Prox’aventure 2- Les élus locaux à la manoeuvre

, par Jacques

Le portrait de Bruno Pomart et de son association pourrait sembler plus proche d’un tableau de famille de la droite disons « dure » que des institutions de la République et d’élus locaux se réclamant de la gauche. Pourtant, ces derniers prennent bruyamment fait et cause pour l’association. Quitte à mentir.

Prox’aventure : la citoyenneté à coups de matraque, en 4 volets.
Déjà parus :
1- Raid aventure, la violence en service commandé

La violence policière, une réalité quotidienne

Les villes sont généralement à la manœuvre pour amener Prox’aventure dans le paysage, que l’association intervienne directement dans les quartiers ou dans le cadre de la scolarité, avec dans ce dernier cas le soutien de la hiérarchie scolaire (rectorat) qui autorise son intervention. Peu importe l’appartenance politique des élus : à Saint-Denis, c’est le maire PC qui a introduit Prox’aventure dans les quartiers, et son successeur PS qui tente de l’introduire dans les écoles. A Paris, élus PS et Verts défendent le dispositif au collège. Ailleurs, c’est la droite.

A Saint-Denis, la motivation de M. Hanotin est claire, cela correspond à sa volonté de prioriser une police municipale qui empiète sur les prérogatives de maintien de l’ordre de la nationale. Ce qui n’est pas une exception, puisque cela correspond à la volonté de désengagement de l’État qui pousse les villes à développer leur « municipale » et élargit peu à peu ses prérogatives.

L’anglais... Finalement, ce sera la matraque dès le CP

L’offre clé en main de Raid aventure doit faire rêver :
 coût modeste, c’est Dassault qui régale pour faire les relations publiques
de la municipale, même si la Ville doit certainement rajouter un petit billet et le salaire des policiers municipaux pendant l’intervention ;
 l’objectif de réconcilier la population avec les policiers doit faire rêver les élus, qui pensent peut-être que demain, après avoir manié la matraque de concert, policiers et jeunes se prendront par la main et oublieront leurs petits différends ;
 Bruno Pomart lui-même, qui a ses entrées dans les ministères et dans les médias ; pour les élus locaux, une double légitimation.

Evidemment, cela suppose soit un manque d’esprit critique assez inquiétant quand on songe que ces gens dirigent nos destins, soit une adhésion idéologique qui, pour des élus se réclamant de valeurs de gauche, confine au cynisme.

Dans le cas dionysien, le rapport du maire PS à la police et au maintien de l’ordre n’est pas sans interroger.
La cité Péri, un quartier central de la ville, est un lieu de trafic de stupéfiants qui est la cible régulière de la police nationale. Il y a quelques années, la cité avait été bouclée par les CRS plusieurs mois d’affilée ; tout cela n’a jamais empêché le trafic. Dans une réunion publique, le commissaire de Saint-Denis avait avoué son impuissance : aux habitants excédés qui lui faisaient remarquer que les « descentes » dont il se vantait ne servaient à rien, il avait répondu : « Si ce que vous me demandez, c’est de démanteler les filières, je n’en ai pas les moyens. » Les habitants se trouvent donc pris dans un « jeu » sans issue dont ils sont les otages.

Un maire dans sa ville comme un poisson en gilet pare-balles.

Dans ce contexte, la « descente » du maire PS de Saint-Denis dans la même cité, équipé d’un gilet pare-balle et accompagné de la police municipale singeant la nationale, a choqué de nombreux habitants. D’abord pour le ridicule d’une action parfaitement inutile [1].
Mais derrière le ridicule de l’image du maire paradant parmi ses policiers et affublé de son gilet floqué « Maire Saint-Denis », il est assez déroutant de voir un maire ressentant le besoin de se protéger de sa propre population. Ceci dans une Ville ou, de mémoire de Dionysien, on avait davantage l’habitude de croiser le maire en faisant la queue au marché ou dans les fêtes de quartier – et cela sans garde prétorienne. Le désarroi est à son comble quand c’est dans le même quartier, la cité Péri, que le maire envoie des scolaires « jouer » au policier avec Prox’aventure. Et le questionnement inévitable : les enfants et l’Education nationale seraient-ils instrumentalisés au service d’une politique municipale sécuritaire ? Le gilet pare-balles du maire, était-ce une simple mise en scène d’autopromotion sur le dos des habitants, évoquant plutôt l’extrême-droite ? Ou, si le maire l’estimait nécessaire pour sa sécurité, comment a-t-il pu mettre en danger les dizaines d’enfants des classes concernées ?

