Rénovation du centre ville, Ilots Basilique, Place Jean Jaurès et avenir du marché. Un large débat public est indispensable.

, par Michel Ribay

Les Dionysiens ont découvert dans Le Parisien du 15 octobre les intentions du projet d’aménagement de la Place Jean Jaurès impliquant le déplacement du marché place du 8 mai 1945, (les travaux devant démarrer au premier trimestre 2022). Cette annonce est présentée dans le prolongement de la signature d’engagement avec l’ANRU des programmes concernant le centre-ville, le Franc Moisin et Saussaie-Floréal-Courtille. Un article des Echos annonce aussi dans son édition du 25 octobre le déménagement du marché.

Les images (DR) du projet sont accessibles d’un clic dans le portfolio en fin d’article.

On aurait pu s’attendre, s’agissant de l’avenir d’un marché situé depuis des siècles au pied de la Basilique Cathédrale de Saint-Denis, à un débat public, à des échanges de vues les plus larges possibles rassemblant citoyens dionysiens, commerçants, clients d’ici et d’ailleurs, urbanistes, historiens, avant de trancher en faveur de tel ou de tel scénario (statu quo, évolution ou déplacement du marché).

On est donc stupéfait de la manière de faire sur un sujet aussi important : la nature de l’hypercentre ville, son devenir, ses usages, son rapport à l’histoire, à l’identité de Saint-Denis.

La seule consultation d’un conseil citoyen de quartier dans trois réunions et des échanges avec le syndicat des commerçants du marché ne peut tenir lieu de concertation sérieuse et surtout suffisante pour un projet (déplacement du marché et aménagement de la plus grande place de l’hypercentre) dont l’impact n’est pas à l’échelle d’un quartier mais de la ville, voire au-delà.

Le site de l’ANRU rappelle d’ailleurs les objectifs de co-construction dans les projets NPNRU (Nouveau Programme National de Rénovation Urbaine) et souligne trois évolutions :

« – une contractualisation en deux temps pour mieux définir les projets (protocole de préfiguration puis convention opérationnelle)
– un portage des projets au niveau de l’agglomération plutôt qu’au niveau de la commune pour favoriser un rééquilibrage des territoires
– une ambition forte sur l’association des habitants à la conception et à la mise en œuvre des projets notamment via les conseils citoyens et les maisons de projet.
 »

Le dernier point est précisé comme suit :

« Le NPNRU encourage la participation active des habitants dans le projet de transformation de leur quartier, afin de valoriser leur expérience et de répondre au mieux à leurs attentes. Cette co-construction s’appuie sur la mise en place de conseils citoyens qui sont associés aux différentes étapes : définition, mise en œuvre, évaluation. Par ailleurs, dans chaque quartier, une maison du projet permet aux habitants d’obtenir des informations, de suivre les opérations et d’échanger avec les porteurs de projets ou les élus. »

En l’espèce, tel qu’on nous le présente, il ne s’agit pas uniquement d’un projet de transformation d’un quartier mais d’un périmètre très large qui concerne le fonctionnement, l’avenir d’un marché de dimension régionale, les déplacements, l’évolution de la morphologie urbaine de l’hypercentre, les usages et la mutation des espaces publics au regard de l’adaptation au réchauffement climatique.

Communiquer, communiquer, il en restera toujours quelque chose

Contrairement à ce qu’écrit la première adjointe au maire Katy Bontinck sur les réseaux sociaux il n’y a aucun enthousiasme vis-à-vis du projet de rénovation urbaine concernant le centre-ville. Les comptes rendus des réunions entre le conseil citoyen et la nouvelle municipalité, le compte-rendu d’une rencontre du collectif Ilot 8 avec la municipalité tout comme la Déclaration du conseil citoyen du centre ville en date du 5 mai 2021 disent le contraire.

C’est à cette même date que s’est tenu un comité de pilotage du NPRU Saint-Denis réunissant les différents acteurs.

S’agissant du déménagement du marché le sujet a été évoqué à la marge dans les dites réunions de concertation.

