inès. C’était un dimanche, la jeune femme de 17 ans, alors en service civique, était la seule référente sur place : "Il est entré, m’a demandé les clés et il est revenu vers moi en disant de manière très agressive qu’une palette avait été déplacée et qu’elle bouchait l’accès à son local. Il m’a dit, ‘la prochaine fois, je n’irai pas voir votre boss, je taperai sur la première que je croise’. Ensuite, il revenait régulièrement les dimanches et moi j’avais toujours peur". »

 
Interrogée, l’association MaMaMa confirme la présence d’autres personnes dans les locaux ce jour-là, le statut de majeure d’Inès, le respect strict de la réglementation concernant le site et l’existence en bonne et due forme d’un contrat d’assurance couvrant l’ensemble de son activité.