Le mensonge systématique

Si la plupart des enseignants et même la hiérarchie de l’Education nationale ont reconnu une erreur dans le cas dionysien, les élus, eux, ont utilisé le mensonge systématique comme arme de défense du dispositif :

  • lorsque les parents ont manifesté leur inquiétude, les élus ont nié la réalité des faits, en dépit de l’évidence ;
  • ils ont prétendu (jusqu’en conseil municipal) que le dispositif était implanté depuis plusieurs années : c’était faux, il venait d’être testé de manière expérimentale dans les trois écoles Langevin, Balzac et Sorano, et le dispositif était destiné ensuite à être généralisé ; a-t-il été déjà utilisé dans les écoles élémentaires dans d’autres villes ? depuis combien de temps ? Ou était-ce une « première » ? Cela nous l’ignorons ;
  • ils ont utilisé l’argument d’autorité pour faire taire : « Ca existe depuis 25 ans (ou 30 ans), ça n’a jamais posé de problème ! » Un « argument » repris par l’association et une partie de la presse : puisque ça existe déjà, ça ne peut plus être critiqué !!! « Ce n’est pas un sujet », a asséné M. Hanotin, le maire, lors du conseil municipal. Nous savons que le « Prox » a déjà été utilisé dans le cadre scolaire en collège, mais pas depuis combien de temps, mais pas la fréquence. Il semble que le dispositif prenne de l’ampleur (en même temps que les luttes sociales) ;
    Mobilisation des trois écoles « proxaventurées »
  • ils ont affirmé que « Tout le monde est enchanté, les parents, les enseignants, les enfants » (quant aux récalcitrants, ils ne sont qu’une minorité de parents politisés bobos membres de la FCPE gauchiste [2]) : il se trouve que la majorité des représentants de parents ne sont pas à la FCPE – qui n’est pas à proprement parler une « organisation gauchiste » ;-), qu’on peut être ouvrier, employé, chômeur, ce que nous sommes... et avoir le souci de l’éducation de nos enfants, que tous les parents (18 représentants à Langevin, dont des policiers) et les enseignants des trois écoles se sont opposés d’une voix à cette action, (excepté une enseignante et quelques parents d’une des écoles), que toutes les diffusions d’information auprès des parents des écoles ont recueilli les mêmes réactions unanimes (les quelques bobos locaux inclus), enseignants et parents estimant avoir été « manipulés » par la présentation trompeuse de l’initiative (« journée sportive et citoyenne »), qu’à Langevin a été votée une motion parents-enseignants contre Prox’aventure à la quasi-unanimité (moins une abstention)…
  • Ils sont allés jusqu’à inventer une prétendue enquête de satisfaction publiée par Prox’aventure, où les enfants ont plébiscité l’animation… elle a tout simplement été créée de toute pièce a posteriori par Raid aventure pour le compte de Cnews et reprise ensuite par la Ville de Saint-Denis, qui n’est pas dégoûtée. Les enseignants qui étaient présents en sont témoins, ce questionnaire n’a pas existé.

Mensonge, mensonge, mensonge...

Le syndrome Dracula

L’obscurité pour s’épanouir

Ces mensonges sont liés au caractère inacceptable, spontanément, du contenu de ces « animations » pour des enfants. Car la très grande majorité des interlocuteurs (dans la vraie vie, et même chez les journalistes) ont réagi de la même façon : ils ont été interloqués d’abord, puis choqués par ce que les enfants ont vécu dans le cadre de la scolarité obligatoire. Les politiques ou les directions de collège qui recourent aux services de l’association, s’ils sont confrontés à une contestation, nient la réalité des faits. S’ils en ont le pouvoir (supérieurs hiérarchiques au collège Germaine Tillion de Paris), ils sanctionnent pour faire taire (pour les écoles de Saint-Denis néanmoins, il faut le saluer, l’IEN et le rectorat ont reconnu une erreur, contrairement aux élus).