Le dernier document dans lequel le sujet de l’évolution de la place Jean Jaurès est cité est le compte-rendu du comité de pilotage du NPRU Saint-Denis le 5 mai dernier sous une forme très succincte : « Intégration de l’îlot Haguette en lien avec la place Jean-Jaurès. La volonté est d’en faire un cœur d’îlot convivial en lien avec les activités commerciales. Pour ce faire, est nécessaire la reprise du passage Haguette pour une ouverture plus qualitative sur la place Jean Jaurès, le nouveau barycentre qui représente plus de 6000m2 d’espaces publics. Cette intervention permettrait d’en faire un îlot de fraîcheur, c’est un des seuls espaces de pleine terre pouvant être investi pour des espaces récréatifs et participant au rafraîchissement du quartier (miroir d’eau). »

On parlait là encore au 5 mai au conditionnel.

Dans le même comité de pilotage, la sous-préfète Anne Coste de Champeron se montrait d’ailleurs prudente quant au fait de lier le devenir de la place Jean Jaurès au programme général de rénovation et alertait : « Il est pertinent d’intervenir sur les espaces publics mais conseillé de mettre de côté la place Jean Jaurès afin d’éviter de laisser croire que l’on déguise la place centrale de la ville via l’ANRU. Il faut accompagner ce travail d’un argumentaire sur les aspects économiques, pour expliquer pourquoi ce projet est aussi atypique. Tout le monde converge dans ce lieu, même les habitants des autres quartiers du territoire car c’est là où les choses se passent. Ce n’est pas un dossier comme les autres. »

On ne peut que souscrire à ce point de vue, la question du devenir de l’hypercentre, de la place Jean Jaurès, du marché n’est pas un dossier comme les autres.

Interrogé par un habitant lors du Comité de pilotage dans ces termes :
« Dans le projet sur l’aménagement de la Place Jean Jaurès, sur sa végétalisation, dans le document la question du marché n’est pas posée. Or c’est un élément important qui identifie la ville ; C’est quand même un des plus gros marchés de la région. Si on comprend bien le dossier il y a déplacement du marché. Or ce n’est pas dans le dossier, ce n’est pas discuté. Ce n’est pas une petite affaire… »

Le Maire reconnait que la végétalisation de la place aura une incidence sur le marché : « Pas normal que cette place soit occupée 3 demi-journées par semaine. Il y a plein d’endroits en province où les marchés se tiennent sur des endroits en pleine terre. Planter des arbres va avoir un impact. Oui il n’y aura peut-être pas autant de commerçants qu’aujourd’hui. Oui on redéployera peut-être des commerces dans d’autres endroits du centre-ville. Oui le marché n’a pas été toujours à cet endroit… Je le dis aux commerçants il faut qu’on réinterroge la place du marché, y compris si on veut le faire grandir en gamme, y compris si on veut y faire venir toutes les populations de Saint-Denis. Il faut un marché qui propose d’autres typologies de produits autres que le bas de gammes qu’il propose uniquement aujourd’hui. C’est des débats qui dépassent très largement les débats de l’ANRU. Ce qui est sûr c’est que la halle du marché ne va pas disparaitre et qu’il y aura des commerçants dans le centre-ville »

Cette intention, ce conditionnel, ce oui peut-être aurait donc totalement mûri en tant que projet dans la tête de nos édiles pendant les vacances d’été ? Permettant dans la foulée de communiquer tous azimuts (Le Parisien, Actu.fr, réseaux sociaux) avec pour effet de rendre le choix incontournable (la presse en parle !). Et voilà les images ! Les gens (on ne sait pas qui sont ces gens) sont enthousiastes ! La boucle est bouclée.

Pourtant le Maire le concède lui-même : « Ces débats dépassent très largement les débats de l’ANRU » .

Ces débats dépassent effectivement de loin les débats de l’ANRU à tel point que rien concernant le marché ne figurait dans les documents à discuter lors du comité de pilotage du 5 mai. Mais quelques jours plus tôt le 29 avril lors d’une réunion avec le conseil citoyen la végétalisation de la place Jean Jaurès est évoquée par la première adjointe et par l’élu au commerce le déplacement du marché.

Alors ? Qu’en penser ? Faut-il en discuter ? Pourquoi ne pas en débattre franchement et publiquement plutôt que distiller quelques informations éparses au fil des rencontres ?

Un débat entre le Maire et le Président

Ce sujet n’a-t-il donc été débattu au mieux dans un bureau en mairie entre quelques personnes autour du Maire, sa première adjointe, l’adjoint à l’urbanisme, et tranché si ce n’est par le Maire, Mathieu Hanotin, tout seul, du moins après un échange avec le président de Plaine Commune, Mathieu Hanotin, et ses vice-présidents, les adjoints précités, bref les mêmes.

Répétons le : « Ce n’est pas un dossier comme les autres. »

Nous sommes donc aujourd’hui faute d’une large consultation contraints à commenter les images rendues publiques dans la presse et à prendre connaissance des échanges sur Facebook. Chacun conviendra que ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu d’un dossier pas comme les autres.

Une intention minimale, une ambition petit bras

On s’attachera donc déjà à montrer que si déménagement du marché il y a, l’ambition d’une végétalisation-espace vert-mutation écologique, au vu de l’esquisse du projet, accouche d’une souris. On reparle aussi sur les réseaux sociaux d’un miroir d’eau. Fort bien.

Sur une place avec un coefficient d’inclinaison assez prononcée ? Vu la déclivité de la place Victor Hugo et le nombre de marche qui a été nécessaire pour rattraper celle-ci (voir le plateau d’entrée de l’hôtel de ville) cela donne une idée de l’intervention nécessaire pour reconstituer une surface plane pour ce fameux miroir d’eau sur la place Jean Jaurès. On s’interroge donc. D’autant que cela demande une intervention non négligeable. Tant en coût d’investissement qu’en fonctionnement.

Mais quoi qu’il en soit tout cela est débattu où, quand, avec qui ? L’évolution de la ville se joue-t-elle à coups de posts Facebook et de like ?

Le tour de la place en bus

L’esquisse illustrant l’article du Parisien indique le déplacement d’une voirie, la rue Jean Jaurès (aujourd’hui positionnée le long de l’hôtel de ville) vers la partie basse de la place afin de constituer un vaste espace public en continuité avec la place Victor Hugo.
Ce choix (il peut en exister d’autres) est illustré par la suppression de la plus grande partie des arbres d’alignement sur ce côté de la place. Précisément a minima 6 arbres.
Mais le choix du déplacement de cette voirie implique aussi – si l’on veut ménager un retrait suffisant de celle-ci des immeubles qui bordent la place permettant l’installation future de terrasses (l’esquisse le suggère) – la suppression d’un certain nombre d’arbres, a minima là aussi 6 arbres, voire plus si on la reconstitue avec le même gabarit. L’arbre qui a le plus important développement, face à un opérateur de téléphonie mobile, ne devrait pas être conservé au vu de l’emprise d’une nouvelle voie que devront emprunter les lignes de bus contraintes à faire sur trois côtés le tour de la place pour récupérer le parcours initial (l’espace nécessaire pour les girations d’un bus n’est pas anodin).

L’ambition environnementale ?

Soyons précis. Il y a actuellement 25 arbres sur la place Jean Jaurès.
L’esquisse du projet d’aménagement comporte dans la partie basse de la place six emprises composées d’arbres d’alignement en nombre décroissant. L’esquisse fait apparaître 4 emprises plantées. Des barrettes de 4 arbres puis 2 de trois arbres puis 2 arbres.

Dans sa partie haute, côté hôtel de ville, on dénombre six arbres sur l’esquisse.
Au total ce sont donc 30 arbres. L’esquisse n’est pas forcément trompeuse quand on sait que des arbres plantées trop proches se font concurrence et ne peuvent donc se développer en offrant la plus grande couverture végétale possible. Soit finalement 5 arbres de plus que le nombre actuel.

Mais ne chipotons pas cela pourrait être plus, l’esquisse serait trompeuse ? Allez 35.

Ainsi le gain par rapport à ce qui nous est présenté comme un nouvel espace vert – digne de l’urgence climatique votée en juillet dernier comme premier acte emblématique de la nouvelle majorité – serait de 10 arbres. Allez, soyons généreux mettons encore quelque uns de plus mais va falloir les serrez menus, des arbres sardines peut-être ?