C’est que tous savent que présenté au grand jour, Prox’aventure mourrait (syndrome de Dracula), car mettre en relation des enfants avec la manipulation d’armes et la violence est en rupture complète avec le consensus social. Quelques médias très à droite, les mêmes qui accueillent régulièrement Bruno Pomart, assument néanmoins un discours de soutien. On peut y entendre des journalistes, des cadres du macronisme, des socialistes proches du Printemps républicain, des personnalités de droite ou d’extrême-droite justifier l’utilisation d’armes dans le cadre scolaire (il faudrait bien que les enfants apprennent à se défendre, la société étant de plus en plus violente), ou proclamer que le rôle essentiel de la police, c’est la répression ; ou encore que la manipulation d’armes ou l’exercice d’activités violentes permet d’intéresser les enfants [3] à la police...

Le positionnement paradoxal de l’association

Le paradoxe, c’est que l’association présente son dispositif sans fard, tant dans la petite vidéo qui met clairement en avant l’action violente et armée au détriment du sport et des premiers secours – qui apparaissent pour ce qu’ils sont, des cache-sexe –, que dans le texte de présentation, lui aussi très orienté sur les « gestes techniques », revendiquant l’accoutumance des enfants aux contrôles de police – sans aucune référence à l’encadrement légal de ces contrôles.

Cette volonté de montrer ouvertement des enfants armés, s’exerçant au tir, simulant un placage ventral meurtrier, révèle une offensive clairement idéologique : il ne s’agit pas seulement d’instiller chez nos enfants la légitimité de la violence, mais de le revendiquer publiquement, et il y a là une différence d’approche manifeste entre l’association et les politiques ou les institutions qui la programment. En pleine mobilisation à Saint-Denis, la vidéo avait subitement disparu du site de Raid aventure, probablement à la demande des élus de la Ville qui voyaient leurs mensonges étalés au grand jour, mais elle a été remise en ligne peu de temps après.

La contradiction apparaît néanmoins chez l’association elle-même, les objectifs affichés se révélant assez lunaires au regard des pratiques revendiquées :

  • « Déconstruire les stéréotypes » (en les renforçant ? Voir la troisième partie « La conception d’une police violente par nature ») ;
  • « Promouvoir la citoyenneté et les valeurs de la République » (par l’exercice de la violence, il y a un contre-sens !),
  • « Lutter contre le sentiment d’abandon des habitants des quartiers populaires » (obtenir des enseignants formés, des enseignants remplaçants les absences, des médecins scolaires, des AESH pour les enfants handicapés qui y ont droit, ou dans un autre registre cesser de stigmatiser les mères voilées… serait plus utile pour que nous nous sentions considérés comme des citoyens à part entière qu’apprendre à nos enfants à se matraquer).
    Prox’aventure : les moyens et les objectifs

Il est difficile de croire que ce double discours ait pu perdurer depuis une trentaine d’années en n’ayant jamais été rendu public avant la mobilisation des parents dyonisiens en septembre-octobre 2022. Certainement, le fait que cela touche ces quartiers populaires déjà livrés à une violence systémique a joué. Comment remettre en cause une action de pacification police-jeunes qui plus est labellisée « sportive et citoyenne » ? Peut-être serait-il temps que la presse d’information « de gauche » fasse aussi son travail dans les quartiers populaires [4].

D’autant qu’avec l’irruption de Prox’aventure à Paris, et l’évolution de la politique répressive, il y a des chances que le « modèle » Prox s’élargisse au-delà du son périmètre d’origine.

Notes

[1Relayée triomphalement sur la page Facebook du maire. Le ridicule ne tue pas. Et le trafic se porte toujours aussi bien cité Péri.

[2Le Parisien, BFM… Voir la revue de presse.

[3Les Grandes Gueules, RMC, groupe BFM, 11/10/2022.

[4Seule L’Humanité a traité cette information.