Certes une trentaine d’arbres regroupés sont d’une autre qualité que le même nombre très espacé, mais on pouvait s’attendre à une ambition d’une autre envergure. La place le permet.

La majorité actuelle avait décrié le projet d’aménagement, de reconquête environnementale et urbaine de la place Robert de Cotte. Si elle persiste dans son projet (non débattu) de déplacer le marché, elle ferait bien de s’inspirer de ce précédent pour l’aménagement de la place Jean Jaurès.

Déplacer un marché historique, modifier un espace urbain identitaire sans débat pour n’accoucher que de quelques arbres supplémentaires qui en terme de croissance ne seront pas aussi développés que ceux en place avant quelques années ? Quelle ambition !

Au passage, si l’on compte ceux qui seront supprimés, a minima 12 (dont certains avec une certaine ampleur), il faudrait rien que pour compenser ces 12 arbres en replanter 36 –(modification du PLUI adoptée unanimement au conseil municipal du 7 octobre : pour un arbre abattu, trois doivent être replantés) – y compris sur le site même, si l’on a quelque ambition climatique pour ce projet – la place Jean Jaurès est le seul endroit de pleine terre, dixit la première adjointe, Katy Bontinck dans ses échanges sur Facebook. C’est vrai.

Pourquoi donc se priver d’en profiter pleinement ? L’intention de planter mille arbres dans la mandature aurait l’occasion de s’exprimer ici.

Vise-t-on l’objectif louable (pas toujours possible) de transplanter les arbres existants ? Oui ? Non ? A quel moment ? On n’en sait rien non plus.

L’esquisse ne semble pas plus envisager le même type de revêtement que l’on connaît sur la partie végétalisée et arborée dans le prolongement de la place Victor Hugo en direction de la place Robert de Cotte, à savoir du stabilisé, c’est à dire un revêtement perméable sur tout le linéaire arboré. Non l’esquisse présente des arbres plantés en barrettes parallèles entrecoupées d’un revêtement minéral.

En définitive si l’on s’en tient à l’esquisse on est donc très loin, avec ce projet, d’un aménagement ambitieux de végétalisation répondant à l’urgence climatique. On est très loin d’un parc urbain dénomination employée par le Maire dans la presse.

De multiples questions en suspens

Un vrai débat devrait aussi comporter des informations sur le fonctionnement du marché potentiellement déplacé place du 8 mai 1945 : combien de commerçants, gestion des stationnements, interface avec les trams T1 et T5, gestion des déchets, aménagement de la place, schéma de circulation, traversée du boulevard Carnot et Félix Faure…
Là aussi, autant de question permettant de mettre l’ensemble des paramètres dans la balance et de choisir.

Des compétences partagées ? Les élus de Plaine Commune ont-ils leur mot à dire ? Qu’en pense le premier vice-président en charge de la transition écologique ?

Sortir de l’hyper hyper-centre…

S’il s’agit de conserver un espace public capable d’accueillir des manifestations publiques importante (justifiant un revêtement minéral) la place Victor Hugo est bien toujours là, et la place du 8 mai 1945 (très vaste) y pourvoirait aussi au moins 4 jours sur 7, les jours sans marché. Quitte à vouloir une nouvelle centralité, autant s’en donner les moyens, non ?

Un exemple ? Le village des associations déplacé place du 8 mai 1945 lors de la fête de Saint-Denis ne serait pas incompatible avec un spectacle le soir place Victor Hugo et la programmation d’animations, de spectacles place du 8 mai en journée. Sortir de l’hyper hyper-centre n’est pas tabou, non ?

Et quitte encore une fois à vouloir végétaliser (personne n’en contestera le besoin), rafraichir la ville, végétalisons franchement.

A ce stade, d’un point de vue démocratique, urbain et écologique ce n’est ni fait ni à faire et tout reste à débattre

Si pour certains ce déplacement du marché est une hérésie historique, urbaine et tourne le dos à l’identité populaire du centre ville pour d’autres cela est envisageable, souhaitable même, mais à quelles conditions et avec quelles exigences ?

Tout cela demande le plus large débat. La municipalité en a les moyens, la charge et le devoir.

C’est aujourd’hui le préalable indispensable à toute décision.